Article
Renaud RINKENBACH* Bruno GROLLEMUND**
* Orthodontiste, exercice privé, Strasbourg
** Orthodontiste, exercice privé ancien AHU Strasbourg
Le secteur des incisives mandibulaires est considéré comme une zone à risque majeur surtout en présence d'un biotype parodontal fragile. Cette région subit en effet de nombreuses contraintes secondaires à la biomécanique orthodontique. L'examen clinique et radiographique initial doit permettre au praticien de décider si un renfort parodontal est nécessaire avant de commencer un traitement ou s'il est préférable d'attendre et de réévaluer l'intérêt de ce geste par la suite. Une réflexion en amont doit conduire au choix d'une technique qui soit la moins iatrogène possible et qui limite les risques d'apparition de destructions parodontales irréversibles. La greffe gingivale libre semblerait être la technique de choix, remplissant des caractéristiques non seulement quantitatives mais aussi qualitatives. Elle assurerait un apport de gencive attachée en épaisseur suffisante, permettant de contrecarrer les mouvements insuffisamment contrôlés des racines, en marge des corticales osseuses. À travers deux cas cliniques, nous tenterons d'éclairer certaines interrogations sur les indications mais aussi sur la chronologie de prise en charge de ces patients dont le traitement peut s'avérer délicat.
The area of lower incisors is known as a zone of major risk particularly in the presence of a thin periodontal biotype. Indeed this area is subject to high stress as a secondary consequence of orthodontic biomechanics Yet the initial clinical and X-ray examination should enable the practitioner to decide whether a periodontal reinforcement is required prior to any treatment or otherwise to wait and reconsider later the opportuneness of this procedure In any case reviewing open options ahead should help to select a least possible iatrogenic technique that also prevents irreversible periodontal disorders from developing. The gingival graft appears then to be a key technique, meeting both quantitative and qualitative requirements. It would ensure the provision of attached gingival tissue with adequate thickness, allowing thus to counter the insufficiently controlled movements of roots aside from the cortical bones. Based on clinical cases, we will attempt to shed a new light upon some questions about indications but also about the sequence of cares for these patients, whose treatment can prove to be delicate.
L'orthodontie contemporaine se sensibilise de plus en plus au risque parodontal qui fait partie des considérations iatrogènes principales lors d'un traitement. L'appréciation de nombreux facteurs comme l'âge de fin de traitement, le biotype parodontal, les mouvements orthodontiques envisagés permet d'évaluer le risque d'apparition de déhiscences osseuses à l'origine des récessions parodontales. L'orthodontiste doit donc se fier à son expérience acquise dans le temps mais aussi à certains indicateurs de risque que l'on décrira par la suite. L'apparition d'une récession gingivale est dans la plupart des cas consécutive au déplacement d'une racine dentaire au-delà des corticales osseuses sur un parodonte fin. De même, sur un parodonte épais, la visualisation du défaut osseux peut se faire bien après, sans que soit établi un lien de causalité avec un traitement d'orthodontie.
Il faut, par conséquent, anticiper la position de l'incisive mandibulaire dans la symphyse mentonnière en prenant en compte les données du diagnostic initial. Il pourrait être ainsi judicieux de renforcer l'environnement parodontal dans ce secteur avant de déplacer les incisives. La greffe gingivale libre apporte ce rempart de gencive attachée, véritable barrière histologique permettant de limiter considérablement l'apparition de récessions non seulement pendant, mais aussi après un traitement d'orthodontie.
La récession gingivale est décrite comme une rétraction apicale de la gencive au-delà de la jonction émail-cément ayant pour conséquence de découvrir la racine (Camargo, 2001 : Albandar et Kingman, 1999). Cette exposition est souvent gênante pour le patient qui se plaint fréquemment de sensibilités dentinaires au contact d'aliments froids ou lors d'une ventilation orale. La modification de l'harmonie verticale de la ligne des collets est remarquée par le patient qui le signale à son praticien. Ces modifications sont d'autant plus perceptibles que la technique utilisée est linguale, laissant la face vestibulaire de ces dents libre de toute attache.
L'apparition de récessions gingivales consécutives à un traitement d'orthopédie dento-faciale reste cependant controversée : plusieurs auteurs (Kalha, 2013 ; Ruf et al., 1998 ; Djeu et al., 2002) ne mettent pas en évidence de lien entre l'orthodontie et l'apparition de récessions gingivales, alors que d'autres (Renkema et al., 2013 ; Wennström et al., 1987) le mettent clairement en évidence.
Les causes sont multifactorielles et dépendent de facteurs anatomiques et biologiques ainsi que d'habitudes propres à chacun (Wennström et al., 1987).
L'aggravation ou l'apparition de récessions pendant ou après un traitement dans un contexte à risque semble être établie par de nombreux auteurs. Cependant, la systématisation sur un parodonte normal et initialement sain ne peut pas être affirmée. Certains auteurs montrent une nette augmentation des récessions après traitement d'orthopédie dento-faciale et d'autres non.
La largeur de la crête est une notion fondamentale en orthodontie car elle va déterminer l'espace disponible autorisant les mouvements possibles de la racine de l'incisive. Il va de soi que plus la crête est large et plus des mouvements de gression et de vestibulo-version de grande ampleur pourront être envisagés (Yared et al., 2006) (fig. 1 et 2). En présence d'une crête étroite, d'incisives mandibulaires linguo-versées et d'une typologie dolicho-faciale, il faudra faire très attention aux mouvements radiculaires car on risque de projeter l'apex hors des corticales (Aki et al., 1994 ; Yamada et al., 2007) (fig. 3). D'autres auteurs (Hernández-Sayago et al., 2013) ont réalisé une étude sur 90 patients afin de déterminer la position idéale de l'incisive mandibulaire en fonction de la typologie mais aussi du décalage squelettique. Ainsi, chez les patients prognathes, on retrouve souvent des procidences radiculaires liées à la forte linguo-version des incisives (fig. 3). Il faut par conséquent rester prudent lorsque l'on proverse ces incisives car on risque fortement de créer une déhiscence osseuse.
Certains auteurs (Evangelista et al., 2010 ; Lupi et al., 1996 ; Galletti, 2012) ont mis en avant la notion de rempart alvéolaire fin nécessitant la prise de précautions lors de certains mouvements orthodontiques. L'appréciation clinique se fait visuellement en bouche ou lors de l'étude des photos occlusales. Il est important aussi de réaliser des examens radiographiques complémentaires permettant d'apprécier l'environnement osseux.
De nombreuses études (Richmond et al., 1998 ; Apajalahti et Peltola, 2007) ont prouvé que le déplacement de l'apex contre ou au-delà des corticales alvéolaires entraînait de sévères résorptions radiculaires ainsi que des déhiscences osseuses.
Il faut apprécier la valeur de l'environnement gingival en distinguant les parodontes épais fibreux (fig. 4) de ceux fins, quasi transparents et papyracés (fig. 5). Les possibilités de déplacements dentaires sans conséquences iatrogènes ne seront pas les mêmes dans ces deux situations extrêmes. La notion de qualité dépendant aussi de la quantité de gencive attachée, il est communément admis que 2 mm de cette gencive suffisent à maintenir une santé parodontale (Wennström et Lindhe, 1983). Cependant, certains mouvements ou contraintes orthodontiques plus importants pourraient nécessiter un apport de gencive attachée plus volumineux.
La présence de déhiscences osseuses est une condition nécessaire à l'apparition de récessions gingivales (Wennström, 1996). Cependant, ces déhiscences n'entraînent pas systématiquement de récession en l'absence d'un traitement orthodontique (Thilander et al., 1983). Lorsqu'un patient est traité par orthodontie, cette aggravation est beaucoup plus fréquente (Renkema et al., 2013). L'examen minutieux du parodonte est primordial lors du bilan initial : la présence de récessions pouvant déjà être le témoin d'une souffrance biologique, il est impératif de ne pas l'aggraver lors du traitement.
L'examen des muqueuses doit insister sur les conséquences de la mobilisation de la lèvre inférieure et, notamment, de la mise en tension du frein. Il arrive parfois que ce dernier, lorsqu'il est inséré dans la région cervicale, exerce une tension sur la gencive attachée entraînant mécaniquement une récession gingivale (fig. 6).
La procidence radiculaire des incisives, visible particulièrement sous une muqueuse fine, est un signe d'appel. En effet, elle préfigure bien souvent la présence de déhiscences osseuses vestibulaires qui ne demandent qu'à se transformer en récessions gingivales au moindre déplacement vestibulaire.
En présence d'une symphyse fine, les malpositions dentaires initialement présentes, et tout particulièrement les rotations, doivent attirer l'attention. Les incisives centrales sont plus particulièrement concernées (Albandar et Kingman, 1999) (fig. 7), étant localisées à la pointe de l'arc symphysaire et subissant ainsi le plus de contraintes. Si l'on corrige ces rotations avant d'avoir créé la place nécessaire, on est quasiment assuré de révéler une déhiscence osseuse par l'apparition d'une récession. Une thérapeutique appropriée, associée éventuellement à un renforcement parodontal initial, semble être un prérequis indispensable pour mener à bien ce type de traitement.
De manière générale, la prévalence des récessions gingivales augmente avec l'âge (Albandar, 1999 ; Gorman, 1967) et plus un traitement d'orthodontie débute tardivement, plus le risque est important. L'équilibre rompu par le traitement est d'autant plus difficile à rétablir que le potentiel de guérison diminue lui aussi avec l'âge. D'après Renkema et al., l'âge de fin de traitement est le facteur de prédiction le plus important (Renkema et al., 2013).
De nombreux auteurs (Aki et al., 1994 ; Yamada et al., 2007) ont étudié l'anatomie osseuse dans la zone des incisives mandibulaires. Il a été montré que l'os alvéolaire symphysaire s'orientait de la même manière que les incisives mandibulaires implantées dans cette zone (Bjork, 1963 ; Worms et al., 1976).
On sait qu'il existe une compensation dento-alvéolaire en fonction du décalage squelettique (Bibby, 1980 ; Enlow et al., 1971) : on remarque une linguo-version des incisives mandibulaires en présence d'une classe III squelettique alors que l'on retrouve plutôt une vestibulo-version avec une classe II. Il est important, chez le patient adulte, de prendre en compte l'orientation initiale des dents et, a fortiori, celle de l'os alvéolaire et de ne pas trop la modifier (surtout chez les patients dolicho-faciaux) afin de limiter au maximum les remaniements parodontaux dans cette zone. La décompensation d'une classe III chirurgicale est un facteur prédisposant à l'apparition de récessions (fig. 3), dans un contexte de parodonte fin et d'hypsogénie.
L'importance du brossage est capitale dans la survenue ou la stabilisation d'une récession. Un brossage trop vigoureux et inadapté, réalisé avec une brosse à dents à poils durs, augmente de manière significative l'apparition de récessions gingivales en présence d'un biotype fin. Il faut informer le patient à risque sur la nécessité d'un brossage qualitatif et non quantitatif.
Il faut aussi mettre l'accent sur l'importance d'une hygiène irréprochable car c'est une cause majeure dans la transformation d'une déhiscence osseuse en récession gingivale (Wennström, 1996). Allais et Melsen ont montré que chez la plupart des patients adultes ayant une excellente hygiène, une proversion des incisives pouvait, certes, augmenter la prévalence de déhiscences osseuses mais certainement pas leur aggravation en récession gingivale (Allais et Melsen, 2003).
Une déglutition dysfonctionnelle mettant en jeu l'ensemble de la musculature péri-orale va mettre en tension, par effet indirect, la muqueuse. Cette sollicitation constante, dans un contexte parodontal fragile, va aggraver encore le pronostic d'apparition de récessions dans le secteur antérieur. On retrouve ce problème chez les patients qui ont une dysharmonie musculo-squelettique, notamment dans les excès verticaux où l'on décèle une incompétence labiale accompagnée d'une crispation péri-orale lors de la fermeture (fig. 8). Ce rempart musculaire hypertonique, contraignant les incisives en linguo-position et projetant l'apex en position vestibulaire, constitue la pire situation à risque surtout en présence d'une hypsogénie. De la même manière, une langue propulsive aura tendance à pousser les dents aux limites des corticales (fig. 9).
La ventilation orale est aussi un cofacteur pénalisant par assèchement du parodonte, le rendant ainsi plus vulnérable aux micro-organismes.
Le risque augmente encore chez le patient fumeur car la nicotine inhalée engendre une vasoconstriction périphérique diminuant l'apport d'oxygène au parodonte mais aussi la mobilisation des macrophages en cas d'inflammation. On remarque une augmentation des récessions gingivales ainsi qu'une baisse de la réponse de l'hôte face à l'inflammation (Johnson et Slach, 2001).
On retrouve également une augmentation de l'apparition des récessions gingivales chez le patient porteur de piercing (Giuca et al., 2012). Le site le plus affecté par les récessions concerne la zone de l'incisive centrale mandibulaire (Hennequin-Hoenderdos et al., 2011) (fig. 10).
La supraclusion incisive engendre une contrainte sur les incisives et les force en linguo-position. L'action combinée de ces deux facteurs peut être à l'origine de récessions gingivales (Zimmer et Seifi-Shirvandeh, 2007) (fig. 11 et 12).
Un traitement d'orthodontie est générateur de forces qui sont à l'origine des déplacements dentaires.
La dent se déplace alors en remodelant le parodonte qui l'entoure. L'inflammation créée par la contrainte va se transformer en deux zones distinctes d'apposition et de résorption osseuse permettant ainsi à l'os alvéolaire de suivre le mouvement radiculaire. Cependant, ce déplacement n'est pas sans limite et il arrive que les racines affleurent, voire traversent les corticales osseuses externe ou interne. On appelle cela une déhiscence osseuse qui pourrait se transformer en récession gingivale consécutive à une réduction de l'élément nourricier émanant de l'os et du ligament alvéolo-dentaire.
Le pire arrive lorsque la gencive attachée, trop fine, cède par étirement et manque d'os. Le praticien s'en rend compte assez rapidement, le patient également. Ce dernier se rend compte du préjudice esthétique, ressent souvent une sensibilité accrue au froid et, pire encore, est persuadé qu'il va perdre sa dent. Nous nous intéresserons aux conséquences localisées uniquement dans le secteur incisivo-canin mandibulaire et, donc, aux mouvements orthodontiques des incisives et des canines mandibulaires.
Il existe plusieurs grandes phases de traitement qui permettent de mener à bien un traitement d'orthodontie.
Cette phase sert à corriger l'alignement dentaire. On utilise des fils souples en alliage nickel-titane qui, pour la plupart, ont des propriétés super-élastiques, voire même à mémoire de forme. Ces premiers fils agissent en douceur, vont corriger les rotations, le tip (bascule mésiale ou distale des dents) ainsi que le torque (angulation de la dent). Le choix de ces fils conditionne la force délivrée initialement. Il faut par conséquent privilégier des forces légères et continues, moins agressives que les autres pour le parodonte. Les situations à risque majeur concernent les incisives centrales mandibulaires en rotation dans le cadre d'un encombrement incisif. La dent en rotation est déjà, au début du traitement, à la limite voire hors de la corticale externe. On spécifie bien l'incisive centrale, car elle est à la flèche de l'arc mandibulaire : elle concentre l'ensemble des contraintes émanant de la lèvre et de la langue et jouxte l'insertion du frein labial. En fonction du plan de traitement mis en œuvre, le praticien peut niveler l'ensemble du bloc incisivo-canin en insérant le fil dans la gorge des attaches collées sur chacune des dents : celles-ci vont s'aligner, l'encombrement va se corriger par vestibulo-version des incisives. Ainsi, au lieu de repositionner la dent en rotation à l'intérieur de la corticale, celle-là va encore plus s'éloigner de son élément nourricier, avec pour conséquence une aggravation de la déhiscence. Une autre façon de faire, plus douce, est de créer d'abord un espace disponible dans le but de replacer la dent dans l'os : le praticien utilise des stops d'expansion couplés au meulage amélaire des faces proximales (fig. 13). On peut réduire par cette technique l'extension antérieure de la longueur d'arcade et le risque de proversion des incisives en étant plus conservateur.
Nécessaire à la coordination des arcades entre elles, l'aplanissement de la courbe de Spee se fait par l'utilisation d'un fil beaucoup plus rigide que précédemment, en acier, de section rectangulaire. On va ainsi transformer une surface courbe en aire plane, en conservant le même volume dentaire (fig. 14a). Le corollaire à cet aplanissement sera une augmentation du périmètre d'arcade se traduisant par une vestibulo-version des incisives mandibulaires. Ce mouvement peut, en présence d'un parodonte fin, être responsable d'une fenestration de la partie cervicale et vestibulaire des racines (fig. 14b). Cette déhiscence osseuse iatrogène risque de se transformer en récession gingivale. Cette proversion radiculaire reste malgré tout bien tolérée par le parodonte car la perte osseuse se localise dans la partie la plus coronaire de la racine. Bien plus nuisible est la force s'appliquant non plus sous la forme d'une contrainte de vestibulo-version coronaire mais d'une vestibulo-version apicale de la racine lorsqu'un contrôle de l'axe radiculaire est souhaité mais non maîtrisé. La racine sort de l'os au niveau de son apex sur une longueur plus ou moins importante. L'apport vasculaire nourricier de la corticale osseuse externe est alors réduit, ce qui va conduire inéluctablement à une récession osseuse avec une perte importante d'os (fig. 14c). Cet effet délétère n'apparaît qu'en présence d'une symphyse étroite associée à un parodonte fin. Il est malgré tout primordial de savoir l'anticiper.
C'est l'excès de contrôle du torque corono-lingual par le praticien désireux de limiter la vestibulo-version incisive qui est à l'origine de ces fenestrations de la partie apicale de la racine. Il est donc parfois préférable de laisser un petit peu de jeu entre le fil et l'attache dans le secteur des incisives mandibulaires, une sorte de marge d'erreur, de perte de contrôle volontaire.
La coordination des arcades entre elles doit être réalisée lorsqu'il persiste un décalage dentaire ou squelettique entraînant un défaut occlusal (fig. 15a). En prenant pour exemple la classe II, elle peut être réduite par le port de tractions intermaxillaires (élastiques). Cette mécanique se traduit par une avancée de l'arcade mandibulaire sous forme de « tiroir alvéolaire » jusqu'à l'obtention d'une parfaite classe I. Ce sont à nouveau les incisives qui vont souffrir de cette biomécanique : au mieux leur axe se modifie par vestibulo-version en entraînant une légère récession gingivale (fig. 15b), au pire le praticien, fort de sa technique, tente de contrecarrer ce mouvement en imposant un couple de forces contraires trop marqué et devient responsable d'une déhiscence osseuse sur une partie plus importante de la racine (fig. 14c).
La phase de finition permet d'idéaliser la position des dents entre elles. Elle nécessite la mise en place d'un arc en ß-titanium qui allie à la fois une certaine élasticité et une forme de rigidité. Ce type de fil est un intermédiaire entre un arc en nickel-titane et un arc en acier. En plus de l'alliage, on peut définir une section et une taille de fil. Lorsque l'on travaille en section 18.25 (ce qui correspond à la taille de la gorge de l'attache collée sur la dent), il est possible d'insérer des fils en 16.22 (donc sous-dimensionnés) ou alors en 18.25 (remplissant complètement la gorge du verrou). Ainsi, le contrôle du torque final sera plus important avec ce dernier et, par conséquent, l'incisive mandibulaire sera plus droite dans la symphyse. On peut redresser une incisive de deux manières : par linguo-version coronaire ou par vestibulo-version de sa racine. Lorsqu'il ne persiste plus d'espace entre les incisives et entre ces dernières et les 33 et 43, c'est la seconde option qui prend le dessus avec l'effet iatrogène décrit précédemment. Il est donc préférable de travailler en arc sous-dimensionné en présence d'un parodonte réduit.
Le plan de traitement doit tenir compte d'un parodonte fin ou fragile en évitant d'appliquer à la lettre les règles établies pour un traitement plus conventionnel. Une réflexion s'impose sur les objectifs de traitement et sur les moyens d'y arriver.
C'est une alternative aux extractions de prémolaires qui peut se discuter dans certaines situations d'encombrement mandibulaire. En présence d'une classe III canine, d'une dysharmonie de volume dentaire par excès entre l'arcade mandibulaire et l'arcade maxillaire et d'un parodonte épais, l'extraction d'une incisive mandibulaire peut s'envisager. Cette possibilité reste cependant très limitée en orthodontie.
En dehors de ces indications, les effets collatéraux peuvent être dévastateurs sur un parodonte réduit. L'extraction d'une incisive provoque alors une fonte osseuse et une rétraction parodontale localisée. L'effet produit est désastreux pour le patient qui voit sa gencive se rétracter en laissant apparaître, dans certains cas (incisive de forme coronaire triangulaire), des triangles noirs disgracieux (fig. 16).
L'orthodontie linguale a fait d'importants progrès au cours des dix dernières années grâce à la fabrication de brackets totalement individualisés adaptés de manière extrêmement précise sur la face linguale des dents. Parmi les plus répandues nous citerons deux techniques relativement similaires mises au point par Dirk Wiechmann : la technique Incognito® (rachetée par 3M®) et la technique Win®. Ces deux techniques permettent de prévisualiser les objectifs de traitement sur set-up individuel. L'article de Dan Grauer et William R. Proffit nous démontre l'extrême précision de ces techniques totalement individualisées en fonction de chaque patient en orthodontie linguale (Grauer et Proffit, 2011). Ces auteurs ont étudié 94 patients traités par le Dr Wiechmann et ont comparé les modèles de fin de traitement aux set-up prévisionnels réalisés par le laboratoire. On note une différence moyenne de 1 mm pour le positionnement des dents et de 4° concernant la correction des rotations. Seules les deuxièmes molaires mandibulaires s'éloignent de ces valeurs et l'on note une augmentation de leur version linguale. Ainsi, les informations données par le set-up seront retranscrites et exprimées in vivo au niveau des arcades dentaires du patient.
Cette technique diffère beaucoup de la technique vestibulaire tant par la biomécanique que par son concept général. Le système de forces y est beaucoup plus proche du centre de résistance de la dent, ce qui permet un meilleur contrôle des mouvements radiculaires. Les objectifs du traitement, quant à eux, sont déterminés par la prescription initiale de l'orthodontiste et modélisés par le prothésiste qui réalise le set-up de fin de traitement. La position, l'angulation et le torque des dents sont programmés en amont avant même d'avoir collé les attaches en bouche. Tout paraît plus simple à première vue, lorsqu'on arrive à anticiper les mouvements dentaires, notamment celui des incisives mandibulaires.
Il faut pour cela que l'orthodontiste ait fait la synthèse des données cliniques (radiographie, examen parodontal et fonctionnel) avant d'indiquer la position idéale des incisives au prothésiste pour la réalisation du set-up.
La prévisualisation d'une fin de traitement requiert beaucoup de précision. Il est ainsi recommandé d'indiquer au prothésiste une incisive de référence qui va servir de guide à toutes les autres. Le prothésiste est souvent dans l'obligation de réaliser un compromis lorsqu'il existe un encombrement antérieur. Selon les circonstances, il va redresser les deux canines lorsqu'elles sont linguo-versées, réaliser une légère vestibulo-version incisive, effectuer un stripping (réduction amélaire proximale) de certaines dents ou combiner ces différentes solutions. De nouveau, la prescription de l'orthodontiste va l'aider à ne pas positionner les racines au-delà de la corticale externe.
Il faut également se méfier d'un redressement trop important, par le prothésiste, de l'axe des incisives mandibulaires proversées. En linguo-versant les incisives, on va inévitablement y associer une légère vestibulo-version des racines qui aura pour conséquence d'étirer et de fenestrer vestibulairement le parodonte (fig. 17).
La précision de cette technique est telle qu'il n'existe quasiment aucun degré de liberté, ce qui est un énorme avantage sur la qualité de l'occlusion et la finition du traitement lorsque les objectifs de ce dernier ont été clairement définis. Cependant, on perd ce que l'orthodontie vestibulaire classique, de manière involontaire, offrait : une souplesse d'exécution autorisant une marge d'erreur, quelques degrés de liberté permettant de préserver le parodonte. Il est important d'en prendre conscience afin de l'intégrer dans la prescription initiale.
Faut-il ou non renforcer le parodonte sur un sujet à risque en prévision de mouvements orthodontiques potentiellement iatrogènes ou vaut-il mieux attendre la fin du traitement, évaluer le préjudice et le réparer ? De manière moins manichéenne, est-ce qu'un apport muco-gingival en première intention avant l'orthodontie aurait pour effet de limiter la perte osseuse liée au traitement en fournissant un surplus de vascularisation au niveau du site et une barrière de protection supplémentaire ? Ainsi, dans l'éventualité d'une seconde intervention en fin d'orthodontie, on pourrait s'attendre à un taux de succès amélioré.
Il est du ressort de l'orthodontiste de décider si un patient à risque doit bénéficier ou non d'un renfort parodontal préalable à son traitement d'orthodontie. Cette décision doit prendre en compte de nombreux critères comme le biotype parodontal, les mouvements imposés aux dents par les forces orthodontiques ainsi que les malpositions initiales. Le patient doit prendre l'avis d'un parodontiste qui évoquera avec lui les différents risques qui pourraient survenir au cours du traitement orthodontique. Cette décision est donc collégiale, l'orthodontiste pose l'indication alors que le parodontiste choisit la technique la plus appropriée pour arriver au résultat escompté.
Le but initial recherché par l'orthodontiste avant de commencer un traitement n'est pas esthétique mais simplement biomécanique. Il faut créer une barrière résistant à l'étirement, à la perte osseuse sous-jacente et, éventuellement, à certaines attaques microbiennes liées à la difficulté du brossage. Il existe de nombreuses techniques chirurgicales qui peuvent remplir ce rôle initial de renfort gingival. On retrouve ainsi les lambeaux pédiculés qu'on déplace latéralement ou apicalement, les techniques de conjonctif enfoui associées ou non à des lambeaux pédiculés, des techniques de régénération tissulaire guidée mais aussi la greffe gingivale libre. Le choix se fera en fonction de différents paramètres comme le type de récession à recouvrir, l'environnement musculaire et les freins, la quantité de gencive attachée initiale et la zone concernée en bouche.
Pour l'orthodontiste, la seule indication initiale est d'obtenir le maximum de gencive attachée dans une zone ou un simple mouvement radiculaire entraînera probablement l'apparition d'une déhiscence osseuse.
La zone que nous désirons évoquer et qui condense un maximum de contraintes (musculaires, orthodontiques, osseuses) est le secteur incisivo-canin mandibulaire. En présence d'un biotype fin, les techniques utilisant un apport tissulaire semblent être les mieux indiquées (greffe de conjonctif, greffe épithélio-conjonctive) (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). La greffe gingivale libre aura un meilleur résultat que les lambeaux déplacés en termes de gain en hauteur et en épaisseur de gencive attachée (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). La greffe gingivale libre semble être la technique de choix qui remplirait au mieux les critères évoqués préalablement car elle permet de gagner de manière stable la quantité en tissu kératinisé nécessaire pour contrecarrer les mouvements orthodontiques à risque (Rateitschak, 1986). Rateitschak et al. ont montré que le gain estimé en hauteur de gencive attachée pouvait aller de 0,5 à 4 mm (Rateitschak et al., 1979) et Kennedy et al. ont prouvé qu'il était stable dans le temps (Kennedy et al., 1985). Quant à l'épaisseur obtenue, elle dépendra essentiellement de l'épaisseur du greffon prélevé initialement.
On reproche cependant à la greffe gingivale libre un côté légèrement disgracieux avec un aspect de rustine qui ne pose en général pas de problème dans un secteur où la lèvre ne découvre généralement pas la gencive.
Il n'existe actuellement aucun consensus sur le moment pour effectuer ce renfort parodontal. Est-il préférable d'attendre l'apparition des dégâts osseux et leurs manifestations cliniques ou vaut-il mieux intervenir en amont du traitement ? Malheureusement, très peu de publications donnent un avis tranché sur le sujet. Sullivan et Atkins ainsi que Mline et al. ont montré que l'on avait un moins bon taux de succès de recouvrement radiculaire en présence de récessions larges (supérieures à 3 mm) qu'étroites car les apports vasculaires nourriciers sont alors plus éloignés du centre de la racine (Sullivan et Atkins, 1968 ; Mline et al., 1973). Voici un début de réponse sur la nécessité d'intervenir précocement afin d'anticiper la perte de chance que l'on pourrait avoir si on intervenait dans un contexte de déhiscence osseuse encore plus marquée.
Lors de la réunion annuelle de l'Angle Society of Europe en Autriche (février 2013), d'éminents spécialistes (Johal et al., 2013) se sont interrogés sur l'implication de l'orthodontie dans l'apparition de récessions parodontales et une question a été posée : « Avons-nous des informations objectives permettant de décider si un renfort parodontal est nécessaire avant le traitement orthodontique ? »
Voici la réponse : « Malheureusement, il n'existe aucune information objective qui permette de répondre à cette question. Cependant, lorsqu'on suspecte la présence de déhiscence ou de fenestrations osseuses, il existe deux options thérapeutiques possibles : éviter trop d'expansion de l'arcade dentaire en maintenant les dents à l'intérieur de cette enveloppe alvéolaire en privilégiant le stripping dentaire ou les extractions. Dans certaines situations, où il faut faire de l'expansion, il serait prudent d'envisager un renfort parodontal avant le traitement. »
Cet avis est partagé par Pedro Leitao qui propose de réaliser une greffe gingivale libre avant le traitement orthodontique, d'avoir un contrôle optimal du brossage pendant la phase active de l'alignement dentaire et de limiter les mouvements dentaires iatrogènes (Leitao, 2013). Une réévaluation en fin de traitement permettrait de décider d'une seconde intervention muco-gingivale complémentaire. L'aménagement de la gencive attachée avant orthodontie est également justifié selon Maynard (Maynard, 1987). En effet, le caractère interceptif de cette chirurgie permet d'intervenir avant toute dégradation du système d'attache, fiabilisant les résultats de la correction muco-gingivale (Gardella et al., 1997).
Dersot propose deux chronologies de traitement qui seront choisies en fonction de la direction du déplacement des dents (Dersot, 2012). Un déplacement vestibulaire impliquera une chirurgie pré-orthodontique alors qu'un mouvement centripète des incisives laissera le choix d'une réévaluation postorthodontique.
Quel est notre ressenti ? Nous avons le profond sentiment, et dans certaines situations seulement, d'imposer au parodonte des contraintes qui vont amener inexorablement à sa fragilisation et à sa perforation vestibulaire. Il faut avoir conscience des mouvements voulus ainsi que des effets secondaires de nos thérapeutiques orthodontiques.
L'expérience nous permet de déceler ces cas risqués dont il faut se méfier. Nous préférons ainsi intervenir en amont lorsqu'un risque potentiel d'apparition de déhiscence osseuse est supposé.
Le protocole commence par le contrôle absolu et la maîtrise de l'hygiène bucco-dentaire que l'on doit enseigner aux patients, même et a fortiori chez l'adulte. Ce dernier sera alors adressé à un parodontiste qui devra réaliser une greffe gingivale libre dans l'optique de renforcer la zone qui va être étirée. Il en profitera pour réaliser la frénectomie labiale inférieure, si elle est nécessaire, au moment de la préparation du lit de la greffe. Le bombé procident de la racine mise en cause pourra être légèrement réduit afin de faciliter encore la revascularisation de la greffe. Durant la phase de cicatrisation, l'orthodontiste peut commencer son traitement à l'arcade maxillaire. On laisse s'écouler environ 3 mois entre le jour de l'intervention et la pose des attaches à l'arcade mandibulaire. Une fois la zone renforcée et cicatrisée, il ne s'agit pas de prendre en charge les incisives de manière conventionnelle sans attention.
L'apport de gencive attachée ne se substitue pas à une réflexion biomécanique sur la manière de délivrer des forces légères et continues. En aucun cas il ne faut projeter les incisives vers l'avant pour gagner de la place. Il ne faut pas hésiter parfois à faire des compromis, notamment chez l'adulte, car le mieux est bien souvent l'ennemi du bien. Ainsi, il est préférable de limiter les cas avec avulsions, rallongeant les traitements et sollicitant l'ancrage incisif, et de privilégier le stripping, la classe I molaire et canine n'étant pas forcément l'objectif à atteindre à tout prix lors d'un traitement chez l'adulte.
L'apparition d'une récession en cours de traitement ne nous semble pas être une indication de greffe immédiate. Il faut bien contrôler le niveau d'hygiène, éventuellement décharger la dent ou les dents présentant une récession en réduisant la section de l'arc ou en rajoutant une information correctrice dans ce dernier. Il faudra ensuite patienter jusqu'à l'obtention d'une stabilisation parodontale. Le traitement sera terminé plus rapidement, en prévision d'une thérapeutique parodontale qui pourra être envisagée à partir de ce moment-là.
La contention collée sur la face linguale de 33 à 43 sera réalisée minutieusement en dégageant bien les embrasures et sera polie afin de ne laisser aucune accroche supplémentaire au tartre, car la difficulté de brossage dans cette zone peut aussi aggraver une récession (Pandis et al., 2007).
Ce ne sera qu'en seconde intention, une fois l'appareil déposé et les hypertrophies gingivales réactionnelles disparues, que l'on pourra envisager une réévaluation parodontale de la zone antérieure. Une intervention muco-gingivale à visée plus esthétique pourra alors être proposée au patient.
Nous verrons, au travers de deux cas cliniques, des situations à risque dont la prise en charge a nécessité une greffe gingivale libre préalable.
Il s'agit d'une récidive de traitement orthodontique sur une compensation de classe II squelettique par extraction de 4 prémolaires.
Monsieur B. a déjà bénéficié d'un traitement d'orthodontie à l'adolescence. Une récidive de la malocclusion est apparue en l'absence de contention fixe et de rééducation fonctionnelle. Ce patient présente une typologie faciale hyper-divergente associée à un encombrement du secteur incisivo-canin maxillaire et mandibulaire. On note également une endoalvéolie maxillaire et mandibulaire et une bi-rétroalvéolie incisive. Il existe une déviation de la médiane incisive mandibulaire, une classe II molaire et canine à droite et une classe I à gauche (fig. 18). L'examen de la téléradiographie de profil révèle une hypsogénie réduisant la marge de déplacement des incisives mandibulaires. De même, la zone du point A (au centre de la concavité sous les apex des incisives) au niveau squelettique et le sillon mentonnier au niveau cutané semblent être sculptés par une tonicité particulièrement marquée de la sangle musculaire péri-orale. Tout cela nous laisse à penser à une récidive fonctionnelle où la tonicité musculaire jugale et labiale, associée à une déglutition dysfonctionnelle, aurait contraint les procès alvéolaires latéraux et incisifs en direction centripète. À cela s'ajoute un parodonte fragile qui, souffrant de telles contraintes, laisse apparaître des récessions dans la région incisive.
Une greffe gingivale libre de 42 à 33 a été réalisée pour ce patient. Pendant la phase de cicatrisation, l'appareil multi-attaches a été posé à l'arcade maxillaire puis, environ 3 mois plus tard, à l'arcade mandibulaire. La coordination des arcades a été faite par le port continu d'élastiques de classe II asymétriques dans le but de corriger au mieux la classe II à droite et de parfaire l'occlusion (fig. 19).
La contention est assurée par le collage d'un fil de contention maxillaire et mandibulaire associé au port d'une enveloppe linguale nocturne (ELN). Ce dispositif nocturne, agissant sur la position de la langue, est complété par une rééducation fonctionnelle prise en charge par un orthophoniste.
Le patient n'ayant aucune doléance esthétique ni sensibilité au froid liée aux récessions gingivales, nous n'avons pas envisagé de chirurgie muco-gingivale complémentaire.
À l'avenir, le patient sera suivi régulièrement tous les ans pour le contrôle de sa contention.
Il est important de remarquer que malgré la proversion des incisives mandibulaires prévue par le plan de traitement (fig. 20), on ne remarque aucune aggravation des récessions initiales. Il semble même y avoir eu une amélioration du recouvrement radiculaire de 33. Par ailleurs, cette intervention a permis de sectionner et de bloquer l'insertion cervicale du frein en regard de 31 et 41 (fig. 21).
Il s'agit du traitement ortho-chirurgical d'une classe II squelettique sans extraction de prémolaires.
Madame B est venue en consultation pour avoir un avis concernant une récidive de son traitement d'orthodontie entrepris à l'adolescence. On constate en effet une proalvéolie de ses incisives maxillaires et un fort encombrement du bloc incisivo-canin mandibulaire. La patiente présente une classe I molaire et canine avec une 43 en vestibulo-position. On note aussi une endognathie maxillaire associée à une endoalvéolie de l'arcade antagoniste. Le parodonte est extrêmement fin dans le secteur antérieur avec, notamment, l'apparition de récessions gingivales en regard des 41 et 43 (fig. 22).
La patiente présente par ailleurs une classe II squelettique associée à un excès vertical de la partie inférieure de la face rendant impossible un contact entre les lèvres sans crispation de la sangle péri-orale (fig. 23).
Pour l'essentiel, l'étiologie de la malocclusion réside dans cette perturbation fonctionnelle créée lors de la déglutition. La lèvre inférieure s'interpose entre les deux arcades en se plaquant fortement contre les incisives mandibulaires lors de la déglutition ou de la phonation et, dans le même temps, propulse les incisives maxillaires vers l'avant en les exposant en cas de choc. L'anamnèse révèle d'ailleurs un traumatisme de ces incisives quelque temps après le premier traitement. Les 11 et 21 ont été expulsées ; la 21 a pu être réimplantée, la 11 a été définitivement perdue et remplacée par un implant associé à une greffe osseuse. Pour les mêmes raisons dues à une déglutition dysfonctionnelle, les joues exercent une force de direction centripète sur les procès alvéolaires latéraux en réduisant la largeur d'arcade et en chassant ainsi vers l'avant les 11 et 21 mais aussi les 33 et 43.
Les objectifs de traitement sont les suivants :
– à l'arcade maxillaire, nivellement de l'arcade associé une expansion transversale. La 21 va être linguo-versée, il faudra faire une couronne provisoire sur l'implant de 11 en modifiant son axe ;
– à l'arcade mandibulaire :
• nivellement de l'arcade sans proverser davantage les incisives,
• distalisation des secteurs latéraux afin de retrouver une occlusion de classe II nécessaire à la correction de la classe II squelettique et de l'excès vertical lors de la chirurgie.
Le traitement se réalise au moyen :
– d'une greffe gingivale libre de 32 à 43 suivie d'une phase de cicatrisation de 3 mois (fig. 24) ;
– d'un appareil multi-attaches maxillaire couplé à la pose d'un Quad Helix permettant l'expansion de l'arcade maxillaire ;
– de la pose d'une plaque d'ancrage osseux de type Tekka® dans la zone des molaires mandibulaires associée à des dispositifs multi-attaches sectionnels ne prenant pas en charge les incisives mandibulaires. Dans un premier temps, les incisives ne doivent pas être mobilisées (fig. 25). Une fois que les secteurs latéraux ont reculé, les incisives sont prises en charge par un fil super-élastique en nickel-titane de section ronde, très fin et souple. L'arcade mandibulaire est nivelée complètement, la phase préchirurgicale est terminée (fig. 26) ;
– d'une intervention chirurgicale avec ostéotomies de type Lefort I d'impaction maxillaire et d'avancée mandibulaire (Dominique Deffrennes) ;
– d'une phase de finition et de dépose de l'appareil.
Ce cas permet d'expliquer la technique de prise en charge différentielle des incisives afin d'éviter des mouvements de va-et-vient dévastateurs sur un parodonte fragile. La chirurgie et ce nouveau traitement permettent de normaliser les fonctions et les bases osseuses en autorisant ainsi un nouvel équilibre plus stable. À la fin du traitement, la patiente envisage de refaire les couronnes des 11 et 21.
L'orthodontie est parfois perçue comme une discipline biomécanique nécessitant le suivi de protocoles rigoureux dont les objectifs sont dictés par des valeurs d'angles et de distances relevées sur des analyses de téléradiographie de profil ou des moulages, ce qui, avec l'expérience, est bien loin de la réalité clinique. Fort de sa pratique, le clinicien appréhende le traitement d'une malocclusion dans sa globalité en ne se focalisant plus uniquement sur les dents mais également sur les données structurelles et fonctionnelles qui les entourent. Il prend en compte non seulement l'esthétique et le galbe d'un profil labial mais aussi l'environnement parodontal, protagoniste de ses futurs déplacements dentaires. Le biotype parodontal ainsi que tous les autres facteurs fonctionnels peuvent, ou non, modifier l'exécution d'un plan de traitement jusqu'à, parfois même, être obligé d'envisager une abstention de traitement. Dans certaines situations cliniques où le pronostic est réservé, le traitement peut être entrepris, mais uniquement sous couvert d'un renforcement parodontal initial. La greffe gingivale étant réalisée, on préserve ainsi les tissus de soutien de la dent et on autorise des déplacements effectués dans des conditions, cette fois-ci, favorables. La chronologie de l'intervention revêt ainsi son importance et il nous semble préférable d'intervenir avant une éventuelle destruction du parodonte profond, garantissant probablement un meilleur taux de succès de la greffe. Cette barrière histologique renforcée assure déjà une stabilisation de la récession et empêche vraisemblablement son aggravation au cours du traitement d'orthodontie.
Restons lucides et honnêtes avec nous-mêmes, la qualité d'un traitement ne peut être pleinement jugée le jour de la dépose d'un appareil, mais bien plus tard, dans les années qui suivent. En omettant les règles élémentaires d'un parodonte préservé, nos traitements peuvent être iatrogènes, et même si la portée de cette inadvertance n'est pas perceptible dans un temps rapproché, les séquelles d'une déhiscence osseuse peuvent ne se révéler que bien plus tard.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêt concernant cet article