Article
Camille SAINT-RÉQUIER 1 / Hervé PELLETIER 2 / Étienne WALTMANN 3 / Olivier ÉTIENNE 4
1- Faculté dentaire, Strasbourg2- PU
Institut Charles-Sadron, CNRS 22, Strasbourg3- MCU-PH
Faculté dentaire, Strasbourg4- MCU-PH
Faculté dentaire, Strasbourg
Résumé
L'augmentation de la température osseuse lors du forage implantaire est inévitable. Mais elle doit être maîtrisée pour éviter d'endommager les tissus environnants ou de provoquer une nécrose de l'os et pour permettre au futur implant de s'ostéo-intégrer. Ainsi, une combinaison idéale des paramètres de forage permettra un forage du site implantaire plus rapide et plus sûr.
L'objectif de cet article est d'analyser les résultats d'études des années 1950 à nos jours portant sur la corrélation entre l'échauffement osseux et divers paramètres tels que le diamètre, le matériau, l'usure, la stérilisation, la vitesse de rotation du foret, la dureté de l'os, la profondeur de forage ou encore l'irrigation.
Bien que trois points ne fassent plus débat aujourd'hui (la nécessité d'irriguer, la corrélation positive du diamètre du foret et de la profondeur du forage sur l'augmentation thermique), des incohérences persistent concernant les autres points étudiés. Cela peut s'expliquer notamment par les différences constatées dans les protocoles expérimentaux.
Increasing bone temperature while drilling the implant site is unavoidable but it has to be controlled in order to avoid thermic injuries to the surrounding tissues or bone osteonecrosis and ensure the future osteointegration. Thus, a good combination of the different drilling parameters will lead to a faster and safer preparation of the implant site.
The aim of this review is to analyse results of studies from the 50's to nowadays, reporting the possible correlation between bone heating and different parameters, such as diameter, material, wear, sterilization, rotational speed of the drill, bone hardness, drilling depth, irrigation.
Even though three points (necessity to irrigate, positive correlation of drill diameter and drilling depth on temperature increase) are no longer a matter of debate, inconsistencies among the others still remain. This can be explained mostly by the differences in experimental protocols.
Le concept d'ostéo-intégration a été mis au point par Brånemark et son équipe. Le terme « ostéo-intégration » a été défini comme « une jonction anatomique et fonctionnelle directe entre l'os vivant remanié et la surface de l'implant mis en charge » (Brånemark, 1959). Pour obtenir cette jonction, plusieurs critères cliniques sont nécessaires. Parmi ceux-ci, le respect d'un protocole chirurgical rigoureux est primordial, car son non-respect entraîne des échecs à court terme. Le forage constitue l'un des critères chirurgicaux essentiels. En effet, la réalisation d'un forage atraumatique est liée au respect d'un seuil critique de température par rapport au temps de réalisation. La littérature scientifique, aussi bien en chirurgie orthopédique qu'en chirurgie implantaire, comporte de nombreuses publications sur l'étude du forage osseux chirurgical, et ceci depuis les années 1950. L'objectif de ces publications est de préciser les différents paramètres influençant le forage, pour obtenir une combinaison idéale et, ainsi, être le moins iatrogène possible lors de la chirurgie. Cet article se propose de faire le point sur la littérature traitant du forage implantaire et de l'échauffement qui peut lui être associé.
Parmi les postulats initiaux de l'école suédoise, le forage atraumatique reste d'actualité. En effet, en cas d'échauffement osseux lors du forage, une nécrose thermique se produit et le tissu osseux à l'interface implantaire n'est plus capable de se régénérer. En résulte alors une fibro-intégration de l'implant, provoquée par la formation de tissu fibreux entre la surface implantaire et la surface osseuse en contact. L'ostéo-intégration ne peut être obtenue dans ce cas.
Le seuil de température de 47 oC pendant 1 minute, établi par Eriksson et Albrektsson, est depuis lors et encore aujourd'hui très souvent pris comme référence dans les études traitant de chirurgie implantaire (Eriksson et Albrektsson, 1983).
L'étude de Trisi et al. vient bouleverser ce dogme en démontrant, grâce à une étude in vivo sur des moutons, que le maintien d'une température de 50 oC dans le site implantaire pendant 1 minute ne perturbe en rien l'ostéo-intégration future (Trisi et al., 2014). Plus encore, ces auteurs montrent que même avec une température de 60 oC maintenue pendant 1 minute, l'ostéo-intégration existe, malgré des poches infra-osseuses autour de l'implant.
Pandey et Panda ont synthétisé les résultats de différentes études sur le seuil de température délétère pour l'os humain depuis les années 1940 (Pandey et Panda, 2013). Le tableau 1 est une transcription de leurs résultats, complétés par des données plus récentes (Trisi et al., 2014).
Le bon ajustement des différents paramètres du forage implantaire doit permettre d'obtenir un forage aussi rapide et efficace que possible, tout en restant atraumatique pour l'os. Cependant, les données publiées à ce jour semblent insuffisantes pour permettre un parfait équilibre entre puissance de coupe et échauffement osseux minimal. En effet, elles sont contradictoires dans de nombreuses études et aucun consensus n'a pu être établi pour tous les paramètres de forage.
À partir de l'observation que l'échauffement osseux nuit à la cicatrisation et peut provoquer une nécrose osseuse, l'objectif lors du forage sera de générer une température aussi basse que possible associée à une efficacité de coupe optimale. Pour cela, une partie des paramètres est directement dépendante des choix de l'opérateur.
L'influence de la vitesse de rotation du foret implantaire est le paramètre le plus anciennement étudié. Les praticiens ont commencé à s'y intéresser dès les débuts de l'implantologie orale, car c'est un paramètre de base du protocole chirurgical que l'opérateur se doit de définir. Toutefois, les résultats publiés à ce jour restent contradictoires, et ce indépendamment de leur date de publication (tableau 2).
Cette incohérence des résultats met en avant le fait que les différents paramètres définis pour le forage implantaire sont interdépendants et que leur combinaison fait varier la quantité de chaleur maximale dégagée. La relation entre vitesse de rotation du foret et vitesse d'avance (ou force appliquée sur le foret) a d'ailleurs été mise en avant par certaines études (Brisman, 1996).
De plus, la vitesse de forage semble liée étroitement au profil de coupe des forets puisque chaque société propose ses propres recommandations de vitesse (tableau 3). Celles-ci varient de 200 à 2 000 tr/min selon les marques et selon les diamètres des forets utilisés.
Le rapport entre la vitesse d'avance (que l'on assimilera à la force appliquée sur le foret) et l'élévation de la température de l'os a surtout été étudié ces vingt dernières années. Les conclusions des études se rejoignent pour montrer l'intérêt d'augmenter la vitesse d'avance lors du forage :
– la durée de forage est moins longue (Reingewirtz et al., 1997 ; Kalidindi, 2004) ;
– les élévations de température sont moins importantes (Augustin et al., 2008) ;
– la durée de forage ainsi que l'élévation de la température sont amoindries (Bachus et al., 2000).
L'irrigation lors du forage implantaire a fait l'objet de nombreuses études et il a rapidement été admis qu'elle était indispensable pour éviter un échauffement du tissu osseux aux alentours du forage, bien que certains auteurs contemporains remettent en cause son intérêt dans certaines circonstances (Flanagan, 2010). Toutefois, l'irrigation en elle-même a des variables, telles que son origine (interne ou externe au foret), la température et le type de la solution d'irrigation, ou encore le débit du liquide.
Bien que l'intérêt de l'irrigation pour éviter un échauffement osseux excessif ne soit plus à démontrer (Augustin et al., 2008 ; Lavelle et Wedgwood, 1980 ; Haider et al., 1993 ; Benington et al., 2002 ; Kalidindi, 2004), les paramètres spécifiques à l'irrigation sont encore sujets à débat. Quant à la comparaison entre irrigation externe et interne, par exemple, les avis divergent (Pandey et Panda, 2013).
Rappelons que l'irrigation interne consiste à faire passer le liquide d'irrigation à travers un foret spécifique pour, ainsi, lui permettre d'atteindre le point le plus interne du forage puis de remonter le long des parois, alors que l'irrigation externe consiste en l'utilisation d'un spray adjoint ou non au contre-angle chirurgical qui sera dirigé sur le point de forage.
Les études les plus récentes (Sharawy et al., 2002 ; Benington et al., 2002) semblent montrer que les deux types d'irrigations donnent des résultats équivalents. Cette approche renvoie aux résultats parfois contradictoires relevés par le passé. Ainsi il avait été avancé que l'irrigation externe était plus efficace que l'irrigation interne (Haider et al., 1993) tandis que d'autres auteurs avaient affirmé l'inverse, à savoir que l'irrigation interne était supérieure à l'irrigation externe (Kirschner et Meyer, 1975 ; Lavelle et Wedgwood, 1980).
Enfin, un autre critère d'irrigation étudié concerne la température du liquide d'irrigation. Dans les années 2000, Augustin et al. et Sener et al. publient leurs résultats (Augustin et al., 2008 ; Sener et al., 2009). Les premiers rapportent qu'« une irrigation avec de l'eau à 26 oC est le facteur principal de diminution de la température osseuse lors du forage ». Les seconds montrent qu'« une irrigation à température ambiante suffit à garder l'os en dessous de 47 oC ».
Ces résultats vont dans le sens d'une corrélation positive entre la température basse de la solution d'irrigation et le plus faible échauffement osseux, sans que cette considération soit indispensable pour le respect du seuil d'altération de la cicatrisation osseuse.
Un préforage consiste en fait en un forage progressif de l'os, grâce à l'utilisation d'une série de forets aux diamètres croissants. Les avis diffèrent quant à l'intérêt spécifique d'un forage progressif, toutefois la plupart des auteurs s'accordent à dire que cette méthode serait bénéfique par rapport à un forage réalisé directement au diamètre final.
Dans toutes les études passées en revue, une seule (Gehrke et al., 2015) ne montre pas de différence significative entre la température maximale générée avec un protocole de forage conventionnel à forets multiples et celle générée avec un foret unique.
Six études (Brånemark, 1983 ; Itay et Tsur, 1983 ; Matthews et al., 1984 ; Kalidindi, 2004 ; Udiljak et al., 2007 ; Lucchiari et al., 2016) prouvent que l'échauffement osseux obtenu lors d'un forage progressif est plus faible que lors d'un forage unique au même diamètre final. Toutefois, les auteurs de l'étude la plus récente tempèrent leurs résultats en précisant que dans tous les cas, les augmentations de température obtenues restent cliniquement négligeables (inférieures à 2 oC).
De plus, Reingewirtz et al. démontrent que le forage progressif n'a pas d'influence directe sur l'élévation de la température osseuse mais indirecte en diminuant le temps de forage au diamètre final (Reingewirtz et al., 1997).
Peu d'études permettent de comparer les différents matériaux utilisés pour le forage implantaire. En effet, l'utilisation de matériaux non métalliques pour la fabrication de forets implantaires n'est apparue que récemment, c'est pourquoi seules certaines études à partir des années 2010 permettent une comparaison entre les forets en zircone et les forets métalliques, plus largement utilisés.
Trois groupes d'auteurs ont inclus dans leurs expérimentations une comparaison entre des forets en céramiques et en métal, afin de définir quel matériau permettait une moindre augmentation de la température osseuse. Malheureusement, les résultats obtenus diffèrent entre les études. De plus, le protocole n'étant pas le même pour chaque étude, rien ne permet de conclure quant à la supériorité d'un matériau ou d'un autre. En effet, les os utilisés sont des côtes bovines dans deux des trois études (Harder et al., 2013 ; Oliveira et al., 2012), moins denses que le fémur bovin utilisé dans la troisième étude (Sumer et al., 2011). Les résultats rapportés sont les suivants :
– Harder et al. ne trouvent pas de différence significative dans la chaleur générée lors du forage avec de la céramique ou avec de l'acier inox ;
– Sumer et al. démontrent que le foret en céramique entraîne une augmentation de la température dans la partie superficielle du forage ;
– à l'inverse, Oliveira et al. affirment que le foret en céramique provoque moins d'échauffement que celui en acier.
Les études portant sur l'usure des forets et sur l'impact des cycles de stérilisation se recoupent souvent. Ainsi, il apparaît que la puissance de coupe des forets se trouve diminuée par la stérilisation à l'autoclave :
– par rapport à trois autres méthodes de stérilisation (Cooley et al., 1990) ;
– lorsqu'une répétition de cycles d'autoclave est appliquée (Harris et Kohles, 2001).
De même, l'analyse des signes d'usure des forets en microscopie électronique montre :
– des défauts visibles sur les forets stérilisés à l'autoclave par rapport aux trois autres méthodes de stérilisation (Cooley et al., 1990) ;
– des défauts plus importants sur les forets en inox et inox revêtu de DLC (diamond like carbon) par rapport à ceux en zircone, après 40 utilisations et 20 cycles de stérilisation à l'autoclave (Batista Mendes et al., 2014).
Mais certaines études intègrent également une analyse de l'échauffement osseux selon :
– le nombre de forages consécutifs effectués : pas d'augmentation de température dommageable pour l'os après 100 forages (Ercoli et al., 2004) et aucune différence statistique malgré des défauts structurels mis en évidence par microscopie électronique (Carvalho et al., 2011) ;
– le nettoyage des forets : pas de différence statistique de température lors du forage entre des forets ayant été stérilisés à l'autoclave et d'autre nettoyés à l'eau (Jochum et Reichart, 2000).
Les paramètres cliniques ne pouvant être modifiés par l'opérateur influencent l'échauffement de l'os lors du forage mais sont considérés comme nécessaires ou dictés par l'indication clinique.
La grande majorité des auteurs a établi, grâce aux nombreuses études menées, que plus le forage implantaire est profond, plus l'élévation de température est importante. Cela s'explique d'ailleurs par des raisons simples : avec l'augmentation de la profondeur de forage, le temps de forage est augmenté, l'irrigation est moins efficace et il existe une plus grande difficulté à expulser les débris osseux hors du site de forage, augmentant ainsi les forces de friction.
Toutefois, certains auteurs tempèrent leurs résultats en désignant d'autres facteurs associés qui participeraient à l'augmentation de température lors de forages implantaires profonds :
– une irrigation interne permettrait de réduire l'élévation de température (Tehemar, 1999) ;
– le design du foret implantaire (Cordioli et Majzoub, 1997).
En ce qui concerne le diamètre du foret implantaire, le consensus semble être établi : l'augmentation du diamètre du foret entraîne une élévation exponentielle de la température. (Kalidindi, 2004 ; García et al., 2004 ; Augustin et al., 2008 ; Kim et al., 2010).
Les conséquences d'une forte densité osseuse sur la température lors du forage ont été peu étudiées car il semble logique de dire que plus la dureté de l'os est élevée, plus la température osseuse aura tendance à augmenter lors du forage. Cela s'explique notamment par l'augmentation des forces de friction entre la surface du foret et celle de la corticale osseuse.
Karaca et al. l'ont démontré, en précisant que l'expérience avait été conduite sur deux os de densités différentes mais avec la même combinaison de paramètres de forage (Karaca et al., 2014).
Le rapport entre forage et échauffement osseux est étroit, imposant au praticien une attitude clinique la plus respectueuse possible. De nombreuses publications ont étudié les différents aspects de cette étape clinique, avec des résultats parfois contradictoires. Les facteurs impactant l'échauffement sont liés aux forets eux-mêmes (diamètre, longueur, matériau), à leur mise en œuvre clinique (vitesse de rotation et d'avance, irrigation, préforage), à leur dégradation éventuelle par stérilisation et, enfin, au type d'os foré.
Si l'échauffement de l'os est corrélé positivement avec le diamètre et la longueur du foret final, les études portant sur les matériaux constituant les forets implantaires n'ont pas pu prouver la supériorité de l'acier inoxydable ou de la zircone.
La vitesse de rotation du foret, la vitesse d'avance et le diamètre du foret semblent être des paramètres interdépendants en ce qui concerne la limitation de l'échauffement osseux. Les fabricants proposent actuellement des vitesses de rotation minimales et maximales pour chaque diamètre utilisé. Étant donné l'incohérence des résultats publiés dans la littérature scientifique depuis plus de 60 ans, il paraît prudent de respecter les recommandations des fabricants en ce qui concerne la vitesse de rotation, qui doit être adaptée au foret utilisé. Le refroidissement par un liquide d'irrigation lors de la chirurgie implantaire fait l'unanimité dans la littérature scientifique, bien que les deux méthodes (externe ou interne) n'aient pu être départagées. Enfin, la plupart des auteurs s'accordent à dire qu'un forage progressif (préforage ou forage séquentiel) est préférable à un forage unique au diamètre final.
Concernant l'usure et les effets de la stérilisation sur les forets, peu d'auteurs se sont penchés sur la question. Toutefois, deux études récentes ont montré qu'à la suite d'une usure volontaire des forets, et malgré des changements de surface visibles en microscopie électronique, les températures nocives pour l'os n'ont jamais été atteintes.
Enfin, peu d'études ont été menées sur l'influence de la densité osseuse sur l'élévation de la température lors du forage implantaire mais il paraît logique, d'un point de vue mécanique, qu'un os dense entraîne plus d'échauffement lors de son forage qu'un os spongieux.
Malgré un nombre croissant d'études sur le sujet, il semble que les paramètres du forage implantaire n'aient pas encore tous été clairement précisés. Pour autant, le taux de succès implantaire à court terme reste aujourd'hui très élevé et l'absence de consensus scientifique concernant certaines modalités du forage ne doit pas faire oublier que de nombreux autres critères sont susceptibles d'influencer aussi ce taux de succès, à court mais aussi à moyen et long termes.