Article
Christelle DARNAUD 1 / Frédérique THOMAS 2 / Bruno PANNIER 2 3 / Nicolas DANCHIN 2 4 / Philippe BOUCHARD 1 5
1- Département de parodontologie, Hôpital Rothschild, AP-HP, UFR d'odontologie, Paris 7-Université Paris-Diderot (Paris, 75)2- Centre d'investigations préventives et cliniques (IPC) (Paris, 75)3- Hôpital Manhès (Fleury-Mérogis, 91)4- Département de cardiologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP, Faculté de médecine, Paris 5-Université Paris-Descartes (Paris, 75)5- EA 2496, Paris 5-Université Paris-Descartes, UFR d'odontologie (Paris, 75)
RÉSUMÉ
But de l'étude : L'objectif de cette étude transversale est d'explorer la relation entre le statut oral et le risque d'hypertension artérielle.
Matériels et méthodes : Notre population d'étude comprend 102 330 sujets ayant bénéficié d'un examen médical et oral entre 2002 et 2011. L'examen en bouche complète a permis de relever les paramètres d'hygiène en utilisant des indices de plaque et de tartre simplifiés. L'inflammation gingivale est enregistrée avec un indice gingival simplifié. Le nombre de dents a aussi été relevé. Une analyse en sous-groupe selon l'âge (< 65 ans ou ≥ 65 ans) a été réalisée en utilisant une approche de régression logistique pour explorer le lien entre les variables orales et le risque d'hypertension artérielle.
Résultats : Pour les sujets ≥ 65 ans, aucune association n'est retrouvée entre les variables orales et le risque d'hypertension artérielle. Pour le sous-groupe < 65 ans, le risque d'hypertension est augmenté en présence de plaque dentaire élevée (OR = 1,90 ; IC 95 % : 1,55-2,33), de tartre élevé (OR = 1,18 ; IC 95 % : 1,07-1,29), d'inflammation gingivale élevée (OR = 1,56 ; IC 95 % : 1,35-1,80), d'un faible coefficient masticatoire (OR = 1,20 ; IC 95 % : 1,08-1,32) et de 10 dents absentes ou plus (OR = 1,17 ; IC 95 % : 1,04-1,31). Dans ce même sous-groupe, le risque d'hypertension artérielle augmente lorsque le nombre de variables dentaires est cumulé.
Conclusion : Cette étude met en évidence la relation épidémiologique entre la faible hygiène orale, l'inflammation orale, un faible coefficient masticatoire et le risque d'hypertension artérielle au sein d'une population âgée de moins de 65 ans.
Aim: The present study was performed to assess whether oral health conditions were associated with the risk of hypertension in adult population.
Methods: The sample comprised 102,330 subjects, who underwent medical and oral examinations between 2002 and 2011. A full-mouth clinical examination was performed using simplified plaque index, calculus index and simplified modified gingival index to assess dental plaque, dental calculus and gingival inflammation. The number of teeth was recorded. Biological parameters, including blood pressure were assessed. A subset analysis according to age (< or ≥ 65 years) was conducted. The association between blood pressure and oral conditions was explored using a logistic regression approach.
Results: In the sample of subject ≥ 65 years, no significant association was found between oral variables and the risk of hypertension. In subset < 65 years, oral variables and risk of hypertension were associated. Insufficient masticatory function and missing teeth (> 10) showed OR=1.20 [CI95%: 1.08-1.32] and OR=1.17 [CI95%: 1.04-1.31], respectively. Hypertension was also associated with high level of dental plaque [OR=1.90, CI95%: 1.55-2.33], dental calculus [OR=1.18, CI95%: 1.07-1.29] and gingival inflammation [OR=1.56, CI95%: 1.35-1.80] Moreover, in this subset < 65 years, the risk of hypertension increases with the number of dental exposure.
Conclusion: The present study indicates that insufficient masticatory function, poor oral hygiene, and oral inflammation are associated with hypertension in subject < 65 years.
Les maladies cardiovasculaires (MCV) et en particulier la cardiopathie ischémique et l'accident vasculaire cérébral font partie des premières causes mondiales de décès entre 2002 et 2012 (OMS) et resteront à ce rang selon les projections de l'OMS pour 2030 (Mathers et al., 2006). Les prévisions de la prévalence mondiale de l'hypertension sont de 29,2 % pour 2025 (Kearney et al., 2005). L'hypertension artérielle peut être considérée comme un état d'inflammation systémique de bas grade. Plusieurs études montrent que l'inflammation de bas grade joue un rôle prépondérant dans l'augmentation des maladies cardiovasculaires (Willerson et al., 2004). Cependant, il est difficile de déterminer si l'état pro-inflammatoire associé à l'hypertension est une cause ou une conséquence des maladies cardiovasculaires (Montecucco et al., 2011). De même, la faible hygiène orale a été associée à des niveaux de médiateurs pro-inflammatoires systémiques élevés ainsi qu'au risque cardiovasculaire (de Oliveira et al., 2010).
Le but de cette étude observationnelle est de mettre en évidence le lien épidémiologique entre la santé orale et le risque d'hypertension au sein d'une population adulte issue de la cohorte IPC.
Notre population d'étude était constituée de 173 909 participants âgés de 27 à 64 ans ayant bénéficié d'un examen médical et dentaire de janvier 2002 à décembre 2011. Les patients avec un traitement antihypertenseur (n = 6961) et/ou avec des données incomplètes (n = 64 618) ont été exclus de l'analyse (n = 102 330).
Les examens biologiques et cliniques ont été réalisés par des infirmières confirmées, permettant le recueil des données pour l'indice de masse corporelle (IMC), la glycémie, le cholestérol total, les triglycérides, la gamma-glutamyl transpeptidase (gamma-GT). La consommation tabagique a été établie par questionnaire (ancien fumeur, fumeur ou non-fumeur). La précarité socio-économique a été évaluée grâce au score d'évaluation de la précarité et des inégalités de santé pour les centres d'examen de santé (score EPICES) calculé à partir de 11 questions pondérées (Sass et al., 2006).
Les mesures de tension artérielle ont été réalisées après un repos de 10 minutes. Trois mesures consécutives ont été établies et la moyenne des deux dernières mesures a été prise en compte pour l'analyse. L'hypertension artérielle a été définie par une valeur de pression artérielle systolique (PAS) ≥ 140 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique (PAD) ≥ 90 mmHg.
L'examen clinique en bouche complète a été réalisé par 5 examinateurs standardisés. Les indices de plaque, de tartre et d'inflammation supra-gingival ont été évalués selon 3 niveaux d'après les indices de Silness et Loe et de Lobene et al (Silness et Loe, 1964 ; Lobene et al., 1986). À partir du nombre d'unités masticatoires antagonistes présentes (prémolaires et/ou molaires), le calcul de l'efficacité masticatoire a pu être établi. Une efficacité masticatoire suffisante correspondait à une valeur seuil de 5 unités masticatoires antagonistes présentes.
L'échantillon de population a été divisé en deux sous-groupes selon l'âge (≤ 65 ans et > 65 ans). Des analyses de régression logistique ont été utilisées pour chaque sous-groupe afin d'étudier l'association entre le risque d'hypertension artérielle et la présence de plaque dentaire, de tartre dentaire, d'inflammation gingivale, de dents absentes (> 10) et d'unités masticatoires fonctionnelles (< 5). Les résultats ont été ajustés sur l'âge, le genre, l'IMC, la consommation tabagique, la glycémie, les gamma-GT, le cholestérol et le score EPICES. De même, le risque d'hypertension artérielle a été testé en fonction de l'accumulation des variables dentaire (0, 1, 2, ≥ 3). Les analyses statistiques ont été réalisées en utilisant le logiciel SAS (version 8.2 SAS Institute Inc., Cary, NC).
Parmi les 102 330 sujets inclus dans l'étude, 1,8 % avaient un niveau élevé de plaque dentaire, 9,3 % avaient un niveau élevé de tartre dentaire, 4 % avaient un niveau élevé d'inflammation gingivale, 8,5 % avaient plus de 10 dents absentes et 8,6 % avaient moins de 5 couples masticatoires fonctionnels. L'âge moyen était de 43,7 ± 12,7 ans et 63 % étaient des hommes.
Les pressions artérielles systolique (PAS) et diastolique (PAD) étaient plus élevées chez les patients avec un niveau élevé de plaque dentaire par rapport à ceux avec un niveau bas (+ 2,5 mmHg pour la PAS et + 2,3 mmHg pour la PAD). De même, en présence d'une inflammation gingivale importante, la PAS augmente de 2,1 mmHg et la PAD de 1,8 mmHg. De façon identique, les patients avec plus de 10 dents absentes ont une augmentation de PAS de 2,3 mmHg. Et la PAS est plus élevée de 1 mmHg et la PAD de 1,2 mmHg si le coefficient masticatoire est insuffisant (tableau 1).
Pour le sous-groupe de moins de 65 ans, le risque d'hypertension est augmenté en présence d'un niveau de plaque dentaire élevé (OR = 1,90 ; IC 95 % : 1,55-2,33), d'un niveau de tartre élevé (OR = 1,18 ; IC 95 % : 1,07-1,29), d'inflammation gingivale importante (OR = 1,56 ; IC 95 % : 1,35-1,80), d'une inefficacité masticatoire (OR = 1,20 ; IC 95 % : 1,08-1,32) et lorsque 10 dents ou plus sont absentes (OR = 1,17 ; IC 95 % : 1,04-1,31). Dans le sous-groupe de 65 ans et plus, aucune association statistique n'est trouvée (tableau 2).
Le risque d'hypertension existe seulement pour le sous-groupe de moins de 65 ans (n = 96 435) et augmente lorsque le nombre de variables dentaires se cumule. Pour une variable dentaire, le risque est de OR = 1,15 (IC 95 % : 1,05-1,25), pour deux variables dentaires, il est de OR = 1,28 (IC 95 % : 1,12-1,47) et, pour trois variables dentaires ou plus, le risque est de OR = 1,88 (IC 95 % : 1,52-2,32) (tableau 3).
Cette étude montre, dans le sous-groupe de population de moins de 65 ans, que l'efficacité masticatoire, le nombre de dents absentes, la faible hygiène orale (plaque, tartre) et l'inflammation gingivale sont des variables significativement associées au risque d'hypertension artérielle. Ce risque augmente lorsque les variables dentaires sont cumulées. Aucune association significative n'a, en revanche, été observée entre le risque d'hypertension artérielle et les variables orales individuelles ou cumulées pour le sous-groupe de 65 ans et plus, soutenant l'hypothèse de l'implication d'autres facteurs liés à l'âge. De plus, la stratégie observationnelle de l'étude nous permet d'émettre l'hypothèse que la prévention de la santé orale (amélioration de l'hygiène orale et remplacement des dents absentes) aide à prévenir l'hypertension artérielle dans une population âgée de moins de 65 ans. Le choix des aliments par les patients se décide implicitement selon leur coefficient masticatoire (Akeel et al., 1992 ; Walls et al., 2004). Ainsi, le lien entre l'inflammation systémique liée à l'alimentation, le coefficient masticatoire et l'hypertension (considérée comme un état d'inflammation systémique de bas grade) peut être envisagé. Toutefois, les liens de causalité de ces différentes hypothèses pourront être testés à partir d'autres études interventionnelles pour préciser la relation unissant le statut oral et l'hypertension artérielle.