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Ancien Assistant Hospitalo-universitaireUniversité Paris Descartes Parodontie et implantologie exclusives Paris
L'homéostasie, initialement élaborée et définie par Claude Bernard en 1865, est la capacité d'un système à conserver son équilibre de fonctionnement en dépit des contraintes qui lui sont extérieures. Dans le milieu buccal, la flore, notamment le biofilm bactérien, peut être assimilée à une contrainte. Cette flore est présente en permanence. Dans les conditions habituelles d'équilibre hôte/bactéries, l'os alvéolaire peut se remodeler sans perte d'ancrage des organes dentaires. Dans le cadre des parodontites, l'augmentation de la charge bactérienne et/ou la modification de la composition de la flore rompent cet équilibre et entraînent une destruction du parodonte en direction apicale avec perte d'attache. La destruction de l'os alvéolaire, surtout quand elle se fait dans le sens horizontal, est particulièrement problématique du fait de son irréversibilité. Les événements physiopathologiques déclenchés par la présence des lipopolysaccharides (principaux facteurs de virulence des bactéries à Gram négatif) et menant à cette destruction alvéolaire sont synthétisés dans cet article.
Homeostasis, originally defined by Claude Bernard in 1865, is the ability of systems to maintain balance operating despite external stresses. In the oral environment, bacterial biofilm that is continuously present can be considered as a stress. Under the usual conditions of host/bacteria equilibrium, alveolar bone can remodel without loss of dental anchorage. During periodontitis, increased bacterial load and/or biofilm composition modification broke this balance and lead to periodontium destruction in the apical direction with attachment loss. Alveolar bone loss, especially when it happens in the horizontal direction, is of particular concern because of its irreversibility. Major physiopathological events caused by lipopolysaccharides (main Gram negative bacterial toxins) and leading to alveolar bone destruction are synthesized in this article.
L'os est en remodelage permanent. Des processus de résorption et d'apposition osseuse se succèdent et se côtoient au sein du tissu osseux. Ce remodelage se fait au niveau du périoste et à l'intérieur de la matrice osseuse au niveau des BMU (bone multicellular units). Il est classiquement décrit en trois phases successives : une phase de résorption, suivie d'une phase d'inversion puis une phase d'apposition osseuse. Il est régulé par un certain nombre de facteurs endogènes (parathormone, corticostéroïdes, vitamine D…), par des facteurs de croissance – BMP (bone morphogenic proteins), TGF-β ; (transforming growth factor beta), M-CSF (macrophage-colony stimulating factor)… – et fait intervenir différents types cellulaires (ostéoblastes et précurseurs, ostéoclastes et précurseurs, ostéocytes, cellules nerveuses…) (fig. 1). Parmi ces types cellulaires, on distingue notamment les ostéoclastes, qui sont des cellules résorbantes, les ostéoblastes, qui permettent l'apposition de la matrice osseuse non minéralisée, et les ostéocytes, qui sont des cellules englobées dans la matrice osseuse minéralisée et qui jouent un rôle important de régulation. Ces types cellulaires ont des origines différentes puisque les ostéoclastes sont issus de la lignée hématopoïétique alors que les ostéoblastes et les ostéocytes sont issus de la lignée mésenchymateuse. Dans les conditions pathologiques d'une parodontite, les toxines bactériennes viennent perturber l'équilibre du tissu osseux dans le sens de la résorption. Cette résorption de l'os alvéolaire est l'aboutissement de toute une chaîne d'événements et d'interactions cellulaires menant à l'activation des ostéoclastes. De façon générale, les toxines bactériennes vont activer le système immunitaire (spécifique et non spécifique) ainsi que d'autres types cellulaires comme les fibroblastes et les cellules endothéliales. Les multiples voies de communication existant entre le système immunitaire et le tissu osseux permettent alors d'activer la différenciation et l'activation de la lignée ostéoclastique et, donc, la résorption de l'os alvéolaire (fig. 2).
La cavité buccale, lieu d'échange direct entre l'organisme et son environnement, héberge plus de 300 espèces bactériennes chez l'individu sain. Bien que les bactéries puissent se trouver en suspension dans le fluide buccal, la majorité s'organise en un biofilm bactérien. Ce biofilm est défini comme une communauté « de populations bactériennes adhérant les unes aux autres et/ou aux surfaces ou interfaces, et emprisonnées dans une matrice ». C'est une structure stable et résistant à l'élimination. Le biofilm représente un réservoir d'antigènes bactériens au contact des tissus parodontaux. Il libère en permanence des composants bactériens antigéniques (lipopolysaccharides, arabinomananes, fimbriae…) qui pénètrent les tissus parodontaux et entraînent leur destruction. Les mieux décrits et probablement les plus pathogènes de ces antigènes sont les lipopolysaccharides (LPS), composants de la paroi externe des bactéries à Gram négatif. Parmi les bactéries à Gram négatif impliquées dans les parodontites, certaines ont fait l'objet de publications particulièrement nombreuses comme Porphyromonas gingivalis et Aggregatibacter actinomycetemcomitans. Les LPS sont composés de trois parties : le lipide A, le core (interne et externe) et le polysaccharide-O. Le lipide A est la partie qui possède l'activité pro-inflammatoire la plus importante. Les lipides A de la plupart des LPS des bactéries de la cavité buccale présentent une structure relativement proche, avec néanmoins quelques différences (Dixon et al., 2004). Les LPS peuvent activer un certain nombre de types cellulaires (monocytes/macrophages, neutrophiles, cellules endothéliales, fibroblastes, ostéoblastes, ostéoclastes) par l'intermédiaire de leur récepteur CD14 qui peut être soluble ou membranaire. La LBP (LPS binding protein) est une protéine chaperonne qui permet d'augmenter fortement la sensibilité de la liaison LPS/CD14. C'est une glycoprotéine de 58 kDa synthétisée dans le foie. Elle est libérée dans la circulation sanguine en réponse à une bactériémie ou à une endotoxinémie (Schumann et al., 2011). Il est à noter qu'elle n'est pas spécifique aux LPS puisqu'elle peut également se fixer à d'autres toxines bactériennes (Schröder et al., 2005). Le complexe LPS/CD14 va ensuite interagir avec un récepteur transmembranaire qui va permettre la transduction d'un signal intracellulaire (fig. 3). Ce récepteur appartient à la famille des toll like receptor (TLR). Certains auteurs (Chow et al., 1999 ; Schletter et al., 1995 ; Ulevitch et Tobias, 1995 ; Chaudhary et al., 1998) ont montré l'implication du TLR4 dans la transduction intracellulaire du signal par les LPS. D'autres travaux ont montré que la protéine TLR2 peut également assurer cette transduction intracellulaire au niveau des ostéoblastes (Kikuchi et al., 2001), des cellules du ligament parodontal (Sun et al., 2010) et des cellules gingivales (Irie et al., 2012).
Les LPS, par l'intermédiaire de leurs récepteurs CD14/TLR2 ou 4, interagissent avec divers types cellulaires, entraînant la transduction d'un signal intracellulaire. Au niveau des monocytes/macrophages (Matsuki et al., 1991), des ostéoblastes (Zou et al., 2002) et des fibroblastes (Nagasawa et al., 2002), ils induisent la libération de cytokines pro-inflammatoires, notamment les interleukines (IL) 1 et 6 et le tumor necrosis factor alpha (TNF-α), ainsi que de prostaglandines E2 (PGE2). En réponse à la présence de LPS, les lymphocytes T4 (LT4) peuvent également libérer des cytokines pro-inflammatoires, mais de façon indirecte. En réponse aux LPS, les LT sécrètent de l'interféron gamma (IFN-γ) qui augmente l'expression du complexe majeur d'histocompatibilité de classe II (CMH-II) par les cellules présentatrices d'antigènes (CPA). L'interaction du CMH-II présentant un antigène avec son récepteur exprimé par les LT4 entraîne la libération d'IL6 par ces lymphocytes T4 (Bakeret al., 1999).
Comme le montre la figure 4 , les lymphocytes Th1, lorsqu'ils sont stimulés par une cellule présentatrice d'antigène (CPA), augmentent leur libération de RANK-L (receptor activator of nuclear kappa-B ligand) dans le milieu. La stimulation des lymphocytes Th1 se fait par l'intermédiaire d'un double signal : d'une part la reconnaissance par le récepteur des cellules T (TCR, T cell receptor) d'un antigène présenté par un CMH-II et, d'autre part, la costimulation du récepteur CD28 par la molécule de costimulation B7 (Kawai et al., 2000 ; Taubman et Kawai, 2001). La fixation des LPS sur les cellules présentatrices d'antigène entraîne l'augmentation de l'expression membranaire de la molécule de costimulation B7 et, donc, l'augmentation de la libération de RANK-L (Verhasselt et al., 1997 ; Josien et al., 1999).
RANK-L est une cytokine de la famille de TNF dont l'existence a été révélée pour la première fois en 1997 (Tsuda et al., 1997). De façon physiologique, RANK-L est principalement synthétisée par les ostéocytes au niveau de l'os (Xiong et al., 2011). C'est un puissant activateur de la résorption osseuse. Son action pro-résorbante se fait par interaction avec la protéine RANK située à la surface des cellules de la lignée ostéoclastique (Yasuda et al., 1998 ; Bell, 2003). Un an avant la découverte de RANK-L, deux équipes (Tsuda et al., 1997 ; Simonet et al., 1997) avaient mis en évidence un facteur soluble de la famille des récepteurs au TNF capable d'inhiber la résorption osseuse. Ce facteur soluble, qui sera plus tard renommé OPG (ostéoprotégérine), permet d'inhiber par compétition les interactions RANK-L/RANK (fig. 5). L'OPG, qui se fixe spécifiquement sur RANK-L sous sa forme soluble ou membranaire (Yasuda et al., 1998), est principalement synthétisée par les ostéoblastes. La régulation de l'interaction RANK-L/RANK résulte de la modulation de l'expression de RANK-L, de RANK et d'OPG.
Il existe différentes voies d'activation des ostéoclastes dans le cadre des parodontites (fig. 6). L'activation et la différenciation des pré-ostéoclastes par interaction RANK-L/RANK semblent être la voie principale. En effet, d'un point de vue expérimental, seules les souris RANK et RANK-L knock-out montrent une absence complète d'ostéoclastes (Dougall et al., 1999 ; Li et al., 2000). Différentes sources de libération de RANK-L dans le milieu ont été mises en évidence. D'abord, les cytokines inflammatoires (IL1, IL6, TNF-α) augmentent l'expression de RANK-L par les ostéoblastes (Kikuchi et al., 2001). Comme vu précédemment, les lymphocytes Th1 sont également une source de RANK-L. Il semble également que l'activation et la différenciation des ostéoclastes puissent être déclenchées par action directe de certaines cytokines (IL1 et TNF-α) sur les pré-ostéoclastes (Hofbauer et al., 1999 ; Kobayashi et al., 2000). Enfin, l'ensemble des acteurs cellulaires cités précédemment (ostéoblastes, pré-ostéoclastes et ostéoclastes) expriment le récepteur aux LPS (CD14/TLR2 ou 4). Une action directe des LPS sur ces cellules peut donc également amener à la résorption osseuse, au moins in vitro (Kawai et al., 2000 ; Zou et al., 2002 ; Itoh et al., 2003).
Il est également à noter que, parallèlement à l'augmentation de l'expression de RANK-L, la présence dans le milieu des LPS provoque une diminution de l'expression d'OPG (Reddiet al., 2008), accentuant le déséquilibre du rapport RANK-L/RANK/OPG dans le sens de la résorption osseuse.
Au cours de la différenciation des pré-ostéoclastes en ostéoclastes, les ostéoblastes jouent un rôle central en synthétisant le M-CSF et RANK-L, tous deux nécessaires à l'activation des ostéoclastes, ainsi qu'OPG, qui permet l'inhibition de cette activation.
La réponse des individus en termes de résorption alvéolaire et de perte d'attache peut être très différente. Ces différences semblent liées au profil de la réponse immunitaire et inflammatoire de chaque individu. Dans ce contexte, deux situations à risque se dégagent (fig. 7). D'une part les individus qui présentent une déficience de leur système immunitaire et, d'autre part, ceux qui présentent au contraire un seuil de sensibilité trop élevé aux agents antigéniques et donc un profil inflammatoire et une réponse immunitaire augmentés. Chez ces individus, on a tendance à parler de « réponse de l'hôte » exacerbée. Ces variations interindividuelles sont liées à l'existence de polymorphismes au niveau de diverses protéines impliquées dans la réponse de l'hôte (Laine et al., 2012). Il est également important de noter que la susceptibilité des individus aux parodontites est également modulée par différents facteurs systémiques (diabète…) et environnementaux (tabac, stress…).
L'auteur déclare n'avoir aucun conflit d'intérêts concernant cet article.