Le point de vue de la SFPIO
Nicolas Henner* ** Patrick Tavitian*** Virginie Monnet-Corti**** *****
La technique d'extraction-implantation immédiate se définit comme toute intervention durant laquelle l'extraction dentaire et la mise en place d'un implant sont réalisées dans un même temps opératoire.
La pose d'un implant dans une alvéole d'extraction n'interrompt pas le processus de cicatrisation de l'alvéole. Il est donc possible d'extraire une ou plusieurs dents et de mettre en place des implants dans un même...
« L'os alvéolaire naît, vit et meurt avec la dent. » (Atwood, 1962)
« L'implantation immédiate n'a pas d'influence sur la résorption de la crête osseuse lorsque celle-ci se transforme d'os alvéolaire en crête édentée. » (Jan Lindhe, conférence de clôture d’Europerio 8, Londres 2015)
Notre cas clinique montre les stratégies techniques pour limiter et pallier cette résorption inéluctable. L'utilisation de greffes de tissus durs et mous non résorbables ou résorbables à très long terme permet de masquer les effets de la résorption post-extractionnelle et de la disparition de l'os alvéolaire.
La capacité d'obtenir, dans le secteur antérieur maxillaire, une prothèse unitaire implanto-portée en harmonie avec les dents et le parodonte adjacent est un véritable défi.
Cet article propose une approche globale et conservatrice, fondée sur la préservation tissulaire afin d'optimiser les résultats fonctionnels et esthétiques des protocoles d'extraction-implantation immédiate unitaire. Les étapes chirurgicales, techniques et prothétiques sont illustrées par un cas clinique.
« Bien que les protocoles classiques représentent toujours en 2015 le gold standard, l’extraction/implantation et la mise en esthétique immédiate des implants placés dans une alvéole fraîchement déshabitée offrent un très bon pronostic. L’approche clinique décrite ici peut être adoptée avec succès ; elle minimise le temps de traitement et augmente significativement la satisfaction de nos patients. » (Del Fabbro et al., 2015)
La technique d'extraction-implantation immédiate se définit comme toute intervention durant laquelle l'extraction dentaire et la mise en place d'un implant sont réalisées dans un même temps opératoire.
La pose d'un implant dans une alvéole d'extraction n'interrompt pas le processus de cicatrisation de l'alvéole. Il est donc possible d'extraire une ou plusieurs dents et de mettre en place des implants dans un même temps opératoire (Araujo et al., 2006 Botticelli et al., 2004).
Une revue de la littérature scientifique (Schwartz-Arad et Chaushu, 1997) définit les avantages possibles de l'implantation immédiate, par rapport à l'implantation retardée, de la manière suivante :
– la durée du traitement est réduite ;
– le nombre d'interventions est diminué
– le positionnement idéal de l'implant est guidé par l'alvéole d'extraction ;
– la largeur et la hauteur de l'os alvéolaire sont conservées.
L'avantage biologique, souvent mentionné dans la littérature scientifique, des protocoles d'extraction-implantation immédiate correspond au fait que la pose d'implants préviendrait la résorption osseuse postextractionnelle (Chen et al., 2007) et maintiendrait la présence du tissu de recouvrement. Or, les études animales et les études cliniques humaines n'étayent pas cette notion (Wyatt et al., 2002) et décrivent deux phénomènes : la résorption horizontale et la résorption verticale.
Covani et al. comparent la résorption osseuse dans des cas d'implantation immédiate et d'implantation retardée (entre la 6e et la 8e semaine qui suit l'extraction) (Covani et al., 2004). Leurs résultats montrent une résorption horizontale avec les deux techniques : 1,9 mm dans les alvéoles implantées immédiatement et 3,06 mm dans les alvéoles en cours de cicatrisation.
De plus, d'après les études menées par Botticelli (Botticelli et al., 2004) et Araujo (Araujo et al., 2005), la corticale vestibulaire se résorbe significativement plus que la paroi palatine ou linguale (de 40 à 56 % contre 30 %). Cette résorption horizontale est pondérée par deux facteurs :
– l'épaisseur de la corticale vestibulaire ;
– la distance entre la paroi externe de la corticale vestibulaire et le col implantaire.
Plus la corticale est fine, plus la résorption sera importante : une épaisseur minimale de 1 mm est requise pour obtenir un résultat satisfaisant et reproductible.
Lors des protocoles d'extraction-implantation immédiate, la résorption verticale est également plus importante pour la corticale vestibulaire que pour la corticale palatine ou linguale, avec une perte de 2,5 mm en moyenne au bout de 3 mois. Cette même valeur est retrouvée pour les alvéoles cicatrisées (Araujo et al., 2005 Schropp et al., 2003).
Cette résorption est directement influencée par la distance entre la partie externe de la corticale vestibulaire et le col implantaire : plus cette distance est grande, plus le contact os/implant est maintenu coronairement (Araujo et al., 2006).
Les événements biologiques qui ont lieu lors de la cicatrisation osseuse après extraction, en particulier le remodelage de la corticale vestibulaire, expliquent que de nombreux implants placés immédiatement dans les secteurs antérieurs présentent une perte du pourcentage de contact os/implant (déhiscence osseuse coronaire) qui se traduit cliniquement par des résultats esthétiques désastreux.
Après extraction, l'implantation immédiate ne permet pas, à elle seule, de préserver le volume tissulaire initial.
Comment anticiper cette perte tissulaire et prévenir l'apparition de récessions vestibulaires inesthétiques ?
Un patient de 41 ans consulte pour une gêne esthétique et fonctionnelle à la suite d'un traumatisme sur la 21, survenu 5 ans auparavant. Son sourire forcé découvre essentiellement les papilles interdentaires (classe III de Parodontia) (Liébart et al., 2004). Le biotype est plat et épais (Seibert et al., 1998). La dent est ingressée, en version et en vestibulo-position. L'espace mésio-distal est de 5 mm. L'examen cone beam objective clairement la présence d'une résorption interne qui pose l'indication d'extraction de la dent et permet également le choix de l'implant pour la remplacer (fig. 1 à 4). Après une thérapeutique initiale parodontale (motivation, enseignement à l'hygiène bucco-dentaire et détartrage), le patient bénéficie d'un traitement multibague partiel maxillaire (Dr Romain Deteix, CECSMO, AP-HM) pendant 6 mois, dans le but de rouvrir l'espace mésio-distal de 21.
Pour obtenir un résultat esthétique optimal, il est essentiel de maintenir le niveau des tissus mous qui entourent la dent.
Les chances d'obtenir un résultat esthétique sont souvent compromises s'il existe une architecture osseuse déficiente.
Juodzbalys propose une classification des alvéoles d'extraction (fig. 5) (Juodzbalys et al., 2008) fondée sur le biotype gingival (quantité et qualité des tissus mous) (Monnet-Corti et Borghetti, 2008) et des paramètres osseux détaillés (tableau 1).
Les conséquences techniques de cette classification sont les suivantes :
– pour une alvéole de type I, l'implantation immédiate est recommandée ;
– pour une alvéole de type II, l'implantation immédiate est possible et doit être associée à une augmentation simultanée des tissus mous et des tissus durs ;
– pour une alvéole de type III, l'implantation doit toujours être différée, précédée par une augmentation des tissus mous et des tissus durs. Les techniques de greffe d'apposition devront être mises en place. La pose des implants est différée et se fera 5 à 6 mois après cicatrisation du greffon.
Dans le cas présenté ici, nous sommes en présence d'une alvéole de type II.
La dent condamnée doit être extraite de manière atraumatique afin de préserver à la fois toutes les parois osseuses et l'architecture des tissus mous (fig. 6).
Toutes les précautions doivent être prises lors des mouvements de luxation, en particulier au niveau des dents présentant une paroi alvéolaire fine donc fragile (ici = 1 mm).
L'implant doit être placé de manière optimale dans les trois dimensions de l'espace (fig. 7) (Belser et al., 2004) :
– de 3 à 4 mm en dessous de la jonction émail-cément des dents adjacentes (Kois et Kan, 2001 Kan et Rungcharassaeng, 2000) = gestion du profil d'émergence ;
– de 3 à 4 mm à partir du rebord externe de la corticale vestibulaire = position palatine de l'implant pour l'aménagement du hiatus vestibulaire (cf. infra), surtout si le parodonte est fin (Kazor et al., 2004) ;
– à 2 mm des dents adjacentes = respect de l'espace biologique péri-implantaire (Adell et al., 1990).
La mise en esthétique immédiate d'un implant est entièrement conditionnée par sa stabilité primaire : un couple de serrage minimal de 35 Ncm doit être atteint lors de l'enfouissement de l'implant (Ostman et al., 2005). L'obtention de ce couple de serrage dépend directement de la densité osseuse, du protocole de forage et de la forme de l'implant.
La stabilité mécanique et l'intégration précoce des implants, dans un os de faible densité, sont améliorées par un forage successif étagé ou « pyramidal », la conicité de l'implant et une réduction de son pas de vis (Orsini et al., 2012).
Pour les alvéoles de type I ou II, l'espace créé entre la corticale vestibulaire et le col implantaire en position palatine doit être comblé par un biomatériau très peu résorbable (Bio-Oss®, Geistlich) afin d'augmenter le pourcentage de contact os/implant (Hammerle et Lang, 2001) et de préserver au maximum le volume osseux initial (fig. 8).
Malgré un respect strict de l'ensemble des étapes chirurgicales décrites jusqu'ici, une résorption osseuse horizontale et verticale persiste. Roe et al. quantifient une perte osseuse horizontale moyenne de 1,23 mm (± 0,75 mm) en regard du col implantaire et une perte osseuse verticale moyenne de 0,82 mm (± 0,64 mm) à 1 an postopératoire (Roe et al., 2012).
Les récessions gingivales vestibulaires sont décrites de manière fréquente lors des protocoles d'extraction-implantation immédiate : de 0,5 à 0,8 mm dans les études à court terme (de 1 à 2 ans), un peu plus de 1 mm dans les études à long terme (4 ans en moyenne) (De Rouck et al., 2008). C'est pourquoi le biotype gingival doit être systématiquement évalué : un biotype fin et festonné est beaucoup moins résistant que les autres au traumatisme chirurgical et, par conséquent, plus enclin à la récession.
Le manque de tissu kératinisé en hauteur et/ou en épaisseur doit être systématiquement corrigé par une greffe de tissu conjonctif (fig. 9), surtout si le biotype est fin (Kan et al., 2005). Le greffon, dont la dimension minimale doit être de 6 mm de long, de 1,5 mm d'épaisseur et d'une largeur compatible avec la largeur mésio-distale du site receveur, est prélevé au palais selon une technique d'incision unique (Monnet-Corti et al., 2006).
Grâce à un apport systématique de tissus mous, Kan et al. montrent un gain de gencive vestibulaire moyen de 0,13 mm (0,23 mm pour les biotypes épais et 0,06 mm pour les biotypes fins) pour une période d'observation de 1 à 4 ans, après la pose de la couronne définitive (Kan et al., 2009). Des résultats similaires sont décrits par Cornelini et al. qui notent un gain de gencive de 0,2 mm au bout de 1 an (Cornelini et al., 2008).
« La phase prothétique transitoire est, sans aucun doute, l'étape la plus cruciale de la restauration implantaire » (Priest, 2005). Elle répond à deux Objectifs:
– esthétique (mise en place d'un élément cosmétique) ;
– thérapeutique (maturation/modelage des tissus mous péri-implantaires).
La face vestibulaire de la dent extraite peut être récupérée et solidarisée, à l'aide de résine, à un cylindre provisoire antirotationnel. Le profil d'émergence est préparé et poli pour favoriser un espace biologique sans compression excessive de la gencive (profil concave ou en « aile de mouette »). La réalisation d'un profil d'émergence progressif doit permettre une stabilité ou un positionnement plus coronaire de la gencive marginale. L'occlusion est ajustée afin qu'il n'y ait aucun contact en occlusion statique et dynamique (fig. 10 à 15).
La mise en esthétique immédiate permet ainsi le maintien des papilles interproximales et guide la cicatrisation vers une amélioration du biotype (épaisseur des tissus mous en vestibulaire).
Le profil d'émergence, modelé par la couronne provisoire, est transféré précisément au laboratoire de prothèses à l'aide d'un transfert d'empreinte individualisé (fig. 16 à 18).
Une couronne définitive transvissée monobloc avec une armature en zircone peut alors être réalisée. Ce type de réalisation présente de nombreux avantages – biocompatibilité de la zircone (meilleur comportement que le titane au niveau des tissus mous), absence de ciment de scellement (ce qui favorise les manipulations et évite l'inflammation des tissus périphériques) – qui offrent ainsi des résultats esthétiques stablesà long terme (Weber et Kim, 2006 Bonnet, 2011) (fig. 19 et 20).
Pour obtenir un résultat esthétique et la satisfaction des patients, la pose d'implant dans le secteur antérieur maxillaire exige une compréhension approfondie des principes anatomiques, biologiques, chirurgicaux et prothétiques. La capacité d'obtenir une prothèse en harmonie avec les dents et le parodonte adjacent est un véritable défi. La pose d'implants dans la zone esthétique est une procédure complexe qui laisse peu de place au hasard.
« Des patients motivés et informés, une planification thérapeutique précise ainsi qu'une exécution rigoureuse par des cliniciens expérimentés sont nécessaires pour obtenir de bons résultats » (Joseph Kan et al., 2009).
À retenir
1. Analyser l'alvéole d'extraction (démarche anticipative) : protocole indiqué pour les alvéoles de type I et II.
2. Positionner idéalement l'implant dans les 3 dimensions de l'espace.
3. Obtenir la stabilité primaire de l'implant.
4. Combler le hiatus vestibulaire avec un matériau très peu résorbable (Bio-Oss®, Geistlich).
5. Adjoindre une greffe de tissu conjonctif, et ce quel que soit le biotype parodontal initial.
6. Gérer le profil d'émergence de la couronne provisoire (concavité vestibulaire).
7. Transmettre au laboratoire le profil d'émergence idéal à l'aide d'un transfert d'empreinte individualisé.
Remerciement
Ce patient a été traité durant notre internat dans le service d’odontologie de la Timone du Pr Corinne Tardieu.