Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 03 du 01/09/2014

 

Article

Charlotte JEANNEAU *   Patrick LAURENT **   Fanny CHMILEWSKY ***   Pierre RUFAS ****   Imad ABOUT *****  


*MCU
**MCU-PH
***Assistant associé
****Professeur des universités Aix-Marseille Université CNRS, ISM UMR 7287 Marseille

Résumé

La reconstruction des défauts parodontaux consécutifs à la pathologie parodontale et aux thérapeutiques chirurgicales représente un défi qui reste aujourd'hui difficile à relever. La difficulté est liée à l'étroite interrelation physiologique, anatomique et pathologique, d'une part, et à la haute spécialisation des différents tissus qui composent le parodonte, d'autre part. Les cellules souches, capables de proliférer, de migrer et de se différencier sur le site à reconstruire, sont probablement la clé d'une véritable régénération parodontale. L'ingénierie tissulaire permet aujourd'hui d'exploiter le potentiel important des cellules souches. Les moyens utilisés sont multiples, mais reposent invariablement sur la présence de ces cellules souches, d'un échafaudage (scaffold) utilisé comme support pour la colonisation du site par les cellules et de médiateurs biologiques (facteurs de croissance) qui stimulent et orientent l'activité cellulaire.

Les innovations en matière de biomatériaux (bioactivité, encapsulation de molécules bioactives) et de biotechnologies (manipulation des cellules souches, iPS) offrent des perspectives prometteuses en parodontologie. Ainsi, de nouvelles stratégies thérapeutiques fondées sur ces innovations pourraient être envisagées afin d'améliorer le pronostic et la reproductibilité des traitements des défauts parodontaux de taille critique.

Summary

Reconstruction of periodontal defects after periodontitis or after periodontal surgery still represents a real clinical challenge. Physiological, anatomical and pathological interrelationships between the various periodontal tissues, and their high specialization level might be responsible for the failures in the regeneration processes.

Stem cells are the basis of tissue engineering and represent the key components for a successful periodontal regeneration. These cells can be used alone or in combination with a scaffold and biological mediators such as growth factors. Advances in biomaterials research (bioactivity, encapsulation of growth factors in biodegradable microspheres) and biotechnological innovation (stem cell therapies, iPS cells) offer promising perspectives in the periodontal regeneration field. New strategies based on stem cell therapy might improve the prognosis and the treatment outcome of periodontal critical size defects.

Key words

Bone regeneration, pluripotent stem cell, bone substitute, tissue engineering

Introduction

La parodontite s'accompagne d'une perte de l'intégrité du système d'attache gingival épithélio-conjonctif et d'une destruction progressive des tissus de soutien des dents : ligament parodontal, cément et os alvéolaire. L'infection microbienne et la réponse de l'hôte déterminent la sévérité des lésions et la propension aux récidives (Alexander et Damoulis, 1994 ; Di Benedetto et al., 2013). L'évolution de la parodontite dépendra des moyens mis en œuvre pour arrêter le processus infectieux et l'inflammation qui en résulte (Page et Kornman, 1997).

Lors de lésions parodontales débutantes, l'élimination des facteurs microbiens par des moyens mécaniques et/ou chimiques peut suffire à la régénération spontanée du système d'attache parodontale. Lors de lésions plus étendues, avec défauts intra-osseux, l'élimination des facteurs étiologiques et la résection des tissus inflammatoires permettent de stopper la destruction tissulaire mais limitent le potentiel de régénération parodontale (Polimeni et al., 2006). Une nouvelle attache peut se former mais il s'agit le plus souvent d'un épithélium long jonctionnel, résultant d'une cicatrisation parodontale plus réparatrice que régénératrice. La guérison des lésions parodontales avancées n'est pas sans conséquences esthétiques et fonctionnelles : dénudations radiculaires, embrasures élargies (réduction des papilles interproximales), hyperesthésies, mobilités dentaires. Le défi thérapeutique consiste alors à reconstruire les tissus parodontaux détruits dans le même temps opératoire que le débridement chirurgical afin d'induire une régénération des tissus lésés.

Idéalement, la régénération d'un défaut parodontal implique une néoformation d'os alvéolaire et de cément (éliminé partiellement au cours du débridement radiculaire), ainsi qu'une réorganisation du ligament parodontal assurant le repositionnement et la stabilité de l'attache épithélio-conjonctive au niveau du collet dentaire (Caton et Greenstein, 1993).

L'exposition du site à reconstruire à l'environnement buccal, particulièrement hostile (plaque bactérienne, tensions des muqueuses lors des fonctions orales, microtraumatismes divers), rend la tâche difficile et incertaine. Différentes stratégies thérapeutiques ont été proposées afin de limiter les préjudices esthétique et fonctionnel liés à la résection chirurgicale des tissus parodontaux lésés et au repositionnement plus apical de l'attache gingivale. Ces approches plus conservatrices s'appuient sur le maintien d'un espace « biologique », situé entre la crête alvéolaire résiduelle, la surface radiculaire, le desmodonte et le tissu conjonctif gingival. Au sein de cet espace, la maturation et le remodelage tissulaire vont être guidés de manière à favoriser la néoformation du complexe d'attache parodontale (Melcher, 1976). Le concept de régénération tissulaire guidée (Nyman et al., 1982), né de cette idée, a connu ces dernières années de nombreuses évolutions notamment avec l'apport des matériaux de substitution osseuse, les membranes résorbables et, plus récemment, les protéines dérivées de la matrice amélaire (Emdogain®). Aujourd'hui, ces biomatériaux, utilisés seuls ou en association, montrent leurs limites dans les situations où le défaut parodontal est de taille critique.

Les avancées récentes en matière d'ingénierie tissulaire, auxquelles s'ajoute une meilleure connaissance du processus de cicatrisation, apportent de nouvelles perspectives dans le domaine de la régénération parodontale.

Ingénierie tissulaire : principes

L'ingénierie tissulaire, inspirée des mécanismes biologiques de la cicatrisation, repose sur la présence de trois éléments (fig. 1) : des cellules souches, des médiateurs et un support matriciel servant d'« échafaudage » (scaffold) (Langer et Vacanti, 1993).

Cellules souches mésenchymateuses

Parmi les cellules souches adultes, les cellules souches mésenchymateuses (CSM) sont les plus étudiées. Le Mesenchymal and Tissue Stem Cell Committee of the International Society for Cellular Therapy a proposé trois critères pour définir les CSM (Dominici et al., 2006) :

– les cellules adhèrent au plastique et ont une apparence de type fibroblastique ;

– elles possèdent une capacité d'autorenouvellement et de différenciation en cellules mésenchymateuses (ostéocytes, chondrocytes et adipocytes) de l'endoderme (hépatocytes) et de l'ectoderme (neurones) ;

– elles expriment, pour plus de 95 % de la population, les antigènes de surface CD105, CD73, CD90 et, pour moins de 2 % de la population, les marqueurs CD45, CD34, CD14, CD11, CD79 et CD19.

Les CSM possèdent un plus faible potentiel de différenciation et une durée de vie plus courte que les cellules souches embryonnaires (Gronthos et al., 2003) mais, en raison de leur accessibilité et de leur capacité de croissance élevée, elles ont de l'avenir dans la régénération tissulaire et dans les applications cliniques. De nombreuses études ont évalué et confirmé leur capacité ostéogénique dans différents modèles animaux (Arinzeh et al., 2003 ; Field et al., 2011 ; Zhu et al., 2006). Les CSM de la moelle osseuse ont été largement étudiées dans le cadre de la régénération parodontale. Elles ont la capacité de favoriser la néoformation d'os alvéolaire, la néovascularisation ainsi que la formation d'un nouveau cément et d'un desmodonte (Tsumanuma et al., 2011 ; Yamada et al., 2011 ; Yang et al., 2010). Les chercheurs envisagent la possibilité d'utiliser des CSM issues des tissus parodontaux, plus faciles à prélever que celles de la moelle osseuse.

Cellules souches du ligament parodontal

Des études ont démontré, sur des modèles animaux, les propriétés régénératives des tissus parodontaux (cément, ligament et os alvéolaire) suggérant la présence de cellules souches dans ces tissus (Nyman et al., 1982). Les cellules souches du ligament parodontal (CSM-LP) sont une population de cellules originaires du ligament parodontal, possédant des caractéristiques de cellules souches mésenchymateuses. Elles expriment à leur surface les marqueurs STRO-1 et CD146 (Seo et al., 2004). Elles sont multipotentes et peuvent se différencier, in vitro, en cémentoblastes, ostéoblastes, adipocytes, chondrocytes, fibroblastes (Gay et al., 2007) mais aussi en neurones et hépatocytes (Seo et al., 2005). Cette population cellulaire est présente dans les ligaments parodontaux de dents saines ou atteintes de parodontite (Huang et al., 2009). Chez des souris ou rats immunodéprimés, la transplantation de CSM-LP cultivées in vitro, au niveau de défauts parodontaux, permet une nouvelle attache du ligament à la surface de la racine et une régénération de l'os alvéolaire (Seo et al., 2004). La transplantation de CSM-LP dans des défauts osseux chez les porcs miniatures a démontré leur supériorité en termes de régénération des tissus parodontaux (os alvéolaire, cément et ligament) par rapport à un substitut osseux biphasique (Liu et al., 2008). De plus, les CSM-LP possèdent une fonction immunosuppressive et une faible immunogénicité (Ding et al., 2010). À ce jour, la seule étude clinique concernant la transplantation autologue de CSM-LP porte sur 3 patients atteints de parodontite. Les patients ont été suivis pendant 72 mois après implantation dans les défauts osseux d'un complexe CSM-LP/substitut osseux cultivé in vitro. Les résultats encourageants ont révélé des gains d'attache clinique et une néoformation osseuse visible radiologiquement (Feng et al., 2010).

Médiateurs

Ce sont des molécules de signalisation qui agissent de manière autocrine ou paracrine. Elles sont sécrétées par des cellules stockées sous forme inactive dans la matrice extracellulaire ou encore libérées massivement lors de lésions cellulaires ou vasculaires. Sous l'effet de modifications de l'environnement (pH, dégradation enzymatique), ces molécules sont libérées sous forme active et modifient le comportement des cellules voisines (Schultz et Wysocki, 2009).

Dans le cadre de la régénération parodontale, la lésion chirurgicale provoque inéluctablement une réaction inflammatoire. Des médiateurs vont être massivement libérés, conduisant à la formation d'un caillot puis d'un tissu de granulation. C'est sous l'influence de facteurs moléculaires (notamment des facteurs de croissance angiogéniques), que vont s'organiser le nouveau tissu cicatriciel et la régénération tissulaire.

Le facteur de croissance transformant bêta 1 (TGF-β1, transforming growth factor-β1) est une protéine synthétisée par la plupart des cellules sous une forme latente et qui, une fois sécrétée, va se lier à différentes molécules de la matrice extracellulaire. Le stockage du TGF-β1 sous forme inactive dans la matrice extracellulaire permet sa libération rapide sous forme active dans certaines conditions : acidification, protéolyse, alcalinisation et présence de radicaux libres des dérivés actifs de l'oxygène (Massagué, 1990).

Les protéines de la morphogenèse osseuse (BMP, bone morphogenic proteins), qui appartiennent à la famille des TGF-β, possèdent des propriétés ostéo-inductrices (BMP-2 et 7) (Khan et Lane, 2004). De nombreuses études ont montré que les membres de la famille BMP peuvent déclencher la cascade complète de la formation osseuse, y compris la migration des CSM et leur différenciation en ostéoblastes (Wozney, 2002). Le potentiel ostéo-inducteur de certaines BMP est illustré par leur capacité à induire une formation osseuse ectopique (Li et al., 2003 ; Wang et al., 1990).

Le facteur de croissance de l'endothélium vasculaire (VEGF, vascular endothelial growth factor) est considéré comme le facteur le plus important dans les processus d'angiogenèse intervenant au cours de la formation osseuse (Ferrara, 2004 ; Roy et al., 2006). Il contrôle la perméabilité vasculaire, favorise la prolifération ainsi que la migration des cellules endothéliales et le recrutement des angioblastes. C'est également un agent chimiotactique pour les cellules musculaires lisses des vaisseaux et pour les monocytes sanguins (Grando Mattuella et al., 2007). Son rôle dans la régénération a été démontré dans divers modèles expérimentaux de formation osseuse. En effet, alors qu'une inhibition du VEGF induit un retard dans la guérison d'une fracture, son administration améliore la formation osseuse (Peng et al., 2005 ; Street et al., 2002). Des études in vitro suggèrent un couplage entre l'ostéogenèse et l'angiogenèse régulé par le couple BMP/VEGF. En outre, l'induction par les BMP des cellules du type pré-ostéoblastes améliore la production de VEGF par les ostéoblastes résultants (Kozawa et al., 2001). Cette interaction BMP/VEGF a également été montrée dans des études de régénération osseuse, où une formation osseuse accrue a été observée lorsque les deux facteurs de croissance sont libérés ou exprimés simultanément (Patel et al., 2008).

Au cours de la cicatrisation osseuse, un pic d'expression de VEGF est observé au cours des premiers jours alors que l'expression de BMP est plus tardive (Cho et al., 2002 ; Uchida et al., 2003). Le pic de sécrétion de VEGF est partiellement dû à des cellules endothéliales lésées (About, 2011). Cela souligne clairement l'importance de la néovascularisation dans la réussite de la régénération osseuse des défauts de taille critique.

Le facteur de croissance du fibroblaste 2 (FGF-2 ou b-FGF, basic-fibroblast growth factor), une fois sécrété, se lie à des molécules d'héparane sulfate de la matrice extracellulaire. Cette forme de stockage permet la libération rapide du facteur de croissance, en présence de plasmine ou d'héparanase, au cours des processus de coagulation/remodelage tissulaire (Ornitz, 2000). Les formes libres de FGF-2 sont rarement rencontrées dans la matrice extracellulaire ; l'augmentation du FGF-2 extracellulaire pourrait résulter de dommages cellulaires (Nugent et Iozzo, 2000). Le FGF-2 régule l'angiogenèse, la vasculogenèse et la croissance des fibroblastes des tissus conjonctifs, notamment lors de processus pathologiques et réparateurs. Puissant mitogène pour les cellules endothéliales et les cellules musculaires lisses des vaisseaux, il dirige leur migration ainsi que leur prolifération et stimule la synthèse de plasminogène. Ainsi, l'intérêt du FGF-2 dans la régénération parodontale est incontestable car il intervient à tous les stades de la cicatrisation. Avec le FGF-1 (acidic fibroblast growth factor), ils accélèrent la formation du tissu de granulation, la prolifération des fibroblastes et la synthèse de collagène (Mutsaers et al., 1997 ; Gerwins et al., 2000).

Les facteurs de croissance dérivés des plaquettes (PDGF, platelet-derived growth factor) sont des molécules dimériques constituées par l'assemblage intracellulaire de deux chaînes polypeptidiques PDGF-A, PDGF-B, ou PDGF-A et PDGF-B. Elles sont produites par de nombreux types cellulaires (fibroblastes, plaquettes, macrophages, cellules endothéliales…). Leur synthèse est augmentée en réponse à des stimuli, comme l'hypoxie, la présence de thrombine, ou par diverses cytokines et autres facteurs de croissance. Rarement sous forme libre, la molécule sécrétée est liée à des molécules de la matrice extracellulaire (héparanes sulfates). Elle est activée lors de sa dissociation/liaison avec des récepteurs membranaires de type α et β tyrosine kinase. La réponse des cellules cibles dépend du type de récepteurs exprimés par la cellule. Certaines cellules n'expriment que des récepteurs de type α (plaquettes) ou de type β (cellules endothéliales, péricytes, macrophages), d'autres expriment les deux types de récepteurs (fibroblastes, cellules musculaires lisses des vaisseaux) (Heldin et Westermark, 1999). Le PDGF-AB présente une grande affinité pour les deux formes de récepteurs et peut donc activer toutes ces cellules. Une forte concentration de PDGF est relevée dans les tissus lésés au cours de la cicatrisation. Libérés activement, les PDGF stimulent la prolifération et le chimiotactisme des fibroblastes et des cellules musculaires lisses. De plus, ils attirent les polynucléaires, les monocytes et d'autres macrophages et activent la synthèse de la matrice extracellulaire (Heldin et Westermark, 1999).

L'activité biologique de ces facteurs de croissance, finement régulée au cours des différentes étapes de la régénération parodontale, est donc indispensable. L'idée d'un apport exogène de ces médiateurs biologiques semble séduisante, mais cet apport ne doit pas se faire de manière arbitraire car, selon les concentrations tissulaires, les effets peuvent être antagonistes. En outre, la cinétique de leur sécrétion est un élément essentiel au bon déroulement des phases de la cicatrisation (Thoma et Cochran, 2010).

« Échafaudages » (scaffolds)

De nombreux biomatériaux ont été mis au point dans le but de créer un support bidimensionnel (membranes) ou tridimensionnel mainteneur d'espace sur lequel les cellules peuvent adhérer, proliférer, migrer et lui conférer une activité biologique. Cela est particulièrement important pour le développement d'un nouveau réseau vasculaire capable de coloniser le site cicatriciel et d'assurer l'apport sanguin en profondeur (oxygène, nutriments, cellules).

C'est le cas des gels et des membranes à base de collagène, des treillis à base de nanofibres de polymères et des particules minérales synthétiques (β-TCP, bioverres) ou dérivées des matrices osseuses (hydroxyapatites animales ou humaines). Les qualités requises pour ces matériaux sont leur biocompatibilité et leur biorésorbabilité.

La première approche thérapeutique, à l'origine du concept de régénération tissulaire guidée, visait à protéger le caillot et le tissu de granulation d'un envahissement par les cellules épithéliales (Nyman et al., 1982 ; Gottlow et al., 1986) via l'application, entre le collet radiculaire et le rebord crestal, d'une membrane semi-rigide et semi-perméable. Les difficultés liées à l'utilisation des membranes non résorbables ont conduit à privilégier les membranes résorbables (à base de collagène ou de polymères) associées à un comblement du défaut parodontal avec un biomatériau. Outre le rôle de mainteneur d'espace, ce sont les propriétés physico-chimiques et biologiques du matériau utilisé qui conditionnent la cicatrisation vers une réparation ou une régénération ad integrum.

La plupart des substituts osseux sont aujourd'hui ostéo-conducteurs : ils favorisent la migration des ostéoblastes et la synthèse de tissu minéralisé. La macroporosité et l'interconnexion des pores permettent l'imprégnation du substitut par le plasma et sa colonisation par les cellules sanguines. La microporosité favorise l'adhésion des cellules ostéogéniques et la synthèse de matrice minéralisée. Sous l'effet de médiateurs biologiques (locaux ou exogènes), les cellules ostéoprogénitrices sont recrutées. Des facteurs chimiotactiques orientent leur migration alors que des facteurs de croissance stimulent leur prolifération et leur différenciation : c'est l'ostéo-induction.

Aujourd'hui, seul l'os autogène est ostéo-inducteur. Toutefois, la récente mise au point d'« échafaudages » transporteurs de facteurs de croissance semble prometteuse. L'encapsulation de molécules bioactives dans des microsphères à base de polymères d'acide polylactique/polyglycolique – le PLGA : poly(lactic-co-glycolic) acid –– permet de délivrer des doses précises de médiateurs pendant une longue période sans perte d'activité biologique (Kalaji et al., 2010). Des molécules de FGF-2 et de TGF-β1 ont été encapsulées grâce à ce procédé innovant, au sein de différents « échafaudages » synthétiques ou naturels. D'autres médiateurs biologiques pourraient être utilisés dans le cadre de la régénération parodontale (BMP-2, VEGF, PDGF) et apporter de nouvelles perspectives dans l'ostéo-induction « artificielle ». Du rhPDGF-BB conditionné en gel associé à du β-TCP est déjà commercialisé aux États-Unis (GEM-21S®) et semble prometteur pour la régénération des défauts intra-osseux parodontaux (Nevins et al., 2010).

Stratégies de la thérapie cellulaire

Le potentiel des CSM-LP semble évident mais leur prélèvement pour une transplantation autologue n'est pas sans difficultés. En effet, le ligament parodontal n'est accessible chirurgicalement que sur une dent extraite. Le prélèvement d'explants de tissu desmodontal (pour culture, isolement et expansion de cellules souche in vitro) par curetage de racine extraite nécessite donc le sacrifice d'une ou de plusieurs dents. Cela implique une évidente morbidité du site donneur, difficilement acceptable sauf dans de rares situations comme l'extraction de dents de sagesse.

D'autres approches peuvent être envisagées : activer les cellules souches restantes dans l'environnement proche de la lésion parodontale ou rechercher d'autres sources de cellules souches capables de régénération parodontale (fig. 2).

Activer les cellules souches restantes

Les cellules souches peuvent être recrutées par des signaux physico-chimiques ou des médiateurs biologiques. Ainsi, deux stratégies sont proposées pour attirer sur le site cicatriciel les précurseurs cellulaires impliqués dans la régénération parodontale et promouvoir un environnement favorable et durable permettant la régénération tissulaire (fig. 2a).

Activer les cellules restantes à l'aide de protéines bioactives

À l'heure actuelle, le seul produit capable d'induire successivement et conjointement la néoformation de cément, la régénération d'un ligament parodontal et la reconstruction de la crête osseuse alvéolaire est l'Emdogain®. Ce gel forme une matrice adhérente à la surface radiculaire qui va être le siège d'une cascade d'événements cellulaires et moléculaires orchestrée par la présence d'un ensemble de protéines dérivées de la matrice de l'émail, essentiellement des amélogénines (Bosshardt, 2008). Ces protéines sont sécrétées par les cellules de la gaine de Hertwig au cours de la rhizagenèse. L'apport exogène de ces molécules pourrait induire le recrutement et la différenciation de cellules souches dans l'environnement proche de la lésion et contribuer ainsi à reproduire la séquence des interactions entre la matrice extracellulaire et les cellules à l'origine du développement du système d'attache parodontale.

Activer les cellules restantes à l'aide de matériaux bioactifs

L'activité des cellules est dépendante des modifications de l'environnement extracellulaire. La présence de biomatériaux influence donc l'activité cellulaire par les modifications du pH local qu'ils induisent et par la libération de molécules ou d'ions dans le milieu interstitiel au cours de leur dégradation/dissolution (Coleman et al., 2009 ; Camilleri, 2011). Cela est particulièrement important lors de l'utilisation de matériaux à base de silicate de calcium. L'hydratation des grains, en présence de fluides biologiques, forme une couche hautement réactive qui induit la formation de cristaux d'apatite à l'origine d'une liaison physico-chimique forte avec le tissu osseux natif ou régénéré (Gandolfi et al., 2011). Cette propriété est la base du concept de bioactivité des substituts osseux à base de bioverre, concept étendu aux substituts dentinaires à base de silicate tricalcique (MTA, Biodentine™). Récemment, nous avons mis en évidence une forme de bioactivité liée à la modulation de la sécrétion de TGF-β1 en présence de produits de coiffage pulpaire. En effet, ces matériaux bioactifs stimulent la sécrétion de TGF-β1 par les cellules pulpaires après une lésion et contribuent à la différenciation des cellules progénitrices de la pulpe en cellules odontoblast-like responsables de la synthèse de dentine réparatrice (Laurent et al., 2012). La bioactivité des substituts osseux ou des « échafaudages » utilisés en régénération parodontale pourrait également s'exprimer à travers la modulation de la sécrétion de facteurs de croissance impliqués dans les processus d'angiogenèse, de prolifération, de migration et de différenciation.

Rechercher d'autres sources de cellules

Cellules souches issues du périoste

Le périoste est un tissu conjonctif spécialisé qui couvre la surface externe du tissu osseux. Histologiquement, il est composé de deux couches distinctes. La couche externe contient principalement des fibroblastes et des fibres élastiques tandis que la couche interne contient des CSM (De Bari et al., 2006), des cellules souches ostéogéniques (Arnsdorf et al., 2009), des ostéoblastes, des fibroblastes ainsi que des microvaisseaux et des fibres nerveuses. Les populations cellulaires isolées du périoste semblent préférentiellement subir une différenciation ostéogénique (Ball et al., 2011), mais elles sont également capables de se différencier en ostéoblastes, adipocytes et chondrocytes (Choi et al., 2008). Le potentiel ostéogénique des cellules dérivées du périoste a incité les cliniciens à les utiliser en régénération osseuse oro-faciale (Nagata et al., 2012 ; Soltan et al., 2009) et en régénération des tissus parodontaux (Breitbartet al., 1998). La transplantation de cellules autologues du périoste dans un modèle canin de défaut de classe III a induit la régénération parodontale (Mizuno et al., 2006). À la suite de cette étude, des essais cliniques menés sur 30 patients souffrant de parodontite chronique révèlent qu'une transplantation de cellules autologues de périoste mélangées à du plasma enrichi en plaquettes et à de l'hydroxyapatite améliore la régénération parodontale (Yamamiya et al., 2008).

Cellules souches adipeuses

Les cellules souches dérivées du système adipeux (ADSC, adipose-derived stem cell) constituent une source prometteuse pour la thérapie cellulaire car le tissu est abondant et facile à prélever, sans morbidité du site donneur. Bien que possédant des caractéristiques différentes des CSM de la moelle osseuse (Egusa et al., 2007 ; Rebelatto et al., 2008), les ADSC sont connues pour leur capacité de différenciation en divers types tissulaires (Mischen et al., 2008). In vitro, ces cellules peuvent se différencier en ostéoblastes et cémentoblastes (Wen et al., 2011). En régénération parodontale, il a été montré que des ADSC avaient le potentiel de régénérer, in vivo chez le rat, les défauts parodontaux (Tobita et al., 2008). Récemment, leur potentiel de régénération a été testé in vivo chez le lapin, par leur implantation dans des poches parodontales en combinaison avec du collagène de type 1 et du BMP-2. En présence de BMP-2, les implants ADSC ont formé des structures minéralisées au bout de 15 semaines. Des études histologiques ont montré la présence de dentine, de desmodonte et d'os alvéolaire (Hung et al., 2011).

Cellules souches du follicule dentaire

Le follicule dentaire, ou sac folliculaire, est un ectomésenchyme qui entoure le germe dentaire avant l'éruption. Ce tissu contient des progéniteurs pour les cémentoblastes, les cellules du ligament parodontal et les ostéoblastes. Les cellules souches du follicule dentaire (DFSC, dental follicle stem cells) peuvent être isolées simplement en clinique à partir du sac folliculaire des troisièmes molaires chez les adolescents (Morsczeck et al., 2005). Elles sont caractérisées par leur adhésion rapide en culture et l'expression des marqueurs nestine et notch-1 (Morsczeck et al., 2005). Ces cellules sont capables de se différencier, in vitro, en adipocytes, en ostéocytes et en neurones (Kemoun et al., 2007 ; Morsczeck et al., 2005). Elles peuvent également former des nodules calcifiés compacts in vitro, suggérant leur capacité de différenciation en cémentoblastes (Morsczeck et al., 2005). In vivo, les DFSC ont la capacité de générer du desmodonte (Yokoi et al., 2007). Des travaux ont montré qu'elles pouvaient former un tissu fibreux et une matrice sous forme de cément sur la surface de billes d'hydroxyapatite lorsqu'elles étaient implantées dans des souris immunodéficientes (Handa et al., 2002a, 2002b). Leur capacité à contribuer à la formation radiculaire a été évaluée par implantation chez le rat, dans trois micro-environnements différents : la poche omentale, le crâne et l'alvéole dentaire (Guo et al., 2012). Les cellules ont contribué à la régénération de dentine à l'intérieur de la poche omentale et elles ont participé à la formation d'une matrice minéralisée dans le crâne. Fait intéressant, dans l'alvéole dentaire, ces cellules ont contribué à la formation de racines. Ces résultats attestent de l'importance du micro-environnement dans la formation tissulaire. Plus intéressant encore, ces résultats démontrent le potentiel des DFSC à générer les racines (Guo et al., 2012).

Particularités liées au contexte parodontal

Les maladies parodontales sont des maladies inflammatoires d'origine multifactorielle ayant comme étiologie le biofilm bactérien et se traduisant cliniquement par la formation d'une poche due à la destruction progressive du système d'attache.

L'écueil rencontré dans la régénération parodontale est dû à :

– l'abondance d'agents infectieux, notamment sur les sites lésés, qui retardent ou inhibent l'ensemble du processus de régénération ;

– la présence de plusieurs types cellulaires (fibroblastes, cellules endothéliales, cellules épithéliales, cémentoblastes et ostéoblastes) qui participent de manière coordonnée à la régénération parodontale ;

– la vitesse de la prolifération des cellules épithéliales, plus rapide que celle des cellules osseuses et desmodontales.

Perspectives

Encapsulation de principes actifs

L'encapsulation d'agents anti-infectieux et de facteurs de croissance et le contrôle de leur libération permettraient d'inhiber la croissance des agents pathogènes et de favoriser la prolifération de certains types cellulaires impliqués dans la régénération parodontale. En effet, des méthodes d'encapsulation physico-chimiques, comme la double émulsion, permettent la libération contrôlée, en termes de durée et de concentration, de médicaments hydrosolubles et de facteurs de croissance (Deloge et al., 2009). Cette méthode, en permettant une libération séquentielle des facteurs de croissance, favorisera la reconstruction du complexe parodontal (fig. 2b).

Cellules souches pluripotentes induites

Des cellules somatiques différenciées de souris ont été reprogrammées en cellules pluripotentes en introduisant quatre gènes à l'aide de rétrovirus : Oct-4, Sox-2, c-Myc et Klf-4 (Takahashi et Yamanaka, 2006). Les premières cellules souches pluripotentes induites (cellules iPS, induced pluripotent stem cells) humaines ont été générées par cette méthode en 2007 (Takahashi et al., 2007 ; Yu et al., 2007). Ces travaux ont valu à Shinya Yamanaka et John Grudon l'obtention du prix Nobel de médecine en 2012. Depuis ces premiers essais, une série de publications décrit la génération d'iPS à partir de cellules issues de différents tissus et espèces. L'intérêt des iPS est leur grande similitude avec les cellules souches embryonnaires en ce qui concerne l'expression des antigènes de surface, leur morphologie, leur taux de prolifération et leur capacité de différenciation. Les iPS sont donc une source de remplacement des cellules souches embryonnaires de cellules pluripotentes autologues, utilisables en médecine régénérative (fig. 2c). Les cellules d'origine bucco-dentaire constituent une source idéale pour générer des iPS. La plupart d'entre elles sont facilement accessibles, ont un taux de prolifération élevé et une plus grande efficacité de reprogrammation que les fibroblastes de la peau, utilisés classiquement, en raison de leur forte expression endogène de facteurs de reprogrammation (Tamaoki et al., 2010). Les iPS ont ainsi été générées à partir de fibroblastes du ligament parodontal (Wada et al., 2011). Dans un modèle murin, les iPS combinées à une matrice amélaire ont permis une régénération parodontale efficace en favorisant la formation de cément, d'os alvéolaire et de desmodonte (Duan et al., 2011). Cette nouvelle source de cellules semble donc prometteuse pour le développement de thérapies innovantes en régénération parodontale (Egusa et al., 2012).

Conclusion

L'apport des biotechnologies dans le domaine de l'odontologie ne cesse de faire évoluer les concepts et les approches thérapeutiques, particulièrement en parodontologie et en implantologie. Les progrès en matière de biologie cellulaire et moléculaire permettent une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans le déclenchement, le développement et la stabilisation de la maladie parodontale. Les avancées récentes en matière d'ingénierie tissulaire ouvrent de nouvelles perspectives en parodontologie, particulièrement lorsqu'il s'agit de régénérer des structures aussi complexes et vulnérables que les tissus parodontaux. Les biomatériaux seuls ont montré leurs limites ; l'apport de molécules bioactives et de cellules souches semble aujourd'hui incontournable pour optimiser leurs propriétés biologiques et guider la cicatrisation des tissus vers une régénération plutôt qu'une réparation parodontale.

Conflits d'intérêts

Les auteurs ont indiqué n'avoir aucun conflit d'intérêts concernant cet article.

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