Article
Salvatore D'AMATO 1* Giancarlo PONGIONE 2** Dardo MENDITTI 3*** Mario SANTAGATA 4****
*1- Professeur agrégé en chirurgie maxillo-faciale
Département multidisciplinaire de médecine et de dentisterie
Azienda Universitaria Policlinico
Deuxième université de Naples (Italie)
**2- Docteur en biocompatibilité des matériaux dentaires
Deuxième université de Naples
Université de Sienne
Exercice privé, Naples (Italie)
***3- Professeur agrégé en chirurgie buccale
Département multidisciplinaire de spécialités médicales et dentaires, Deuxième Université de Naples (Italie)
****4- Département multidisciplinaire de médecine et de dentisterie
Azienda Universitaria Policlinico
Deuxième université de Naples (Italie)
RÉSUMÉ
L'approche pluridisciplinaire est fondamentale pour réussir un traitement dans des situations où fonction et esthétique sont difficiles à obtenir. Le but de cet article est de présenter toutes les étapes du traitement d'une fracture du prémaxillaire associée à une fracture de la 21. Un patient, âgé de 25 ans, s'est présenté à la consultation de chirurgie à la suite d'un accident de la route ayant provoqué une fracture radiculaire sous-périostée de la 21 et une nécrose post-traumatique de la 11. La fracture de la 21 a nécessité son avulsion et son remplacement par un implant. Avant d'entreprendre l'extraction, il a été décidé de réaliser le traitement endodontique de la 11 et de la 21 puis une extrusion orthodontique de la 21 afin de reconstruire le futur site implantaire. Le traitement orthodontique a également corrigé la classe III ainsi que l'occlusion inversée au niveau des dents postérieures. Une fois ce traitement terminé, un implant immédiat (NobelReplace Platform Shift 5.0 × 13) a été posé. Au bout de 6 mois, le traitement s'est terminé par la pose d'un pilier en zircone Procera sur l'implant 21, des couronnes tout céramique sur 11 et 21 et des facettes en céramique sur 12 et 22.
The interdisciplinary approach is fundamental to achieve the success in difficult functional and aesthetic cases. The aim of this article is to show all the steps for the treatment of a pre-maxilla fracture with sub-periostal fracture of 2.1 tooth. The patient, 25 years old, came to our surgery after a car accident in which he suffered sub-periostal root fracture on 2.1 and traumatic necrosis on 1.1. Due to the fracture 2.1 had to be extracted and substituted with an implant. Before starting with the extraction we decided to do the endodontic treatment of 1.1 and 2.1 and then the orthodontic extrusion of 2.1 in order to reconstruct the implant site. In addition the orthodontic treatment resolved the III class and the cross bite on the posterior teeth. After this treatment an extraction of 2.1 was done and an immediate implant (Nobel Replace Platform Shift 5.0 × 13) was inserted. After 6 months the case was finished with a Procera zirconium abutment on 2.1, metal free crowns on 1.1 and 2.1 and ceramic veneers on 1.2 and 2.2.
Depuis 10 ans, l'implantologie postextractionnelle dans les zones esthétiques est devenue une option importante dans le rétablissement de l'esthétique et la restauration du sourire ainsi que pour traiter de nombreuses atteintes parodontales (Atieh, 2013). Cependant, cet objectif peut être atteint grâce à une approche pluridisciplinaire à la fois diagnostique et pronostique. L'objectif thérapeutique est le rétablissement esthétique et fonctionnel d'un patient souffrant d'une fracture de l'os frontal supérieur, d'une fracture du prémaxillaire et d'une fracture radiculaire sous-périostée de la 21 (D'Amato et Redemagni, 2014 ; Redemagni et al., 2013).
L'approche pluridisciplinaire est fondamentale pour traiter avec succès les cas où fonction et esthétique sont difficiles à obtenir. Le but de cet article est de présenter toutes les étapes du traitement d'une fracture du prémaxillaire associée à une fracture de la 21. Le patient, âgé de 25 ans, s'est présenté à la consultation de chirurgie à la suite d'un accident de la route ayant provoqué une fracture radiculaire sous-périostée de la 21 et une nécrose post-traumatique de la 11. La fracture de la 21 a nécessité son avulsion et son remplacement par un implant. Avant d'entreprendre l'extraction, il a été décidé de réaliser le traitement endodontique de la 11 et de la 21, puis une extrusion orthodontique de la 21 (Brindis et Block, 2009 ; Danesh-Meyer et Brice, 2000) afin de reconstruire le futur site implantaire. Le traitement orthodontique a également corrigé la classe III ainsi que l'occlusion inversée au niveau des dents postérieures. Une fois ce traitement terminé,un implant immédiat (NobelReplace Platform Shift 5.0 × 13) a été placé (Saadoun et Sebbag, 2004). Au bout de 6 mois, le traitement s'est terminé par la pose d'un pilier en zircone Procera sur l'implant 21, des couronnes tout céramique sur 11 et 21 et des facettes en céramique sur 12 et 22.
Le patient, âgé de 25 ans et accidenté de la route (fig. 1), présente une mobilité des incisives supérieures avec un abcès et une nécrose sur la 11 ainsi qu'une fracture radiculaire sous-périostée avec exposition pulpaire de la 21 (fig. 2 et 3). La radiographie montre un élargissement de l'espace desmodontal sur la 11 et une fracture avec exposition pulpaire de la 21 (fig. 3).
Par ailleurs, le patient présente une malocclusion avec une version palatine de la partie frontale supérieure et un surplomb inversé. Après le traitement endodontique des 11 et 21 réalisé en urgence, le traitement de ce cas s'est avéré extrêmement compliqué en raison de la fracture radiculaire de la 21 en situation infra-osseuse et de la mobilité des dents et de l'os alvéolaire.
Les objectifs du traitement orthodontique sont les suivants :
– réduction non sanglante de la fracture avec rétablissement d'un surplomb incisif normal autorisant une restauration prothétique ;
– préparation du site implantaire grâce à une lente extrusion orthodontique de la 21 pour permettre le rétablissement du contour de la gencive marginale de la 21, augmentant ainsi la quantité disponible des tissus durs et mous du futur site implantaire ;
– alignement de la partie frontale fracturée pour rétablir l'esthétique gingivale et l'agencement préprothétique des dents.
La correction de l'articulé inversé postérieur et de la malocclusion de classe III squelettique préexistants n'était pas prévue dans le traitement orthodontique car elle nécessitait une chirurgie que le patient avait catégoriquement refusée.
Le traitement orthodontique a duré 6 mois pour permettre une bonne stabilisation et une reminéralisation de l'os prémaxillaire, une fois la partie frontale fracturée réduite (fig. 4). L'allongement du temps de traitement et le ralentissement de l'extrusion orthodontique, par rapport à la durée de traitement rapportée dans la littérature médicale, ainsi que le choix d'appliquer des forces orthodontiques d'extrusion très légères ont permis d'obtenir un gain d'os alvéolaire et une gencive attachée remodelée (Mankoo et Frost, 2011). Cependant, les images du scanner de la corticale vestibulaire montrent un os vestibulaire fin.
La thérapie a commencé par le traitement endodontique des 21 et 11 (fig. 5) avec des instruments en nickel-titane (NiTi) (TF SybronEndo) et une condensation verticale à chaud de la gutta-percha pour l'obturation canalaire (Elements Obturation Unit, SybronEndo). Puis, il a été procédé à une évaluation radiologique au DentaScan (fig. 6), laquelle a montré une fracture de l'os alvéolaire allant jusqu'à l'épine nasale avec une luxation vestibulaire du prémaxillaire, une fracture amélo-dentinaire du côté palatin de la 21 qui s'étendait jusqu'au procès alvéolaire, une fracture en vestibulaire de la 11, ainsi qu'une luxation traumatique. Un traitement orthodontique qui permette de réduire la fracture (de façon atraumatique) a donc été planifié afin d'obtenir une extrusion (futur site implantaire) de la 21 et de réduire le surplomb (fig. 7 et 8). À la fin du traitement orthodontique (fig. 8), la 21 a été extraite (fig. 9 et 10) et l'implant a été posé dans la même séance (implant NobelReplace Platform Shift 5.0 × 13) (fig. 11). Puis, il a été décidé d'effectuer une mise en charge immédiate à l'aide de cylindres provisoires (fig. 12 et 13), pour obtenir une restauration immédiate, et d'une couronne provisoire préformée vissée avec une modification du profil d'émergence en forme concave (Saadoun et al., 1999). La prothèse provisoire (fig. 14 et 15) est restée en place encore 6 mois afin d'avoir une maturation des tissus avant d'aborder la phase finale (Leziy et Miller, 2008). Au bout de ces 6 mois (fig. 16 et 17), les paramètres cliniques de santé gingivale n'étaient pas optimaux avec un faible saignement au sondage et une poche réduite (inférieure à 3 mm). Le patient n'avait pas fait preuve d'un grand respect des consignes d'hygiène buccale à domicile. La situation clinique de l'implant 21 était bonne : pas de mobilité ni de sensibilité à la percussion. Il a donc été décidé de réaliser de nouvelles prothèses provisoires esthétiques et fonctionnelles et une maquette en cire des 4 incisives a été fabriquée (fig. 18 et 19). La prévisualisation du résultat esthétique grâce au mock-up obtenu à partir d'un wax-up est essentielle pour l'évaluation esthétique et fonctionnelle. Ensuite, le laboratoire a préparé une clé en silicone pour la réalisation des composites en technique directe sur les 12 et 22, clé qui a été utilisée pour vérifier la préparation de la 11 (fig. 20 et 21). Ces nouvelles provisoires réalisées en composite en technique directe sur les 12 et 22 (fig. 22 à 26) sont restées en bouche pendant environ 6 mois de plus, en attendant la cicatrisation complète de la gencive. Les niveaux de la gencive (on note une augmentation appréciable de la gencive marginale) sont harmonieux aussi bien du côté vestibulaire que palatin. Latéralement, la gencive marginale est tonique et favorable, bien que la radiographie montre une perte de l'os marginal de plus de 1 mm par rapport à J0. Les images du scanner montrent que la fine corticale osseuse vestibulaire s'est maintenue (fig. 27), ce qui traduit un biotype osseux fin.
Le cas clinique s'est terminé par la prise d'une empreinte avec un matériau en polyéther et, pour l'implant, une coiffe d'empreinte individuelle (« personnalisée ») en résine a été utilisée pour réaliser un pilier individuel en zircone Nobel Procera pour la 21 ainsi qu'une armature sans métal pour les 11 et 21 (fig. 28 à 30). Au laboratoire, le prothésiste a préparé le pilier puis il a utilisé une céramique colorée pour obtenir une teinte et des caractéristiques identiques à celles de l'incisive (fig. 31 à 38). Une seconde empreinte avec les deux armatures (de la 11 et de la 21) a ensuite été prise afin d'enregistrer la position de la gencive autour de ces dents et d'obtenir l'empreinte des deux facettes de 12 et 22. Après essayage, les facettes et la couronne de la 11 ont été scellées avec un ciment en composite (NX3 Light-Cure, Kerr). Pour la couronne implanto-portée, un ciment différent a été utilisé (Bichacho et Landsberg, 1997 ; Chu et al., 2012) (fig. 39 à 42).
L'objectif à la fois esthétique et fonctionnel a été atteint, en évitant toute récession des tissus mous autour des dents et de l'implant (Saadoun et Touati, 2007a, 2007b). Cet objectif s'accompagne d'une réduction de la fracture sans effusion de sang, d'une cicatrisation de la 11 et du remplacement de la 21 pourtant sévèrement compromise avant l'implantation immédiate postextractionnelle. Une parfaite intégration esthétique de la restauration implanto-portée a été également obtenue en termes d'harmonie dento-faciale. Ces résultats ont permis de passer aux restaurations finales avec la réalisation d'un pilier individuel qui est une réplique exacte de la forme du passage transmuqueux et qui imite la teinte d'un moignon naturel dyschromique, évitant ainsi une différence de teinte entre les incisives centrales. Le moignon a été dupliqué au laboratoire et de nouvelles provisoires ont été réalisées pour éliminer, au cours des différents tests, les traumatismes dus à la dépose du pilier définitif. L'infrastructure en disilicate de lithium, avec ses différents degrés de transparence entre les facettes et les couronnes, a permis de finaliser les restaurations en utilisant un seul système de céramique ; le patient souhaitait des incisives centrales plus claires qui puissent s'intégrer dans le contexte général, ce qui a été possible grâce à l'analyse précise des microtexture et macrotexture.
L'obtention d'un résultat esthétique et fonctionnel dans les cas complexes d'extractions dentaires résultant d'un traumatisme nécessite, la plupart du temps, une approche pluridisciplinaire. L'interaction entre l'orthodontie, l'endodontie, la chirurgie, l'implantologie et la prothèse a permis, pour ce cas clinique, d'améliorer et de préserver la hauteur interproximale de l'os et le maintien de la papille ; par ailleurs, cela a permis d'harmoniser la hauteur des gencives marginales en favorisant la répartition de la gencive attachée sans avoir recours à une greffe de tissu conjonctif. Cependant, malgré le respect des protocoles décrits dans la littérature scientifique, les déterminants esthétiques en termes de prédictibilité, pour ce cas clinique ont été influencés par quelques variables telles que le biotype parodontal (Rompen, 2011), un os vestibulaire fin et une hygiène buccale du patient insuffisante.
L'un des défis majeurs de l'implantologie postextractionnelle avec restauration immédiate est de prévenir la perte de la corticale vestibulaire avec l'amincissement des tissus mous pouvant aller jusqu'à la formation d'une récession avec ou sans exposition du pilier ou de l'implant à un certain niveau apical.
Afin de maintenir la stabilité de la papille et de l'embrasure, et pour éviter la perte de la corticale vestibulaire, il est souvent nécessaire, durant la chirurgie, de combler avec un substitut osseux hétérologue (Araújo et al., 2011, Araújo et Lindhe, 2009) l'hiatus situé entre l'implant et les rebords de l'os alvéolaire, en protégeant l'ensemble avec une greffe de tissu conjonctif prélevé au palais (Bitter, 2010).
Il s'agit de cas d'esthétique clinique classiques qui requièrent une solution immédiate et que la littérature médicale a largement illustrés, toutefois en proposant un examen différent et après une évaluation clinique, un diagnostic et un plan de traitement appropriés.
Cependant, l'extrusion de la dent, programmée afin de restaurer le site implantaire en termes de volume de tissus durs et mous, peut créer des conditions parfaites pour le positionnement idéal de l'implant (Salama et Salama, 1993).
Néanmoins, pourquoi utiliser des techniques pouvant entraîner des modifications tissulaires qui ne permettent pas d'obtenir un site implantaire idéal (ne nécessitant pas un positionnement palatin de l'implant, ou une allogreffe à l'intérieur du hiatus vestibulaire, ou encore une greffe de tissu conjonctif), alors que l'approche utilisée ici rend la chirurgie moins complexe et moins invasive ?
Est-ce que ces différentes techniques permettent d'obtenir le même effet qu'en appliquant des forces extrusives ? Les résultats obtenus montrent que l'on peut assurément éviter l'utilisation de greffes de matériaux hétérogènes en augmentant l'épaisseur des tissus mous et durs au point de changer le biotype du site implantaire (Saadoun et al., 2013).
Il est également intéressant d'insister sur un autre aspect lié aux cas de traumatismes où, très souvent, l'étendue de la blessure est directement proportionnelle à la perte de tissu biologique et où la même réponse biologique n'est pas aussi prévisible qu'après un simple traumatisme dentaire. De ce point de vue, la connaissance et le suivi du comportement biologique durant le traitement sont des éléments clés dans le bon choix des modalités chirurgicales et orthodontiques du traitement.
Cependant, on ne peut ignorer les connaissances et les techniques prothétiques telles que la non-violation de l'espace biologique durant la préparation des dents, la forme concave du profil d'émergence, les matériaux utilisés pour la construction du pilier, des restaurations provisoires et finales (Kinsel et Capoferri, 2008), en d'autres termes une harmonie pluridisciplinaire entre le diagnostic clinique, la chirurgie mini-invasive, l'orthodontie et les implants dentaires avec leurs restaurations.
Le cas analysé et traité dans cet article n'a pas la prétention de minimiser ce qui a été décrit jusqu'ici pour le protocole d'une extraction-implantation immédiate avec restauration immédiate dans les zones esthétiques mais, simplement, de montrer qu'il est possible d'obtenir des résultats similaires avec des approches différentes, moins invasives, dans des situations cliniques qui nécessitent de longues périodes de traitement.
Cependant, il illustre la difficulté d'un cas impliquant une approche pluridisciplinaire. En fait, le choix d'un traitement orthodontique pour réduire une fracture du procès alvéolaire sans effusion de sang, le traitement endodontique réalisé en urgence et la longue phase d'extrusion (6 mois) a permis une surcorrection du site dans lequel on a pu poser un implant immédiat avec une restauration immédiate, selon une technique conventionnelle et sans avoir recours au moindre type de greffe.
Il est clair que la prothèse et le conditionnement du passage transmuqueux ont joué un rôle majeur dans l'harmonisation des tissus et ont contribué à créer une intégration naturelle. Grâce à certains aspects techniques, cette intégration tissulaire naturelle est obtenue en colorant le pilier ainsi que sa partie transmuqueuse. Les applications de céramique pour parfaire le support de la gencive marginale et lui donner de la tonicité illustrent, d'une part, les limites de la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) et, d'autre part, la possibilité d'y pallier. Bien que le patient n'ait pas respecté de manière optimale les consignes d'hygiène bucco-dentaire, le résultat final est stable.
Nous remercions particulièrement le prothésiste Giancarlo Cozzolino de Naples pour la réalisation des couronnes et des facettes.