Article
Sofia AROCA* Anton SCULEAN** Daniel ETIENNE***
* Département de parodontologie, Université de Berne, Suisse
** Service d'Odontologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
La demande principale des patients pour un recouvrement radiculaire est d'ordre esthétique. Les indications acceptées sur le plan professionnel sont aussi le traitement de l'hypersensibilité dentinaire ou une modification de l'anatomie gingivale pour favoriser le contrôle de plaque. La prévisibilité du recouvrement des récessions localisées par différentes techniques chirurgicales ou par les facteurs influençant les résultats chirurgicaux ont fait l'objet de nombreuses études et revues systématiques. En revanche, les études sont moins nombreuses en ce qui concerne les récessions multiples. La technique du tunnel modifié avancé coronairement apparaît bien adaptée pour être utilisée avec les substituts aux greffes conjonctives, que ce soit avec des dérivés de collagène ou d'alloderme. L'utilisation combinée des greffes conjonctives reste le gold standard pour le traitement des récessions multiples.
The main demand of patients for root coverage is for aesthetics reasons. The indications accepted from the professional viewpoint are also for the treatment of dentin hypersensitivity or a modification of the gingival anatomy to improve plaque control. The predictability of simple recession coverage by different surgical techniques or factors affecting surgical outcomes have been the subject of numerous studies and systematic reviews. Whereas limited evidence is available for multiple recession coverage. The modified coronally advanced tunnel technique appears to be compatible with connective tissue grafts whether with collagen matrix or alloderm. Combined utilisation of connective tissue grafts remains the gold standard for the treatment of multiple gingival recessions.
La demande principale des patients pour un recouvrement radiculaire est d'ordre esthétique. Les indications acceptées sur le plan professionnel sont aussi le traitement de l'hypersensibilité dentinaire ou une modification de l'anatomie gingivale pour favoriser le contrôle de plaque (De Sanctis et Clementini, 2014).
La prévisibilité du recouvrement des récessions localisées par différentes techniques chirurgicales ou les facteurs influençant les résultats chirurgicaux ont fait l'objet de nombreuses études et revues systématiques (Cortellini et Pini Prato, 2012). En revanche, les preuves sont limitées sur l'importance de la qualité du geste chirurgical ou l'expérience clinique de l'opérateur. Le traitement chirurgical des récessions multiples étant caractérisé par une plus grande difficulté du geste chirurgical et le défi biologique de recouvrir une surface avasculaire augmentée, il est impossible d'extrapoler sans restriction les résultats obtenus sur les récessions localisées.
Le procédé chirurgical devra permettre un recouvrement total de la surface radiculaire dénudée, obtenir un fondu tissulaire en harmonie avec les tissus adjacents (De Sanctis et Zucchelli, 2007) et une stabilité dans le temps.
Cette stabilité à long terme du complexe gingival marginal est objectivée par une absence de récidive des récessions et la pérennité d'un sondage limité à 2 ou 3 mm.
Préalablement à la décision chirurgicale, il est essentiel d'apprécier les facteurs anatomiques et cliniques influençant les résultats chirurgicaux en tenant compte du fait que les évidences scientifiques sont limitées pour le traitement des récessions multiples.
Trois niveaux de critères peuvent être considérés (Cortellini et Pini Prato, 2012). Le premier est le patient. Il faut évaluer le tabagisme (Chambrone et al., 2009a) qui va avoir, ainsi que le contrôle de plaque insuffisant, un effet néfaste sur le recouvrement total. Les maladies systémiques et, en particulier, le diabète (Graves et Kayal, 2008) peuvent altérer le potentiel de cicatrisation qui varie aussi chez les patients en bonne santé générale (Kornman et Robertson, 2000).
Le deuxième critère est la dent. L'abrasion de la surface radiculaire, l'encombrement dentaire, les proximités radiculaires et la proéminence radiculaire par rapport à l'enveloppe osseuse sont préoccupants sur le plan clinique, mais il n'existe pas d'étude démontrant l'incidence sur le pourcentage de recouvrement radiculaire.
Le troisième niveau d'observation concerne les caractéristiques des récessions et les tissus mous. La profondeur de la récession ainsi que la position postopératoire immédiate du bord de la gencive marginale ont une influence significative sur le recouvrement total (Nieri et al., 2009). La présence d'un tissu marginal kératinisé, apical à la récession, et l'épaisseur de la gencive marginale (Cortellini et Pini Prato, 2012) influencent aussi favorablement un recouvrement complet des surfaces radiculaires.
Les techniques décrites dans la littérature médicale pour le traitement des récessions multiples peuvent être classées en deux groupes selon le tracé d'incision et le lambeau. Dans un groupe, la papille interdentaire est sectionnée et le lambeau d'épaisseur totale ou partielle est libéré au-delà de la ligne de jonction muco-gingivale puis avancé coronairement (Langer et Calagna, 1980 Zucchelli et De Sanctis, 2000) avec ou sans apport de tissu conjonctif. Une hauteur réduite du tissu kératinisé à la base de la récession ou la présence d'une abrasion radiculaire (De Sanctis et Zucchelli, 2007 De Sanctis et al., 2011 Zucchelli et al., 2009) justifieraient l'utilisation d'un greffon conjonctif sous le lambeau.
Dans le second groupe, les papilles interdentaires sont préservées et libérées avec la gencive marginale en les « tunnelisant », afin de placer un greffon conjonctif partiellement ou totalement enfoui. L'épaisseur du lambeau étant pour certains en épaisseur partielle (Allen 1994 Zabalegui et al., 1999) ou en épaisseur totale (Azzi et Etienne, 1998 ; Aroca et al., 2010, 2013) avec ou sans extension au-delà de la ligne de jonction muco-gingivale.
Le dilemme est grand pour le clinicien. Quelle est-donc la technique la plus performante ?
Dans une première revue systématique sur le traitement chirurgical des récessions multiples, Chambrone et al. ne peuvent analyser que des séries de cas (Chambrone et al., 2009b). Ils concluent que les deux types de procédures chirurgicales sont efficaces sur la réduction de la profondeur des récessions, la réduction de la profondeur des poches parodontales et le gain d'attache clinique. Hoffmäner et al. évaluent systématiquement des études randomisées contrôlées (Hoffmäner et al., 2012) et estiment que le lambeau avancé coronairement (Zucchelli et De Sanctis, 2000) et la technique du tunnel (Allen, 1994 ; Azzi et Etienne, 1998 ; Aroca et al., 2010, 2013) utilisés pour le traitement de récessions multiples des classes I, II et III de Miller (Miller, 1985), selon les études, sont prévisibles.
Une revue systématique récente (Graziani et al., 2014) ne retient que 9 études randomisées contrôlées et souligne le faible niveau de preuve sur le recouvrement des récessions multiples. Le pourcentage de recouvrement est en effet élevé, mais le recouvrement complet est fortement variable.
Un recouvrement complet de la surface radiculaire et une stabilité à long terme ont été démontrés avec la technique du lambeau avancé coronairement sans apport de tissu conjonctif (Zucchelli et De Sanctis, 2000, 2005). L'intérêt d'associer du tissu conjonctif a été préconisé sur des sites localisés (racines proéminentes, hauteur de tissu kératinisé insuffisant, usure cervicale de la racine) ou sur tous les sites du secteur traité (Pini Prato et al., 2010 ; Zuchelli et al., 2014 ; Grazziani et al., 2014). Dans une étude comparative à long terme, Pini Prato et al. préconisent l'association d'une greffe conjonctive pour limiter la récidive à long terme des récessions (Pini Prato et al., 2010).
La technique du lambeau avancé coronairement sans tissu conjonctif présente l'avantage d'être rapide, plus accessible que d'autres aux novices et la cicatrisation clinique à court terme est rapide. Après décontamination de la surface radiculaire par surfaçage, une variante de la technique préconisée par Zucchelli et De Sanctis (Zucchelli et De Sanctis, 2000) se caractérise par une incision d'épaisseur partielle au niveau des papilles et un décollement muco-périosté jusqu'à la ligne de jonction muco-gingivale, puis une incision en épaisseur partielle est pratiquée sur la face interne du lambeau pour permettre l'avancement coronaire. Les sutures peuvent être réalisées en continu.
La technique du tunnel a fait l'objet d'un nombre limité d'études randomisées contrôlées et elle n'a jamais été validée sans adjonction de tissu conjonctif.
Cette technique, décrite initialement par Allen comme une enveloppe supra-périostée et peu invasive (Allen, 1994), préserve l'intégrité du sommet des papilles et, ainsi, la microcirculation d'une zone délicate. Les papilles sont séparées de la surface sous-jacente en épaisseur partielle ou en épaisseur totale dans les cas de biotype fin. Il n'y pas de dissection au-delà de la ligne de jonction muco-gingivale et le greffon conjonctif est glissé sous le lambeau tunnelisé, sans le recouvrir. L'auteur obtient, dans une série de cas, une augmentation de tissu kératinisé.
Un recouvrement total du tissu conjonctif a été recherché pour améliorer le fondu esthétique en supprimant l'invagination épithéliale des bords parfois visibles et pour limiter/éviter la nécrose du greffon conjonctif exposé. Une dissection partielle (Zabalegui et al., 1999) ou en épaisseur totale (Azzi et Etienne, 1998 Tözüm et Dini, 2003) est réalisée au-delà de la ligne de jonction muco-gingivale pour libérer le lambeau et former un tunnel permettant d'enfouir aisément le greffon conjonctif. La technique et l'instrumentation utilisées pour la libération des papilles et du lambeau varient selon les auteurs.
La variante du tunnel modifié avancé coronairement décrite par Azzi et Etienne (Azzi et Etienne, 1998) a été validée par deux études randomisées contrôlées pour les récessions multiples de classes III et I-II de Miller (Aroca et al., 2010, 2013).
La préparation du tunnel modifié avancé coronairement a évolué avec l'utilisation d'une instrumentation adaptée. La première incision intrasulculaire est pratiquée avec un instrument de microchirurgie appelé tunneling knife, que nous considérons plutôt comme un décolleur fin. Cet instrument droit ou courbé s'adapte aux convexités radiculaires ou osseuses et aux concavités interradiculaires pour obtenir une dissection muco-périostée, sans incision initiale de la gencive marginale attachée (fig. 1). Le décollement muco-périosté va s'étendre au delà de la ligne muco-gingivale et sous la base de chaque papille. Afin de permettre un déplacement coronaire sans tension du lambeau, les faisceaux de collagène de la face interne du lambeau sont sectionnés à l'aide de minicurettes de Gracey et, parfois, à la lame de bistouri, jusqu'à l'obtention du déplacement coronaire souhaité. Le décollement muco-périosté complet des papilles vestibulaires interviendra seulement après ce stade pour éviter de fragiliser leur extrémité, lors de la dissection de la face interne du lambeau. Lors du traitement des récessions de classe III, le décollement papillaire intéresse aussi l'os alvéolaire interproximal.
Le greffon conjonctif est inséré dans le tunnel par la récession la plus large, tracté puis stabilisé latéralement par des points de matelassier latéraux préconisés par Allen (Allen, 1994). La stabilisation coronaire du lambeau est assurée par des points de matelassier si possible horizontaux placés dans le tissu kératinisé papillaire près de la ligne de jonction muco-gingivale et suspendus autour des points de contact (fig. 2). Le greffon conjonctif sera pris ou non avec les sutures pour être positionné sous le bord gingival marginal. La stabilisation coronaire souhaitable étant maintenue 10 jours à 14 jours par les sutures.
Le défi pour le clinicien est le traitement des récessions de classe III et IV de Miller. Les techniques chirurgicales (lambeau avancé coronairement, lambeau modifié avancé coronairement avec ou sans tissu conjonctif) utilisées ont été scientifiquement validées dans le traitement des récessions multiples de classe I et II de Miller, mais ne sont pas prévisibles pour les classes III.
À l'heure actuelle la seule technique ayant démontré un recouvrement radiculaire des récessions multiples de classe III, avec une efficacité comparable au traitement des classe I-II est la technique du tunnel modifié avancé coronairement (fig. 3 à 6).
Dans une étude randomisée contrôlée, en bouche divisée, l'effet du traitement par tunnel modifié avancé coronairement-greffon conjonctif avec (côté test) ou sans (côté contrôle) utilisation de dérivés de matrice amélaire (Emdogain®) a été étudié sur le taux de recouvrement radiculaire des récessions multiples de classe III et le gain papillaire à 12 mois (Aroca et al., 2010). 20 patients dont le contrôle de plaque est satisfaisant, représentant 138 récessions (profondeur de la récession > 2 mm avec au moins une récession > 3 mm des deux côtés du maxillaire ou de la mandibule) ont été traités.
L'originalité de cette étude est d'évaluer le résultat chirurgical par chirurgie et non par site. Le pourcentage de recouvrement, à 1 an, n'est pas significativement différent entre les groupes puisque un taux de recouvrement de 82 % est obtenu pour le groupe test et de 83 % pour le groupe contrôle. Ce pourcentage de recouvrement moyen est comparable au pourcentage atteint avec les autres techniques chirurgicales traitant des récessions de classe I et II de Miller.
Le gain papillaire vertical (mesuré par la réduction de la distance entre le point de contact et le sommet de la papille) est de 58,6 % et 59,2 % pour le groupe test et contrôle respectivement. Il est ainsi évident que lors du traitement des récessions multiples de classe III, nous pouvons être performants pour obtenir un recouvrement radiculaire (stabilité obtenue dès le 28e jour), mais l'efficacité est limitée sur le plan du gain papillaire et la suppression/réduction des « trous noir »
Cette étude a démontré la prévisibilité du traitement des récessions multiples de classe III, mais à 12 mois les dérivés de matrice amélaire ne modifient pas significativement les résultats sur le taux de recouvrement radiculaire, ni sur le gain papillaire.
Ces résultats favorables ont été confirmés dans une étude randomisée contrôlée, en bouche divisée (Aroca et al., 2013) où les auteurs traitent 22 patients représentant 156 récessions multiples de classe I et II de Miller. Ils comparent la même technique du tunnel avec dans le groupe contrôle du tissu conjonctif et dans le groupe test une matrice collagénique (MC, Mucograft®). Le pourcentage de recouvrement est de 71 ± 21 % pour le groupe test et de 90 ± 18 % pour le groupe contrôle.
La MC associée à la technique du tunnel peut représenter une alternative valable au tissu conjonctif avec un temps chirurgical réduit et une morbidité moindre. En effet, une des limites du tunnel modifié avancé coronairement – tissu conjonctif est l'obtention d'un greffon conjonctif adéquat chez des patients à biotype fin.
Les résultats favorables et stables obtenus dans le temps avec la technique du tunnel sont dus à une technique peu invasive, préservant le sommet des papilles et l'épaisseur du lambeau qui est libéré en épaisseur totale, du bord marginal à la ligne de jonction muco-gingivale. La préservation de la vascularisation du lambeau est ainsi optimale. L'avancement coronaire sans tension est obtenu par une agression minime de la face interne du lambeau, dans sa composante de muqueuse alvéolaire très vascularisée. Le tissu conjonctif est ensuite totalement recouvert pour optimiser une diffusion des fluides. Enfin la technique de suture suspendue utilisée sécurise en position coronaire (1-2 mm par rapport à la JAC) le bord marginal du lambeau pendant la période critique de cicatrisation (14 jours).
Une situation clinique délicate est le traitement des récessions localisées à 1 ou 2 incisives mandibulaires, associées à une proéminence radiculaire après traitement orthodontique et un biotype gingival fin (fig. 7). La hauteur du tissu kératinisé marginal est souvent minimale, avec des papilles interdentaires longues et étroites (fig. 8). Le frein médian peut favoriser une mobilité du bord gingival marginal. Les alternatives de traitement peuvent être la réalisation d'une greffe épithélio-conjonctive, un lambeau avancé coronairement ou un tunnel modifié avancé coronairement-tissu conjonctif, avec pour objectif l'obtention d'un recouvrement radiculaire partiel. Des aléas de cicatrisation, avec comme conséquence un recouvrement radiculaire réduit, peuvent se produire avec ces trois techniques chirurgicales. Nous préférons dans la mesure où un bord minime de gencive kératinisée persiste, la réalisation d'un tunnel modifié avancé coronairement qui est pour nous la technique la moins aléatoire. Le préalable le plus important est cependant l'élimination totale de l'inflammation du tissu gingival marginal et papillaire. La libération du lambeau fin est délicate et le frein médian doit-être disséqué par voie interne (fig. 9 à 12). À notre connaissance, la prévisibilité du recouvrement pour cette situation spécifique n'a pas été étudiée pour le tunnel modifié avancé coronairement, mais l'intérêt d'un tunnel avec pédicules latéraux ou d'une double papille avec dans les deux techniques du tissu conjonctif a été démontré par Harris et al. (2005).
En conclusion, l'apport de tissu conjonctif a démontré son intérêt avec la technique du tunnel modifié avancé coronairement dans le cas des récessions multiples de classe III. Pour le traitement des récessions multiples de classe I-II il n'y a pas d'étude comparative évaluant la technique du lambeau avancé coronairement par rapport à la technique du tunnel. En outre, il existe peu d'évidence sur la nécessité ou non d'un apport de tissu conjonctif avec le lambeau avancé coronairement afin d'éviter une récidive à long terme des récessions.
Pour le clinicien, la courbe d'apprentissage est plus longue avec la technique du tunnel, mais le tunnel modifié avancé coronairement est utilisable avec succès dans la plupart des situations cliniques pour les classe I à III. La méthode est applicable aux récessions localisées et pour des cas extrêmes de récession de classe IV, mais ce ne sont que des rapports de cas.
La technique du tunnel modifié avancé coronairement apparaît bien adaptée pour être utilisée avec les substituts au tissu conjonctif que ce soit avec des dérivés de collagène ou d'alloderme (Allen, 2006).
L'utilisation combinée des greffes conjonctives reste le gold standard pour le traitement des récessions multiples. Des études comparatives avec les substituts au tissu conjonctif devraient nous permettre de préciser les situations cliniques nous permettant des résultats équivalents et prévisibles.