Article
Benjamin R Coyac 1 2 3 / Florencia Chicatun 4 / Betty Hoac 3 / Valentin Nelea 3 / Catherine Chaussain 1 / Showan N Nazhat 4 / Marc D McKee 3
1- Faculté de chirurgie dentaire, Université Paris Descartes, Paris2- Département de parodontologie, Hôpital Rothschild (AP-HP), UFR d'Odontologie, Université Paris Diderot, Paris 73- Faculté de médecine, Université McGill, Montréal, Canada4- Faculté d'ingénierie, Université McGill, Montréal, CanadaCorrespondance : Benjamin COYAC
benjamin_coyac@hotmail.fr
Résumé
But de l'étude : les avancées dans le domaine de la biominéralisation tissulaire se heurtent à la complexité des interactions avec d'autres mécanismes qui lui sont liés. Le métabolisme phosphocalcique est perturbé dans certaines maladies génétiques tel que le rachitisme hypophosphatémique lié à l'X causé par la mutation d'un gène impliqué dans la biominéralisation (PHEX), alors qu'il impacte aussi directement les matrices minéralisées osseuses et dentaires. Ainsi la mutation à l'origine de cette maladie, qui touche la protéine PHEX, ne permet pas de comprendre si la fonction de cette protéine est uniquement de réguler le métabolisme phosphocalcique systémique, ou bien de réguler les étapes de la minéralisation matricielle.
Matériel et méthode : pour répondre à ces questions, nous avons cherché à mettre au point un modèle de minéralisation humaine in vitro, où il serait possible de réguler les paramètres systémiques afin de discriminer finement l'impact d'une mutation sur la minéralisation matricielle locale, indépendamment des interférences du métabolisme phosphocalcique systémique. Nous avons donc ensemencé des cellules pulpaires primaires de patients sains dans des matrices de collagène dense. Ces cellules ont été cultivées jusqu'à 24 jours et les analyses de la phase moléculaire par western blot sur les protéines de la minéralisation, et sur l'activité de la phosphatase alcaline ont montré un engagement dans la voie de différenciation ostéogénique.
Résultats : les analyses de la phase minérale ont montré une accumulation de phosphate et de calcium, l'analyse par FTIR a montré des pics de phosphate et de carbonate, et l'analyse par microscopie électronique, a montré des cristaux d'hydroxyapatite au sein du collagène. En conséquence, un modèle efficace de minéralisation humaine in vitro à partir de cellules primaires a été mis en place et pourra désormais être utilisé avec des cellules mutées sur des gènes d'intérêt tel que le gène PHEX.
Aim: advances in biomineralization have been made in recent years, but unanswered questions persist on the involvement of specific genes and proteins in this process, on outside-in signaling from the extracellular matrix, and on the link between protein expression and mineral deposition. In the published study, we validate the use of a bioengineered three-dimensional (3D) dense collagen hydrogel scaffold as a cell-culture model to explore these questions.
Material and method: dental pulp progenitor/stem cells from human exfoliated deciduous teeth (SHEDs) were seeded into an extracellular matrix-like collagen gel whose fibrillar density was increased through plastic compression. SHED viability, morphology, and metabolic activity, as well as scaffold mineralization, were investigated over 24 days in culture. Additionally, measurements of alkaline phosphatase enzymatic activity, together with immunoblotting for mineralized tissue cell markers ALPL (tissue-non-specific alkaline phosphatase), DMP1 (dentin matrix protein 1), and OPN (osteopontin), demonstrated osteo/odontogenic cell differentiation in the dense collagen scaffolds coincident with mineralization.
Results: analyses of the mineral phase by electron microscopy, including electron diffraction and energy-dispersive x-ray spectroscopy, combined with Fourier-transform infrared spectroscopy and biochemical analyses, were consistent with the formation of apatitic mineral that was frequently aligned along collagen fibrils. In conclusion, use of a 3D dense collagen scaffold promoted SHED osteo/odontogenic cell differentiation and mineralization. This model could now be used with mutated cells harvested from diseased patients such as X-linked hypophosphatemic patients.
Le squelette et son système alvéolo-dentaire naissent, évoluent et se remplacent sous l'action programmée du patrimoine génétique (Baron et Kneissel, 2013). Cet héritage de l'évolution peut être individuellement perturbé par l'action de mutations génétiques, aboutissant à un phénotype pathologique.
C'est le cas des maladies génétiques osseuses et dentaires, comme le rachitisme hypophosphatémique lié à l'X. Cette maladie génétique rare (1 naissance sur 20 000) résulte de la perte de fonction d'un gène codant pour une protéine des cellules osseuses et dentaires : la protéine PHEX. Sur le plan clinique, cette mutation entraîne un rachitisme chez l'enfant et une ostéomalacie à l'âge adulte (McKee et al., 2013).
Sur le plan dentaire, la dentine pathologique n'absorbe pas normalement les contraintes masticatoires, ce qui entraîne des microfractures et la pénétration de bactéries orales dans la chambre pulpaire. Des abcès dentaires d'origine endodontique apparaissent alors en l'absence de toute lésion carieuse (Boukpessi et al., 2006).
Sur le plan pathogénique, l'absence de PHEX fonctionnel entraîne deux conséquences délétères pour le maintien d'un système dento-squelettique compétent : d'une part, elle engendre des défauts locaux de la minéralisation des tissus calcifiés et, d'autre part, elle perturbe la régulation générale du taux sérique de phosphore entraînant une hypophosphatémie. L'hypophosphatémie systémique perturbe à son tour la minéralisation locale des tissus calcifiés. Compte tenu de la fonction cruciale de PHEX dans la régulation du phosphate et la minéralisation, il apparaît nécessaire de décortiquer les mécanismes d'action de cette protéine. L'étude de cette protéine sert non seulement l'intérêt des patients atteints de rachitisme familial, mais potentiellement aussi celui des patients atteints d'autres maladies de la minéralisation qui partagent des mécanismes communs.
Afin d'étudier le rôle direct de la protéine PHEX sur la minéralisation locale, il est indispensable de s'extraire du contexte systémique afin d'éviter les interférences de l'hypophosphatémie générale.
Se pose alors la question d'un modèle d'étude in vitro de la minéralisation humaine, où le taux de phosphore disponible pourrait être contrôlé, et les modifications observées ne pourraient alors être attribuées qu'à la mutation et non pas au milieu environnant et sa concentration en phosphate.
Notre objectif a consisté à utiliser des cellules souches pulpaires humaines primaires dans des matrices collagéniques cultivées in vitro afin de mettre au point un modèle d'étude in vitro de la minéralisation humaine spécifique au patient, et donc spécifique à ses mutations.
Dans cette étude, des cellules de la pulpe dentaire temporaire ont été utilisées. Ces cellules ont été décrites en 2003 par Miura et Gronthos comme étant des cellules souches répondant aux critères de Friedenstein d'adhérence au plastique, de prolifération à des passages tardifs et de différenciation dans des voies spécialisées différentes (Miura et al., 2003).
Une fois extraites, ces cellules ont été ensemencées dans une matrice de collagène liquide amené ensuite à polymérisation, incluant ainsi les cellules dans l'épaisseur du matériau gélifié. Suivant une autre procédure décrite par Brown et ses collaborateurs en 2005, les auteurs ont alors soumis la matrice collagénique cellularisée à une étape de compression plastique (fig. 1), afin d'éliminer la majeure partie de la phase liquide de la matrice (Brown et al., 2005). Cette étape d'élimination irréversible de 90 % de la phase hydrique a permis d'atteindre une densité fibrillaire biomimétique de l'ostéoïde, de la cémentoïde ou de la prédentine, tissus au contact desquels les cellules ostéo-cémento-odontogéniques réalisent naturellement leur différenciation.
Les cellules incluses dans la matrice collagénique compressée ont montré au cours du temps un engagement dans la voie de différenciation ostéo-odontogénique (fig. 2 et 4). Ceci a été vérifié par imagerie confocale, ainsi que par l'activité de la phosphatase alcaline et la sécrétion de matrices régulatrices de la minéralisation comme l'ostéopontine ou la dentin matrix protein 1.
Concernant la phase minérale (fig. 3 et 4), les techniques d'imagerie ultrastructurale par microscopies électroniques à transmission et à balayage ont mis en évidence la présence de minéraux intimement liés aux fibrilles de collagène et l'absence de calcifications nécrotiques des cellules ou de minéralisation ectopique. Une technique d'identification des éléments chimiques par analyse dispersive en énergie (EDX) a montré la présence de phosphore et de calcium dans ces minéraux, et une analyse moléculaire par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (ATR-FTIR) a mis en évidence la présence de phosphate et de carbonate dans ces minéraux. Enfin, la quantification des phases minérales de la matrice a montré une augmentation du calcium et du phosphate. Dès lors, les éléments étaient présents pour affirmer la présence d'une apatite carbonatée cristalline liée aux fibrilles de collagène, donc d'apatite biologique. Cette phase minérale physiologique était déposée au cours du temps par les cellules en différenciation ostéo/odontogénique. Ce modèle de minéralisation humaine in vitro peut être utilisé pour étudier l'expression moléculaire et la phase minérale obtenues après différenciation de cellules atteintes de mutations génétiques comme la mutation de PHEX. Il permet surtout de contrôler les multiples paramètres du métabolisme phosphocalcique qui interfèrent in vivo avec l'étude de la minéralisation locale. Cette étude est réalisée en utilisant des cellules primaires humaines de la pulpe dentaire de patients sains, et pourra être étendue à l'utilisation de cellules de la même origine issues de patients atteints de rachitisme hypophosphatémique lié à l'X, ou d'autres pathologies génétiques affectant les tissus minéralisés.