Article
Philippe KHAYAT * Frédéric CHAMIEH **
* Maîtrise en sciences odontologiques (Université de Washington), Professeur assistant affilié (Université de Washington)
** CES parodontologie, CES prothèse fixée
Master biologie cellulaire physiologie pathologie, spécialité parodontologie
Treize articles traitant exclusivement de l'utilisation de blocs osseux allogènes chez l'homme ont été sélectionnés : 1 étude prospective multicentrique, 4 études prospectives, 7 séries de cas et 1 rapport de cas. Ces études montrent l'efficacité de ces blocs dans les reconstructions osseuses horizontales mais les résultats sont à prendre avec précaution car seules 3 études comprennent plus de 50 sites greffés.
On distingue plusieurs techniques de délipidation-déshydratation. Celles par bain ultrasonique d'acétone et celles par sublimation au dioxyde de carbone supercritique semblent mieux préserver les propriétés mécaniques des greffons que les autres.
Les blocs sont retouchés puis débarrassés des inclusions d'air et réhydratés. Après l'ostéosynthèse, ils sont recouverts d'une membrane résorbable. Le temps de cicatrisation est de 6 mois.
De mars 2010 à août 2011, 51 sites ont été greffés à l'aide de blocs osseux allogènes Puros® dont 39 maxillaires (76 %) et 12 mandibulaires (24 %). Un site maxillaire a présenté une résorption partielle du greffon n'ayant pas contre-indiqué la pose de l'implant. Deux échecs (4 %) ont intéressé des sites maxillaires : une perte totale du bloc par infection et un cas de résorption quasi totale.
Les blocs osseux allogènes peuvent constituer une intéressante solution de remplacement aux prélèvements osseux autogènes intra-oraux ou extra-oraux.
Thirteen articles exclusively related to the use of allogenous bone blocks in humans were selected: 1 multicentric prospective study, 4 prospective studies, 7 case series and one case report. These studies show the efficacy of these blocks in horizontal bone reconstruction but these results must be analysed carefully since only 3 studies include more than 50 grafted sites.
Several defatting-dehydration techniques have been described. Those using an ultrasonic acetone bath and those using supercritical carbon dioxide sublimation seem to better preserve mechanical properties of the grafts.
Blocks are modified, air inclusions are eliminated and blocks are rehydrated. After osteosynthesis, they are covered with a resorbable membrane. A 6-month healing time is used.
From March 2010 to August 2011, a total of 51 sites were grafted using Puros® allogenous bone blocks, 39 in the maxilla (76%) and 12 in the mandibule (24%). One maxillary site exhibited partial resorption of the graft not preventing implant placement. Two maxillary sites failures were observed: one total loss of the graft due to infection and one with almost total graft resorption.
Allogenous bone blocks can be an interesting alternative to intra- or extra-oral autogenous grafts.
L'utilisation de greffons osseux autogènes pour la reconstruction de crêtes délabrées ou résorbées fait l'objet de nombreuses publications et d'un recul clinique important (Jensen et al., 1991, 1994 ; Misch, 1997, 2000 ; Misch et al., 1992, 1997, Raghoebar et al., 1996 ; Williamson, 1996). Cependant, cette technique nécessite un prélèvement osseux et entraîne des suites postopératoires marquées qui varient selon l'importance du greffon et sa zone de prélèvement (Nkenke et al., 2001, 2002 ; Silva et al., 2006). De surcroît, dans le cas de sites donneurs intra-oraux, le volume des greffons est limité et peut s'avérer insuffisant pour une reconstruction importante (Montazem et al., 2000).
Plusieurs solutions de remplacement de l'autogreffe osseuse ont fait l'objet de publications (Chiapasco et al., 2006). L'objectif de cet article est de présenter une revue de littérature scientifique sur l'utilisation de blocs osseux allogènes et de décrire le protocole d'utilisation de nouveaux greffons déshydratés par solvants (Puros®, Zimmer Dental).
En chirurgie dentaire, les blocs osseux allogènes proviennent d'un don de tissu. Il s'agit de têtes fémorales recueillies lors d'arthroplasties sur donneurs vivants ou prélevées sur des donneurs décédés. La qualité et la sûreté du prélèvement sont garanties, en France, par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ASNM, anciennement AFSSAPS) et, aux États-Unis, par la Food and Drug Administration (FDA) et l'American Association of Tissue Banks (AATB). Après recueil des antécédents médicaux, chaque donneur est soumis à de nombreux tests sérologiques (hépatite, VIH, syphilis, leucémie) afin de protéger le receveur d'une éventuelle transmission de virus et/ou bactéries. L'obtention de ce produit se fait ensuite par le biais d'une prescription nominative (article L. 1243–25 du Code de la santé publique). Il existe plusieurs produits proposés en France aux chirurgiens soit directement par des banques osseuses françaises, soit, dans le cas du Puros® (Zimmer Dental), par l'Établissement français du sang (EFS) qui a bénéficié d'une autorisation de distribution délivrée par l'ANSM en application de l'article L. 1243–1 du Code de la santé publique.
Les greffons osseux allogènes peuvent être classés selon le procédé de déshydratation utilisé :
– lyophilisation. On parle alors d'allogreffe d'os frais congelé (FDBA, freeze-dried bone allograft). Les trames minérales et organiques sont conservées (Pacific Coast Tissue Bank) ;
– déshydratation par solvants. La trame minérale est conservée avec des résidus collagéniques (Biobank, Tutogen, LifeNet).
On peut aussi les classer selon la nature du bloc (spongieux ou cortico-spongieux). Les blocs cortico-spongieux sont plus faciles à manipuler que les blocs spongieux car moins fragiles. La vis d'ostéosynthèse se bloque plus efficacement lorsque sa tête s'engage légèrement dans la partie corticale du greffon.
Les protocoles de préparation Tutoplast®, Supercrit®, Allowash XG® et Phoenix® présentent de légères différences. Le tableau 1 décrit ces protocoles.
La préparation (délipidation, inactivation de virus, de bactéries et de protéines infectieuses, comme le prion, par agents chimiques) et la stérilisation par rayons gamma peuvent entraîner des altérations mécaniques parfois significatives de ces greffons osseux allogènes (Vastel et al., 2004, 2007, 2009).
Concernant l'irradiation gamma, des tests de compression ont montré qu'il n'existait pas d'altération des propriétés biomécaniques lors du traitement par irradiation gamma à faible dose (18 kGy) (Wolfinbarger, 2004). C'est le cas des greffons Puros®. Une autre étude indique qu'une irradiation à 25 kGy affecte très peu les propriétés biomécaniques (Vastel et al., 2007). L'utilisation de doses inférieures (10 kGy) ne permet pas d'obtenir de meilleurs résultats lors des tests mécaniques (Vastel et al., 2007).
Il est également démontré qu'une délipidation par solvant (immersion pendant 17 heures dans de l'acétone) provoque une légère altération des propriétés mécaniques (Vastel et al., 2004). Une étude compare les procédés de préparation Phoenix® (TBF®), Tutoplast® (Puros®) et Supercrit® (Biobank®) sur des blocs spongieux (Vastel et al., 2009) et montre que les procédés Supercrit® et Tutoplast® sont ceux qui ont le moins d'impact sur le module d'élasticité des greffons. Ceux-ci se fracturent donc moins facilement lors de l'ostéosynthèse.
Seules les données bibliographiques Medline intéressant l'utilisation de blocs osseux allogènes chez l'homme ont été retenues. Les études traitant de l'os allogène particulaire et les études animales ont été exclues. Treize articles ont été sélectionnés : 1 étude prospective multicentrique, 4 études prospectives, 7 séries de cas et 1 rapport de cas (tableau 2).
Les publications sélectionnées rapportent des résultats cliniques concernant 313 patients greffés avec un total de 402 blocs allogènes (39,5 % cortico-spongieux et 60,5 % spongieux) observés sur une période de 6 à 60 mois. La majorité des reconstructions osseuses intéresse le secteur antérieur maxillaire (196 blocs, 49,1 %) (Wallace et al., 2010) et le secteur mandibulaire postérieur (117 blocs, 29,3 %). Cinquante-sept blocs sont utilisés dans la reconstruction de secteurs postérieurs maxillaires (14,3 %) et 29 au niveau du secteur antérieur mandibulaire (7,3 %).
Les articles présentés dans le tableau 2 montrent un taux de survie des greffes de 79,3 à 100 % et un taux de survie implantaire allant de 95,2 à 100 %.
Dans la plupart des études, les cas cliniques traités nécessitent une augmentation osseuse verticale et/ou horizontale d'au moins 3 mm (Chaushu et al., 2010 ; Nissan et al., 2008, 2011a, 2011b). Dans ses critères d'inclusion, Peleg et al. éliminent les augmentations horizontales de plus de 5 mm et verticales de plus de 3 mm (Peleg et al., 2010).
Les biopsies des sites opérés révèlent la formation d'un nouvel os ainsi qu'une absence de réaction inflammatoire ou de nécrose (Keith et al., 2004 ; Keith et al., 2006 ; Pendarvis et Sandifer, 2008 ; Kim et al., 2010). Cet os néoformé contient des ostéocytes vivants ayant un contact intime avec l'os spongieux allogène résiduel (Pendarvis et Sandifer, 2008 ; Kim et al., 2010 ; Morelli et al., 2009). Après 4 mois de cicatrisation, les biopsies montrent une faible quantité d'os allogène résiduel et des proportions variables d'os lamellaire et non lamellaire (Kim et al., 2010). Une étude montre une substitution complète du matériau (Leonetti et Koup, 2003).
La stabilité des volumes augmentés est évaluée après une période de 4 à 6 mois de cicatrisation du greffon, puis après ostéo-intégration des implants lors de la phase d'exposition.
Les gains maximaux horizontaux et verticaux obtenus sont respectivement de 6 et 4,3 mm. L'utilisation de blocs spongieux est souvent associée à une contraction crestale du greffon après 6 mois de cicatrisation. Celle-ci varie entre 0 et 3 mm (Pendarvis et Sandifer, 2008). Une résorption horizontale supplémentaire de 0 à 0,5 mm est remarquée après ostéo-intégration des implants (Nissan et al., 2008, 2009, 2011). Lorsque la cicatrisation du greffon se fait sans complications, une résorption horizontale non pathologique globale du greffon de 0 à 1 mm est constatée ainsi qu'autour des vis d'ostéosynthèse (Keith et al., 2006). Le gain de volume osseux est significativement différent lorsque des complications perturbent la cicatrisation du greffon (Chaushu et al., 2010).
Le taux de complications varie selon les études. Certains auteurs n'observent aucune complication (Kim et al., 2010 ; Leonetti et Koup, 2003 ; Lyford et al., 2003 ; Petrungaro et Amar, 2005 ; Soltan et al., 2007). La majorité des échecs sont constatés dans le secteur mandibulaire postérieur (Chaushu et al., 2010 ; Nissan et al., 2011a ; Keith et al., 2006). L'une de ces trois études présente un taux élevé d'échec de la greffe : 20 % (Nissan et al., 2011a). Ces auteurs n'utilisent que des greffons spongieux.
D'une façon générale, les complications rapportées sont des expositions de membrane, une réouverture du site au niveau du tracé d'incision, des perforations de muqueuse par le greffon et des infections. La plupart sont dues aux difficultés de fermeture du lambeau sans tension ou à la présence d'angles vifs au niveau du bloc (Chaushu et al., 2010).
Une perforation de la muqueuse par le greffon n'entraîne pas systématiquement une perte totale de celui-ci (Chaushu et al., 2010). Le succès de l'augmentation osseuse par bloc allogène semble en partie lié à l'utilisation d'une bonne technique chirurgicale (Chaushu et al., 2010 ; Keith et al., 2006).
Il est préconisé de réhydrater le greffon dans une solution de sérum physiologique pendant 30 à 45 minutes avant l'intervention. Nous observons cependant que celui-ci conserve de meilleures propriétés mécaniques, en particulier une meilleure résistance à l'écrasement pendant les manipulations, si cette étape est supprimée. La réhydratation se fera progressivement lors des phases d'élimination des bulles d'air dans une seringue de sérum physiologique, de découpe sous irrigation, puis, in situ, lorsque le sang viendra imbiber le greffon et remplir les espaces trabéculaires. Dans certaines situations, il peut être intéressant de disposer d'un greffon dont la face spongieuse se déforme et s'adapte de façon intime au site receveur. Dans ce cas, il faut réhydrater le greffon classiquement.
La mise en forme du greffon est réalisée à l'aide de grands disques diamantés en le maintenant avec une pince à greffe Alis (Stoma).
Le site receveur est préparé en éliminant les fibres conjonctives à l'aide d'une fraise puis en réalisant quelques perforations de la corticale. On veille à ne pas perforer la zone où se situera la future vis d'ostéosynthèse. Dans certains cas, on peut sculpter dans la corticale une logette dans laquelle vient s'adapter le greffon. Lorsque l'adaptation du greffon au site receveur est suffisamment bonne, celui-là est maintenu à l'aide d'une pince de Barth (Stoma) puis immobilisé grâce à une ou plusieurs vis d'ostéosynthèse de 1,6 mm de diamètre et de longueur variant de 8 à 10 mm (Stoma) (fig. 1 à 13).
Les bords du greffon sont ensuite retouchés pour éliminer les arêtes saillantes et un matériau sous forme de particules est disposé autour du bloc. Il peut s'agir de chutes du greffon broyées, de copeaux d'os autogène ou d'un biomatériau. Une membrane en collagène résorbable est mise en place.
Le périoste est incisé et disséqué pour obtenir une laxité supplémentaire du lambeau. Cela permet la fermeture du site sans tension.
De mars 2010 à août 2011, 27 hommes et 19 femmes d'une moyenne d'âge de 56,1 ans ont été traités. En tout, 51 sites ont été greffés à l'aide de blocs allogènes Puros® dont 39 maxillaires (76 %) et 12 mandibulaires (24 %). Un site maxillaire a présenté une résorption partielle du greffon n'ayant pas contre-indiqué la pose de l'implant (fig. 14 à 16). Deux échecs (4 %) ont intéressé des sites maxillaires : une perte totale du bloc par infection et un cas de résorption quasi totale.
L'utilisation des blocs osseux allogènes permet de s'affranchir des contraintes liées aux prélèvements autogènes. L'acte chirurgical est simplifié. Les suites postopératoires et les douleurs sont réduites. Le chirurgien n'est pas limité dans sa reconstruction comme il peut l'être lorsqu'il envisage de prélever un greffon osseux autogène intra-oral.
Les données tirées de la littérature scientifique montrent l'efficacité de ces blocs dans les reconstructions osseuses horizontales mais les résultats sont à prendre avec précaution étant donné le nombre encore relativement restreint d'études disponibles (tableau 2). Cette étude comprend 51 sites greffés. Dans la littérature scientifique, seules 3 études présentent un échantillon plus élevé (Chaushu et al., 2010 ; Peleg et al., 2010 ; Keith et al., 2006). Les études de Keith et al. et de Chaushu et al. observent des taux de résorption totale du greffon de respectivement 7 et de 8 %. Celle de Peleg et al. montre des résultats plus favorables avec un taux de survie des greffons de 100 %.
Avec 2 pertes totales du greffon allogène sur 51 sites greffés (4 %), la présente étude donne des résultats cliniques concordants.
L'utilisation de greffons allogènes engendre cependant quelques contraintes logistiques. Dans le cas des greffons Puros®, le praticien devait faire une demande d'affiliation à l'EFS (formulaire d'une page à remplir). Pour satisfaire aux exigences de traçabilité, la commande des blocs est nominative (nom du praticien et du patient) et les greffons non utilisés devaient être renvoyés à l'EFS. Ils ne doivent pas être stockés au cabinet. Un formulaire simple devait être rempli et renvoyé après chaque intervention.
Les blocs osseux allogènes peuvent constituer une intéressante solution de remplacement des prélèvements osseux autogènes intra-oraux ou extra-oraux. Des études prospectives randomisées sont nécessaires pour confirmer ces résultats cliniques.
Les auteurs ont indiqué n'avoir aucun conflit d'intérêts concernant cet article.