Article
Audrey SCHMITT 1 / Alexandre SARFATI 2
1- Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France.2- Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire, EFP, Université Paris-Diderot, France.
Ancien A.H.U (Parodontologie) Université Paris 7-Denis Diderot, Hôpital Rothschild AP-HP, FranceCorrespondance : Audrey SCHMITT
audrey_schmitt@hotmail.com
RÉSUMÉ
Toute extraction dentaire s'accompagne d'un processus de remodelage osseux horizontal et vertical entraînant un effondrement marqué des tissus mous et, par conséquent, un risque de préjudice esthétique en secteur antérieur. Ainsi l'intégration esthétique d'une réhabilitation prothétique fixe antérieure repose principalement sur le maintien du volume tissulaire au niveau du pontique après extraction. Dans le cadre d'une consultation pour une demande esthétique concernant les incisives maxillaires, la préservation alvéolaire est une étape non négligeable du plan de traitement, afin d'assurer un résultat prothétique esthétique. Bien qu'actuellement, aucun consensus sur le protocole à suivre pour une préservation alvéolaire n'ait été établi, il a été décidé ici, après analyse des données de la littérature, de mettre en œuvre un protocole flapless associé à l'utilisation d'un substitut osseux d'origine bovine et à la mise en place de greffons conjonctifs assurant la fermeture primaire des alvéoles d'extraction. Un an après les extractions avec préservation alvéolaire, seule une perte osseuse minime tant au niveau horizontal que vertical est observée chez cette patiente : l'esthétique est préservée.
Any tooth extraction includes a horizontal and vertical bone remodeling resulting in a significant collapse of soft tissue and therefore a risk of aesthetic damage in the anterior area. Thus the aesthetic integration of an anterior fixed prosthetic rehabilitation primarily depends on maintaining the tissue volume under pontic after extraction. In the case of this patient who consults for an aesthetic demand concerning her maxillary incisors, socket preservation is a significant step in her treatment plan to ensure an aesthetic prosthetic result. Although no consensus on the protocol for socket preservation has been established yet, it was decided here, after analysis of data from the literature, to follow a flapless protocol associated with the use of a bovine bone substitute and connective tissue grafts, ensuring primary wound closure. A year after extractions with socket preservation, only a minimal bone loss, both horizontally and vertically, was observed for this patient: aesthetic is preserved.
Le secteur antérieur constitue un enjeu esthétique important. Afin d'obtenir un résultat optimal lors d'une réhabilitation fixe de ce secteur, il est essentiel de respecter certains critères esthétiques prothétiques. Ainsi, il est nécessaire de prendre en compte des paramètres objectifs tels que les dimensions, les axes, les formes, les teintes et les caractéristiques diverses des dents, la fermeture de l'espace inter-dentaire, la ligne des collets et des points de contact, le zénith gingival, la ligne basse et la symétrie du sourire. Ces derniers sont à moduler selon des critères subjectifs (variations de la forme et positionnement de la dent, longueur de la couronne, relief négatif) (Magne et al., 2002).
Cependant, l'intégration esthétique d'une réhabilitation prothétique antérieure repose également sur un facteur anatomique parodontal : le maintien du volume tissulaire au niveau du pontique après extraction.
La résorption osseuse post-extractionnelle est un mécanisme physiologique qui a fait l'objet de nombreuses études. Les recherches menées chez l'animal et chez l'homme montrent que ce phénomène se caractérise tout d'abord par la présence d'un caillot sanguin, constitué essentiellement d'érythrocytes et de plaquettes emprisonnés dans un réseau de fibrine. Puis celui-ci est progressivement remplacé par une matrice provisoire conduisant à la disparition du ligament desmodontal et de l'os fasciculé. À 1 mois, la majorité de l'alvéole est occupée par un os immature néoformé qui se minéralise au cours des mois suivants (Cardaropoli et al., 2003 ; Trombelli et al., 2008).
La résorption osseuse post-extractionnelle se caractérise également par des modifications extra-alvéolaires. À 8 semaines, on observe en effet une perte osseuse à la fois verticale et horizontale. De plus, il est à noter que la résorption horizontale est plus prononcée en vestibulaire qu'en lingual (Araújo et al., 2005). Ceci est confirmé par les études réalisées chez l'homme (Tan et al., 2012). De plus, Schropp et al. ont montré que les deux tiers de la perte osseuse horizontale (– 3,8 mm en moyenne, tous sites confondus) ont lieu au cours des trois premiers mois après extraction (Schropp et al., 2003). Ainsi, de par sa composante extra-alvéolaire, la résorption post-extractionnelle peut être source de préjudice esthétique lors d'une réhabilitation prothétique maxillaire antérieure.
La préservation alvéolaire en secteur esthétique a pour objectif de limiter la résorption post-extractionnelle afin de conserver des volumes tissulaires satisfaisants et, par conséquent, de permettre une réhabilitation prothétique esthétique. En effet, Vittorini-Orgeas et al. ont montré que la préservation alvéolaire permet de minimiser la perte osseuse horizontale et verticale faisant suite à une extraction (Vittorini-Orgeas et al., 2013).
Par ailleurs, selon une étude récente réalisée par Cosyn et al., le type de dent à extraire est un facteur prédictif du remodelage alvéolaire. Ainsi, les sites des incisives centrales et latérales subissent respectivement un remodelage de 16 et 10 %. L'épaisseur du biotype gingival n'apparaît cependant pas comme un facteur corrélé à la perte osseuse post-extractionnelle (p = 0,427) (Cosyn et al., 2016).
Une patiente de 70 ans consulte pour une demande esthétique concernant ses incisives maxillaires. De nombreuses restaurations sont déjà présentes au maxillaire. On observe des mobilités 3 et un rapport couronne/racine variant entre 1/1 et 2/1 pour les quatre incisives (fig. 1 à 3). Afin de répondre à la demande de cette patiente et d'obtenir un résultat esthétique optimal, le choix du traitement se porte sur la réalisation d'un bridge complet maxillaire avec extractions des incisives centrales et latérales associées à une préservation alvéolaire. Concernant la partie chirurgicale du traitement de cette patiente, plusieurs protocoles opératoires sont décrits à ce jour dans la littérature.
Les résultats de la méta-analyse menée par Avila-Ortiz et al. montrent que l'élévation d'un lambeau permet de réduire significativement le taux de résorption verticale vestibulaire (p = 0,059) et linguale (p = 0,035) mais qu'elle n'a pas d'influence sur le remodelage horizontal (Avila-Ortiz et al., 2014). À l'inverse, Barone et al. observent que le choix d'un protocole en flapless permet d'obtenir une hauteur de tissu kératinisé plus importante (p < 0,001), moins de résorption vestibulo-linguale (p < 0,001) mais plus de résorption verticale vestibulaire (p = 0,0105) (Barone et al., 2014). Devant ces résultats contradictoires, notre choix s'est orienté vers une technique flapless (fig. 4).
Concernant la mise en place ou non de biomatériaux, Cardaropoli et al. rapportent significativement moins de résorption horizontale (1,04 ± 1,08 mm versus 4,48 ± 0,65 mm, p < 0,001) et verticale (0,46 ± 0,46 mm versus 1,54 ± 0,33 mm, p < 0,001) pour le groupe test utilisant des substituts osseux associés à une membrane collagénique d'origine bovine, avec une différence non significative pour la proportion de tissu minéralisé et non minéralisé en comparaison avec le groupe contrôle ayant bénéficié d'une extraction simple (Cardaropoli et al., 2012).
Ainsi, il a été décidé dans le cas de cette patiente d'utiliser un substitut osseux d'origine bovine sous forme de granules comme matériau de comblement des alvéoles.
La fermeture primaire du site apparaît comme un facteur contribuant à l'obtention de meilleurs résultats. En effet, Vignoletti et al. rapportent une diminution de la résorption osseuse horizontale lorsqu'une cicatrisation de première intention est obtenue (p = 0,002) (Vignoletti et al., 2012). De plus, Vittorini-Orgeas et al. retrouvent un effet positif de la fermeture primaire sur l'alvéolyse horizontale mais aussi verticale (Vittorini-Orgeas et al., 2013). L'obtention d'une fermeture primaire semble ainsi être le meilleur moyen d'optimiser la cicatrisation. Elle reste par ailleurs indispensable lors de l'utilisation de matériau de comblement sous forme de granules, comme c'est le cas ici, afin d'en limiter la perte (Willenbacher et al., 2015).
Ayant choisi pour cette patiente un protocole flapless, il a été décidé de réaliser un prélèvement palatin de tissu conjonctif qui sera utilisé afin d'obtenir la fermeture primaire des alvéoles d'extraction (fig. 5 à 8).
Celui-ci permet de diminuer à la fois le coût de l'intervention, à la différence d'un substitut autologue, et les suites postopératoires, plus conséquentes dans le cas d'un prélèvement épithélio-conjonctif. Cependant, la longueur totale du greffon prélevé ne permettant pas la fermeture des 4 alvéoles, une membrane collagénique résorbable a été utilisée afin d'assurer la fermeture primaire de la dernière alvéole (fig. 9 à 11).
Actuellement, aucun consensus sur le protocole à suivre pour une préservation alvéolaire n'est établi. La résorption osseuse post-extractionnelle horizontale et verticale apparaît significativement moins importante avec préservation alvéolaire, et ce quel que soit le mode opératoire choisi. De plus, il apparaît que la différence intergroupe en pourcentage d'os vital n'est pas concluante entre les différentes techniques (Willenbacher et al., 2015). Il faut cependant garder à l'esprit que la préservation alvéolaire, même si elle limite le remodelage osseux, ne l'évite pas.
Dans notre cas, un an après les extractions avec préservation alvéolaire, on peut observer une perte osseuse minime tant au niveau horizontal que vertical (fig. 12 à 14). La patiente est pleinement satisfaite de l'esthétique de son sourire (fig. 15).
Remerciements au laboratoire Edentech et au Dr Fanny Blanchet (département de prothèse, service d'odontologie, Hôpital Rothschild, AP-HP, Université Paris 7-Denis Diderot, UFR d'odontologie, Paris, France) pour la réalisation des travaux prothétiques.