Le point de vue de la SFPIO
Les effets secondaires sur la cavité orale des thérapeutiques en oncologie, principalement la chimiothérapie et la radiothérapie, sont nombreux. Les manifestations cliniques buccales, qu'il s'agisse d'une infection, d'une mucite ou d'une ostéoradionécrose, peuvent avoir un impact sur la santé générale du patient, pouvant parfois engager le pronostic vital. Une collaboration entre le médecin oncologue et le chirurgien-dentiste est donc essentielle afin de...
Résumé
Les traitements anticancéreux ont de nombreux effets secondaires sur la cavité buccale et peuvent aggraver des pathologies préexistantes. À l'inverse, celles-ci peuvent se manifester au cours du traitement anticancéreux et engendrer des complications. Les deux disciplines oncologique et odontologique sont donc étroitement liées.
Cet article résume les effets des principaux traitements anticancéreux (chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie) sur la cavité buccale. Connaître leurs mécanismes d'action qui influencent directement ces pathologies permet de les prévenir et de les traiter. Les manifestations cliniques auxquelles le chirurgien-dentiste peut être confronté sont nombreuses.
La mucite, qui est une réaction inflammatoire de la muqueuse secondaire au traitement antinéoplasique, provoque des érythèmes, des œdèmes ainsi que des ulcérations avec des douleurs sévères et des saignements. Du fait de la baisse des défenses immunitaires, le patient sous traitement anticancéreux voit son risque infectieux augmenter considérablement. Le risque d'ostéonécrose est expliqué par la dévitalisation progressive et irréversible des tissus osseux irradiés. Les patients atteints de xérostomie sont plus à risque face à la maladie parodontale, à la polycarie évolutive ainsi qu'aux infections d'origine fongique et bactérienne.
Le diagnostic des pathologies buccales est essentiel pour prévenir des éventuelles complications qui peuvent apparaître au cours des traitements anticancéreux. Leur traitement avant de commencer le traitement cytotoxique est recommandé car il permet de diminuer l'incidence des complications et de plus, il n'est pas toujours réalisable en fin de traitement cytotoxique.
Les patients en oncologie devraient donc rendre visite à un odontologiste avant de recevoir un traitement anticancéreux afin qu'un bilan dentaire et parodontal complet soit effectué et afin qu'il puisse bénéficier d'un suivi selon un protocole strict.
Les effets secondaires sur la cavité orale des thérapeutiques en oncologie, principalement la chimiothérapie et la radiothérapie, sont nombreux. Les manifestations cliniques buccales, qu'il s'agisse d'une infection, d'une mucite ou d'une ostéoradionécrose, peuvent avoir un impact sur la santé générale du patient, pouvant parfois engager le pronostic vital. Une collaboration entre le médecin oncologue et le chirurgien-dentiste est donc essentielle afin de prévenir ou de limiter ces conséquences.
Un patient traité en oncologie est sujet à des affections précises que le chirurgien-dentiste se doit de connaître. Il existe différents types de traitements anticancéreux dont les effets sur la cavité buccale sont nombreux. Nous verrons dans un premier temps quelles sont les différentes thérapeutiques utilisées pour traiter un cancer et, dans un deuxième temps, quelles pathologies buccales sont le plus souvent rencontrées chez ces patients.
La chimiothérapie affecte par un effet direct les cellules qui ont un taux de renouvellement (turn over) rapide et, donc, les cellules basales de la muqueuse orale, ce qui provoque l'apparition d'ulcérations (Chaveli López et al., 2011). Elle diminue la quantité de cellules immunitaires dans les tissus et provoque la perte des éléments protecteurs de la salive par des effets indirects. On retrouve chez ces patients une augmentation du niveau de peroxydase et d'amylase, ainsi qu'une diminution du nombre d'immunoglobulines A et G dans la salive.
Une leucopénie au bout de 10 jours puis une thrombocytopénie entre le 10e et le 14e jour et une anémie sont habituellement attendues, en fonction des agents anticancéreux utilisés. Ces effets secondaires vont régresser à la suite de l'arrêt du traitement (Chaveli López et al., 2011). D'autres effets secondaires sont possibles : une xérostomie, une malnutrition, de la fatigue, des caries et des désordres gastro-intestinaux (Chaveli López et al., 2011). Les complications orales les plus fréquentes après chimiothérapie sont les mucites, les infections, les altérations neurologiques, la tendance au saignement et l'ostéonécrose (Chaveli López et al., 2011). Des gingivites hyperplasiques sévères sont souvent rapportées (Hong et al., 2010). Plus de 40 % des patients sous chimiothérapie conventionnelle et 70 % des patients sous conditionnement pour transplantation de moelle osseuse ont des complications orales liées aux traitements (Köstler et al., 2001). Les mucites apparaissent entre 4 et 7 jours après le début de la chimiothérapie puis disparaissent en 2 à 4 semaines après son arrêt (Chaveli López et al., 2011).
La toxicité muqueuse dépend de l'agent antinéoplasique, du mode thérapeutique, de la durée et des doses administrées ainsi que des traitements concomitants (Köstler et al., 2001). L'incidence des mucites serait comprise entre 30 et 75 % (Napeñas et al., 2007). Les drogues le plus fréquemment associées aux mucites, affectant la synthèse de l'ADN, sont la doxorubicine, la bléomycine, le fluorouracil, le méthotrexate et la cytarabine (Köstler et al., 2001 ; Napeñas et al., 2007 ; Chaveli López et al., 2011). L'incidence des mucites augmente avec le nombre de cycles de chimiothérapie (Köstler et al., 2001). Des administrations à faible dose mais répétitives et prolongées seraient associées à une augmentation du risque de mucite. Une chronomodulation de la chimiothérapie diminuerait la toxicité muqueuse (Köstler et al., 2001). Il faut être particulièrement attentif aux interactions médicamenteuses avec les drogues antimitotiques. En effet, elles peuvent avoir des effets néfastes sur le fonctionnement des organes et perturber le métabolisme, notamment au niveau du rein. Il est donc indispensable d'évaluer ces fonctions avant de prescrire des antibiotiques afin d'ajuster leur type et la dose et, éventuellement, de reporter le traitement (Chaveli López et al., 2011).
Les effets négatifs d'une chimiothérapie sur la cavité buccale semblent moins prononcés sans pathologies dentaires et/ou parodontales préalables (López-Galindo et al., 2006). La cascade d'événements conduisant à la mucite peut être prévenue en diminuant le processus inflammatoire secondaire à une colonisation microbienne. Dans cet objectif, toute intervention visant à réduire le taux de pathogènes oraux peut ou doit être envisagée (Napeñas et al., 2007). Les prothèses amovibles doivent être retirées pendant le traitement cytotoxique sauf, éventuellement, pour s'alimenter. Il est conseillé d'éviter le tabac, l'alcool et une nourriture chaude ou épicée (Köstler et al., 2001). L'utilisation de chlorhexidine à 0,12 % ainsi qu'une thérapie fluorée, que ce soit par gouttière en vinyle ou par pâte fluorée, est préconisée (Chaveli López et al., 2011). Seules les complications telles que mucite, xérostomie et infection doivent être traitées pendant la chimiothérapie (Chaveli López et al., 2011).
Les effets à long terme de la radiothérapie de la tête et du cou sont l'altération de la vascularité et de la cellularité des tissus mous et des tissus osseux, l'atteinte des glandes salivaires et l'accroissement de la synthèse de collagène entraînant une fibrose ; la mucite, la modification de la fonction salivaire et le risque d'infection muqueuse sont des effets aigus de la radiothérapie (Hancock et al., 2003).
Le degré de sévérité et la durée des mucites chez les patients sous radiothérapie sont fonction de la source de radiation, de la dose cumulée, de l'intensité, du volume muqueux irradié, des habitudes de consommation de tabac et d'alcool ainsi que des facteurs de prédisposition comme la xérostomie et les infections (Köstler et al., 2001). À partir de 2 Gy/j, on constate l'apparition d'érythème muqueux dès la 1re semaine. Les effets sont moins sévères à des doses inférieures à 2 Gy/j mais durent 3 semaines (Köstler et al., 2001). L'antibioprophylaxie (polymixine E, tobramycine, amphotéricine B) élimine avec succès la microflore potentiellement pathogène et prévient les formes sévères de mucite pour les patients en cours de radiothérapie de la tête et du cou (Köstler et al., 2001).
Les dents se trouvant dans un champ d'irradiation à forte dose doivent être extraites si, bien sûr, elles sont irrécupérables mais également si elles exigent des soins restaurateurs, parodontaux ou endodontiques importants, par exemple pour des poches parodontales supérieures à 5 mm ; la prise en charge à long terme et le suivi de près des patients qui ont subi une radiothérapie s'imposent (Hancock et al., 2003).
L'hormonothérapie adjuvante, par exemple pour le cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme, présente des effets secondaires osseux. Il s'agit d'une aggravation de l'ostéoporose par les anti-aromatases, hormonothérapie fréquemment indiquée pour les cancers du sein avec la présence de récepteurs hormonaux chez la femme ménopausée. Du fait de cette ostéoporose et donc de risques osseux du type fractures pathologiques comme des fractures du col du fémur, des bisphosphonates peuvent être prescrits.
La prescription de ces traitements cause la perturbation du remodelage osseux par un effet inhibiteur sur les ostéoclastes (Marx et al., 2005). Les os de la mâchoire (maxillaire et mandibule) ont une meilleure vascularisation que les autres parties du squelette, ainsi qu'un taux de renouvellement des cellules osseuses plus rapide ; c'est pourquoi le taux de bisphosphonate s'y retrouve en plus forte concentration (Marx et al., 2005). Les ostéoblastes et les ostéocytes ont une durée de vie de seulement 150 jours. Si, pendant cette période, les ostéoclastes ne résorbent pas la matrice minérale, ce qui permet un relargage des cytokines et des facteurs de croissances induisant la formation d'une nouvelle population de cellules ostéoblastiques, alors l'os devient acellulaire et nécrotique (Marx et al., 2005).
Il existe une différence importante entre les traitements par bisphosphonates oraux et par voie intraveineuse (Sharon, 2012). La plupart des cas d'ostéonécrose liés à l'utilisation de bisphosphonate sont survenus chez des patients traités pour des métastases osseuses de tumeurs solides ou pour un myélome multiple, avec des bisphosphonates administrés par voie intraveineuse (pamidronate ou zolédronate) ; cependant, quelques cas ont été observés lors d'un traitement par voie orale pour l'ostéoporose (alendronate ou risédronate) (Abi Najm et al., 2007).
Dans les cas de prescription de bisphosphonates par voie intraveineuse, tous les gestes chirurgicaux intéressant l'os doivent être contre-indiqués (intervention à lambeau, pose d'implants...). Si une extraction doit être réalisée, une analyse du taux de CTx (télopeptide C terminal) sera préconisée. Pour une prescription de bisphosphonate par voie orale, il n'y aura pas de contre-indication formelle ; en revanche, le marqueur CTx sera analysé systématiquement avant la réalisation d'un geste chirurgical.
Le télopeptide C terminal est un marqueur spécifique du collagène de type 1 décrit par Marx en 2007. Le CTx est relâché de la matrice organique au cours de la résorption osseuse. Le résultat du test serait donc directement proportionnel à l'activité de la résorption des ostéoclastes, permettrait de mesurer le taux de remodelage osseux et, donc, de quantifier le risque d'apparition d'une ostéonécrose (Marx et al., 2007). Les CTx doivent être inférieurs à 150 pg/ml pour permettre la réalisation des gestes chirurgicaux (Paiva-Fonseca et al., 2014).
La prévalence de l'ostéonécrose chez des patients sous bisphosphonate par voie intraveineuse serait comprise entre 1 et 10 % (Woo et al., 2006 ; Khosla et al., 2007). Les cas semblent plus nombreux à la mandibule (65 %) qu'au maxillaire (26 %) et seulement 9 % des patients présentaient une atteinte à la fois à la mandibule et au maxillaire dans une étude (Woo et al., 2006).
L'inflammation gingivale et la résorption de l'os alvéolaire induite par la présence de bactéries pathogènes ont été retrouvées chez 84 % des patients atteints d'ostéonécrose dans l'étude de Marx (Marx et al., 2005). Les parodontites étaient les pathologies buccales le plus fréquemment retrouvées chez ce type de patient.
Avant la prescription d'une thérapie par bisphosphonate, le patient devrait consulter un dentiste. La communication avec le médecin traitant est essentielle ; en effet, si des soins dentaires importants tels que des avulsions, des chirurgies parodontales ou des traitements endodontiques sont nécessaires, le traitement par bisphosphonate pourra être reporté au mois suivant la fin de la thérapeutique, lorsqu'une cicatrisation muqueuse aura été obtenue ; en effet, un geste chirurgical même banal réalisé au niveau de la cavité buccale peut engendrer une ostéonécrose.
Les manifestations cliniques sont nombreuses : elles ont cependant une pathogénie commune que l'on peut mettre en évidence à l'échelle microscopique.
La cavité buccale est colonisée par près de 500 espèces bactériennes. La majorité d'entre elles fait partie de la flore commensale, alors qu'une petite partie est pathogène et responsable des maladies carieuses, parodontales et des infections aiguës ou chroniques (Paster et al., 2001). En revanche, la flore commensale devient pathogène dès lors qu'elle pénètre dans la circulation sanguine (Napeñas et al., 2007).
Les mécanismes de défense de la cavité buccale peuvent être compromis par les traitements anticancéreux tels que les chimiothérapies, que ce soit physiquement par des ulcérations ou biologiquement par la perturbation du système immunitaire. Il peut en résulter un changement global de la flore bactérienne (Napeñas et al., 2007). Les changements quantitatifs de la flore bactérienne ne sont pas systématiques, les résultats sont variables selon les études, comme cela a été rapporté par Napeñas et al. en 2007. En revanche, il a été retrouvé chez des patients en cours de chimiothérapie une modification de la flore bactérienne passant d'une prédominance de bactéries à Gram positif à des bactéries à Gram négatif (Napeñas et al., 2007). Napeñas et al., dans 6 des 7 études référencées, ont constaté une différence significative entre les flores bactériennes témoin et celles de patients ayant subi une chimiothérapie (Napeñas et al., 2007). Dans leur étude, Minah et al. ont retrouvé une augmentation du nombre de bactéries de type Gram négatif dans 25 à 50 % des sites intra-oraux chez plus de 50 % des patients (Minah et al., 1986). Fainstein et al., eux, rapportent que 33 souches étaient apparues au cours de la chimiothérapie dont 30 bacilles à Gram négatif ; cependant, 68 % de la flore avait disparu après la fin du traitement par chimiothérapie (Fainstein et al., 1981).
Les espèces bactériennes le plus fréquemment retrouvées chez les patients adultes traités par chimiothérapie étaient des bactéries à Gram négatif, notamment la famille d'Enterobacteriaceae, Pseudomonas sp. (Napeñas et al., 2007).
Les protocoles réduisant la colonisation microbienne dentaire ou parodontale sont primordiaux avant ou pendant les traitements de chimiothérapie (Chaveli López et al., 2011). En effet, la décontamination de la cavité buccale par l'élimination des bacilles à Gram négatif permet de diminuer l'incidence des mucites (Köstler et al., 2001). La prédominance de bactéries à Gram négatif intensifie le processus inflammatoire et exacerbe la formation d'ulcération, ce qui favorise la libération d'endotoxines (lipopolysaccharides) qui interagissent avec des macrophages et induisent la production de TNF alpha, d'interleukines (IL)1 et 6 (Napeñas et al., 2007). Le changement de la flore microbienne avec une abondance de bactéries à Gram négatif, particulièrement chez les patients atteints de parodontite, favoriserait l'émergence d'infections orales au cours du traitement (Köstler et al., 2001). Peterson, quant à lui, rapporte que les infections aiguës seraient le plus souvent accompagnées d'une prédominance de bacilles à Gram négatif (Peterson et al., 1987). Dans l'étude de Galili, Enterobacteria a plus souvent été isolé dans le groupe de patients hospitalisés pour une chimiothérapie que dans le groupe contrôle ; or, la présence d'Enterobacteria semblait concomitante à une diminution du nombre de globules blancs, laquelle peut être associée à la présence d'ulcérations (Galili et al., 1992).
Tous les changements secondaires aux traitements anticancéreux entraînent l'apparition de nouvelles pathologies et peuvent en aggraver d'autres.
Du fait de la baisse des défenses immunitaires, le patient sous traitement anticancéreux voit son risque infectieux augmenter considérablement. Les effets de la radiothérapie, c'est-à-dire une hypovascularisation, une hypocellularité et une hypoxie des tissus mous ainsi que la perte de capacité de remodelage des tissus mous et osseux, augmentent la susceptibilité du patient aux infections (Hancock et al., 2003).
Les principaux processus infectieux rencontrés peuvent être d'origine bactérienne (Gram négatif), fongique (Candida albicans) ou virale (Herpes simplex virus, HSV ; varicelle-zona virus, VZV ; virus d'Epstein-Barr ou Epstein-Barr virus, EBV ;cytomégalovirus, CMV) (Chaveli López et al., 2011).
Les patients atteints de cancer sur lesquels une infection parodontale aiguë a été retrouvée présentaient un taux d'infection systémique plus important que les autres du fait de l'immunosuppression (Napeñas et al., 2007).
Les infections virales Herpes Simplex Virus (HSV) et Varicella Zoster Virus (VZV) sont les plus communes. Ce sont des facteurs aggravant les mucites au cours du traitement antinéoplasique. Ces infections virales sont caractérisées par des lésions ulcéro-nécrotiques et, parfois, des vésicules labiales ou extra-orales qui apparaissent autour du 18e jour à la suite de la chimiothérapie. L'utilisation topique et systémique d'aciclovir permet de traiter ces infections orales herpétiques (Köstler et al., 2001 ; Hancock et al., 2003).
L'infection la plus fréquente chez le patient immunodéprimé est l'apparition d'une candidose. Les candidoses se caractérisent par un manteau blanc et des lésions érythémateuses situées au niveau des commissures labiales, du palais mous et de la langue (Köstler et al., 2001). Le gluconate de chlorhexidine à 0,12 % non seulement possède des propriétés antifongiques (type Candida) et antibactériennes et produit en outre un effet antiplaque. En revanche, sa teneur en alcool est susceptible d'irriter des tissus déjà inflammatoires (Hancock et al., 2003). Une prophylaxie topique avec des agents antifongiques comme la nystatine s'est révélée inefficace dans plusieurs essais cliniques. (Carpentieri et al., 1978 ; Williams et al., 1977). En revanche, une antibiothérapie aux imidazolés semble réduire significativement l'incidence et la durée des candidoses (Yeo et al., 1985 ; Samonis et al., 1990). De même, une prophylaxie antifongique systémique, fréquemment utilisée chez le patient en aplasie, permet une diminution des complications orales causées par des candidoses (Köstler et al., 2001).
La mucite est une réaction inflammatoire de la muqueuse secondaire au traitement antinéoplasique comme la radiothérapie (dans 80 % des cas) et la chimiothérapie (Chaveli López et al., 2011). Une irradiation concomitante à la chimiothérapie augmente les risques de mucite (Köstler et al., 2001).
Les effets directs de la radiothérapie et de la chimiothérapie interfèrent dans le taux de renouvellement de l'épithélium oral de 5 à 14 jours en induisant une apoptose. Les effets indirects sont la conséquence du relargage de médiateurs inflammatoires, de la perte de constituants salivaires protecteurs et de la neutropénie (Köstler et al., 2001).
La mucite apparaît entre 7 et 14 jours après le traitement antinéoplasique (Napeñas et al., 2007) puis elle disparaît en 2 à 4 semaines après la fin du traitement (Raber-Durlacher 2010).
Les premiers signes et symptômes sont la sensation de brûlure et une augmentation des sensibilités à la nourriture chaude ou épicée (Köstler et al., 2001). Les manifestations cliniques sont ensuite des érythèmes, des œdèmes ainsi que des ulcérations avec des douleurs sévères et des saignements (Napeñas et al., 2007 ; Chaveli López et al., 2011).
Les joues, les lèvres, la surface ventrale de la langue, le plancher lingual et les muqueuses du palais mou et du pharynx sont plus vulnérables que la gencive, la surface dorsale de la langue et le palais dur étant rarement touchés. Le taux de renouvellement plus rapide de ces zones muqueuses les rend probablement plus vulnérables que les autres (Köstler et al., 2001 ; Chaveli López et al., 2011). Les lésions tendent à réapparaître au même endroit à chaque cycle de mucite. Elles ne laissent généralement pas de cicatrice sauf dans les rares cas où l'infection est en cause ; en revanche, des hyperplasies gingivales et des dysplasies peuvent perdurer (Köstler et al., 2001).
La mucite s'explique par un mécanisme pathologique. Elle serait induite par une cascade d'événements inflammatoires provoquée par des agents cytotoxiques puis exacerbée par des facteurs systémiques et locaux. L'immunosuppression permettrait aux facteurs systémiques tels que l'IL1, les cytokines inflammatoires et TNF-α (tumor necrosis alpha) à s'exprimer et induire la mucite. Le flux salivaire, le traumatisme des tissus locaux et la flore microbienne sont les facteurs locaux intervenant dans ces manifestations (Sonis et Clark, 1991). Toutefois, Napeñas conclut en 2007 que les pathogènes responsables des mucites sont encore mal connus (Napeñas et al., 2007).
La mucite a été décrite par Köstler en 4 phases. La première est une phase inflammatoire et vasculaire pendant laquelle on constate un relargage de radicaux libres, de protéines modifiées et de cytokines pro-inflammatoires (IL1-β, TNF-α). Ce sont les endotoxines libérées par les bactéries qui vont provoquer le relargage de l'IL1-β et du TNF-α. Logan décrit cette première phase avec :
→ le déclenchement avec la libération de radicaux libres ;
→ la production de médiateurs de l'inflammation ;
→ l'amplification par ces derniers de la réponse inflammatoire par une autorégulation (Logan et al., 2007).
Pendant la deuxième phase dite épithéliale, entre 4 et 5 jours après le traitement cytotoxique, le degré de dommages tissulaires est directement lié au taux de renouvellement de l'épithélium oral. La troisième phase d'ulcération débute environ 1 semaine après le traitement. La desquamation de l'épithélium favorise la formation d'ulcérations exacerbées par la neutropénie. Enfin, la phase de cicatrisation, du 12e au 16e jour, dépend du taux de prolifération épithéliale, de la flore bactérienne et de l'absence de facteur interférant avec la cicatrisation comme des infections ou des irritations mécaniques (Köstler et al., 2001).
L'incidence et la sévérité des mucites sont influencées par le type de traitement antinéoplasique ainsi que par des facteurs liés aux patients. Le polymorphisme génétique responsable de la différence des réponses inflammatoires pourrait expliquer les degrés de sévérité des mucites. Des encombrements dentaires, des soins iatrogènes et toute autre source d'irritation dans la cavité buccale ont été associés à l'augmentation du risque de développer une mucite (Köstler et al., 2001).
Les mucites sévères peuvent provoquer l'interruption du traitement par chimiothérapie (Napeñas et al., 2007). Köstler propose de sucer des glaçons pendant une demi-heure pendant l'administration du traitement antinéoplasique, ce qui permettrait de diminuer l'incidence et la sévérité des mucites (Köstler et al., 2001). Clarkson préconisait également l'utilisation de glace pilée qui donnait les meilleurs résultats dans son étude parmi 8 agents prophylactiques (Clarkson et al., 2003). L'administration d'agents antimicrobiens pourrait diminuer les symptômes des mucites (Donnelly et al., 2003). Le bain de bouche le plus facile à réaliser pour traiter les mucites est un mélange de 10 ml de sel avec 10 ml de bicarbonate de soude dans 250 ml d'eau (Hancock et al., 2003). Alors que certains auteurs précisent que la chlorhexidine peut exercer un effet sur la mucite, d'autres signalent l'absence de tout effet. L'apparition d'une mucite indique la prescription d'analgésique topique et/ou systémique (Köstler et al., 2001). Keefe propose d'utiliser une solution de chlorhexidine à 0,12- 0,2 % associée à une solution de lidocaïne à 2 % pendant 30 secondes toutes les 3 ou 4 heures (Keefe et al., 2007). Des solutions avec des anesthésiques locaux sont donc souvent utilisées pour pallier les douleurs causées par la mucite (diphenhydramine, xylocaïne, lidocaïne, chlorhydrate de dyclonine) ; cependant, elles interfèrent avec le goût et contribuent à une hypo-alimentation, ce qui devrait inciter à réévaluer leur prescription (Köstler et al., 2001). L'application d'un spray de collagène synthétique est suggérée afin d'améliorer la cicatrisation (Colella et al., 2010).
Les ulcérations induites par les mucites augmentent le risque de septicémie, d'infections systémiques et de bactériémie (à streptocoque) (Napeñas et al., 2007).
Le risque d'ostéoradionécrose est expliqué par la dévitalisation progressive et irréversible des tissus osseux irradiés (Hancock et al., 2003). L'incidence de l'ostéoradionécrose observée chez les patients traités par bisphosphonate pour leur cancer est comprise entre 0,8 et 12 % (Chaveli López et al., 2011). Bagan retrouve une ostéoradionécrose pour 1 à 3 % des patients traités avec un bisphosphonate par voie intraveineuse. Le dosage sanguin de CTx, qui est celui des fragments de collagène libérés dans le sang pendant le remodelage osseux, permettrait d'évaluer le risque d'ostéoradionécrose (Bagan et al., 2009). L'incidence de l'ostéoradionécrose était de 7 % dans l'étude de Hong ; la mandibule semblait être plus atteinte que le maxillaire (Hong et al., 2010).
Un bilan suivi d'un traitement dentaire préventif est absolument indispensable et permet de réduire significativement le risque d'ostéoradionécrose. Si des bisphosphonates par voie intraveineuse sont prescrits, les soins dentaires doivent être réalisés avant le début du traitement qui peut être repoussé de quelques semaines pour terminer les soins dentaires.
Pendant le traitement par bisphosphonate par voie intraveineuse, les actes chirurgicaux même bénins sont à éviter ou à ne réaliser qu'en cas d'extrême urgence. Si des extractions sont réalisées, elles doivent être le plus atraumatiques possible, avec un curetage de l'alvéole minutieux. Le site devra être suturé. Une antibioprophylaxie est indispensable pour prévenir d'éventuelles infections. En revanche, les surfaçages doivent être différés pour éviter l'irritation de l'os alvéolaire. La pose d'implants et la réalisation d'un traitement orthodontique sont et restent contre-indiquées jusqu'à 10 ans après la fin du traitement (Chaveli López et al., 2011).
Une thrombocytopénie peut être secondaire à une chimiothérapie. Le taux de plaquettes doit être contrôlé avant la réalisation de tout acte invasif pouvant entraîner un saignement. Un taux de plaquettes inférieur à 20 000/mm3 peut engendrer des saignements spontanés, surtout en cas de gingivite (Chaveli López et al., 2011).
La chimiothérapie peut toucher les cellules des glandes salivaires et aboutir à une xérostomie (Chaveli López et al., 2011). Celle-ci est responsable d'une réduction des défenses immunitaires dans la salive, d'une augmentation de la viscosité et de l'acidité de la salive puis de l'élévation du niveau d'immunoglobulines A favorisant la croissance carieuse et infectieuse de la flore bactérienne orale (Köstler et al., 2001). L'apparition de mucite est favorisée par une xérostomie. Boire abondamment et mâcher des chewing-gums peut prévenir ce type de problème (Chaveli López et al., 2011). Les patients atteints de xérostomie à la suite d'une radiothérapie ont un risque augmenté face à la maladie parodontale, à la polycarie évolutive ainsi qu'aux infections d'origine fongique et bactérienne (Hancock et al., 2003). Une thérapie fluorée permet de diminuer le risque carieux (Hong et al., 2010). Sur la base d'une expérience de 10 ans avec 935 patients présentant des complications dentaires liées au traitement d'un cancer de la tête et du cou, Horiot conclut que l'utilisation quotidienne d'un gel de fluorure (5 000 ppm) permettait de prévenir la formation des caries dentaires induites par une xérostomie (Horiot et al., 1983).
Une dysgueusie, c'est-à-dire une perte du goût laissant un goût métallique déplaisant dans la bouche, peut apparaître quelques semaines après l'injection d'agents cytotoxiques. Cet effet secondaire a son importance. En effet, il peut interagir avec l'appétit du patient. La dysgueusie est réversible au bout de quelques semaines (Chaveli López et al., 2011).
Il est très difficile et parfois même impossible de traiter les pathologies des patients sous traitements anticancéreux. La prévention est donc indispensable pour ne pas être confronté à ce problème.
Tous les patients en oncologie devraient donc rendre visite à un dentiste avant de recevoir un traitement par radiothérapie ou chimiothérapie ou les deux ; en effet, la sévérité des complications orales peut être significativement réduite s'ils appliquent correctement les règles d'hygiène bucco-dentaire enseignées par leur praticien (Chaveli López et al., 2011). Dans son étude, Lizi constate que seulement 11,2 % des patients qui consultaient régulièrement leur praticien n'avaient besoin d'aucun soin (Lizi, 1992). C'est pourquoi une inspection de la cavité orale devrait être incluse dans le bilan diagnostique avant le début d'un traitement cytotoxique et devrait être répétée au cours du traitement (Köstler et al., 2001). Une mauvaise hygiène bucco-dentaire concomitante à des caries, une maladie parodontale ou pulpaire et des problèmes liés aux troisièmes molaires élèveraient le risque de complications orales au cours du traitement cytotoxique (Köstler et al., 2001). Un bilan dentaire précancéreux est indispensable avant le traitement par radiothérapie du fait de l'augmentation du risque d'ostéoradionécrose pour le patient qui reçoit des doses de plus de 60 Gy dans la région de la tête et du cou (Hong et al., 2010). Ce bilan influence directement la qualité de vie future du patient car les possibilités d'intervention après le traitement sont limitées (López-Galindo et al., 2006).
Un examen radiographique complet doit être réalisé avant un traitement de radiothérapie (Hancock et al., 2003). Il est préconisé pour rechercher l'éventuelle présence de lésions péri-apicales, d'altération de l'os puis pour évaluer la santé parodontale ainsi que la position des dents de sagesse.
L'application systématique d'un protocole d'hygiène bucco-dentaire peut réduire l'incidence, la gravité et la durée des complications orales et, par voie de conséquence, réduire les risques d'avoir à modifier le régime thérapeutique idéal du patient, ce qui augmente du même coup ses chances de survie (Hancock et al., 2003). Les patients qui présentent initialement une hygiène bucco-dentaire pauvre et qui sont traités avant et pendant le traitement par chimiothérapie connaissent une baisse significative du taux de complications orales associées à la chimiothérapie (López-Galindo et al., 2006). De plus, il est commun de voir une augmentation de la quantité de plaque bactérienne chez les patients à un stade avancé de la maladie cancéreuse (Chaveli López et al., 2011). Une étude de Jankovic montre que les indices de plaque de Löe et Silness d'un groupe suivi en oncologie et d'un groupe témoin sont significativement différents (Jankovic et al., 1995). Le score DMFT (decayed, missing or filled teeth, dents cariées, manquantes ou obturées) est plus élevé chez les patients suivis en oncologie que chez les autres du fait d'un nombre de dents absentes plus importants (López-Galindo et al., 2006).
Un contrôle de la plaque dentaire peut limiter les infections orales chez les patients immunodéprimés (López-Galindo et al., 2006). Or, une infection dentaire aiguë chez un patient en immunosuppression à la suite d'une thérapie anticancéreuse peut favoriser l'apparition d'une infection systémique mettant en jeu le pronostic vital (Hong et al., 2010). Les patients présentant une maladie chronique dentaire ont un risque plus élevé que les autres de développer une infection dentaire aiguë (Hong et al., 2010). Dans une étude, la profondeur de sondage était plus importante dans le groupe de patients suivi en oncologie que dans le groupe témoin, sans qu'il n'y ait de différence significative (López-Galindo et al., 2006). Dans une autre étude, une diminution significative de la fréquence des complications orales et notamment des infections sévères était relevée chez les patients traités pour leurs maladies parodontales et/ou dentaires avant le traitement cytotoxique (Chaveli López et al., 2011).
Pour prévenir les complications à la suite des traitements anticancéreux, un examen radiographique et clinique complet permettra de mettre en évidences les pathologies carieuses et parodontales, les lésions endodontiques et les soins iatrogènes. Le protocole classique proposé par Hong inclus, après une séance de motivation à l'hygiène bucco-dentaire indispensable, des soins conservateurs et endodontiques, des extractions et des surfaçages (Hong et al., 2010). Les prothèses mobiles et fixes doivent être soigneusement réévaluées et il est conseillé d'éliminer les prothèses et/ou les obturations iatrogènes au moins 3 semaines avant le début du traitement cytotoxique (Köstler et al., 2001 ; Chaveli López et al., 2011). Le protocole d'hygiène bucco-dentaire quotidien doit comprendre :
→ un brossage avec une brosse à dents souple et des dentifrices prévenant les caries ou l'inflammation gingivale ;
→ l'utilisation de brossettes interdentaires ou de fil dentaire en fonction de l'espace interdentaire ;
→ la réalisation tous les soirs d'un bain de bouche à la chlorhexidine à 0,2 % sans alcool afin de limiter l'irritation muqueuse ;
→ l'application d'un gel de fluorure de sodium neutre (5 000 ppm) dans une gouttière en vinyle 1 fois par jour pendant 5 minutes pour diminuer le risque carieux avant et après le traitement anticancéreux.
Ce traitement sera poursuivi aussi longtemps que la xérostomie perdurera (Epstein et al., 1998).
Pendant le traitement cytotoxique, la brosse à dents électrique sera évitée. En effet, elle pourrait causer des microtraumatismes, ce qui pourrait augmenter le risque infectieux (Köstler et al., 2001). L'utilisation de chlorhexidine provoque une diminution des saignements gingivaux, de l'indice de plaque et de la quantité de Streptococcus mutans dans la salive (Hong et al., 2010). Une application de fluor en gel par brossage, bain de bouche ou gouttière est fréquemment prescrite pour prévenir le risque de caries et de mucites au cours des radiothérapies (Köstler et al., 2001).
La décision thérapeutique dépend des conditions cliniques et radiographiques, de l'état immunitaire du patient ainsi que du temps disponible avant de commencer le traitement anticancéreux, d'où l'importance d'une collaboration entre l'oncologue et le chirurgien-dentiste (Chaveli López et al., 2011). Les extractions dentaires devront être prévues au moins 2 semaines avant le début du traitement et les interventions chirurgicales programmées au moins 4 à 6 semaines avant pour obtenir une cicatrisation muqueuse satisfaisante (Chaveli López et al., 2011). Si le traitement anticancéreux ne peut être différé, les soins dentaires seront poursuivis après la fin du traitement. En revanche, certains traitements anticancéreux empêcheront la réalisation de ces soins à la suite du traitement, c'est le cas des radiothérapies de la tête et du cou ou après la prescription de bisphosphonate. Dans ces situations, le chirurgien-dentiste devra contacter l'oncologue afin de retarder au maximum le début du traitement pour terminer les soins dentaires les plus importants et qui auront un impact sur la qualité de vie future du patient.
Pendant le traitement cytotoxique, le chirurgien-dentiste doit toujours contacter l'oncologue et contrôler le degré d'immunosuppression du patient lors de soins (Chaveli López et al., 2011). Une maintenance parodontale et dentaire devra être réalisée tous les 2 mois. Le protocole proposé ci-dessus s'applique. En revanche, certaines complications peuvent apparaître. Une antibiothérapie aux imidazolés pourra être prescrite en cas de survenue de candidoses (Yeo et al., 1985 ; Samonis et al., 1990). Face aux mucites, on peut éventuellement conseiller de changer le bain de bouche à la chlorhexidine par un mélange de 10 ml de sel avec 10 ml de bicarbonate de soude dans 250 ml d'eau. Pour de fortes douleurs, associer une solution de lidocaïne à 2 % pendant 30 secondes toutes les 3 ou 4 heures permettra de soulager le patient. Pour la xérostomie, il est conseillé de boire abondamment. Le chewing-gum peut également être conseillé.
Enfin, à la suite du traitement anticancéreux et si les effets secondaires ne les contre-indiquent pas, les soins dentaires pourront être poursuivis. Un protocole de maintenance devrait être mis en place dans un premier temps tous les 3 mois puis tous les 6 mois en l'absence de pathologies.
Les effets secondaires des traitements anticancéreux sur la cavité buccale sont nombreux et persistent parfois pendant plusieurs années après la fin des traitements cytotoxiques, d'où l'importance du dépistage et du traitement des pathologies dentaires avant le début des thérapies anticancéreuses permettant de prévenir les complications devant lesquelles le chirurgien-dentiste se retrouve souvent impuissant. Le traitement anticancéreux débute souvent dans la précipitation, en négligeant des soins dentaires moins importants mais qui peuvent influencer directement la qualité de vie future du patient.
Brice Houvenaeghel