Article
Christelle DARNAUD 1 / Catherine GALLETTI 2 / Amandine PARA 3 / Francis MORA 4
1- Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France. A.H.U (Parodontologie) Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, France2- Spécialiste qualifié en Orthopédie Dento-Faciale, Université Paris 7-Denis Diderot, France. Co-directrice du Diplôme Universitaire d'Orthodontie linguale Paris 7-Denis Diderot, France.3- Ancienne interne des Hôpitaux de Paris. Ancienne A.H.U (prothèse) Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, France. Diplôme universitaire en implantologie chirurgicale et prothétique, Paris 7-Denis Diderot, France4- MCU-PH Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, France. Co-responsable du Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France.Correspondance : Christelle DARNAUD
c.d839@orange.fr
Résumé
Les parodontites agressives sont caractérisées par une évolution rapide de la destruction parodontale chez des patients avec une réponse immunitaire exagérée vis-à-vis de l'infection bactérienne parodontopathogène. Le dépistage et la prise en charge précoce permettent de revenir à un état de santé parodontal. Les attentes des patients quant au résultat fonctionnel et esthétique final de leur traitement nous font tendre vers une prise en charge globale et multidisciplinaire. Le cas clinique présenté permet de discuter des objectifs, des bénéfices et de la dynamique de la prise en charge multidisciplinaire d'une parodontite agressive généralisée.
Aggressive periodontitis are characterized by rapid changes in periodontal destruction. Patients exhibit an exaggerated immune response against the bacterial infection. Screening and early treatment are important to return to periodontal health. Nowadays, patients treatment expectations are both functional and esthetic, and our role is to respond towards global and multidisciplinary treatments. The presented clinical case allows discussing the objectives, the benefits and the dynamics of the multidisciplinary management of generalized aggressive periodontitis.
La parodontite représente un modèle complexe de maladie à étiologie multifactorielle dont les composants infectieux et inflammatoires sont les principaux responsables de la destruction des tissus de soutien de la dent. Autant pour la parodontite chronique que pour la parodontite agressive, le biofilm bactérien joue un rôle étiologique primaire, nécessaire mais insuffisant pour le déclenchement de la maladie (Offenbacher et al., 2008). Les parodontites agressives sont caractérisées par une évolution rapide dans le temps chez un patient avec une réponse immunitaire exagérée vis-à-vis de l'infection bactérienne parodontopathogène. Leur prévalence est plutôt faible en général, notamment dans certains pays, comme la Suisse (0,1 %) (Kronauer et al., 1986), mais plus élevée dans d'autres, comme le Soudan (3,4 %) (Elamin et al., 2010). La prévalence est aussi significativement différente entre les ethnies. C'est en Afrique et dans les populations d'origine africaine qu'elle est la plus élevée comparée à celle des populations caucasiennes d'Europe ou d'Amérique du Nord. Entre les hommes et les femmes, la plupart des études montrent une prévalence équivalente (Susin et al., 2014). On retrouve également une agrégation familiale plus marquée pour les parodontites agressives, même si cette caractéristique existe aussi pour les parodontites chroniques (Bouchard et al., 2014). Grâce à la description de la prise en charge d'une patiente d'origine sénégalaise, nous mettrons en lumière les problématiques inhérentes à la maladie parodontale agressive, ainsi qu'à son traitement pluridisciplinaire.
Madame X, 33 ans, non fumeuse, consulte dans le service de parodontologie de l'hôpital Rothschild. Elle est en bonne santé (score ASA : 1 – American Society of Anesthesiologists 1941). Au moment de la consultation, l'évolution de la destruction parodontale est rapide « la patiente a remarqué la mobilité de ses dents du bas et se dit gênée par l'esthétique qui a changé au cours de cette dernière année » (fig. 1). Lors de l'examen clinique, l'étendue de la perte d'attache interproximale atteint au moins 3 dents permanentes autres que les incisives et les premières molaires. L'alvéolyse représente environ 50 à 90 % de la hauteur radiculaire en fonction des sites (fig. 1). L'indice de plaque d'O'leary est de 65 % et l'indice de saignement au sondage (BOP) est de 71 %. L'analyse microbiologique révèle la présence, au-delà du seuil de pathogénicité, d'Aggregatibacter actinomycetemcommitans (Aa), ainsi que des bactéries parodontopathogènes du complexe rouge et du complexe orange (Socransky et al., 1998). Ses parents et sa sœur ont été diagnostiqués au Sénégal comme étant atteints de parodontite agressive. Nous posons le diagnostic de parodontite agressive généralisée selon les critères résumés dans le tableau 1.
Aggregatibacter actinomycetemcomitans (Aa) est un pathogène opportuniste résidant dans le microbiote oral de façon mineure. Ce petit bacille Gram négatif, aéro-anaérobie facultatif, colonise les poches parodontales profondes et envahit l'épithélium. Le facteur principal de virulence de toutes les souches de Aa, quel que soit leur sérotype, est la production de leucotoxine. Celle-ci permet à la bactérie d'échapper au système immunitaire en détruisant les leucocytes (Khachlany, 2010). Il existe 7 sérotypes différents d'Aa (a, b, c, d,e,f,g) basés sur la composition structurelle et antigénique de la bactérie. Les sérotypes sont répartis géographiquement dans le monde et au sein des ethnies. Le clone JP2, sérotype b, a montré des propriétés de haute virulence chez certaines populations (Haubeck et al., 1995, 1996, 2001, 2004, 2007, 2008). D'autres sérotypes ont aussi été associés à des patients non atteints de maladies parodontales comme le sérotype a, ou atteints de parodontites chroniques comme le sérotype c (Cortelli et al., 2012).
La détection d'Aa est très fréquente chez les patients atteints de parodontite agressive, mais elle n'est pas exclusive à cette forme de parodontite. D'autres bactéries, comme celles des complexes rouge et orange, sont considérées comme des pathogènes principaux lors des parodontites généralisées à progression rapide, en particulier Porphyromonas gingivalis, Treponema denticola, Prevotella intermedia (Griffen et al., 2012). Plus récemment, la présence de bactéries méthanogéniques a été démontrée chez les patients atteints de parodontites sévères, Methanobrevibacter oralis, entre autres (Matarazzo et al., 2011 ; Huynh et al., 2015).
Le principe initial commun au traitement des parodontites chroniques et agressives est l'élimination mécanique individuelle et professionnelle de la plaque bactérienne. Dans ce but, seront prodigués un enseignement individualisé des techniques de contrôle de plaque ainsi qu'un détartrage/surfaçage radiculaire professionnel. Les études ont comparé cliniquement et microbiologiquement l'approche par « désinfection globale » en une ou deux séances au cours de 24 heures à l'approche par quadrant à 2 semaines (Quirynen et al., 1999 ; Mongardini et al., 1999). Il semble aujourd'hui que les deux approches donnent des résultats similaires pour les parodontites chroniques. Mais, pour les parodontites agressives généralisées l'approche par « désinfection globale » donne de meilleurs résultats, c'est celle que nous avons choisie (Aimetti et al., 2011, 2012). Le deuxième objectif, plus spécifique aux parodontites agressives, sera de réduire in fine les parodontopathogènes en dessous des seuils de détection microbiologique en associant, dès la fin du traitement mécanique, une antibiothérapie. Nous avons prescrit une association d'amoxicilline (500 mg) 3 fois/jour pendant 10 jours et de métronidazole (250 mg) 3 fois/jour pendant 10 jours, puisque son efficacité à éliminer Aa a été montrée. La clindamycine, l'azithromycine sont aussi citées comme étant une alternative efficace en cas d'allergies, contrairement à la doxycycline (Haffajee et al., 2003). L'effet de l'antibiothérapie est d'environ 3 mois, cependant il n'est pas conseillé de la renouveler pour ne pas favoriser les résistances. En revanche, un monitorage microbiologique régulier est important en amont, mais aussi durant le suivi d'un traitement d'orthodontie.
Le traitement non chirurgical entraîne une réduction de la profondeur de poche associée à une récession gingivale (de 0,5 mm à 2 mm en moyenne). Cette étape thérapeutique restaure un système d'attache cicatriciel grâce à la formation d'un long épithélium de jonction et s'accompagne d'un gain d'attache modéré. Une étude de cohorte (n = 1 021) sur 3 ans montre qu'une thérapeutique non chirurgicale et un suivi régulier réduisent de 58 % seulement le risque de morbidité dentaire (Hujoel et al., 2000). Les limites du traitement non chirurgical proviennent de la profondeur de poche initiale, de l'anatomie des lésions, ainsi que de l'expérience de l'opérateur et de sa « perception tactile » (Rühling et al., 2002). Le charting initial de notre patiente nous révèle une profondeur de poche moyenne de 6 mm, mais elle peut atteindre 9 mm en mésial des dents 24 et 44 et 7 mm en mésial des dents 11, 12, 13 et 41. Au bout de 6 à 8 semaines de post-thérapeutique initiale, nous réévaluons les indices cliniques et microbiologiques (Segelnick et al., 2006). L'indice de plaque est maintenant à 18 % et l'indice de saignement à 13 %. Des profondeurs de poches de 7 mm en mésial de la dent 11 et de 6 mm pour les dents 17, 14, 13, 12, 24, 47, 37 et 38, persistent malgré l'absence de détection microbiologique d'Aa. La décision chirurgicale se justifie par l'absence de retour à la santé parodontale, et la nécessité de prévenir les récidives de la maladie, ainsi que par des indices de plaque et de saignement < 20 %, et par une profondeur de poche résiduelle ≥ 5,4 mm (Heitz-Mayfield et al., 2013). Les objectifs de la chirurgie parodontale seront d'améliorer l'accès aux surfaces radiculaires concernant le secteur 1 (fig. 2a), de modifier la morphologie du parodonte profond pour les secteurs 3 et 4 (fig. 2b), de traiter les lésions infra-osseuses par chirurgie régénératrice avec technique de préservation papillaire modifiée (Cortellini et al., 1995) et l'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire pour le secteur incisivo-canin maxillaire (fig. 3). Dans une période de 6 mois post-chirurgie, une nouvelle évaluation des indices cliniques et microbiologiques permet de constater un retour à la santé parodontale. C'est-à-dire l'absence d'infection, d'inflammation clinique, de poches parodontales ≥ 5 mm, et la présence d'une flore bactérienne compatible avec la santé parodontale (fig. 4). Un suivi régulier de maintenance parodontale va dès lors se mettre en place tous les 3 mois, compte tenu du risque parodontal présenté par Mme X (Meyer-Baumer et al., 2012). La demande esthétique et fonctionnelle de la patiente orientera la suite de notre traitement vers une phase d'orthodontie, afin de corriger les migrations secondaires de la maladie, de rétablir l'esthétique du sourire, ainsi que les relations intermaxillaires favorables à la réhabilitation du coefficient masticatoire. Actuellement, nous avons peu de données scientifiques concernant le temps minimum de cicatrisation parodontale avant l'activation des mouvements orthodontiques. Nous avons donc choisi d'attendre 6 mois avant de démarrer le traitement d'orthodontie, en nous basant sur les données biologiques connues de cicatrisation.
Lors de la consultation d'orthodontie, l'examen clinique a mis en évidence un décalage antéropostérieur de classe II dentaire et squelettique par rétromandibulie, comme en atteste le profil convexe du visage. L'arcade mandibulaire présente une proalvéolie associée à la présence d'espaces et d'une courbe de Spee marquée. Les incisives maxillaires sont en vestibulo-position, en partie à cause du trauma occlusal occasionné par le contact prononcé et haut des bords libres des incisives inférieures, au niveau du collet des incisives supérieures (fig. 1). Les troisièmes molaires sont présentes, mais on note l'absence des 27, 34, 36, 44, 46 et 41 avec une version mésiale modérée des molaires. Il existe une inocclusion labiale au repos avec un enroulement de la lèvre inférieure entre les incisives qui entretient également la projection des incisives maxillaires.
Certaines études animales ont cherché à montrer les effets du déplacement orthodontique en présence de lésions parodontales chez le singe (Polson et al., 1984) et chez le chien (Wennström et al., 1993). Elles ont clairement mis en évidence la nécessité du contrôle de l'inflammation préalable aux déplacements dentaires pour un maintien de l'intégrité parodontale. Chez l'homme, une étude prospective (Boyd et al., 1989) montre l'importance d'une maintenance parodontale régulière durant le traitement d'orthodontie. Une étude rétrospective (Artun et Urbye, 1988) souligne de surcroît l'importance de la coopération du patient concernant son hygiène orale. Par ailleurs, les résultats du suivi de 267 patients sur 12 ans lors d'une étude rétrospective (Re et al., 2000) montrent que la réduction des poches parodontales obtenue après traitement non-chirurgical (128 patients) ou chirurgical (129 patients) a été conservée après le traitement orthodontique. Les données scientifiques actuelles s'accordent à démontrer que des mouvements orthodontiques importants peuvent être réalisés sur un parodonte « réduit » si celui-ci est « sain ». Ce qui va impliquer une collaboration étroite entre l'orthodontiste, le parodontiste et le patient.
Le défi est double pour l'orthodontiste, car il est à la fois biomécanique mais aussi esthétique. En effet, la perte osseuse associée à la maladie parodontale entraîne l'apicalisation du centre de résistance de la dent. L'orthodontiste devra donc adapter l'intensité des forces orthodontiques au degré d'alvéolyse en privilégiant l'utilisation de forces légères. Dans ces conditions, les objectifs de traitement seront forcément « raisonnés » et non « idéaux ». Si le centrage, le calage et le guidage de la mandibule peuvent être recherchés pour rétablir la fonction occlusale, pour Mme X, nous allons surtout nous attacher à réduire les encombrements antérieurs et à fermer les espaces qui se sont ouverts, suite aux migrations secondaires, dans le but de rétablir un guide incisif fonctionnel et faciliter l'hygiène orale. La courbe de Spee a été nivelée à la mandibule afin d'éviter le trauma occlusal sur les incisives maxillaires. Les secteurs latéraux ont été « aménagés » pour rétablir un calage occlusal postérieur via la réhabilitation prothétique future. Si la correction totale du décalage antéropostérieur n'a pas été recherchée, afin de ne pas alourdir le traitement, nous nous sommes cependant attachés à réduire le surplomb incisif pour éviter l'enroulement de la lèvre inférieure.
Sur le plan biomécanique, l'ancrage nécessaire au déplacement d'une dent ou d'un groupe de dents peut, dans le cas d'une alvéolyse avancée, faire défaut. C'est pourquoi chez Mme X, la dent 26 à pronostic réservé a été conservée durant le traitement orthodontique de façon volontaire et son extraction a été différée en fin de traitement. Cette règle de conservation temporaire des dents à pronostic réservé ou mauvais ne peut être appliquée pour des dents ayant un ancrage osseux trop faible (ici, dents 41 et 44). Depuis la fin des années 90, l'utilisation d'ancrages osseux temporaires, tels que les mini-vis (Kanomi, 1997 ; Costa et al., 1998), nous permet de réaliser des mouvements difficiles, voire impossibles auparavant, comme l'ingression molaire. Notre situation clinique nous confronte à l'égression de la dent 37 laissant un espace prothétique insuffisant pour la future prothèse. C'est pourquoi nous avons choisi de poser trois mini-vis d'ancrage pour ingresser la dent 37 (fig. 6). Sur le plan esthétique, le traitement de l'adulte avec un « parodonte réduit » est bien éloigné de celui des adolescents. La présence de « triangles noirs », consécutifs à la perte des papilles interdentaires et à l'augmentation de la distance entre les points de contacts et le sommet de la crête osseuse, fait partie des doléances du patient adulte et demeure un problème souvent difficile à résoudre. Dans ces conditions, nous adaptons nos choix thérapeutiques et le stripping (recontourage des surfaces mésio-distales amélaires) sera privilégié dans la zone antérieure pour réduire les « triangles » à la fois en hauteur, en apicalisant le point de contact interdentaire en direction de la crête osseuse, mais aussi en largeur, en rapprochant orthodontiquement les dents. Dans certains cas de perte osseuse modérée, une régénération des papilles pourra être cliniquement observée. L'étude de Tarnow et al., 1992, a montré qu'une distance au-delà de 5 mm entre le point de contact et la crête osseuse ne favorisait pas la présence de papille. Cette procédure, si elle est menée selon un protocole adapté, ne présente pas de danger pour le parodonte ou l'émail comme l'ont montré Zachrisson et al., 2007. Elle va également nous permettre de « gagner de la place » et nous éviter d'extraire des dents pour raisons orthodontiques, dans les cas d'encombrement. La deuxième problématique rencontrée est liée à la gestion temporaire esthétique des espaces laissés par la perte de dents dans les espaces antérieurs. Il est possible, à partir du support des arcs orthodontiques, d'utiliser des dents prothétiques avec un bracket. Dans le cas présent, la patiente a été appareillée en technique linguale (fig. 5). La fabrication de ce type d'appareillage est totalement individualisée et un set-up initial nous permet de prévisualiser les objectifs de fin de traitement. Il est ainsi facile d'anticiper un projet prothétique en y intégrant des dents en résine de la taille et de la couleur souhaitées. L'espace de ces dents, durant le traitement d'orthodontie, sera ainsi aisément calibré et esthétiquement géré. Ce dispositif pourra être réduit en fin de traitement en laissant quelques brackets « supports » sur des dents adjacentes et sur la dent prothétique, reliée à une section d'arc orthodontique, afin de bénéficier de cette temporisation esthétique le temps de la réhabilitation prothétique et même implantaire.
C'est dans ces conditions de réhabilitation esthétique et occlusale qu'une contention fiable pourra être mise en place. Elle devra être considérée avec soin et remplira un double objectif : il ne sera pas simplement question de contenir les dents pour éviter un risque de récidive orthodontique, mais il s'agira également de consolider le parodonte sur le long terme (fig. 9).
Lorsque la phase orthodontique est bien avancée, ou déjà terminée, peut alors commencer la phase de réhabilitation du coefficient masticatoire concernant ici les dents 41, 34, 36, 44, 46, 26 et 27. Deux options s'offrent à nous, une réhabilitation par prothèse dento-portée (PDP) ou une réhabilitation par prothèse implanto-portée (PIP). Dans les deux cas, le risque biologique et le coût bénéfice/risque à long terme sont évalués. En 2013, une étude rétrospective a montré un risque biomécanique et une perte dentaire augmentée chez les patients atteints de parodontites agressives traitées (Muller et al., 2013).
Une revue systématique en 2012 fait le point sur les données scientifiques actuelles (Kyoung-Kyu et al., 2012). Existe-t-il un risque augmenté de perte osseuse marginale péri-implantaire ? Sur le court terme (3 ans), la perte osseuse marginale péri-implantaire n'est pas significativement différente entre les 3 groupes de patients étudiés (historique de parodontites agressives/historique de parodontites chroniques/patients sans maladie parodontale) (Mengel et al., 2005). Dans une étude à long terme (10 ans), la perte osseuse marginale péri-implantaire est de 3,37 mm, chez les patients avec un historique de parodontite agressive comparé aux patients sans parodontite (1,24 mm) (Mengel et al., 2007). Quel est le taux de survie de la prothèse supra-implantaire ? Sur le long terme (5 ans), les suprastructures fixes sur implants, chez des patients avec un historique de parodontite agressive, ont un taux de survie allant de 100 % (Mengel et al., 2001 ; Mengel et al., 2007) à 95,9 % (Swierkot et al., 2012). Quel est le taux de succès implantaire à long terme ? Selon les critères de succès implantaire, à 8 ans en moyenne de suivi, le taux est de 33 % chez les patients avec un historique de parodontite agressive et de 50 % chez les patients sans parodontite (Swierkot et al., 2012). Et quel est le taux de survie implantaire à long terme ? À 5 ans, le taux de survie implantaire est de 88,8 % chez les patients avec un historique de parodontite agressive et de 100 % chez les patients avec un historique de parodontite chronique (Mengel et al., 2001). À 10 ans, le taux de survie implantaire est de 83,3 % chez les patients avec un historique de parodontite agressive et de 100 % chez les patients sans parodontite (Mengel et al., 2007). Il apparaît selon les données scientifiques actuelles qu'une réhabilitation implantaire associée à une prothèse implanto-portée fixe représente un choix judicieux eu égard aux risques biologiques et au coût bénéfice/risque. Nous avons posé 6 implants en position 34, 36, 44, 46, 26 et 27 (fig. 7). À l'issue du temps biologique de cicatrisation osseuse (4 mois), la réalisation des prothèses implanto-portée commence. La situation clinique présente alors deux problématiques.
La hauteur prothétique est considérée faible lorsqu'il y a moins de 7 mm entre la crête et la surface occlusale antagoniste. Dans notre situation clinique, nous disposons de 7 à 8 mm dans tous les secteurs. Notons que la hauteur a été optimisée au maximum par le travail orthodontique, avec une ingression de 2,5 mm réalisée en 37 par un système de mini-vis (fig. 6) et par une ostéoplastie de 2 mm au cours du travail implantaire en site 26 et 27 (fig. 7). Dans ce contexte, le risque de manque de rétention par faible hauteur soulève deux questions : faut-il sceller ou transvisser les restaurations ? Les solidariser ? Selon Nissan et al., 2010, 2011, une hauteur prothétique faible (< 7 mm) et un ratio couronne/implant inversé (< 1,75) augmentent la transmission du stress, à la fois au niveau du col implantaire et à la limite cervicale des couronnes. Il est préférable, dès que cela est possible, de répartir les forces par la solidarisation des couronnes. C'est le choix fait en 26 et 27. Par ailleurs, selon Kreissl et al., 2007, il ne semble pas y avoir de différence significative concernant les complications techniques entre les couronnes scellées et transvissées. On note cependant une réintervention plus aisée sur les couronnes transvissées. Notre choix s'est porté sur des couronnes unitaires transvissées directement sur les implants unitaires en 34, 36, 44, et 46, et solidarisées transvissées directement sur les implants en 26 et 27. Afin d'assurer une passivité optimale des couronnes, les armatures en titane ont été modélisées et usinées par CFAO (fig. 8). L'apport de la CFAO en prothèse implantaire offre des possibilités intéressantes de personnalisation des profils d'émergence, favorable à une meilleure répartition des forces transmises au col implantaire. Ainsi, une fois la décision d'architecture transvissée validée, les étapes cliniques ont consisté à prendre l'empreinte de situation des implants, à valider l'empreinte et l'émergence prothétique par essayage d'armatures en résine duralay®. La coordination entre l'orthodontiste et la praticienne prothésiste a été réfléchie en amont, afin de prévoir la dépose de l'arc orthodontique mandibulaire juste avant l'empreinte et de le remettre juste après. Les dents étant légèrement mobiles (fin de traitement orthodontique sur un terrain parodontal réduit), il était indispensable d'assurer le maintien des dents jusqu'à la pose des couronnes. Les armatures ont été essayées (fig. 8), validées, puis les couronnes posées, torquées à 25 N/cm et réglées sur le plan occlusal, après obturation des puits de vis par du composite (fig. 9).
La collaboration entre la parodontiste, l'orthodontiste et la praticienne prothésiste, s'est concrétisée également par la réalisation d'une attelle de contention ayant, à la fois, un rôle parodontal, orthodontique et prothétique pour remplacer la dent 41. Le remplacement de cette dent a été envisagé par un bridge collé sur ailettes métalliques. Cette solution permettait non seulement de remplacer la dent manquante, mais aussi d'assurer la contention de fin de traitement orthodontique et parodontal. Différents types de contention ortho-parodontale sont envisageables théoriquement : la technique directe au fauteuil (attelle en composite à base de fibres) ou la technique indirecte au laboratoire (attelle métallique coulée) (Le Guiffant et al., 2007). Notre contention réalisée sur un support parodontal réduit devait néanmoins satisfaire à plusieurs critères décisionnels (Serio, 1999).
Lorsqu'une mobilité résiduelle des dents persiste, après le traitement parodontal, une attelle coulée-collée est à privilégier. Le rapport interarcade est également à prendre en compte, les classes II1, III, et le bout à bout incisif, sont très favorables (pas de sollicitation des dents antérieures). Cependant la classe II2 est défavorable, car elle offre moins d'espace pour les matériaux de l'attelle et pour la classe I, il faudra recréer le guide antérieur existant (une attelle coulée-collée offre plus de possibilités dans les situations occlusales complexes). La valeur intrinsèque des dents est aussi à prendre en compte : en cas de morphologie coronaire défavorable (dents petites, triangulaires), indice de Le Huche important ou délabrement dentaire (émail de mauvaise qualité, reconstitutions volumineuses), les solutions prothétiques périphériques (bridges) sont préférables aux attelles de contention. Par ailleurs, le choix du nombre de dents à inclure dans l'attelle est important pour une stabilisation dans 2 à 3 plans (principe de Roy), il faut inclure dans l'attelle les dents ayant le meilleur soutien parodontal. Pour notre cas clinique, 43 et 33 ont donc été incluses. D'un point de vue esthétique, les attelles en composite sont à privilégier en cas de dents translucides ou de diastèmes.
Dans notre situation, nous avons choisi de réaliser un bridge collé sur des ailettes métalliques, de 43 à 33, 41 étant l'intermédiaire de bridge (fig. 9). Provisoirement, cette dent était remplacée par du composite sur l'arc orthodontique, ce qui a permis de gérer les espaces au niveau orthodontique et de laisser cicatriser le parodonte aménagé par une greffe de conjonctif enfouie 3 mois au préalable.
Historiquement, selon Samama et al., 1985, l'échec principal à long terme réside dans le décollement ou la fracture de l'attelle. La localisation du décollement dépend de la faiblesse du plateau cohésif (soit émail ou polymère ou surface métallique). Hiérarchiquement, on note un décollement préférentiel au niveau du polymère d'assemblage (recommandé de type Panavia® ou Superbond®, devant être le plus fin possible), puis de l'interface émail-polymère, puis de l'émail (chez le sujet jeune ou âgé), puis de l'interface polymère-métal et enfin du métal (embrasures) moins facile à fracturer. La réintervention est difficile, selon la cause de la fracture (cohésive ou adhésive), si possible il faut recoller ou découper l'attelle et envisager sa réfection. Une analyse de survie de 61 bridges et 89 attelles collées chez des patients (suivis tous les 3 à 4 mois pendant 5 à 10 ans), souffrant de parodontites avec et sans traitement orthodontique, montre des résultats satisfaisants (Corrente et al., 2000). On ne note aucune perte de dents (pour atteinte parodontale, carie, pathologie pulpaire), avec un taux global de survie de 80,7 % des attelles à 10 ans. Comme l'avait mentionné Samama en 1985, Corrente et al. concluent que les décollements sont plus fréquents que les fractures et ils ne notent pas de différence significative entre les attelles maxillaire et mandibulaire, ni entre les groupes avec ou sans orthodontie. Enfin, nous précisons que la difficulté, dans les cas de support parodontal réduit, est la prise d'empreinte lorsque les dents sont mobiles. Une empreinte optique, perspective largement d'actualité désormais en prothèse dento et implanto-portée, aurait permis d'optimiser la gestion des mobilités et l'adaptation de l'attelle, grâce à une empreinte ne déplaçant pas les dents. Le résultat obtenu in fine au bout de 3 ans et demi de traitement demeure satisfaisant pour toute l'équipe et pour la patiente (fig. 9 et 10). Une maintenance prothétique et un suivi parodontal à long terme seront les garants de la stabilité du résultat obtenu.
Le diagnostic, la prise en charge précoce et le suivi régulier des patients atteints de parodontites agressives sont des points essentiels dans le maintien d'un état parodontal stable sur le long terme. Proposer et réaliser une phase d'orthodontie à la suite d'un traitement parodontal permet, dans des situations bien identifiées, d'optimiser et de pérenniser les résultats à long terme. Anticiper l'étude de la phase prothétique permet de guider le traitement orthodontique et parodontal afin d'optimiser le résultat. Une communication fluide entre le patient et les praticiens, et les praticiens entre eux, constitue la clé de réussite de ce type de prise en charge globale.