Article
Marcel G. LE GALL 1* Nicolas LE GALL 2**
*1- Docteur en chirurgie dentaire, formation en odontologie, Roquebrune-Cap-Martin
**2- Docteur en chirurgie dentaire, Lorient
Résumé
L'objectif de cet article est de chercher à savoir s'il existe une corrélation entre le concept occlusal appliqué à la prothèse implantaire et l'évolution du niveau osseux périphérique.
Des implants de même concept d'émergence, mais de marques différentes, ont permis de mener une étude rétrospective longitudinale comparative entre un groupe témoin réglé en protection canine suivi pendant 2 ans et une série de 40 implants unitaires, ou solidarisés par deux, suivis pendant une période de 1 à 8 ans, équilibrés en simulant et équilibrant la mastication, sur les faces occlusales des dents postérieures.
Les gains de niveaux osseux verticaux, obtenus autour des implants bénéficiant d'un réglage fonctionnel minutieux des dents postérieures et antérieures, sont significatifs (+ 1,3 mm en moyenne). Ils indiquent clairement que les forces transmises par les faces occlusales sont bien régulées, avec un niveau optimal de stimulation osseuse. Cela n'est pas le cas pour le groupe témoin, composé d'implants de même concept dont le réglage se limite à la seule protection canine en latéralité et sur lequel des pertes osseuses sont observées au niveau crestal.
The aim of this article is to well know if there is a correlation between the occlusal concept applied to the implant prosthesis and the level evolution of the peripheral bone.
A comparative retrospective follow-up study has been done with implants of similar emergency concept, between a control group, only balanced in canine protective occlusion (CPO), followed during 2 years and a second group of 40 single implants or connected by 2, followed during a period ranging from 1 to 8 years, balanced with simulation of real chewing function, on occlusal posterior teeth.
The measures of the vertical bone level evolution are indisputable. The significant level bone augmentation around meticulously functional balanced implants is + 1,3mm in average. It shows clearly that the bone transmitted forces are regulated in an optimal stimulation range. It is not the case, for the implants with a balancing, only limited to CPO, where bone loss is observed at the crestal level.
La biomécanique comparée des implants et des dents naturelles a donné lieu à de très nombreuses études et publications qui ont largement validé l'ostéo-intégration (Adell et al., 1981) et qui ont, entre autres, suscité des évolutions de la forme des implants et de leurs composants prothétiques. Elles ont également permis de mieux gérer les tissus péri-implantaires (Saadoun et Le Gall 1992, 2003 ; Saadoun et al., 1994), d'améliorer les résultats esthétiques et d'évoluer vers la mise en charge immédiate (Le Gall et Le Gall, 2006) ou précoce des implants.
Un domaine suscite encore des interrogations : celui du choix du schéma occlusal optimal à appliquer aux prothèses sur implants comme aux dents naturelles.
Les études expérimentales chez l'animal montrent que l'application, sur un implant, de forces axiales ou obliques et d'intensité moyenne à forte se traduit rapidement par une perte osseuse autour du col et du corps de l'implant, perte d'autant plus importante que l'intensité de la force est élevée (Isidor 1997a, 1997b ; Miyata et al., 2000, 2002).
Dans l'étude présentée ci-après, le modèle clinique d'ajustement occlusal est différent. Il a pour but de régler des guidages et contacts bien équilibrés et coordonnés pendant la mastication et la déglutition, avec des niveaux de charge occlusale maîtrisés, sans surguidages ni interférences occlusales (Le Gall et Lauret, 2011). Or, les études déjà publiées ont utilisé le modèle occlusal habituel qui est contestable (Rinchuse et al., 2007) car il ne prend pas en compte la fonction réelle (Misch et Bidez, 1994) et donne des résultats irréguliers, car l'équilibration occlusale est très souvent incomplète.
Les conséquences sur l'os de l'application du modèle fonctionnel, se référant à la mastication et à la déglutition (Lauret et Le Gall, 1994, 1996), n'ont pas encore été évaluées.
L'objectif de cet article est de décrire sommairement ce modèle fonctionnel puis d'évaluer l'évolution du niveau osseux péri-implantaire sur un groupe équilibré selon ce modèle fonctionnel et de le comparer à celui d'un groupe témoin réglé en protection canine.
Sur les dents naturelles, les parodontistes, à la suite de l'école suédoise, ont montré que la perte osseuse est d'origine infectieuse, qu'elle dépend largement de la réponse de l'hôte et que dans ces conditions, l'occlusion est seulement un cofacteur des maladies parodontales.
Classiquement, les écoles occlusales présumaient que la perte osseuse pouvait également être d'origine occlusale seule, sans avoir jamais pu le prouver.
En ce qui concerne les implants, plusieurs publications ont montré que :
– l'infection peut être responsable de perte osseuse péri-implantaire ;
– la surcharge mécanique est la seule étiologie de la fracture des composants implantaires ;
– la surcharge mécanique peut être seule responsable de perte osseuse (Misch et al., 2005).
L'application à l'os de forces faibles – de 50-100 à 1 500 micropascals (μPa) (microstrains) –, qui provoquent sa déformation légère (de 0,005 à 0,15 %), stimule la cicatrisation osseuse et provoque son remodelage (Cowin et al., 1991 ; Frost, 2004).
En revanche, des forces d'intensité moyenne – de 1 500 à 4 000 μPa –, qui provoquent de 0,15 à 0,40 % de déformation (implants articulaires, orthopédie dento-faciale, implantologie), peuvent entraîner une résorption osseuse même en l'absence de germes (Chiba et al., 1994 ; Frost, 2004). Le seuil de passage de la stimulation à la résorption semble assez brutal car les forces appliquées sont directes et amplifiées par l'absence d'amortissement du ligament. Des études complémentaires devraient être réalisées sur cet effet de seuil pour mieux en préciser les limites, savoir si elles sont individualisées et si elles évoluent ou non avec le temps chez un même patient.
Des forces importantes, de 10 000 à 20 000 μPa, correspondant à une déformation de 1 à 2 %, peuvent provoquer la fracture des trabéculations osseuses péri-implantaires, indiquant une corrélation directe entre traumatisme occlusal et perte osseuse (Misch et al., 2005).
Au-delà de ces valeurs, les composants implantaires peuvent se fracturer (Kohavi, 1993 ; Gyllenram, 1994) en fonction du type d'os, du grade du titane et des caractéristiques de forme et de diamètre de l'implant et de son pilier.
Dans ces conditions, en fonction des spécificités implantaires, comment régler les faces occlusales des prothèses implantaires afin d'éviter les forces d'intensité moyenne à forte et de maintenir, si possible, les forces occlusales dans la fourchette de stimulation osseuse ?
L'ostéo-intégration des implants a au moins deux conséquences biomécaniques importantes :
– l'absence des mécanorécepteurs parodontaux (Jacobs et Van Stenberghe, 1991 ; Hämmerle et al., 1995) réduit la perception des malocclusions par le système nerveux central et, donc, sa capacité d'installer des mécanismes permettant de les éviter ;
– l'absence de ligament réduit considérablement la mobilité des implants par rapport à celle des dents naturelles et amplifie les malocclusions, qui sont mal perçues par le patient et non évitées (Sekine et al., 1986 ; Gyllenram, 1994). La mobilité clinique des dents voisines et opposées est un facteur clé (Le Gall et Lauret, 2002). Si elle est réduite, leur équilibration pendant la mastication et la déglutition sera similaire à celle des dents naturelles voisines (fig. 1 à 3). En revanche, si elle est importante, le risque de surcharge incontrôlée sur les implants sera très élevé et imposera une équilibration spécifique des implants unitaires ou, lors de grandes restaurations, l'obligation de réaliser des contentions étendues pour réduire la mobilité de l'ensemble afin de mieux l'équilibrer (Le Gall et Saadoun, 2004 ; Le Gall et Lauret, 2002, 2011 ; Le Gall, 2013a, 2013b). Lors de la première année de mise en fonction, une adaptation et un remodelage de l'os péri-implantaire sont classiquement décrits (Roberts et al., 1989). Pendant cette période, les implants classiques à connexion hexagonale de Brånemark montrent une perte osseuse au col (Adell et al., 1986), alors que d'autres formes d'implants montrent une variation des remaniements (Karousis et al., 2004 ; Zechner et al., 2004) en perte ou en gain osseux (Le Gall et Lauret, 2011). En effet :
• les racines et l'os cortical ont le même module d'élasticité ou module de Young (Kittel, 1998) alors que celui du titane est de 5 à 10 fois supérieur (Lemons et Philips, 1993). La raideur d'un implant dépend non seulement de sa rigidité (son module de Young) mais aussi du rapport entre sa section et sa longueur. Par exemple, un ressort en acier très dur peut être beaucoup plus flexible qu'une pièce massive en résine acrylique, pourtant moins dure mais beaucoup plus raide (Kittel, 1998), ce qui indique que sur les implants cylindriques de faible diamètre, les contraintes transversales pourront être très amplifiées,
• l'absence de ligament provoque une réponse directe à la charge (Sekine et al., 1986),
• la conséquence de ces deux phénomènes est la présence d'une zone de stress de grande ampleur au niveau de la crête osseuse (Kilamura et al., 2004),
• à la fin de la première année de mise en charge, la mesure radiologique de la perte osseuse montre qu'elle a un contour semblable à celui de la zone de tension maximale (Zechner et al., 2004). Ces résultats impliquent directement l'occlusion dans la perte osseuse. Une autre étude implique également le traumatisme occlusal incontrôlé dans la perte osseuse (Ektessabi et al., 1997, 1999). Mais, dans ce cas, il est secondaire à la corrosion fissurante du titane dans les zones de faiblesse, résultant des impacts occlusaux,
• la forme de l'implant, son diamètre, son orientation et son état de surface peuvent aussi modifier le niveau de perte osseuse.
Mais d'autres causes peuvent également être responsables de perte osseuse primaire où secondaire, comme la reconstruction de l'espace biologique, le traumatisme opératoire, la multiplication des chirurgies (Misch et al., 2005), le manque d'épaisseur des corticales et, bien entendu, l'infection.
Mais finalement, l'intensité et la façon dont les forces sont transmises à l'os par le complexe implantaire dépendent de l'anatomie de la face occlusale et de la façon dont elle est équilibrée. L'immobilité des implants amplifie considérablement les conséquences des malocclusions qui, de plus, sont mal perçues. Dans ces conditions, des modifications occlusales même légères, mais mal équilibrées (par addition ou soustraction), peuvent avoir des conséquences négatives sur la pérennité de l'implant (Le Gall, 1996, 1997, 2013a, 2013b, 2015 ; Le Gall et Lauret, 2002, 2011).
Le modèle occlusal habituel est issu de la théorie gnathologique (Mac Collum, 1939). Il applique deux grands principes :
– la relation mandibulo-maxillaire et l'occlusion d'intercuspidation maximale (OIM) sont situées dans une position de relation centrée (RC) articulaire obtenue par manipulation. « Cependant, de nombreuses notions passées en dentisterie [...], particulièrement celles relatives à la gnathologie, n'ont pas résisté au test du temps ou aux rigueurs de la science » (Rinchuse et al., 2005) ;
– les mouvements dynamiques sont réglés en latéralité en appliquant le principe de protection canine introduit plus tardivement (d'Amico, 1958). « La protection canine est enseignée comme un fait prouvé, néanmoins [...] l'occlusion en protection canine, comme type optimal d'occlusion fonctionnelle, est équivoque et contestée par la littérature fondée sur la preuve » (Rinchuse et al., 2007).
Les connaissances acquises en physiologie montrent que notre modèle de fonctionnement naturel est fondé sur la mastication (Lauret et Le Gall, 1994, 1996 ; Le Gall et al., 1994 ; Le Gall, 1997, 2013a ; Le Gall et Lauret, 1998, 2011) et la déglutition (Le Gall et al., 2010 ; Le Gall, 2013a).
L'observation et la simulation de la mastication montrent que les cycles ont une orientation centripète et que des contacts et guidages harmonieux sont objectivés du côté mastiquant, sur toute l'étendue des faces occlusales des dents postérieures, sous la pression des muscles masticateurs élévateurs, alors que le mouvement inverse de latéralité ne permet pas de les mettre en contact et de les équilibrer (Le Gall et al., 1994).
Le seul réglage en protection canine laisse sur les faces occlusales des incoordinations des guidages fonctionnels (surguidages et sous-guidages) qui sont :
– amplifiées par l'immobilité des implants ;
– mal détectées par le déficit de proprioception, donc mal ou non évitées ;
– potentiellement dangereuses pour la pérennité des implants.
Lors de la pose, la vérification et l'équilibration de l'enveloppe de mastication reste donc la règle car les articulateurs mécaniques habituels ne reproduisent pas correctement cette cinétique (Le Gall et Lauret, 2011). La solution viendra probablement de la modélisation numérique 3D.
Par ailleurs, la relation centrée n'est pas accordée avec l'occlusion d'intercuspidation maximale (Ingervall, 1964 ; Sicher et Dubrul, 1975), notre référence naturelle, chez plus de 95 % des patients (Posselt, 1968 ; Joerger, 2005 ; Joerger et al., 2012). Les contacts occlusaux nécessaires à la déglutition sont naturellement situés en OIM (Le Gall et al., 2010 ; Le Gall, 2013b).
L'association simultanée de deux protocoles déjà utilisés séparément (Le Gall et al., 2010 ; Le Gall, 2013a, 2013b) – la posture linguale de déglutition et l'utilisation d'une butée antérieure de déprogrammation modifiée (Le Gall et al., 2010) – permet d'accéder aisément à l'OIM naturelle, de façon autodéterminée par le patient, avec des surfaces articulaires en relation fonctionnelle.
En présence d'un implant, la mobilité des dents adjacentes et opposées doit être prise en compte, en particulier lors de l'équilibration initiale dans un os qui n'a encore pas fait son adaptation aux nouvelles forces fonctionnelles qu'il est chargé de dissiper.
En cas de doute, le protocole clinique appliqué dans cette étude et en pratique habituelle consiste à faire une mise en charge progressive sur la prothèse transitoire. Dans tous les cas, la mise en charge initiale de la prothèse d'usage est réalisée avec prudence (Le Gall et Lauret, 2002, 2011) (fig. 4 et 5).
– sous pression occlusale légère, les contacts et guidages sur l'implant doivent exister mais être moins marqués que sur les dents naturelles voisines afin que sous la pression plus forte, les contacts de déglutition et les guidages de mastication de l'implant soient équilibrés avec ceux des dents naturelles voisines ;
– lors de l'équilibration initiale, la face occlusale ne doit jamais supporter des contacts ou des guidages dominants. Un ou 2 ans plus tard et sans aucune modification, du fait de l'usure physiologique des dents naturelles (Lambrechts et al., 2006), les guidages apparaîtront généralement bien équilibrés avec les dents voisines (fig. 6 et 7).
C'est totalement différent dans un os solide ou ayant fait son adaptation, où l'implant peut partager aisément toutes les forces fonctionnelles.
Il s'agit d'une étude rétrospective portant sur un groupe randomisé comportant 30 patients et sur 40 implants unitaires ou connectés par deux. Un seul implant était connecté à une dent naturelle. Les prothèses ont toutes été scellées et le ciment a été nettoyé minutieusement. Ces implants ont tous été posés et les prothèses équilibrées par les deux auteurs.
Selon les critères habituels du cabinet, la chirurgie d'insertion est peu invasive et le maintien ou le rétablissement d'un anneau de fibromuqueuse péri-implantaire est la règle. Les implants ont été posés sur des patients des deux sexes, en bonne santé parodontale et générale, sur des arcades déjà édentées ou à la suite d'extractions consécutives à des problèmes infectieux, des traumatismes, des fractures, ou pour d'autres raisons. Les patients fumeurs et présentant un niveau d'hygiène insuffisant n'ont pas été retenus. Certaines patientes traitées par bisphosphonates ont été retenues en accord avec leur médecin.
Le groupe comporte 21 femmes (27 implants) et 9 hommes (13 implants), dont l'âge est compris entre 35 et 70 ans.
Les niveaux osseux de 36 implants ont pu être mesurés avec précision et retenus pour l'étude, ce qui représente 22 implants molaires et prémolaires et 14 implants antérieurs. Les mesures osseuses ont toutes été prises par le premier co-auteur et vérifiées par le second. Les radiographies rétroalvéolaires ont toutes été prises à l'aide d'un angulateur et la grille de mesure numérique a été ajustée sur le pitch interspire apparent sur chaque radio. Sa valeur réelle connue est de 0,9 mm pour ce type d'implant. Elle a permis de calculer l'évolution du niveau osseux (fig. 8 à 20).
Le suivi s'est étendu de 1 à plus de 8 ans, pour certains patients. La moyenne a été de 43,7 mois.
Ce groupe inclut tous les patients avec 1 ou 2 implants, ayant pris un rendez-vous de contrôle de façon aléatoire durant les 5 mois qui ont précédé l'arrêt de l'activité professionnelle du premier auteur.
Trois patients anciens, ayant déjà fait l'objet de publication, ont été ajoutés.
Les implants utilisés sont de type Swiss Plus® coniques (Zimmer Dental, Rungis). Ils sont posés en un temps chirurgical. Leur tête d'émergence est évasée, en titane usiné sur la partie supérieure et microtexturé ensuite. Cette tête, de 4,8 mm de diamètre, est identique à celle du groupe témoin.
Chaque fois que possible, les premières mesures de référence osseuse sont prises lors de la pose de la prothèse permanente et de sa mise en fonction, mais parfois bien après. Les mesures radiologiques, mésiales et distales, permettent d'établir une moyenne du niveau osseux pour chaque implant. En cas de difficulté, dans les sites d'extraction, la première mesure de référence est prise au niveau de la dernière spire, augmentée de la valeur d'une spire pour se situer à la limite du col usiné et ne pas surestimer les éventuels gains osseux.
L'OIM, en harmonie ou compatible avec la déglutition, a été vérifiée et les faces occlusales ont été minutieusement équilibrées pendant la mastication réelle (Le Gall, 2013).
Le groupe témoin est tiré d'une étude réalisée par Akça et Çehreli (Akça et Çehreli, 2008). Il est constitué de 49 restaurations fixes de 3 éléments et porte sur 64 implants, dont 34 sont connectés à une dent naturelle et 30 sont uniquement supportés par 2 implants. Ce sont des implants en un temps chirurgical Sin Octa® (Straumann France, Marne-la-Vallée), dont la tête d'émergence de 4,8 mm est brevetée, brevet partagé avec la société Zimmer Dental®.
L'occlusion dynamique est réglée en protection canine et la durée du suivi est de 2 ans. La seule véritable différence entre les deux groupes est le concept occlusal, qui est classique pour le groupe témoin et fonctionnel pour le second groupe. La comparaison des résultats au niveau osseux peut donc avoir une pertinence dans le choix du concept occlusal.
Contre toute attente, dans le groupe témoin, il y a une augmentation significative du niveau osseux autour des implants reliés à une dent naturelle (gain moyen : 0,189 mm) et une perte osseuse plus importante (perte moyenne : 0,285 mm) autour des restaurations seulement supportées par des implants.
Dans ces deux études, l'occlusion a été équilibrée en protection canine, donc avec la présence très probable de malocclusions postérieures, car la mastication n'a pas été équilibrée. Il est donc possible de proposer l'interprétation suivante :
– dans le cas des bridges reliant une dent et un implant, deux mécanismes peuvent être retenus, sans pouvoir préciser leur niveau d'implication :
• d'une part le différentiel d'amortissement entre dent et implant qui génère des forces faibles au col de l'implant, donc stimulantes pour l'os, d'où le gain osseux,
• d'autre part les mécanismes d'évitement générés par les mécanorécepteurs de la dent naturelle, qui modèrent les impacts sur les malocclusions ;
– concernant les bridges sur implants, les mécanorécepteurs sont absents, les forces sont mal régulées et les patients mastiquent sur les malocclusions. Les forces développées sont d'intensité moyenne à forte et responsables de la perte osseuse (Chiba et al., 1994 ; Frost, 2003).
Sur les 40 implants étudiés, les mesures de 36 d'entre eux ont été retenues. Un des 4 implants non retenus présentait des malocclusions ; pour un autre, il n'a pas été possible de déterminer la part de gain revenant soit au traitement de la péri-implantite soit à l'occlusion ; pour les deux derniers, le gain osseux obtenu n'a pas pu être mesuré avec précision.
Sur les 36 implants retenus, le gain osseux moyen est de 1,33 mm avec un suivi moyen de 43,7 mois. L'écart type général est de σ = 1,51, indiquant des données homogènes, non dispersées. Le gain osseux moyen est élevé et significatif (fig. 21).
Les implants ont été divisés en trois groupes en fonction de la longueur du suivi :
– pour le groupe D, le suivi a été de 4 à plus de 8 ans. Le groupe comprend 15 patients et 19 implants dont 16 implants retenus (13 postérieurs, 3 antérieurs). Le gain osseux moyen est de 1,72 mm. Il se situe dans une fourchette qui va de + 1 à + 2,97 mm, avec un écart type de σ = 1,74. Les données sont assez homogènes, peu dispersées et le gain moyen osseux est très important ;
– pour le groupe C, le suivi a duré de 2 à moins de 4 ans. Le groupe comprend 12 implants et 8 patients. Les 12 implants ont été retenus (5 postérieurs et 7 antérieurs). Le gain osseux moyen est de 0,94 mm (de 0 à + 2,25 mm) ;
– pour le groupe AB, le suivi a été inférieur à 2 ans. Le groupe réunit 7 patients et 9 implants dont 8 ont été retenus (4 antérieurs, 4 postérieurs). Le gain osseux moyen est de 1,2 mm (de 0 à + 2,25 mm).
Dans les groupes AB et C, le gain moyen osseux des 20 implants est de 1,02 mm avec un écart type de σ = 1,25, indiquant des données très homogènes et non dispersées.
Sur les 22 implants posés aux niveaux molaire et prémolaire, le gain osseux moyen est de 1,45 mm avec un suivi moyen de 48,5 mois. L'écart type de σ = 1,58, indiquant des données homogènes et peu dispersées.
Quatorze implants ont été posés au niveau incisivo-canin, avec un gain osseux moyen de 1,15 mm pour un suivi moyen de 36 mois.
Sur les 3 cas d'implants mandibulaires postérieurs, connectés par deux, il a été constaté une croissance progressive du sommet de la crête osseuse interimplant sous-jacente à la papille. Pour chacun des cas, elle est respectivement de 0,8 mm en 12 mois, 2 mm en 79 mois et 2,16 mm en 58 mois.
Dans les secteurs postérieurs, où les forces occlusales sont bien plus élevées que dans le secteur antérieur, le gain moyen atteint 1,45 mm avec un suivi moyen de 48 mois, contre 1,15 mm en antérieur.
Ces chiffres sont étonnants et à comparer avec ceux d'Akça et Çehreli, qui sont négatifs pour les implants seuls, mais pour une période de seulement 2 ans (Akça et Çehreli, 2008).
Ces chiffres indiquent clairement que le réglage occlusal minutieux pendant la mastication rend les faces occlusales non traumatiques, avec des forces bien réparties et maintenues dans la fourchette de stimulation osseuse. La conséquence est l'obtention de gains osseux inespérés et l'amélioration radiologique de la densité osseuse (qui n'a pas été évaluée). Cette amélioration, de hauteur et densité, est importante et ne se limite pas à une seule année mais se poursuit dans le temps. Ce sont les implants postérieurs, où les forces appliquées sont les plus élevées et avec le suivi le plus long, qui affichent souvent les meilleurs résultats en gain et densité osseux. Même les crêtes osseuses entre implants postérieurs connectés se sont reconstruites, dans des conditions cliniques allant au-delà des règles proposées par Tarnow (Tarnow, 1992, 2000). Les publications initiales (Roberts et al., 1989), limitant les remaniements osseux à une seule année, ne sont pas confirmées par ces résultats. Tant que l'os est maintenu en stimulation, il est probable que des remaniements se poursuivent mais en diminuant progressivement avec le temps. Au contraire, si l'équilibration occlusale est incomplète, des pertes osseuses significatives sont mesurées au moins pendant les deux premières années dans le groupe témoin. Mais nous n'avons pas de réponse à long terme. Des études complémentaires mériteraient d'être menées, mais elles n'auront de sens qu'en prenant en référence le modèle fonctionnel naturel et en abandonnant le modèle classique, qui montre ici ses limites et les risques pris, en implantologie, à se limiter à une équilibration occlusale approximative, sans oublier la frontière entre stimulation et perte osseuse, qui est peut-être individualisée et variable dans le temps, dans des limites et avec des paramètres non encore totalement maîtrisés.
Il convient donc d'être prudent, par exemple en présence de bruxisme où l'on peut passer très vite du meilleur au pire. L'application du seul modèle occlusal gnathologique peut être dangereuse pour la pérennité des implants. Car avec ce seul réglage, les faces occlusales conservent des malocclusions sur lesquelles se développent des forces incontrôlées, responsables de perte osseuse. Aucune approximation occlusale n'est possible en implantologie.
Avec les critères appliqués au choix de l'implant et les protocoles utilisés, l'observation de mucosites et de péri-implantites a beaucoup diminué. La présence d'inflammation autour des implants peut être directement et seule responsable de perte osseuse ou potentialiser l'effet d'une malocclusion et réciproquement. Car en implantologie, à la différence de la parodontologie, la surcharge occlusale peut également être seule responsable de la perte osseuse et l'inflammation être uniquement un cofacteur.
Une autre question se pose au vu de ces résultats : faut-il réévaluer la possibilité d'une étiologie occlusale en parodontologie ? Gains et pertes osseux sur les implants ne semblent pas affecter, ou peu, les dents naturelles voisines. Pourquoi ? C'est vraisemblablement l'effet amortisseur et les mécanismes d'évitement dus au ligament qui limitent, sur les dents naturelles, les conséquences des impacts occlusaux, en stimulation comme en destruction osseuse. Ce facteur est peut-être de nature à expliquer pourquoi un rôle étiologique réduit a seulement été reconnu à l'occlusion en parodontologie.
Cette étude clinique, réalisée en cabinet privé, a été décidée a posteriori au vu des gains osseux radiologiques observés mais non attendus. Le protocole n'a pas pu être systématisé en durée et le suivi radiographique a été irrégulier, ce qui n'a pas permis d'incorporer à l'étude un nombre de patients plus importants, avec des résultats très probablement similaires à ceux constatés, voire encore plus significatifs. Malgré la grande dispersion en âge des patients, liée à leur choix aléatoire, la moyenne générale des écarts types est de σ = 1,51, qui indique des données homogènes et peu dispersées. Cela semble confirmer que l'adaptation osseuse se réalise et se poursuit dans de bonnes conditions quel que soit l'âge, que le schéma occlusal fonctionnel est pertinent quelle que soit la période de la vie et que cette dispersion en âge ne limite pas ou très peu l'interprétation statistique.
Sur ces implants en un temps, une prothèse immédiate a très souvent été réalisée, lorsque la stabilité primaire a été jugée suffisante. Les taux de succès publiés dans ces conditions (98,6 % pour 426 implants) sont comparables aux mises en charge différées et ne limitent donc pas l'interprétation des données (Le Gall et Le Gall, 2006).
Les implants ont été posés sur des crêtes cicatrisées ou dans des alvéoles immédiatement après extraction. Dans ce dernier cas, les gains osseux sont plus difficiles à évaluer, en fonction de la cicatrisation et du positionnement vertical de l'implant dans l'alvéole, mais les résultats semblent au moins similaires, en gain osseux, à ceux sur crêtes cicatrisées.
Cette étude comparative préliminaire montre des gains de niveau osseux significatifs autour des implants, qui s'améliorent progressivement pendant plusieurs années. Ces résultats sont inhabituels dans l'analyse de la pérennité des implants où il est habituel de s'interroger sur l'étiologie infectieuse ou mécanique de la perte osseuse péri-implantaire. Dans ce contexte, les facteurs de risque infectieux sont bien évalués mais il n'en est pas de même des facteurs mécaniques qui sont référés au modèle de fonctionnement habituel prétendument fonctionnel, mais qui ne l'est pas car il est incapable de rendre compte de la mastication et de la déglutition (Lauret et Le Gall, 1994, 1996 ; Le Gall et Lauret, 2011 ; Rinchuse et al., 2005, 2007). C'est une erreur fondamentale car les équilibrations occlusales qui en résultent sont approximatives et incomplètes. L'analyse des pertes et des gains osseux autour des implants montre qu'ils sont en relation directe avec le protocole d'équilibration appliqué et que le modèle de fonctionnement occlusal classique doit être changé, pour la sécurité des implants et la crédibilité de l'occlusion.
La théorie organo-fonctionnelle de l'occlusion (Le Gall, 2013a, 2013b), fondée sur la physiologie de la déglutition et de la mastication, permet d'intégrer la gnathologie en la corrigeant. Ce modèle d'occlusion (Le Gall et Lauret, 2011) rend compte de toute la cinétique fonctionnelle, explique les relations statiques et dynamiques qui existent entre la forme et la fonction des différents composants de l'appareil manducateur et donne une explication cohérente aux liens qui existent entre les désordres de l'appareil manducateur et l'occlusion. Mais ce qui compte le plus ce sont les résultats cliniques réguliers qu'il permet, comme ceux observés ici.
Des études prospectives complémentaires doivent être menées en prenant comme référence le modèle occlusal naturel de fonctionnement. Ces études devraient permettre de mieux comprendre tous les paramètres déterminants de la stimulation et de la perte osseuse, et de montrer qu'en assurant une meilleure maîtrise clinique de l'ajustement occlusal, il est possible d'optimiser facilement la pérennité des implants et des prothèses qu'ils supportent.