Article
Henri TENENBAUM * Olivier HUCK **
*PU
**MCU-PH
Département de parodontologie, Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
L’épithélium jonctionnel et le conjonctif péri-implantaires sont des tissus cicatriciels, moins hermétiques aux bactéries de la flore orale que ne le sont les tissus correspondants du parodonte. De ce fait, l’augmentation récente et importante des complications inflammatoires d’origine infectieuse que sont les mucosites et les péri-implantites stimule de nombreux travaux dont l’objectif est de reproduire au plus près l’attache épithélio-conjonctive dento-parodontale. L’ingénierie tissulaire peut permettre d’améliorer la qualité du joint en favorisant l’adhésion des cellules épithéliales et des fibroblastes sur les surfaces métalliques implantaires. Différentes orientations sont actuellement proposées qui visent à rendre les surfaces implantaires en titane réellement bioactives vis-à-vis des tissus environnants.
Peri-implant junctional epithelium and connective tissue are scar tissues less airtight to oral bacteria than superficial periodontal tissues. Therefore, the recent and large increase of inflammatory complications with infectious origin described as mucositis and peri-implantitis stimulates a lot of research to reproduce as closely as possible the periodontal seal. Tissue engineering enables improvement in joint efficacy by promoting epithelial cell and fibroblast adhesion on implant metallic surfaces. Different lines of research are proposed to modify the titanium implant surface and make it more bioactive regarding peri-implant soft tissues.
L’implantologie permet aujourd’hui, dans de nombreux cas, de limiter le recours à la prothèse adjointe et d’éviter un délabrement inutile d’éléments dentaires sains ou peu endommagés. Elle fait partie intégrante des propositions thérapeutiques que l’ensemble des praticiens odontologistes se doivent de proposer à leurs patients.
La mise en place des implants va créer un lien direct os-implant, dénommé ostéo-intégration ou ankylose fonctionnelle, et une relation implanto-gingivale qui est histologiquement différente de la relation dento-parodontale. L’ostéo-intégration a longtemps été considérée comme la clé du succès en implantologie. Plus récemment, de nombreux travaux ont mis en évidence le rôle essentiel joué par les tissus mous péri-implantaires (Esposito et al., 2012).
Ces tissus mous péri-implantaires sont censés assurer la protection de l’ostéo-intégration de la même manière que les tissus gingivaux protègent le parodonte profond des effets potentiellement délétères de la flore buccale. Or, il s’agit de tissus cicatriciels avec une capacité de défense face à l’agression bactérienne plus faible que celle des tissus parodontaux (Heitz-Mayfield et Lang, 2010).
Comme la prévalence des maladies parodontales est importante, l’apparition de complications inflammatoires d’origine infectieuse autour des implants n’a rien de surprenant. Les réactions inflammatoires réversibles localisées aux tissus mous péri-implantaires sont dénommées mucosites, tout comme les gingivites désignent les réactions inflammatoires qui touchent les tissus gingivaux (Heitz-Mayfield et Lang, 2010).
Lorsque le processus inflammatoire s’accentue et entraîne une destruction de l’os, le terme utilisé est celui de péri-implantite (Saadi-Thiers et al., 2011). Alors que le passage de la gingivite à la parodontite ne constitue pas la règle, l’évolution de la mucosite vers la péri-implantite est presque systématique en l’absence de prise en charge. Malgré un taux de survie des traitements implantaires voisin de 90 % à 10 ans (Roos-Jansäker et al., 2006 ; Simonis et al., 2010), la fréquence des péri-implantites n’est pas négligeable (près de 17 % des implants) (Simonis et al., 2010). Ces résultats sont confirmés par une méta-analyse récente réalisée par Atieh et al. qui mettent en avant 18,8 % de patients atteints par une péri-implantite correspondant à 9,6 % des implants touchés (Atieh et al., 2013).
La péri-implantite est caractérisée par une gencive péri-implantaire érythémateuse, un saignement au sondage, une augmentation de la profondeur de sondage péri-implantaire et une éventuelle suppuration.
Le facteur étiologique principal des mucosites et des péri-implantites est bien le facteur bactérien, les bactéries les plus actives étant les même que celles retrouvées dans les parodontites, à savoir Prevotella intermedia, Aggregatibacter actinomycetemcomitans et Porphyromonas gingivalis (Leonhardt et al., 1993).
Les relations qui s’installent entre l’implant et/ou sa suprastructure, d’une part, et les tissus mous péri-implantaires, d’autre part, sont différentes de celles qui existent dans le parodonte :
– la gencive marginale autour de l’implant est dénommée muqueuse péri-implantaire bien qu’elle présente les mêmes caractéristiques cliniques que la gencive pour la différencier de la muqueuse alvéolaire (couleur rose pâle et présence d’un piqueté de surface dit en peau d’orange dû à l’insertion de faisceaux de fibres de collagène sous l’épithélium de revêtement) ;
– l’épithélium jonctionnel péri-implantaire est de dimension équivalente (hauteur voisine de 1 mm) à celle de son homologue de la jonction gingivo-dentaire. Toutefois, l’adhésion réelle de cet épithélium à la surface métallique de l’implant et/ou de sa suprastructure n’est présente qu’au tiers apical de sa hauteur, bien qu’une lame basale et des hémi-desmosomes puissent être mis en évidence (Ikeda et al., 2000). Certaines molécules d’adhésion comme les laminines sont essentiellement concentrées dans le tiers apical de l’épithélium de jonction (Atsuta et al., 2005). Ce défaut d’adhésion facilite la pénétration des enzymes bactériennes vers les tissus sous-jacents (Ikeda et al., 2002) ;
– les fibres de collagène du tissu conjonctif péri-implantaire se dirigent parallèlement à la surface de l’implant dans laquelle aucune insertion de ces fibres n’est possible, alors que les fibres cémento-gingivales du parodonte sont orientées perpendiculairement à la surface radiculaire pour se fixer dans le cément radiculaire ;
– le tissu conjonctif péri-implantaire est particulièrement riche en fibres de collagène et pauvre en fibroblastes, assurant ainsi un renouvellement tissulaire ralenti ;
– le réseau vasculaire péri-implantaire est réduit en raison de l’absence de vascularisation en provenance du ligament alvéolo-dentaire.
Ces structures péri-implantaires sont plutôt caractéristiques d’un tissu de type cicatriciel dont la réaction à une agression bactérienne sera sensiblement réduite (Zitzmann et al., 2001).
Dans la mesure où l’ostéo-intégration des implants peut être obtenue assez aisément en respectant un protocole chirurgical non traumatogène pour l’os, c’est le joint qui va s’établir entre les tissus mous péri-implantaires et l’implant ou sa suprastructure qui va conditionner la pérennité des implants à moyen et long termes.
Ce joint n’est pour l’instant pas aussi hermétique que peut l’être l’attache épithélio-conjonctive dento-parodontale. Les voies de recherche qui pourraient permettre de l’améliorer et de réduire ainsi la prévalence élevée des péri-implantites sont nombreuses et relèvent essentiellement de l’ingénierie tissulaire.
Actuellement, la majorité des implants présents sur le marché disposent d’une partie transmuqueuse lisse afin de ne pas favoriser une accumulation bactérienne susceptible d’induire une réaction inflammatoire autour de l’implant. A contrario, de telles surfaces lisses ne sont pas les plus à même de stimuler une adhésion cellulaire, qu’elle soit épithéliale ou conjonctive.
De nombreux travaux ont exploré le rôle joué par la topographie de la surface implantaire qui pourrait être modifiée de différentes façons : par sablage, par un traitement à l’acide, voire par une combinaison de ces deux techniques (Novaes et al., 2010).
Des résultats assez contradictoires apparaissent dans la littérature scientifique. Les travaux les plus anciens faisaient apparaître soit une adhésion similaire sur les surfaces lisses et les surfaces rugueuses (Baumhammers et al., 1978), soit une adhésion supérieure sur les surfaces lisses, tant pour les cellules épithéliales que pour les cellules conjonctives (Kononen et al., 1992 ; Cochran et al., 1994 ; Raisanen et al., 2000 ; Lauer et al., 2001). Plus récemment, il a été démontré que les surfaces rugueuses amélioraient l’adhésion des cellules épithéliales et conjonctives (Werner et al., 2009 ; An et al., 2012 ; Kearns et al., 2013). Cette rugosité est nettement inférieure à celle requise pour favoriser le contact implant-os. Une rugosité de surface inférieure au micron (Ra = 0,2 μm) semble nécessaire. Une telle rugosité permet d’inhiber la migration apicale des cellules épithéliales et renforce l’attache conjonctive. Verran et al. ont montré qu’une nano-topographie de surface serait particulièrement intéressante car elle permettrait de guider le système d’attache pour le rendre plus hermétique tout en évitant une colonisation bactérienne car des surfaces dont la rugosité est inférieure à 0,8 μm seraient moins susceptibles d’être contaminées par des bactéries que les autres (Verran et al., 2008).
Le col lisse peut aussi être remplacé par un col poreux afin d’augmenter la surface de contact entre le col implantaire et les cellules épithéliales. Le titane poreux utilisé est différent de celui présent sur la partie endo-osseuse de l’implant. Il est constitué par l’agrégation de billes de titane de différents diamètres créant ainsi une surface tridimensionnelle (Werner et al., 2009).
La fonctionnalisation de films composés d’acide polyglutamique (PGA) et de polylysine (PLL) par un peptide d’adhésion pourrait permettre une amélioration de l’adhésion et de la prolifération des cellules épithéliales (Werner et al., 2009). Le peptide d’adhésion utilisé possède une séquence dérivée de celle de la laminine 5, composante essentielle des jonctions de type hémi-desmosomes retrouvées au niveau de l’épithélium de jonction, et a pour but de favoriser une mise en place plus rapide et plus importante de ces structures d’adhésion.
Les résultats obtenus montrent que la présence de PGA-peptide permet une augmentation significative de l’adhésion des cellules épithéliales sur les échantillons non seulement de titane poreux mais également de titane lisse.
Il est intéressant de noter que l’effet du PGA-peptide, couplé aux films PGA/PLL natifs ou réticulés, semble plus important au bout de 4 et 24 heures car une augmentation de l’adhésion des cellules épithéliales est observée par rapport à celle présente sur les échantillons de titane non recouverts. Ensuite, l’effet du PGA-peptide tend à être moins prononcé au bout de 24 heures car, au bout de 3 jours, la différence de prolifération entre celle observée au niveau des échantillons de titane fonctionnalisés et celle présente au niveau des échantillons de titane non recouverts est d’environ 30 %.
La fonctionnalisation du titane poreux ou lisse a donc des effets positifs sur l’adhésion des cellules épithéliales et il est intéressant de remarquer que la prolifération sur le titane poreux est supérieure de 15 % par rapport à celle obtenue sur le titane lisse.
Le titane poreux permet aussi une bonne prolifération des cellules épithéliales gingivales même à l’état brut. Ses performances peuvent être optimisées par le recouvrement à l’aide de films fonctionnalisés avec un peptide d’adhésion spécifique des cellules épithéliales. Ce peptide d’adhésion favorise l’adhésion rapide des cellules sur le substrat, ce qui est une caractéristique intéressante en implantologie où il est nécessaire d’obtenir le plus rapidement possible, après mise en place de l’implant, une cicatrisation des tissus mous afin de protéger le tissu osseux sous-jacent.
Par ailleurs, les cellules épithéliales interagissent avec les surfaces par la mise en place de structures d’adhésion de type hémi-desmosome ou par celle de contacts focaux. La fonctionnalisation des surfaces, en l’occurrence du titane, par des films de type PGA/PLL fonctionnalisés par le PGA-peptide peut permettre la mise en place rapide et plus nombreuse de ce type de liaisons et ce afin d’obtenir une formation plus rapide d’un épithélium de jonction péri-implantaire qui est également plus étanche.
Une autre voie explorée actuellement est l’effet combiné de la topographie et du caractère hydrophile de la surface implantaire en titane. Il s’avère que le caractère hydrophile conditionne davantage que la topographie de surface la prolifération et l’adhésion des cellules épithéliales sur la surface métallique. Lorsque les surfaces sont hydrophobes, qu’elles soient lisses ou microrugueuses, la prolifération et l’adhésion des cellules épithéliales sont fortement réduites. En définitive, l’ensemble des surfaces de l’implant devrait être hydrophile. Si la surface implantaire est rendue hydrophile, les ostéoblastes vont préférer des surfaces rugueuses alors que les cellules épithéliales réagiront plus favorablement à des surfaces lisses (An et al., 2012).
Différentes approches, ayant toutes pour objectif de modifier la surface de l’implant en titane pour en changer les propriétés afin d’améliorer le contact d’une surface métallique avec les tissus mous péri-implantaires et en particulier l’attache conjonctive, ont été proposées.
Une surface implantaire traitée par ablation laser et présentant des microrainures semble permettre une meilleure adhésion des fibres conjonctives (Nevins et al., 2010).
Des microrainures concentriques de profondeur comprise entre 400 et 600 nm et de largeur comprise entre 1,5 et 2 μm, présentant ainsi une rugosité de surface (Ra) de 250 nm, et qui sont ensuite recouvertes par des nanofibres de polytétrafluoroéthylène (PTFE) modifient l’alignement des fibroblastes gingivaux et en améliorent l’adhésion à la surface métallique (Kearns et al., 2013).
Des modifications hydrothermales de la surface implantaire avec des ions calcium ou magnésium semblent accroître significativement l’adhésion des fibroblastes, alors qu’elles n’ont que peu d’effet sur l’adhésion des cellules épithéliales (Okawachi et al., 2012).
La création d’une structure nano-tubulaire de surface par dépôt anodisé d’une couche de dioxyde de titane non seulement permettrait d’accroître la prolifération et l’adhésion des fibroblastes gingivaux (Demetrescu et al., 2010) mais modifierait également l’orientation et l’expression des gènes de ces cellules. Par ailleurs, elle autoriserait aussi l’adjonction de facteurs bioactifs comme les facteurs de croissance fibroblastique (FGF, fibroblast growth factors). À titre d’exemple, le FGF-2 peut être immobilisé sur des surfaces en titane prétraitées par un plasma d’oxygène (Kokubu et al., 2009). La combinaison d’une surface nano-tubulaire, dont le diamètre des tubules serait de l’ordre de 120 nm, et de FGF-2 améliorerait le joint entre l’implant et/ou sa suprastructure et les tissus mous péri-implantaires (Peng et al., 2009 ; Ma et al., 2012).
Enfin, la fixation en surface d’un peptide cyclique d’adhésion qui est photo-activable montre un accroissement à la fois de la prolifération et de l’adhésion des fibroblastes (Huck et al., 2012).
Favoriser l’adhésion des tissus épithélial et conjonctif passe aussi par une stratégie qui éviterait les dépôts bactériens sur l’ensemble des surfaces métalliques et sur la partie transmuqueuse en particulier. En effet, des biofilms bactériens vont apparaître dans le sillon péri-implantaire dès sa formation et pourront progressivement évoluer vers une composition pathogène susceptible de provoquer des réactions inflammatoires tout d’abord limitées aux tissus mous mais qui se propageront ensuite très rapidement à l’os sous-jacent. Les stratégies qui viseraient à prévenir ou à éliminer les premiers dépôts bactériens pendant la cicatrisation des tissus mous péri-implantaires ne pourraient qu’avoir des conséquences positives en réduisant la fréquence des complications inflammatoires et, donc, des péri-implantites.
De nombreuses orientations ont été proposées : modifications des énergies de surface, modifications de surface par photocatalyse, incorporation d’antibactériens (comme des peptides antibactériens tels les α et β-défensines ou l’oxyde de zinc), libération contrôlée de ces agents soit à titre prophylactique, soit en réponse à l’agression bactérienne (Jansson et al., 2012 ; Zhu et al., 2013), dépôt électrochimique d’une solution contenant silicone, calcium, phosphore, sodium et nanoparticules d’argent (Della Valle et al., 2012).
Toutefois, ces stratégies ont pour l’instant essentiellement démontré une activité antibactérienne in vitro. Il n’est actuellement absolument pas acquis que ces orientations s’avéreront efficaces in vivo à la fois pour empêcher l’adhésion bactérienne et permettre, à l’inverse, l’adhésion des tissus mous péri-implantaires (Bumgardner et al., 2011). Se rajoute encore l’effet délétère de certaines méthodes de stérilisation des pièces implantées qui pourrait impacter défavorablement l’intégration des implants dans les tissus environnants (Zhao et al., 2010).
La pérennité des implants est en grande partie liée à la qualité de la liaison entre les tissus mous péri-implantaires et l’implant et/ou sa suprastructure. Un joint insuffisamment hermétique favorise une rupture de l’équilibre entre la flore orale, potentiellement pathogène, et la résistance de l’hôte, et concourt à la survenue de péri-implantites. À l’inverse, une forte adhésion de l’épithélium jonctionnel et du tissu conjonctif à la surface implantaire ne peut que renforcer la défense de l’hôte, indépendamment de la nature de la flore bactérienne présente dans le sillon péri-implantaire.
Toutes les recherches actuelles, en particulier à l’aide de techniques d’ingénierie tissulaire, ont pour objectif d’améliorer la qualité du joint des tissus mous péri-implantaires sur la surface implantaire. Beaucoup de pistes ont été explorées et les résultats in vitro sont souvent prometteurs. Reste à retrouver de telles améliorations in vivo, ce qui constitue encore un énorme défi à ce jour.
Les auteurs ont indiqué n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant cet article.