Article
Pascal VALENTINI* David ABENSUR**
*Université de Corse Pascal-Paoli
Institut universitaire de Santé
DIU européen d’implantologie
Campus Grimaldi
20250 Corte
**Université de Corse Pascal-Paoli
Institut universitaire de Santé
DIU européen d’implantologie
Campus Grimaldi
20250 Corte
Chez 40 patients, 43 implants ont été placés dans des sites d’extraction frais au niveau du maxillaire antérieur. Dans la semaine qui a suivi, une couronne provisoire a été posée sans contacts en occlusion. Après 1 an, le taux de survie des implants, la perte osseuse marginale, et la préservation des papilles ont été évalués. Le taux de survie était de 95,3 %. La perte osseuse marginale à 1 an n’était pas statistiquement significative par rapport au niveau osseux initial au moment de la mise en place des implants. Pour 78 % des patients les papilles ont été parfaitement conservées. L’édentement unitaire avec une déhiscence ou un défaut circonférentiel peut être traité avec succès avec un bon résultat esthétique en utilisant la technique de fonction immédiate.
Forty patients received a total of 43 implants placed in fresh extraction sites in the anterior maxilla. Within 1 week, a provisional crown was placed without occlusal contact. After 1 year, the implant survival rate, marginal bone resorption, and papillae preservation were assessed. The overall survival rate was 95.3 %. The 1-year marginal bone loss was not statiscally significant when compared to the marginal bone level at implant placement. In 78 % of patients, the papilla was completely preserved. Single-tooth rehabilitation patients with buccal or circum-ferential defects can be predictably treated with a favorable esthetic outcome using the immediate provisionalization approach.
Depuis sa naissance dans les années 1960, l’implantologie ostéo-intégrée a connu un essor considérable qui la place au rang des disciplines cliniques accessibles à tous les chirurgiens-dentistes. Depuis les premiers travaux sur l’ostéo-intégration, les avancées techniques n’ont cessé d’améliorer les résultats cliniques et de lever les obstacles empêchant de recourir à l’implantologie chez une majorité de patients. Au début des années 1980, cette technique était presque exclusivement réservée aux patients édentés afin de leur offrir un moyen de stabiliser une prothèse amovible ou de réaliser une prothèse fixe, améliorant ainsi leur confort masticatoire. À la même période, la mise en place d’implants unitaires dans le secteur antérieur donnait des résultats très décevants sur le plan esthétique. En effet, la corrélation directe entre la morphologie osseuse du site receveur et la qualité du résultat ne constituait pas une évidence. La technique d’extraction-implantation immédiate (Lazzara, 1989 ; Gelb, 1993) répondit partiellement à cette exigence mais la nécessité d’interventions répétées et le port d’une prothèse amovible pour une durée indéterminée pouvaient décourager certains patients. De plus, l’expérience a montré que le fait de poser un implant dans une alvéole aussitôt après l’extraction ne constituait pas une garantie pour la stabilité de l’os marginal (Schropp et al., 2005 ; Araújo et Lindhe, 2005 ; Chen et Buser, 2009 ; Sanz et al., 2010). L’esthétique est un équilibre entre le « blanc », c’est-à-dire la partie prothétique, et le « rose » des tissus mous dont la morphologie, la qualité et la position ne dépendent que du tissu qui les soutient, à savoir le tissu osseux que l’on peut considérer aujourd’hui comme la clef de voûte de l’esthétique des restaurations implanto-portées, le prérequis pour l’obtention de cet équilibre étant le positionnement de l’implant en lieu et place de la racine de la dent extraite. La technique d’extraction-implantation immédiate, avec temporisation immédiate, va permettre de satisfaire ce prérequis. L’objectif est la parfaite stabilité de l’os marginal dans le temps. Il faut amener l’os à l’endroit où sa présence est nécessaire. Pour atteindre ce but, une approche « dynamique » de ce tissu est indispensable. En quoi cela consiste il ?
En médecine et en odontologie, un paradigme prédomine : « Tous les phénomènes biologiques sont une somme de réactions chimiques coordonnées. » Toutefois, il n’explique pas pourquoi les astronautes perdent une partie de leur masse osseuse quand ils sont en état d’apesanteur, tout comme les patients alités pendant une longue période. À l’inverse, un joueur de tennis voit sa masse osseuse augmenter au niveau du bras utilisé pour tenir la raquette. Il en va de même pour l’os alvéolaire qui se résorbe au niveau du site d’extraction. La nature élimine l’os qui n’est pas utilisé et elle en crée lorsqu’il est nécessaire : « La fonction crée l’organe. »
Cette adaptation de l’os est l’expression d’un vieux concept : la loi de Wolff (Wolff, 1892) : « L’architecture osseuse s’organise en fonction des sollicitations mécaniques extérieures. » Cette adaptation est rendue possible par l’ostéogenèse interstitielle. Sous l’effet de ces contraintes dues à la mise en charge, des microfractures se produisent et elles vont se réparer de façon à mieux résister. Le modelage osseux permet cette adaptation (Roux, 1895). Il faut donc des conditions particulières liées à la mise en charge pour déclencher la cascade de réactions chimiques qui conduira à une néoformation osseuse qui résiste aux sollicitations mécaniques (fig. 1 et 2). On connaît bien, aujourd’hui, les conséquences de la mise en charge sur l’os péri-implantaire (Hoschaw et al., 1994 ; Stanford, 1998). L’excès de micromouvements empêche la réparation osseuse autour de l’implant (Brunski et al., 2000). Et le remodelage osseux résulte de la déformation du micro-environnement osseux (Frost, 1982 ; Lanyon, 1984). La minéralisation du collagène est directement corrélée à sa déformation (Meyer et al., 2001). D’après Frost, si la déformation osseuse se situe entre 100 et 2 500 micro-strains (µS), soit une déformation cellulaire de 0,1 à 0,25 % du volume initial, alors la régénération osseuse aura lieu (Frost, 2004). Cela est comparable au seuil de fracture qui correspond à une déformation de 25 000 µs (S > 2,5 %), la déformation étant le rapport entre le volume initial et le volume final de la cellule après qu’une stimulation mécanique a été exercée. Cette fourchette de 0,1 à 0,25 % correspond à une pression variant de 20 à 50 MPa (Frost, 2004). Cela se produit grâce au phénomène de mécano-transduction (Gillepsie et Walker, 2001). En effet, Burger et Klein-Nulend ont montré in vitro que, à la suite d’une stimulation mécanique discontinue et par l’intermédiaire du liquide intracanaliculaire, il y aura une déformation du cytosquelette des ostéocytes et des cellules bordantes, ce qui provoque la production par ces cellules d’oxyde d’azote et de prostaglandines E2 qui ont respectivement un effet négatif sur le recrutement des ostéoclastes et un effet positif sur celui des ostéoblastes (Burger et Klein-Nulend, 1999). Cela a été vérifié chez l’animal (Meyer et al., 2003). En orthopédie, Rubin et McLeod ont établi qu’une exposition brève et répétée d’implants non scellés à des stimulations mécaniques discontinues de faible amplitude améliorait la fixation biologique de ces implants (Rubin et McLeod, 1994). C’est pour cela que les patients qui ont reçu une prothèse de hanche sont encouragés à marcher le lendemain de l’intervention afin d’améliorer la fixation de leur prothèse. Il y a donc un avantage à mettre en charge l’os de façon précoce, dans certaines conditions, afin de favoriser son adaptation. La temporisation immédiate (Whörle, 1998 ; Ericsson, 2000), qui consiste à poser une dent provisoire en sous-occlusion aussitôt après la pose de l’implant, va permettre cela. Dans ces conditions, l’os péri-implantaire est soumis à une stimulation mécanique de la part de la langue et des lèvres.
Quel est le meilleur moment pour stimuler l’os mécaniquement ? Si l’on se réfère à la littérature orthopédique, « lors d’une fracture, l’os a une remarquable capacité à se régénérer dans les zones stimulées mécaniquement » (Treharne, 1981). « L’adaptation de la topographie osseuse à de nouvelles fonctions nécessite que ce dernier soit dans une phase de régénération ou de réparation » (Bertram et Swartz, 1991). L’os est donc plus réceptif à la stimulation mécanique s’il se trouve dans une phase d’activité métabolique intense. Cette phase correspond au phénomène d’accélération régionale (Frost, 1983) : la vitesse et l’intensité du remodelage au sein d’un défaut sont plus importantes que dans un tissu normal. Un site d’extraction frais est le siège idéal pour l’expression de ce phénomène d’accélération régionale. De plus, l’immobilisation inhiberait le phénomène d’accélération régionale, ce qui suggère une possible dépendance de ce dernier vis-à-vis de la stimulation mécanique (Mueller et al., 1992).
De ces différentes considérations est née l’idée que la mise en place d’un implant dans un site d’extraction avec la pose d’une couronne provisoire extemporanée ou dans les 24 heures en sous-occlusion favoriserait une reconstruction optimale de l’os alvéolaire. C’est la technique de fonction immédiate qui a été testée dans l’étude suivante (Valentini et al., 2010).
Un groupe de 43 patients présentant une indication d’extraction au niveau du groupe incisivo-canin et prémolaire maxillaire a été sélectionné. Lors d’une extraction avec mise en place immédiate d’implant, les défauts péri-implantaires à gérer sont de deux types : soit un défaut circonférentiel dû à l’absence de congruence entre le diamètre de l’implant et celui de l’alvéole résiduelle, soit une déhiscence osseuse au niveau de la paroi vestibulaire due à une extraction traumatique ou à un processus infectieux. Dans cette étude, seuls les défauts de taille réduite ont été retenus. Dans l’échantillon considéré, on comptait 22 défauts circonférentiels et 21 déhiscences. En cas d’infection au niveau de la dent à extraire, l’implant n’a été posé que 1 semaine après l’extraction. L’antibiothérapie (spiramycine + métronidazole), commencée le jour de l’extraction, s’achève 1 semaine après la pose de l’implant. Les cas présentant un biotype parodontal fin ont été exclus. La répartition en 4 groupes a été faite en fonction de la technique utilisée pour traiter le défaut, de la présence ou non d’un foyer infectieux avant l’extraction et de la date de mise en place de la couronne provisoire (tableau 1).
Dans les groupes 3 et 4, l’implant est mis en place en position légèrement palatine avec un couple d’insertion au moins égal à 40 Ncm. Si ce couple n’est pas atteint, l’implant n’est pas pris en compte dans l’étude. À ce stade, il reste un défaut la plupart du temps circonférentiel (fig. 3 et 4) qui est limité par la paroi vestibulaire dont la pérennité sera décisive pour le résultat esthétique car la stabilité des tissus mous en dépendra. Il est donc impératif de stabiliser cette paroi osseuse, baptisée bundle bone par Araújo et Lindhe (Araújo et Lindhe, 2005). Le résultat esthétique dépendra de la conservation de la convexité vestibulaire et de l’absence de récession des tissus mous, ces deux paramètres étant directement liés à la mise en charge de l’implant.
L’originalité du concept testé dans cette étude réside dans la possibilité de stabiliser l’os alvéolaire en le stimulant de façon physiologique, c’est-à-dire en respectant les conditions définies par Frost (Frost, 2004). Lorsqu’un implant est mis en charge, les contraintes vont se concentrer au niveau du col (Brunski et al., 2000). Afin d’optimiser leur effet, il faudra que l’implant (AstraTech ST, Molndal, Suède), grâce à sa morphologie, réponde au cahier des charges suivant : stimulation physiologique de l’os environnant tout en évitant sa surcharge. C’est possible lorsque l’implant présente des microrétentions (microfiletage) le long du col et qu’il existe une connexion conique entre l’implant et le pilier (Hanson, 1999, 2000). Le microfiletage va permettre de transformer les forces de cisaillement en forces de compression et la connexion conique va permettre de déplacer les contraintes plus en profondeur au centre de l’implant. Dans ces conditions elles joueront leur rôle de stimulation physiologique et seront bénéfiques pour l’os. Cependant, le vide créé par le défaut circonférentiel va empêcher que cette stimulation atteigne sa cible, en l’occurrence la paroi vestibulaire. Il faudra donc systématiquement combler le défaut, quelle que soit sa taille, avec un matériau rigide dont le rôle sera de transmettre la stimulation à l’os que l’on veut préserver (fig. 5). Le matériau employé pour cela est une hydroxyapatite déprotéinée d’origine bovine (Bio-Oss®) de faible granulométrie. Pourtant, le pilier est mis en place et une couronne du commerce est rebasée sur une coiffe en plastique connectée avec pilier serré à l’aide d’un tournevis manuel. Elle est mise en place le jour de la chirurgie et scellée provisoirement en sous-occlusion 1 semaine après sa pose afin d’éviter les fusées de ciment sous le lambeau au niveau du matériau de greffe (fig. 6 et 7). Après 12 semaines de cicatrisation, le pilier est serré à 25 Ncm avec une clé dynamométrique et une empreinte est réalisée pour la confection de la couronne définitive (fig. 8 et 9). La déhiscence osseuse est le second type de défaut constaté. La procédure de mise en place de l’implant reste inchangée mais il faudra réaliser une empreinte de position de l’implant pour la fabrication de la prothèse provisoire (fig. 10). Le défaut est alors traité par régénération osseuse guidée (fig. 11 à 13), associant l’hydroxyapatite déprotéinée d’origine bovine (Bio-Oss®) à une membrane de collagène (Bio-Gide®) fixée avec des punaises en titane (Omnia, Italie). La couronne provisoire, la plupart du temps vissée, est mise en place à moins de 1 semaine (fig. 14) en sous-occlusion. Au bout de 3 mois, la couronne définitive est posée (fig. 15 et 16). Comme cela a été suggéré par Smith et Zarb, un implant est considéré comme un échec s’il présente une perte osseuse marginale significative, une zone radio-claire, une mobilité, ou encore s’il est douloureux (Smith et Zarb 1989). La perte osseuse marginale a été mesurée grâce à des radiographies rétroalvéolaires standardisées le jour de la pose de la dent provisoire et à 52 semaines en postopératoire. La valeur de référence est mesurée au point de jonction entre le pilier et l’implant.
Seuls 6 implants de 11 mm de long ont été utilisés, tous les autres avaient une longueur supérieure ou égale à 13 mm et seuls 3 implants de 4 mm de diamètre ont été utilisés. Tous les autres avaient un diamètre de 4,5 ou 5 mm. Le délai entre la pose de l’implant et la mise en place de la prothèse définitive a été de 3 mois. Deux implants qui appartenaient au groupe 2 ont été déposés : le premier 1 semaine après la pose de la couronne provisoire, soit 2 semaines après la pose de l’implant. Il remplaçait une latérale fracturée ayant présenté plusieurs épisodes infectieux au cours des 6 mois précédents. Le second implant était en position de première prémolaire et le patient a confié avoir mâché dessus rapidement après sa pose. Le taux de succès (Smith et Zarb, 1989) des implants a été de 95,3 % (tableau 2). La perte osseuse marginale moyenne au bout de 1 an a été de 0,18 ± 0,64 mm et non statistiquement significative (p > 0,005), de même, il n’y a pas eu de différence statistiquement significative pour la perte osseuse entre les groupes. La perte osseuse individuelle pour chaque groupe n’est pas statistiquement significative (tableau 3). Pour les tissus mous, l’indice de Jemt (Jemt, 1999) a été utilisé pour évaluer la conservation des papilles. Pour 77,7 % des implants (tableau 4), une conservation maximale des papilles a été notée (indice 3). Pour les autres, elle a été incomplète. La présence de défauts parodontaux au niveau des dents adjacentes enregistrée a pu en être la cause. L’indice moyen pour l’ensemble de l’échantillon a été de 2,81 ± 0,5.
Les patients présentant un édentement unitaire consécutif à une extraction fraîche peuvent être traités avec succès grâce à cette technique. Il faudra toutefois la limiter à des défauts péri-implantaires de taille réduite en présence d’un biotype parodontal épais. Le contexte occlusal est aussi de première importance. Cette technique est donc contre-indiquée chez les patients bruxomanes ou présentant une occlusion de classe II division 2.
L’avantage essentiel de cette technique réside dans la réduction significative du temps de traitement à une période très courte sans prothèse provisoire dans le cas d’une régénération osseuse guidée. La perte osseuse à 1 an n’est pas statistiquement significative, ce qui rend prévisible le résultat esthétique. Et c’est l’approche biologique de la cicatrisation osseuse qui diminue la perte osseuse, ce qui met en évidence la nécessité de stimuler l’os pendant qu’il se forme pour qu’il s’organise et supporte les contraintes auxquelles il sera soumis. Le taux de survie des implants, de 95,2 %, est comparable à celui observé à court terme avec une technique classique en deux temps. La mise en place précoce de la dent provisoire favorise la cicatrisation des tissus mous et le maintien des papilles autour de la prothèse en fonction de la morphologie osseuse sous-jacente.