Article
Audrey SCHMITT 1 / Maria Clotilde CARRA 1 / Pierre BOUTOUYRIE 2 3 / Philippe BOUCHARD 1 4
1- Département de Parodontologie, service d'Odontologie, Hôpital Rothschild AP-HP, Université Paris 7-Denis Diderot, UFR d'Odontologie, Paris, France2- Département de Pharmacologie, Hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP, Paris, France3- INSERM U970, Université Paris Descartes, Paris, France4- EA 2496, Université Paris Descartes, Paris, France
Résumé
Introduction et objectifs : les patients atteints de parodontite ont un risque accru de présenter une maladie cardio-vasculaire, bien que le lien de causalité entre ces deux conditions demeure à ce jour mal connu. Considérée comme un marqueur de l'artériosclérose, la rigidité artérielle est également un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires. Une revue systématique de la littérature portant sur des études cliniques utilisant la vitesse de l'onde de pouls (VOP), pour évaluer la rigidité artérielle chez les patients souffrant de parodontite, a été réalisée pour répondre aux questions suivantes : 1. les patients avec parodontite ont-ils une rigidité artérielle altérée par rapport à des sujets parodontalement sains ? 2. Le traitement parodontal permet-il une amélioration de la rigidité artérielle chez les patients atteints de parodontite ?
Matériel et méthode : une revue systématique de la littérature a été effectuée sur différentes bases de données sans limitation de temps jusqu'à septembre 2014. Toutes les études cliniques (rapports de cas exclus) utilisant la VOP, chez les patients atteints de parodontite, ont été sélectionnées pour une évaluation du texte intégral.
Résultats : dix études ont été incluses au total. Les patients atteints de parodontite ont une rigidité artérielle augmentée par rapport au groupe contrôle (différence moyenne de la VOP 0,85 m/s ; 95 % CI : 0,53-1,16 ; p < 0,00001). Les deux études interventionnelles montrent des résultats contradictoires concernant les effets du traitement parodontal sur la VOP.
Conclusion : les patients avec parodontite ont une VOP augmentée par rapport aux sujets contrôles. L'amélioration de la rigidité artérielle grâce au traitement parodontal reste, à ce jour, à confirmer.
Introduction and aims : patients with periodontitis have a higher risk of cardiovascular diseases, although a causal relationship between these conditions remains unclear. Arterial stiffness is considered a marker of arteriosclerosis and a risk factor for cardiovascular disease. A systematic review of the literature on clinical studies using pulse wave velocity to assess arterial stiffness in patients with periodontitis was carried out to answer the following questions : 1. do patients with periodontitis have impaired arterial stiffness compared to non periodontal diseased subjects ? 2. Is periodontal treatment effective as a mean to improve arterial stiffness in patients with periodontitis ?
Methods : literature search was done on different databases up to September 2014. All clinical studies (excluding case reports) using pulse wave velocity in patients with periodontitis were retrieved for a full-text evaluation.
Results : a total of ten studies were included. Patients with periodontitis have increased arterial stiffness compared to controls (pulse wave velocity mean différence 0,85 m/s ; 95 % CI : 0,53-1,16 ; p < 0,00001). The two interventional studies showed contradictory results on the effects of periodontal treatment on pulse wave velocity.
Conclusion : patients with periodontitis have higher values of pulse wave velocity compared to controls. The role of periodontal treatment in improving arterial stiffness remains unclear.
Au cours des deux dernières décennies, un nombre croissant de publications a étudié la relation entre parodontite et maladies cardiovasculaires et a montré que les patients atteints de parodontite sévère présentent un risque accru de développer une hypertension artérielle, une maladie coronarienne ou de l'athérosclérose (Tonetti et al., 2013).
La rigidité artérielle est également un élément clé dans le développement de maladies cardio-vasculaires, son augmentation conduisant à une altération de la fonction endothéliale (Laurent et al., 2006). Elle peut être évaluée de manière non invasive en mesurant la vitesse de l'onde de pouls (VOP). La VOP carotido-fémorale, mesure gold standard, se révèle par ailleurs être un facteur prédictif de la mortalité cardio-vasculaire (Vlachopoulos et al., 2010).
Par conséquent, il semble intéressant d'étudier la relation entre la maladie parodontale et la VOP. Une revue systématique de la littérature portant sur des études cliniques utilisant la VOP pour évaluer la rigidité artérielle chez les patients avec parodontite a donc été réalisée pour répondre aux questions suivantes : 1. les patients présentant une parodontite ont-ils une rigidité artérielle altérée par rapport à des sujets parodontalement sains ? 2. Le traitement parodontal permet-il une amélioration de la rigidité artérielle chez les patients avec parodontite ?
Une revue systématique des études portant sur la rigidité artérielle évaluée par VOP chez les patients atteints de parodontite a été effectuée, en suivant les recommandations actuelles établies par la liste de vérification PRISMA.
– Types d'études : essais cliniques contrôlés randomisés (ECR), études cas-témoins, études transversales, études de cohorte, études cliniques prospectives.
– Types de participants : patients adultes atteints de parodontite. Aucune restriction n'a été appliquée pour la définition et la sévérité de la parodontite.
– Types d'interventions : tout type de traitement parodontal.
– Types de mesures : mesure de la rigidité artérielle via la VOP, celle-ci devant être mesurée et comparée entre les patients avec et sans parodontite, et/ou avant et après traitement parodontal.
Une revue systématique de la littérature a été effectuée sur différentes bases de données (PubMed, EMBASE, Cochrane, ProQuest Dissertations, Thesis Database, OpenGrey) sans limitation de temps jusqu'à septembre 2014 à l'aide des mots clés et termes MeSH suivants : maladie parodontale, parodontite, traitement parodontal, détartrage et surfaçage radiculaire, fonction endothéliale, dysfonction endothéliale, vitesse de l'onde de pouls, rigidité artérielle.
Les titres et résumés des études trouvées ont été sélectionnés pour leur pertinence par deux examinateurs indépendants (AS et MCC) qui ont également évalué le risque de biais à l'aide des outils adaptés pour les ECR et les études non randomisées.
Les données des études incluses ont été analysées qualitativement et éventuellement quantitativement. Les analyses statistiques ont été réalisées en utilisant le logiciel Review Manager (RevMan, version 5.1, Cochrane Collaboration, Copenhague).
Après lecture des résumés et textes, huit études observationnelles (Franek et al., 2012 ; Franek et al., 2009 ; Hanaoka et al., 2013 ; Jockel-Schneider et al., 2014 ; Kapellas et al., 2014b ; Miyaki et al., 2006 ; Shanker et al., 2013 ; Vieira et al., 2011) et deux études interventionnelles (Kapellas et al., 2014b ; Vidal et al., 2013) conformes aux critères d'inclusion ont été retenues (fig. 1).
Cinq études rapportent une association significative entre parodontite et rigidité artérielle (Vieira et al., 2011 ; Miyaki et al., 2006 ; Shanker et al., 2013 ; Kapellas et al., 2014b ; Jockel-Schneider et al., 2014), avec une relation proportionnelle directe entre la sévérité de la maladie parodontale et les valeurs de la VOP. Cependant, dans certaines études (Kapellas et al., 2014b ; Miyaki et al., 2006 ; Vieira et al., 2011), cette association est atténuée après ajustement sur les facteurs confondants tels que l'âge, le genre, le tabac ou encore le diabète.
Les effets du traitement parodontal sur la VOP sont évalués dans deux études interventionnelles montrant des résultats contradictoires. Vidal et al. observent, eux, une réduction significative (de 0,9 m/s) de la VOP après traitement parodontal (Vidal et al., 2013). À l'inverse, Kapellas et al. (Kapellas et al, 2014b) ne retrouvent pas de différence significative dans les mesures de VOP entre les groupes de traitement à trois mois (différence moyenne de 0,06 m/s [IC à 95 %, –0,17 à 0,29] ; p = 0,594) ou à douze mois après le traitement (différence moyenne de 0,21 m/s [IC à 95 %, –0,01 à 0,43] ; p = 0,062).
Les résultats de la méta-analyse sont fondés sur sept articles, soit un total de 1 517 patients. Il apparaît que les sujets présentant une maladie parodontale ont une rigidité artérielle augmentée par rapport aux contrôles (différence moyenne de VOP de 0,85 m/s ; IC à 95 % : 0,53 à 1,16 ; p < 0,00001). De plus, quelle que soit la technique de mesure de la VOP employée, les patients atteints de parodontite sévère ont des valeurs de VOP toujours significativement plus élevées (fig. 2).
Huit études ont été évaluées à faible risque de biais (Franek et al., 2012 ; Franek et al., 2009 ; Hanaoka et al., 2013 ; Kapellas et al., 2014a et b ; Miyaki et al., 2006 ; Shanker et al. 2013 ; Vieira et al., 2011) et deux à risque élevé (Vidal et al., 2013 ; Jockel-Schneider et al., 2014).
Cette étude est la première revue systématique évaluant la relation entre parodontite et rigidité artérielle. En dépit de l'hétérogénéité des études incluses, les résultats indiquent qu'il existe une association significative entre la maladie parodontale et la VOP. En effet, les patients atteints de parodontite sévère ont des valeurs de VOP augmentées par rapport aux patients sans parodontite ou avec gingivite/parodontite légère, ce qui est également confirmé par les analyses en sous-groupes selon le type de VOP utilisée. Ces résultats suggèrent ainsi que la parodontite sévère (et l'inflammation parodontale) pourrait représenter un facteur sous-estimé d'augmentation du risque cardio-vasculaire pour les patients.
De plus, les résultats montrent que les patients avec parodontite sévère présentent en moyenne une VOP augmentée de 1,04 m/s par rapport aux témoins, si l'on considère la VOP carotido-fémorale. Or, Vlachopoulos et al. ont récemment démontré qu'une augmentation de la VOP de 1 m/s entraîne une augmentation de 14 % du risque de survenue d'événements cardiovasculaires et un risque accru de 15 % concernant la mortalité cardiovasculaire et toutes les causes de mortalité confondues (Vlachopoulos et al., 2010).
Concernant l'effet du traitement parodontal, les données disponibles actuellement restent limitées. Cependant, le traitement parodontal réalisé dans l'étude de Kapellas et al., 2014b ne conduit qu'à une amélioration modeste des paramètres parodontaux et avec un suivi trop court pour attendre des changements majeurs (Boutouyrie et al., 2011). Par conséquent, il semble important de souligner que l'efficacité du traitement parodontal doit être prise en compte pour l'évaluation de l'influence de l'amélioration parodontale sur les changements de la VOP.
Les résultats actuels contribuent ainsi à décrire le profil cardiovasculaire des patients ayant une parodontite et soutiennent la nécessité d'investigations cliniques supplémentaires afin d'évaluer les conséquences de la thérapie parodontale sur le risque cardiovasculaire.