Article
Tudor VAÏDEANU* Michel UZAN** Sophie KOSINSKI*** Marie-Hélène COTTET**** Monique BRION*****
*Faculté de chirurgie dentaire,
université René-Descartes,
Sorbonne Paris Cité,
Hôpital Albert-Chenevier (AP-HP)
**Faculté de chirurgie dentaire,
université René-Descartes,
Sorbonne Paris Cité,
Hôpital Albert-Chenevier (AP-HP)
***Faculté de chirurgie dentaire,
université René-Descartes,
Sorbonne Paris Cité,
Hôpital Albert-Chenevier (AP-HP)
****Faculté de chirurgie dentaire
université Denis-Diderot
Hôpital Rothschild (AP-HP)
*****Faculté de chirurgie dentaire,
université René-Descartes,
Sorbonne Paris Cité,
Hôpital Albert-Chenevier (AP-HP)
Depuis de très nombreuses années, cardiopathies valvulaires et foyers infectieux bucco-dentaires, principalement d’origine endodontique, sont associés. Aujourd’hui, la présence de foyers infectieux parodontaux est de plus en plus mise en cause dans l’aggravation de plusieurs maladies générales, tel le diabète. Ces derniers peuvent également être des cofacteurs de développement de cardiopathies, par exemple les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux.
De nombreux travaux récents tendent à rapprocher parodontites et athérogenèse. La bactériémie quotidienne provoquée par la mastication et le brossage des dents chez des sujets ayant des poches parodontales semble jouer ici un rôle important.
Avec le vieillissement de la société, l’ostéoporose est devenue un réel problème de santé publique. De plus en plus de sujets sont traités à titre préventif avec des bisphosphonates. À long terme, administrés à faibles doses par voie orale, ceux-ci sont susceptibles de provoquer des ostéonécroses des maxillaires extrêmement mutilantes, tout comme le sont les bisphosphonates intraveineux prescrits dans la prise en charge des métastases osseuses.
In the past, valvular heart disease and endodontic involvement were habitually correlated. Today, periodontal chronic infection is regularly associated with aggravation of systemic diseases such as diabetes and even as a co-factor favouring the development of systemic conditions such as coronary heart disease, cerebro-vascular accidents.
Poor metabolic control can be favoured by the presence of chronic infection such as periodontitis.
Recently atheroma formation and periodontal infection were possibly found to be correlated. The daily bacteremia caused by tooth brushing and chewing among patients with periodontal pockets could be an etiological factor.
With aging populations, osteoporosis has become a major public health problem. More and more people take preventive medications such as biphosphonates. Long term administration of low doses of oral biphosphonates have been reported to be associated with osteonecrosis of the jaw such as observed with intra-venous high dose biphosphonates prescribed for metastatic cancer lesions.
Les maladies parodontales ne sont plus le problème du seul chirurgien-dentiste Depuis 20 ans, de nombreuses enquêtes épidémiologiques et beaucoup de travaux sur la physiopathologie parodontale montrent que la présence de foyers infectieux parodontaux peut représenter un facteur de risque susceptible de favoriser le développement et l’évolution de certaines pathologies générales comme les cardiopathies valvulaires et ischémiques ou le diabète. Pour d’autres affections, telles les broncho-pneumopathies chroniques obstructives, les néphropathies et la polyarthrite rhumatoïde, l’association reste hypothétique et à confirmer (Linden et al., 2013). La prévalence des parodontites est élevée (plus de 50 % des plus de 50 ans) (Pihlstrom et al., 2005) et pourrait même avoir été sous-évaluée. Une étude suggère que 47 % de la population générale des États-Unis est concernée et ce pourcentage atteint 64 % pour les plus de 65 ans (Eke et al., 2012). Elle montre des disparités sociodémographiques : la population d’origine hispanique présente le risque le plus élevé, suivie par celle des Afro-Américains. La prévalence varie également avec le niveau socio-économique et l’éducation.
Les parodontites deviennent un réel problème de santé publique, tant en raison des problèmes de morbidité et de mortalité engendrés par les pathologies auxquelles elles sont associées que du coût de la prise en charge de ces dernières.
Historiquement, l’infection focale a provoqué un nombre impressionnant d’extractions inutiles avant que le concept ne soit abandonné, du moins dans son acception initiale vers le milieu du siècle dernier. Il a laissé en héritage l’ensemble des précautions liées aux cardiopathies valvulaires et toutes les recherches sur la microbiologie et l’immunologie des parodontites.
Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), anciennement Afssaps (ANSM, 2011), en ce qui concerne les maladies parodontales, l’antibioprophylaxie est justifiée pour les détartrages, surfaçages et sondages parodontaux mais uniquement dans le cas des cardiopathies à haut risque d’endocardite infectieuse :
– prothèse valvulaire (mécanique ou bioprothèse) ou matériel étranger pour une chirurgie valvulaire conservatrice (anneau prothétique…) ;
– antécédent d’endocardite infectieuse ;
– cardiopathie congénitale cyanogène :
• non opérée ou dérivation chirurgicale pulmonaire systémique,
• opérée, mais présentant un shunt résiduel,
• opérée avec mise en place d’un matériel prothétique par voie chirurgicale ou transcutanée, sans fuite résiduelle, seulement dans les 6 mois suivant la mise en place,
• opérée avec mise en place d’un matériel prothétique par voie chirurgicale ou transcutanée avec shunt résiduel.
Dans ces situations, la chirurgie parodontale est contre-indiquée. Lorsque le praticien considère que des foyers infectieux parodontaux persistent et ne peuvent pas être contrôlés par un traitement non chirurgical, les extractions sont envisagées. Notons également que dans ce contexte médical particulier, les implants dentaires et les chirurgies liées aux péri-implantites sont aussi contre-indiqués.
Les affections vasculaires liées à l’athérosclérose telles qu’elles sont définies dans La Classification internationale des maladies (9e mise à jour) (CIM-9) regroupent les cardiopathies ischémiques, les affections cérébro-vasculaires et les maladies des artères, artérioles et capillaires ou maladies vasculaires périphériques. Elles représentent la première cause de morbidité et de mortalité, malgré les efforts constants dans ce domaine, avec en première ligne l’ischémie cardiaque et l’infarctus du myocarde ainsi que l’accident vasculaire cérébral (AVC). L’ischémie se définit par un déséquilibre entre les apports et les besoins en oxygène consécutif à une diminution de la perfusion (Lockhart et al., 2012 ; Roger et al., 2012).
L’athérosclérose en tant que facteur étiologique principal des cardiopathies ischémiques a fait l’objet de nombreuses études permettant d’identifier plusieurs facteurs de risque et mécanismes étiopathogéniques. En plus des facteurs de risque traditionnels (tabagisme, hyperlipidémie, hypertension, diabète), la présence d’infections pouvant entraîner une réaction inflammatoire chronique pourrait contribuer à expliquer la présence d’athérosclérose coronarienne que les paramètres usuels ne justifient pas.
En 1989, plusieurs études montrent une corrélation entre l’état parodontal de patients et la survenue d’infarctus du myocarde ou d’accidents vasculaires cérébraux (Matilla et al., 1989 ; Syrjanen et al., 1989). Dans ces études transversales (cas/témoin), la relation persiste même après avoir isolé les autres facteurs de risque tels que l’âge, l’hypercholestérolémie, l’hypertension, le diabète et le tabagisme. À partir de ces travaux, le nombre d’articles n’a cessé d’augmenter afin de chercher à comprendre les mécanismes d’une association qui paraissait pour le moins incongrue.
L’évolution des recherches s’est poursuivie dans trois directions :
– mise en évidence d’une corrélation entre la présence de parodontites et celle de l’athérosclérose en tant que facteur déterminant des cardiopathies ischémiques ;
– identification du plus grand nombre de facteurs de risque communs entre les deux pathologies sur des échantillons plus larges pour valider une corrélation statistiquement significative ;
– recherche de mécanismes pouvant sous-tendre une relation de causalité entre la présence des lésions parodontales et le développement de l’ischémie coronarienne.
Plusieurs travaux ont montré une corrélation entre l’état bucco-dentaire des patients et l’importance de l’athérosclérose coronarienne mise en évidence par angiographie (Matilla et al., 1993 ; Malthaner et al., 2002). Selon les études, les résultats restent statistiquement significatifs après avoir isolé ou non les facteurs de risque traditionnels. Dernièrement, dans une population de 508 sujets, l’état parodontal, le nombre de dents absentes et le degré d’alvéolyse semblent corrélés à la sténose coronarienne évaluée par angiographie (Buhlin et al., 2011). Il semble néanmoins difficile d’envisager une relation de cause à effet tant les éléments communs sont nombreux.
Sur des échantillons de plusieurs milliers de patients, les sujets présentant une parodontite ont un risque de développer une cardiopathie ischémique augmenté de 25 % et lorsque la population analysée cible les hommes âgés de 25 à 49 ans, le risque augmente de 70 % (Beck et al., 1996 ; DeStefano et al., 1993 ; Scannapieco et al., 2003 ; Dietrich et al., 2008). En terme de santé publique, la prévalence importante de parodontite entraîne un risque de cardiopathie non-négligeable.
La forte composante inflammatoire associée au développement des parodontites peut amener des perturbations d’ordre systémique chez des sujets prédisposés (phénotype hyperinflammatoire). L’augmentation du fibrinogène (précurseur de la fibrine), du nombre de globules blancs et du facteur VIII de la coagulation est souvent associée à la présence de foyers infectieux parodontaux. Ces trois marqueurs sont aussi des facteurs de risque de développement de maladies ischémiques ou d’AVC (Christan et al., 2002 ; Kweider et al., 1993 ; Lowe et al., 1998).
La quantité de bactéries à Gram négatif (notamment Porphyromonas. gingivalis) et de lipopolysaccharides (LPS) est importante puisque la surface totale d’épithélium de poche ulcéré, donc perméable, est comparée à la surface de la paume d’une main (Page, 1998). Par conséquent, les bactériémies chez ces patients sont fréquentes. Elles sont provoquées de manière chronique par les actes de la vie quotidienne (mastication, brossage) et permettent le passage d’endotoxines dans la circulation générale avec des effets sur l’endothélium vasculaire. Certains auteurs ont mis en évidence la présence de P. gingivalis dans les lésions athéroscléreuses qu’il pourrait aggraver par la production de cytokines pro-inflammatoires. Ce ne sont pas seulement les parodontopathogènes qui peuvent passer dans le courant sanguin mais toutes les bactéries habituelles du biofilm. Parmi celles-ci, certaines souches de Streptococcus sanguinis peuvent provoquer l’agrégation plaquettaire et contribuer ainsi à la survenue d’accidents thromboemboliques (Herzberg et al., 1996 ; Offenbacher et al., 2008 ; Ohki et al., 2012).
La destruction parodontale est liée à la présence de la flore bactérienne mais aussi à une réaction de l’hôte caractérisée notamment par la présence de monocytes/macrophages à phénotype hyperinflammatoire. Cela explique que tous les patients présentant une forte accumulation bactérienne ne subiront pas la même destruction tissulaire. La production par ces cellules de grandes quantités de cytokines pro-inflammatoires (prostaglandines E2, interleukine 1-bêta, tumor necrosis factor alpha) pourrait conduire aussi bien au développement des lésions parodontales qu’à l’aggravation des lésions athéromateuses. En effet, les monocytes jouent un rôle essentiel dans la formation des lésions athéroscléreuses. Ainsi, l’épaississement de l’intima et de la media des artères, caractéristique de l’athérosclérose, se fait par l’adhésion des monocytes à l’endothélium puis par leur migration dans la paroi artérielle et leur transformation en cellules spumeuses, remplies de lipoprotéines de basse densité (LDL, low density lipoprotein) (Shapira et al., 1994 ; Itabe et al., 2012 ; Zhou et al., 2012).
Ces mécanismes sont soumis à de multiples régulations et leur complexité ne permet pas aujourd’hui d’en décrire toutes les étapes. Les études disponibles suggèrent des voies étiopathogéniques communes mais des études supplémentaires sont nécessaires pour valider ces hypothèses.
En tant que facteur de risque, la maladie parodontale semble jouer un rôle significatif. Dans la mesure où les parodontites et les maladies coronariennes sont plurifactorielles, sensibiliser les patients à leur santé et améliorer leur état bucco-dentaire peut diminuer le risque d’événements cardio-vasculaires graves (Linden et al., 2012).
Les premières observations consacrées à l’influence des foyers infectieux parodontaux sur le contrôle métabolique du diabète ont été réalisées dès 1960 (Williams et Maha, 1960). Taylor et al. confirment le fait que la parodontite sévère est un facteur de risque de mauvais contrôle de la glycémie (Taylor et al., 1996). De nombreux auteurs montrent que des diabétiques insulinodépendants, ayant répondu positivement à une thérapeutique parodontale, présentent une amélioration du contrôle de leur maladie métabolique avec diminution de la glycosurie, de la glycémie et de la dose d’insuline nécessaire, alors que des sujets ayant mal répondu à la thérapeutique parodontale n’ont pas vu de modification du contrôle de leur diabète (Seppälä et al., 1993 ; Grossi et al., 1996 ; Kiran et al., 2005). En revanche d’autres études, qui associent patients souffrant de diabète de type 1 et 2, ne constatent pas d’amélioration significative du contrôle métabolique du diabète après traitement parodontal (Aldridge et al., 1995 ; Smith et al., 1996 ; Christgau et al., 1998). Cependant, ce groupe de patients est relativement bien contrôlé dès le départ.
Plusieurs méta-analyses ont évalué et mis en évidence l’effet du traitement parodontal sur l’amélioration du taux d’hémoglobine glyquée. Janket et al. analysent 10 études et 466 patients en tout (Janket et al., 2005) et constatent une amélioration de 0,66 %, en moyenne, du taux d’hémoglobine glyquée chez le diabétique de type 2 après traitement parodontal et de 0,71 % quand une antibiothérapie est associée au traitement local, sans que cela soit, selon ces auteurs, statistiquement significatif. Darré et al. évaluent l’efficacité du traitement parodontal sur l’équilibre glycémique des sujets diabétiques par une méta-analyse concernant 9 essais cliniques contrôlés et 485 sujets en tout (Darré et al., 2008). Ils constatent une réduction significative moyenne de 0,79 % du taux d’hémoglobine glyquée après traitement parodontal. Ce dernier pourrait favoriser l’équilibre glycémique du patient diabétique atteint de parodontite.
De même, Spangler et al., dans une étude transversale portant sur 5 000 sujets diabétiques suivis pendant 5 ans, constatent, chez les sujets atteints de parodontite ayant subi une et plusieurs interventions de chirurgie parodontale, une amélioration du taux de respectivement 0,25 et 0,36 %, (Spangler et al., 2010). Une revue récente du groupe Cochrane va dans le même sens (Simpson et al., 2010) : sa méta-analyse réalisée à partir de trois études (Kirinan et al., 2005 ; Jones et al., 2007 ; Yun et al., 2007) conclut que la différence de réduction moyenne du taux d’hémoglobine glyquée après détartrage-surfaçage et hygiène orale adaptée (plus ou moins antibiothérapie) est de 40 %. La thérapeutique parodontale peut ainsi être considérée comme un facteur susceptible d’améliorer la prise en charge de la maladie diabétique. Les auteurs insistent sur la nécessaire coopération entre diabétologue et parodontologiste.
Cette diminution potentielle du taux d’hémoglobine glyquée serait un élément capital pour la réduction du risque de complications générales du diabète, voire pour la survie du patient. Par exemple, chez le patient diabétique, chaque réduction de 1 % du taux d’hémoglobine glyquée est associée à une diminution de 21 % des décès, de 37 % des complications microvasculaires et de 14 % des infarctus du myocarde (Stratton et al., 2000).
Depuis quelques années, l’efficacité de l’action du traitement parodontal sur l’équilibre glycémique des patients diabétiques semble devenir une évidence qui mériterait qu’un suivi bucco-dentaire parodontal soit conseillé de façon systématique pour les diabétiques comme c’est déjà le cas pour l’examen ophtalmologique.
Les bisphosphonates sont de puissants inhibiteurs des ostéoclastes largement utilisés depuis la fin des années 1990 dans le traitement des maladies affectant le métabolisme osseux au premier rang desquelles figure l’ostéoporose. Des millions d’adultes prennent en effet des bisphosphonates pour le traitement préventif ou curatif de cette affection (Advisory Task Force on Bisphosphonate-Related Ostenonecrosis of the Jaws, American Association of Oral and Maxillofacial Surgeons, 2007 ; Ruggiero et al., 2007). Les molécules utilisées actuellement en France dans cette indication sont, par exemple, l’alendronate (Fosamax®, Fosavance®) et le risédronate (Actonel®). Les bisphosphonates sont également prescrits à des doses beaucoup plus élevées et le plus souvent par voie veineuse dans le traitement d’affections malignes telles que le myélome multiple, l’hypercalcémie maligne et les métastases osseuses des cancers du sein, de la prostate, des poumons (ibandronate : Bondromat®, zolédronate : Zometa®). Leur mode d’action principal est lié à leur très forte affinité pour l’hydroxyapatite, plus particulièrement là où le remodelage osseux est le plus important, comme au niveau de l’os trabéculaire et à celui de l’os alvéolaire. Lors de la résorption ostéoclastique, les bisphosphonates sont internalisés au sein des ostéoclastes et entraînent, par différents mécanismes, leur apoptose. Il y a alors moins de résorption osseuse et une perturbation profonde du remodelage. Les bisphosphonates ont également une action anti-angiogénique qui pourrait jouer un rôle dans la survenue des effets indésirables (Fleisch, 1998 ; Lin et al., 1999 ; Rogers et al., 2000). Leur demi-vie plasmatique est de quelques heures, en revanche leur demi-vie osseuse est estimée en années. Ils sont métabolisés par voie rénale (Lin, 1996).
Parmi les effets indésirables liés à la prise de bisphosphonates, il en est un qui intéresse en premier lieu les chirurgiens-dentistes : l’ostéonécrose des maxillaires (ONM). Les premiers cas ont été rapportés en 2003, chez des patients traités par voie intraveineuse pour cancer (Marx, 2003). L’ostéonécrose des maxillaires est définie cliniquement comme étant une lésion mettant à nu une portion nécrotique de l’os maxillaire ou mandibulaire, chez un patient ayant pris un traitement de bisphosphonates et n’ayant pas d’antécédents de radiothérapie au niveau de la sphère oro-faciale. Radiographiquement, l’ostéonécrose des maxillaires peut se traduire par une image radio-claire avec sclérose ou perte de la lamina dura et élargissement de l’espace desmodontal.
Les ostéonécroses des maxillaires peuvent survenir spontanément mais, le plus souvent, elles apparaissent à la suite de soins dentaires, en particulier après extraction. En effet, la majorité des cas d’ostéonécrose des maxillaires rapportés survient après extraction dentaire, chez des patients atteints de cancer et traités par bisphosphonates de façon ininterrompue pendant plus de 3 ans (Marx et al., 2005). L’incidence varie considérablement, de 1 à 12 % d’une étude à l’autre (Khan et al., 2009) (de 0,8 à 12 % pour Ruggiero et al., 2009). Taylor et al. rapportent même une incidence de 34 % dans une étude rétrospective portant sur 225 patients traités par voie intraveineuse (Taylor et al., 2013). Pour la prise en charge de l’ostéoporose, il semble que la prévalence des ostéonécroses des maxillaires ait été initialement sous-évaluée (Hansen et al., 2012 ; Krüger et al., 2013). Wong et al. concluent, à partir d’une revue de questions, que l’incidence varie, selon les études, de 0,028 à 4,3 % (Wong et al., 2013). Yamazaki et al. évaluent, dans une étude rétrospective, un risque qui varie de 0,38 à 0,81 % (Yamazaki et al., 2012) et Hansen et al., dans une grande étude multicentrique, trouvent une prévalence de 2,27 % (Hansen et al., 2012). Le risque augmente avec la durée du traitement, la concentration osseuse en bisphosphonates et l’âge des patients (Sedghizadeh et al., 2013). La susceptibilité individuelle des patients serait accentuée par une mauvaise hygiène orale, la présence de foyers infectieux, le tabac, un diabète de type 2, l’alcool, ou des thérapeutiques associées telles qu’une corticothérapie, une chimiothérapie, une radiothérapie (Abu-Id et al., 2008 ; Hess et al., 2008). Il ne fait guère de doute aujourd’hui que la présence de foyers infectieux, en particulier parodontaux, favorise le développement d’ostéonécrose des maxillaires associée aux bisphosphonates (Advisory Task Force, Ruggiero et al., 2009 ; Hellstein et al., 2011 ; Wong et al., 2013 ; Taylor et al., 2013). Kos et al. suggèrent que la présence d’une concentration élevée en bisphosphonates dans le tissu osseux pourrait favoriser la colonisation et l’adhésion de bactéries issues du biofilm dento-parodontal (Kos et al., 2010, 2013). De nombreux auteurs mettent en évidence la présence de très fortes concentrations de bactéries de type Actinomyces au sein des lésions et suggèrent que le biofilm bactérien pourrait avoir un rôle clé dans l’étiopathogénie des ostéonécroses des maxillaires associés aux bisphosphonates (Kaplan et al., 2009 ; Kos et al., 2010 ; Kumar et al., 2010 ; Anavi-Lev et al., 2013).
La prévention et le traitement de l’ostéoporose représentent un réel problème de santé publique. Il concerne des millions d’individus. Les bienfaits des bisphosphonates tant dans cette indication que dans la prise en charge des lésions malignes ne peuvent être contestés ; cependant, le médecin prescripteur comme le chirurgien-dentiste doivent avoir constamment à l’esprit le risque d’effets secondaires.
Un examen bucco-dentaire est recommandé avant la mise en place du traitement afin d’éliminer tout foyer infectieux potentiel ainsi qu’une surveillance régulière avec maintenance et renforcement des mesures d’hygiène orale pendant toute la durée du traitement. Si, malgré ces précautions, des actes de chirurgie orale sont absolument nécessaires après mise en place du traitement, la prévention du risque de survenue de l’ostéonécrose des maxillaires nécessite l’emploi de procédés aussi atraumatiques que possible, avec fermeture du site par première intention et antibiothérapie associée (Ruggiero et al., 2009).
Certains auteurs ont suggéré que le taux sérique de télopeptides C terminaux (CTX) (marqueur systémique du remodelage osseux) pourrait être utilisé comme marqueur du risque de survenue d’une ostéonécrose des maxillaires (Marx et al., 2007). Cependant, l’utilisation du taux de CTX reste controversée car il mesure l’activité ostéoclastique de tout le squelette et non spécifiquement de la fonction ostéoclastique de l’os alvéolaire. Toutefois, il peut être une mesure sensible de modification du métabolisme osseux causée par une substance médicamenteuse liée à la surface de l’os. Ainsi, bien que controversé, le dosage des CTX peut être envisagé pour confirmer la normalisation de la fonction ostéoclastique après une fenêtre thérapeutique de 3 à 6 mois recommandée avant d’entreprendre des actes de chirurgie orale chez des patients sous bisphosphonates par voie orale depuis plus de 5 ans (Marx et al., 2007).
Si la mise en place d’implants pour les patients atteints de cancer et traités avec des bisphosphonates pour pathologie cancéreuse est absolument contre-indiquée, le problème est plus discutable pour les patients traités par bisphosphonates pour ostéoporose. Il n’y aurait pas plus d’échecs implantaires chez les patients traités par bisphosphonates (95 % de survie des implants) (Bell et Bell, 2008) ni plus de risques de survenue d’ostéonécrose des maxillaires (Javed et Almas, 2010) que pour des patients ne recevant pas un tel traitement. Cependant, il est important de noter que peu d’études prospectives à long terme ont été réalisées. Or, le risque augmente avec la durée du traitement par bisphosphonates (Marx et al., 2007) ; de plus, la survenue éventuelle d’ostéonécrose des maxillaires se produit en moyenne 2 à 5 ans après la mise en place d’implants (Lazarovici et al., 2010).
En conclusion, la prévention de l’ostéoporose alliée au vieillissement de la population va amener les chirurgiens-dentistes à soigner de plus en plus de patients traités par bisphosphonates. Même si la prévalence des ostéonécroses des maxillaires n’est pas très élevée, les mesures de prévention bucco-dentaires méritent d’être renforcées pour ces patients. L’hygiène orale, la surveillance bucco-dentaire et la maintenance parodontale constituent la meilleure manière de minimiser le risque de perte dentaire. La prise en charge des ostéonécroses des maxillaires est toujours quelque chose de douloureux, complexe et aléatoire. Il est par ailleurs important d’informer le patient des risques liés au traitement par bisphosphonates, ce qui peut contribuer à améliorer sa motivation.
Si, malgré tout, des extractions doivent être réalisées et la mise en place d’implants est envisagée, l’avis du médecin prescripteur de bisphosphonates doit être recherché. De plus, on doit obtenir un consentement éclairé du patient ainsi qu’un engagement de ce dernier à respecter une surveillance à long terme.
C’est grâce à un entretien individuel soigneux, à des examens clinique et radiographique rigoureux et à un dialogue avec le médecin traitant que le chirurgien-dentiste sera en mesure d’évaluer le facteur de risque de survenue d’une ostéonécrose des maxillaires pour son patient et de concevoir un plan de traitement chronologique adapté.
Le traitement parodontal ayant pour objectif la conservation des dents, il permet de responsabiliser le patient vis-à-vis de sa santé. Lorsque les pertes dentaires semblent inévitables et que d’autres solutions notamment implantaires sont envisagées, l’influence de la sphère orale sur la santé générale ne disparaît pas. À titre d’exemple, les altérations tissulaires au niveau des coronaires ne disparaîtront pas avec les extractions dentaires mais, surtout, les implants dentaires peuvent eux aussi être à l’origine de foyers infectieux péri-implantaires. Aujourd’hui, le nombre d’études concernant les complications liées aux implants est insuffisant et la plupart des publications sont encore centrées sur la démonstration de l’efficacité des différentes techniques ou des divers systèmes implantaires. Les implants dentaires n’apparaissent plus forcément comme une solution simple et durable. Il semble aujourd’hui que la tendance en termes de choix thérapeutique s’inverse car il est finalement plus facile et plus prévisible de voir une lésion parodontale qu’une lésion péri-implantaire se stabiliser.
Il est sans aucun doute essentiel de faire comprendre aux patients que le maintien d’un bon état de santé bucco-dentaire par une attention quotidienne et un suivi régulier est non seulement possible mais participe aussi à l’entretien de leur santé globale. À ce titre, le message délivré par les chirurgiens-dentistes doit être clair : la présence de lésions parodontales représente un facteur de risque de développement et d’évolution de pathologies générales majeures. La solution passe essentiellement par le traitement conservateur de la parodontite. Les extractions dentaires et leur corollaire implantaire sont à réserver aux dents ayant dépassé les limites du traitement parodontal. Ils ne représentent une solution qu’en présence d’une maladie parodontale qui a par ailleurs été globalement stabilisée chez des patients dépourvus de facteurs de risque.