Article
Peter J.M. FAIRBAIRN 1 / Minas LEVENTIS 2
1- Visiting Professor,
Department of Periodontology and Implant Dentistry,
University of Detroit,
Mercy School of Dentistry,
Michigan, USA2- Associate Professor,
Department of Oral Surgery,
University of Athens,
Athens, Greece
RéSUMé
Ce rapport de cas met en évidence l'utilisation d'un matériau de greffe osseuse alloplastique qui durcit in situ pour une régénération d'os alvéolaire associée à une implantation précoce. En suivant un protocole standardisé, la première prémolaire maxillaire gauche a été extraite de façon atraumatique chez une patiente de 48 ans. Quatre semaines plus tard, un lambeau adapté au site a été réalisé et une greffe osseuse composée de phosphate tricalcique bêta (PTC-β) et de sulfate de calcium a été simultanément placée. Aucune membrane n'a été utilisée et le site a été fermé en repositionnant le lambeau muco-périosté. Au bout de 12 semaines, l'implant a été mis en charge avec succès, donnant un bon résultat esthétique, et le suivi clinique et radiologique 1 an plus tard révèle la stabilité des tissus durs et mous péri-implantaires.
This case report highlights the use of an in situ hardening alloplastic bone grafting material for alveolar bone regeneration in parallel to early implant placement. Following a standardized protocol, the upper left first premolar of a 48-year-old female patient was ``atraumatically'' extracted. After 4 weeks, a site-specific flap was raised and an implant was placed with simultaneous bone augmentation, using a bone substitute consisting of beta tri-calcium phosphate and calcium sulfate. No membrane was used and the site was covered by repositioning the muco-periosteal flap. Twelve weeks post-op the implant was successfully loaded, resulting in a pleasant aesthetic outcome, whilst clinical and radiological follow-up at one year demonstrated stable peri-implant soft and hard tissues.
Parmi les différentes méthodes de régénération osseuse guidée pour augmenter une crête alvéolaire atrophiée, l'une des techniques courantes et bien documentées est l'utilisation de substituts d'os particulé qui peuvent être classés en trois groupes principaux selon leur origine : les allogreffes (d'origine humaine), les xénogreffes (d'origine animale) et les matériaux alloplastiques (d'origine synthétique). Il est très important, sur le plan clinique, de tenir compte des variations qui existent entre ces substituts osseux en termes d'origine, de composition et de mécanisme biologique de fonctionnement pour appréhender la résorption de la greffe et la néoformation osseuse, chacune ayant ses avantages et des inconvénients (Horowitz et al., 2014).
D'après Yip et al., le matériau de greffe idéal doit avoir des propriétés spécifiques (Yip et al., 2015). Il doit être ostéo-conducteur, ostéo-inducteur et biocompatible. Il est important qu'il soit totalement remplacé par de l'os de l'hôte, avec un temps de résorption adéquat par rapport à la néoformation osseuse, et il doit être capable de maintenir la stabilité de volume du site greffé. De plus, il doit comporter certaines caractéristiques mécaniques et ne faire courir aucun risque de maladie transmissible.
Il a été maintes fois montré que lorsque l'on utilise un matériau de greffe d'os particulé en régénération osseuse guidée, il est nécessaire d'avoir à la fois la stabilité et la fermeture cellulaire des tissus mous pour que l'hôte soit capable de régénérer l'os à l'intérieur de l'échafaudage créé par le matériau de greffe. Ces impératifs ne sont pas atteints lorsque l'on utilise des membranes, qu'elles soient résorbables ou non. Celles qui sont le plus souvent utilisées sont les membranes résorbables du type collagène (Khojasteh et al., 2013 ; Dimitriou et al., 2012). L'utilisation de membranes peut s'avérer techniquement difficile et peut engendrer des problèmes en cas d'exposition à l'environnement buccal. Mais l'inconvénient majeur de leur utilisation est sans doute leur impact sur le processus de cicatrisation de l'hôte en raison de leur interaction avec l'apport vasculaire périosté ainsi qu'avec l'induction périostée des facteurs dérivés des cellules du stroma qui sont essentielles pour la présence de cellules mésenchymateuses au niveau des sites de cicatrisation (Elshahat et al., 2005 ; Zhang et al., 2008).
La capacité du sulfate de calcium bactériostatique à faire sa prise et donc à rester stable est bien documentée et l'adjonction de sulfate de calcium au PTC-β provoque un durcissement in situ du matériau de greffe qui le lie directement à l'os de l'hôte, maintient l'espace et la forme du site greffé et agit comme un échafaudage ostéo-conducteur stable (Pecora et al., 1997 ; Anson, 2000 ; Leventis et al., 2014 ; Ruga, 2011). La stabilité accrue grâce au matériau de greffe semble améliorer encore plus la qualité de l'os à régénérer en raison des micromouvements réduits du matériau, ce qui peut conduire à une différenciation des cellules mésenchymateuses en fibroblastes au lieu d'ostéoblastes. On sait que les micromouvements qui se produisent entre l'os et un matériau de greffe implanté empêchent la formation osseuse, ce qui entraîne le développement de tissu fibreux (Buser et al., 1995 ; Dimitriou et al., 2012). L'élément sulfate de calcium va se résorber plus tôt, en 3 à 6 semaines en fonction de la physiologie du patient, ce qui va créer une porosité vasculaire à l'intérieur du support de PTC-β pour améliorer la croissance vasculaire interne et l'angiogenèse. L'élément PTC-β, le tuteur pour la régénération osseuse, va ensuite être résorbé par les macrophages et l'activité ostéoclastique en 9 à 16 mois, durée qui dépend elle aussi de la physiologie de l'hôte, conduisant à une vraie régénération de l'os natif (Artzi et al., 2004).
Le but de cet article est de présenter un cas qui illustre les résultats cliniques d'une implantation immédiate dans des alvéoles d'extraction associée à une greffe osseuse de PTC-β qui se solidifie in situ en utilisant un protocole standardisé (Fairbairn et Leventis, 2015).
Une patiente âgée de 48 ans, non fumeuse, sans aucune contre-indication médicale à la pose d'implants, s'est présentée avec une fracture radiculaire sur la première prémolaire maxillaire gauche, nécessitant son extraction.
Le protocole standardisé (Fairbairn et Leventis, 2015) a été mis en œuvre en commençant par une extraction minutieuse et atraumatique afin d'enlever la dent avec précaution en utilisant des périotomes, en préservant le plus possible l'os natif et sans léser les tissus mous environnants. Sur le plan clinique, il est très important de prendre en compte le fait que la racine vestibulaire de la première prémolaire maxillaire présente une corticale vestibulaire très mince qui est souvent perdue par suite d'une pathologie radiculaire associée.
Quatre semaines après l'extraction, on note que le tissu mou néoformé, encore mince, recouvrant le site postextractionnel s'est régénéré par seconde intention (fig. 1). Le tissu dur sous-jacent au niveau du défaut vestibulaire est également identifiable avec la perte d'attache gingivale qui débute là où le tissu muqueux envahit l'espace laissé par la perte de tissu dur. Cela s'observe cliniquement du côté vestibulaire, où l'étendue de la perte tissulaire à régénérer est visible (fig. 2).
Un lambeau adapté au site, préservant les papilles adjacentes, est ensuite réalisé (fig. 3). Puis le site est complètement cureté et débridé de tout le tissu de granulation à l'aide de curettes à os et de fraises à dégranuler (EK Solution Degranulation Kit, Beit Kama, Israël), révélant un défaut osseux avec une déhiscence de l'os vestibulaire due à la position de la racine (fig. 4).
L'ostéotomie débute ensuite à l'aide d'une fraise longue dans la paroi médio-palatine de l'alvéole, suivie d'une fraise pilote de 2 mm, puis de 8 mm, et une radiographie est prise pour évaluer la profondeur et la proximité du sinus maxillaire. La fraise de finition est ensuite utilisée à la profondeur désirée de 12 mm (fig. 5).
Un implant conique (Dio Co., Busan, République de Corée) de 3,8 mm de diamètre et de 12 mm de long est ensuite placé dans la position optimale à l'aide d'une clé à cliquet manuelle pour améliorer le contrôle, avec un torque final de 30 Ncm (fig. 6 et 7). En raison du défaut osseux, l'implant présente une stabilité primaire réduite car seules quelques spires sont insérées dans l'os natif avec une faible valeur ISQ (implant stability quotient) (Ostell AB, Göteborg, Suède), puisqu'elle s'élève à 46.
Le site est ensuite greffé avec un substitut osseux alloplastique composé de PTC-β et de sulfate de calcium (EthOss®, Regenamed, Londres, Royaume-Uni). Le matériau de greffe est livré dans une seringue permettant de reculer le piston pour ajouter du sérum physiologique à la poudre. On attend que le sérum physiologique pénètre à travers les particules, puis l'excès est éliminé par compression avec une compresse stérile. Le matériau ainsi hydraté est ensuite amené au niveau du site chirurgical et déposé à l'intérieur du défaut, puis il est comprimé avec une autre compresse en utilisant un instrument pour le tasser à l'intérieur de toutes les cavités. La compresse est ensuite maintenue au-dessus de la greffe durant 3 à 4 minutes jusqu'à ce que le sulfate de calcium ait durci (fig. 8), en s'assurant de limiter le saignement adjacent au site contenant le matériau et en se rappelant qu'il ne faut pas surcombler le site afin d'obtenir une fermeture sans tension. Le lambeau est ensuite soigneusement suturé sans tension à l'aide de fil de Vicryl Enrobé 4-0 (Coated Vicryl 4-0, Ethicon, New Jersey, États-Unis). Les radiographies prises après l'extraction et après ce stade de la greffe montrent la position de l'implant par rapport au sinus et aux dents adjacentes ainsi que le matériau de greffe qui apparaît nettement (fig. 9 et 10).
On laisse le site cicatriser durant 10 semaines avant de commencer la phase restauratrice, et il est fréquent d'observer (comme c'est le cas ici) que l'implant est recouvert de tissu dur néoformé, ce qui nécessite de lever un autre lambeau pour accéder à l'implant (fig. 11). Un petit lambeau d'accès permet de voir le tissu dur néoformé et quelques particules de greffe résiduelles, qui finiront par se « transformer » en os natif avec le temps. Une fois que l'implant est accessible, et que la vis de couverture a été déposée, on mesure à nouveau la valeur ISQ (fig. 12). La valeur enregistrée est maintenant de 77, soit une augmentation de 31, indiquant clairement une amélioration du recouvrement de l'implant par du tissu dur. On place ensuite une vis de cicatrisation et le lambeau est suturé à l'aide d'une suture de Prolene 4-0 (Ethicon), puis on laisse cicatriser durant 1 semaine de plus.
Le pilier final en titane est ensuite placé et torqué à 35 Ncm, puis on prend une empreinte conventionnelle du pilier avec un matériau à empreinte en silicone. (Coltène® President, Coltène, Suisse). Une semaine plus tard, une couronne en céramique de disilicate de lithium(e.max®, Ivoclar-Vivadent) est fabriquée et scellée à l'aide d'un ciment semi-permanent (Premier® Implant Cement, Premier Dental Products Company, Philadelphie, États-Unis) (fig. 13). La restauration en composite de la canine adjacente est également remplacée pour améliorer le résultat esthétique. La radiographie prise à ce stade montre nettement la consolidation du matériau de greffe autour de l'implant (fig. 14).
Après 1 an de mise en charge, le profil des tissus durs et mous a été restauré et préservé, aboutissant à un résultat esthétique et stable (fig. 15 et 16) avec des tissus mous et une gencive attachée très sains. Sur le plan radiographique, le niveau osseux s'est encore amélioré, à mesure que les résidus de PTC-β/sulfate de calcium se sont résorbés, conduisant à un os de meilleure qualité avec un remodelage fonctionnel (fig. 17).
De nombreux paramètres, tels que la présence ou l'absence de gencive kératinisée, le niveau de l'os vestibulaire et la topographie de surface des composants implantaires transmuqueux, peuvent influencer l'interface des tissus mous, la récession gingivale ainsi que le profil esthétique global et la stabilité des tissus mous à long terme (Funato et al., 2007 ; Keith et Salama, 2007 ; Rompen et al., 2007).
Le concept d'augmentation osseuse à l'aide d'une xénogreffe osseuse et d'une membrane résorbable associées à une implantation précoce a été décrit dans plusieurs études cliniques avec des résultats couronnés de succès (Nemcovsky et al., 2000 ; Nemcovsky et Artzi, 2002 ; Buser et al., 2013a et 2013b).
Contrairement aux protocoles de greffe d'augmentation précités, dans cette étude une voie différente a été suivie en termes de logique pour l'augmentation et la pose simultanée d'un implant immédiat (Fairbairn and Leventis, 2015). Le site postextractionnel a cicatrisé durant une période de 4 semaines avant que soit entrepris le protocole d'implantation précoce. Cette période a permis la formation d'un nouveau tissu kératinisé adéquat ; ainsi, a pu être réalisée une fermeture primaire sans tension après la pose de l'implant et de la greffe associée sans avoir besoin de déplacer le lambeau coronairement. De cette façon, la ligne muco-gingivale n'a pas été déplacée et la gencive kératinisée en vestibulaire a été préservée, ce qui a permis d'obtenir un résultat esthétique agréable et stable (Lee et al., 2011 ; Wennström et Derks, 2012).
Il est également important de noter que l'activité ostéogénique la plus intense durant la cicatrisation des sites d'extraction se déroule entre la quatrième et la huitième semaine après l'extraction. La pose de l'implant et du matériau de greffe 4 semaines après l'extraction atraumatique profite de cet environnement favorisant une meilleure cicatrisation osseuse (Evian et al., 1982 ; Schropp et al., 2003 ; Harel et al., 2013). De même, il a été observé que l'implant lui-même, en raison de sa nature semi-conductrice, jouait également un rôle dans la régénération osseuse de l'hôte et, de ce fait, l'implantation au bout de 4 semaines avec une mise en charge plus précoce entre 8 et 12 semaines, plus propice à des enregistrements ISQ convenables, ont toutes deux un effet positif, en augmentant l'activité métabolique et la régénération osseuse (Sasaki et al., 2008).
La qualité de l'os régénéré est souvent sous-estimée dans les études mais elle peut s'avérer très importante pour la stabilité à long terme des tissus à la fois durs et mous. Il a été suggéré que la présence à long terme de particules résiduelles de greffe non résorbables ou à résorption lente pouvait réduire le nombre de contacts os-implant et avait un effet négatif sur la qualité globale et l'architecture osseuse de l'os qui entoure l'implant (Chan et al., 2013). Cette qualité est améliorée avec une quantité de matériau étranger réduite ou nulle, favorisant ainsi un pourcentage plus élevé d'os de l'hôte à l'intérieur du site.
Il existe quelques inquiétudes concernant les matériaux de greffe tels que le PTC-β et le sulfate de calcium qui, parce qu'ils se résorbent totalement en un laps de temps assez court, pourraient contribuer à l'effondrement du site (Palti et Hoch, 2002 ; Artzi et al., 2004). Dans cette étude, bien qu'une greffe résorbable biphasée de PTC-β/sulfate de calcium ait été utilisée pour obtenir une régénération osseuse, l'architecture et les dimensions de la crête ont été préservées après la période de suivi de 1 an. La stabilité clinique à long terme de la muqueuse vestibulaire indique la stabilité de la paroi osseuse vestibulaire sous-jacente, qui a été reconstruite durant la chirurgie implantaire et en association avec une augmentation simultanée du contour. Il y a une explication possible à cela : la mise en charge précoce des implants au bout de 12 semaines, comme cela est proposé dans notre protocole, a favorisé l'activité métabolique et déclenché le remodelage de l'os vestibulaire régénéré. Si l'on considère que le tissu dur néoformé au niveau de la face vestibulaire de l'implant est un os vivant dépourvu de toute particule résiduelle de greffe, on peut conclure qu'il s'est adapté avec succès pour transmettre les forces occlusales selon la loi de Wolff, qu'il est devenu plus solide pour pouvoir résister à une telle mise en charge, permettant ainsi de maintenir la masse osseuse et le volume (Brunski et al., 2000 ; Duyck et Vandamme, 2014).
Enfin, l'absence de nécessité d'une membrane, comme on peut le voir à travers ce cas, permet de réduire considérablement le temps chirurgical et le coût, et peut être attribuée à la régénération osseuse, parce que le périoste n'a pas été isolé du site greffé. Il a été démontré que le périoste joue un rôle primordial dans l'incorporation de la greffe osseuse, la cicatrisation et le remodelage, parce qu'il contient des cellules souches mésenchymateuses multipotentes qui sont capables de se différencier en os et en cartilage et parce qu'il génère des vaisseaux sanguins et des facteurs de croissance (Elshahat et al., 2005 ; Zhang et al., 2008).
Dans le cas présenté dans cet article, un substitut d'os alloplastique qui durcit in situ a été utilisé selon un protocole standardisé de greffe d'augmentation osseuse, en association avec une implantation précoce ; ce protocole a permis d'obtenir une importante régénération de tissu dur et a favorisé la stabilité implantaire permettant une mise en charge de l'implant à 12 semaines postopératoires. La propriété de durcissement in situ de ce matériau peut encourager les cliniciens à utiliser des techniques simplifiées permettant d'obtenir avec succès des résultats fonctionnels et esthétiques pour leurs restaurations implantaires. Des études prospectives utilisant des groupes témoins et des échantillons de patients plus larges sont nécessaires pour pouvoir confirmer et étayer ces résultats.