Article
Guillaume CAMPARD* Christian VERNER**
*Assistant hospitalo-universitaire, faculté de chirurgie dentaire et CHU de Nantes Exercice libéral exclusif en parodontologie et implantologie orale Master Medical of Sciences délivré par l’université d’Harvard, USA
**Maître de conférences, praticien hospitalier, faculté de chirurgie dentaire et CHU de Nantes Exercice libéral exclusif en parodontologie
Le traitement des dents atteintes de lésions interradiculaires tend à être remis en question à l’heure où l’implantologie promet d’excellents taux de succès thérapeutiques. Pour autant, le traitement des lésions interradiculaires reste d’actualité. Cet article présente la démarche diagnostique et thérapeutique de leur prise en charge, à l’aide de différentes situations cliniques illustrées. Le pronostic thérapeutique de ces différents cas de figure est également passé en revue, à la faveur de récentes données bibliographiques.
The periodontal treatment of multi-rooted teeth presenting furcation involvements can be questioned when the evidence shows outstanding results with implants, as an alternative strategy. However, treating inter-radicular lesions is still a viable option. This article presents different diagnostic and therapeutic approaches, illustrated with clinical pictures. The prognosis of the different therapeutic options presented is discussed, based on recent scientific evidence.
Les lésions interradiculaires présentent un véritable défi en parodontie. La conservation des dents ainsi atteintes est même parfois remise en question à l’heure où l’implantologie apporte des solutions efficaces et esthétiques. Pourtant, une atteinte de furcation ne mène pas nécessairement à la perte de la dent si une stratégie thérapeutique adéquate est mise en œuvre. Le succès du traitement de la maladie parodontale réside dans la capacité à maîtriser durablement une réaction inflammatoire exacerbée dans l’ensemble des sites parodontaux du patient. Il est désormais établi qu’une prise en charge globale axée sur la maîtrise des facteurs de risque (tels que le diabète non équilibré ou le tabac) ainsi que sur la décontamination bactérienne à Gram négatif anaérobie est déterminante pour la réussite du traitement parodontal et pour sa pérennité. L’identification des germes pathogènes au moyen de prélèvements bactériens peut être utile pour optimiser la prise en charge des patients (Verner et al., 2006). Pour autant, il n’est pas toujours simple d’obtenir une stabilisation de l’ensemble des sites, même lorsque le patient bénéficie d’un traitement intégral et qu’il maintient les acquis de ce dernier par un bon contrôle de plaque et des visites de maintenance régulières. Les régions molaires et les premières prémolaires maxillaires présentent à ce titre des facteurs de risque supplémentaires par rapport aux dents monoradiculées. Seule une bonne compréhension de ces particularités permet de mettre en œuvre des stratégies thérapeutiques efficaces qui mènent au succès du traitement des dents pluriradiculées.
La meilleure façon d’identifier une lésion interradiculaire est de réaliser un examen clinique avec une sonde de Nabers et de réaliser une radiographie rétroalvéolaire avec un angulateur. Il est essentiel de bien diagnostiquer une atteinte interradiculaire au moment de l’étape du diagnostic car le choix de la stratégie thérapeutique ainsi que le pronostic du traitement vont en découler. Le degré de sévérité de la perte d’attache horizontale est un facteur déterminant. Plusieurs classifications ont été détaillées mais celle de Hamp (Hamp et al., 1975) demeure une des plus populaires :
– les lésions de classe 1 présentent moins de 3 mm de perte d’attache horizontale ;
– celles de classe 2 sont des lésions non transfixiantes de plus de 3 mm, dites en cul-de-sac ;
– enfin, celles de classe 3 sont des lésions transfixiantes (fig. 1).
Tarnow et Fletcher ont complété cette classification en y ajoutant la mesure verticale de la perte d’attache avec les lésions de sous-classe A (de 0 à 3 mm de hauteur), de sous-classe B (de 3 à 6 mm de hauteur) et de sous-classe C (> 6 mm de hauteur) (Tarnow et Fletcher, 1984).
Par ailleurs, la longueur du tronc radiculaire doit être mesurée avec attention, cliniquement et radiographiquement, pour évaluer le taux d’attache résiduel d’une dent pluriradiculée ainsi que l’étendue de la perte d’attache interradiculaire. Par exemple, une première molaire maxillaire contient environ 30 % de son attache sur le tronc radiculaire, soit une surface radiculaire étendue de la jonction amélo-cémentaire (JAC) à l’émergence des furcations mésiale et distale (situées respectivement à 3,5 et 5 mm de la JAC) et vestibulaire (située à 4 mm en moyenne de la JAC) (Gher et Dunlap, 1985). Dans le cadre d’une parodontite chronique modérée, au moins le tiers de l’attache de la première molaire est donc détruit (fig. 2 et 3).
Plus difficiles à détecter cliniquement, les rainures radiculaires sont également importantes à identifier. Bower évoque un taux de 94 % de rainures sur les racines mésio-vestibulaires des premières molaires maxillaires et de 99 à 100 % pour les molaires mandibulaires (Bower, 1979). Booker évoque également des rainures présentes sur 100 % des faces mésiales des racines des premières prémolaires maxillaires ainsi que sur la plupart des surfaces distales, de façon plus prononcée (Booker et Loughlin, 1985). Leur présence doit attirer l’attention du praticien car elles représentent une difficulté à l’instrumentation radiculaire pouvant nuire à l’efficacité du traitement (Bower, 1979 ; Booker et Loughlin, 1985). Enfin, la présence de projection cervicale d’émail ou de perle d’émail doit être détectée car elle serait associée à des atteintes de furcations de molaires mandibulaires dans plus de 90 % des cas, du fait de l’absence de système d’attache (Master et Hoskin, 1964) (fig. 4).
Les lésions interradiculaires de classe 1 sont les plus simples à soigner et bénéficient d’un pronostic favorable (Bowers et al., 2003). Si elles ne présentent pas un risque parodontal majeur, il est essentiel de prévenir leur évolution vers une lésion plus profonde dont la prise en charge sera plus complexe. Ainsi, un débridement non chirurgical de la surface radiculaire exposée est suffisant si un matériel adéquat est utilisé. En effet, Stambaugh évoque la possibilité de retirer la quasi-totalité du biofilm et du tartre radiculaire sous-gingival lors d’une thérapeutique non chirurgicale si la profondeur de poche ne dépasse pas 4 mm, ce qui est le cas pour des atteintes de furcations de classe 1 (Stambaugh et al., 1981). Cependant, le diamètre et la forme d’une curette ne permettent pas toujours d’instrumenter un espace interradiculaire efficacement. Chiu considère que la moitié des entrées des espaces interradiculaires des premières molaires mesure moins de 0,75 mm de large, ce qui ne permet pas le passage efficace d’une curette de Gracey dont le diamètre est d’au moins 0,75 mm (Chiu et al., 1991). Les curettes ultrasoniques, dont la forme est adaptée à l’anatomie de l’espace interradiculaire, sont nécessaires pour favoriser l’efficacité de traitement (Sugaya et al., 2002) (fig. 5). Il est également important de corriger tous les facteurs de risque contributifs telles que les restaurations débordantes (Jeffcoat et Howell, 1980).
Les lésions interradiculaires de classe 2 sont plus problématiques mais laissent un plus large champ d’intervention. Une clé majeure de la réussite de leur traitement est l’accessibilité visuelle et instrumentale pour réaliser une décontamination intégrale et obtenir une stabilisation du niveau d’attache, voire une régénération parodontale. À ce titre, les lésions interradiculaires proximales (concernant les furcations molaires maxillaires mésiales et distales ainsi que premières prémolaires maxillaires) présentent un handicap majeur qui doit être pris en compte par le praticien. Leur instrumentation n’est pas aussi efficace que celle des lésions non interproximales (vestibulaires et linguales) et aboutit à des résultats cliniques inférieurs (Del Peloso Ribeiro et al., 2007). De même, les techniques de régénération parodontale ne semblent pas donner satisfaction pour ce type de lésions (Pontoriero et Lindhe, 1995a). Le pronostic global d’une dent présentant une telle affection est donc diminué ; le patient doit en être informé.
Les lésions interradiculaires non proximales sont donc celles dont le traitement est le plus favorable. L’objectif sera non seulement d’éliminer la réaction inflammatoire et infectieuse générant la destruction parodontale mais aussi de rétablir des conditions favorisant un contrôle de plaque efficace pour prévenir les récidives. Une prise en charge chirurgicale est quasi inévitable et deux approches peuvent être envisagées : une approche « classique » associant un débridement efficace à un aménagement anatomique osseux et dentaire par soustraction (incluant les ostéoplasties, les ostéoectomies sélectives et les amputations ou hémisections), ou bien une approche « régénératrice » pour reconstruire les tissus parodontaux détruits par l’activité de la maladie. Le choix de l’approche thérapeutique est strictement dépendant du site. Les figures 6 et 7 illustrent le traitement chirurgical d’une lésion interradiculaire sur une 36 de classe 2A, avec un degré d’envahissement plutôt limité. Un lambeau de pleine épaisseur est récliné, les surfaces radiculaires sont débridées consciencieusement, une ostéoplastie est réalisée pour recréer une architecture osseuse positive (Friedman, 1955), puis le lambeau est repositionné et suturé. Le faible volume de la lésion rend le comblement ou l’amputation radiculaire non nécessaire. En revanche, les figures 8 et 9 présentent le cas d’une lésion interradiculaire vestibulaire sur 26 de classe 2B avec une destruction osseuse interradiculaire plus importante et un écartement radiculaire favorable. La lésion n’est pas transfixiante et épargne donc les espaces interradiculaires proximaux. Le comblement est alors une solution de choix pour optimiser la régénération parodontale et éviter de perdre davantage d’attache, comme cela aurait été le cas avec une amputation radiculaire disto-vestibulaire.
Le traitement des lésions de classe 2 proximales ou de classe 3 demeure problématique et peu d’options sont à la disposition du praticien. Les tentatives de régénération ne sont généralement pas couronnées de succès du fait de la difficulté d’accès pour un débridement efficace et du moindre potentiel biologique nécessaire à la recolonisation de l’espace par les cellules progénitrices parodontales (Pontoriero et Lindhe, 1995a, 1995b). Les techniques d’amputation radiculaire (fig. 10 et 11), d’hémisection (fig. 12 et 13), de séparation de racines ou de tunnélisation restent d’actualité et permettent d’éradiquer durablement un foyer infectieux et de rétablir un accès au contrôle de plaque favorable.
La régénération des lésions interradiculaires de classe 2 non proximales (c’est-à-dire vestibulaires et linguales) a fait l’objet de multiples publications au cours des 10 dernières années. Cette approche thérapeutique a donné d’excellents résultats cliniques et histologiques, avec des techniques associant des membranes, avec ou sans biomatériaux (Murphy et Gunsolley, 2003), voire même avec des facteurs de croissance (Trombelli et Farina, 2008 ; McGuire et al., 2006). À défaut d’obtenir une régénération complète et systématique des sites, ces techniques permettent de faire au moins diminuer le volume des lésions interradiculaires de classe 2 en classe 1, ce qui optimise grandement le pronostic de la dent à long terme (Bowers et al., 2003).
Les techniques « résectrices » ont généralement mauvaise réputation et sont probablement insuffisamment utilisées. Elles sont certainement plus complexes à mettre en œuvre car elles nécessitent une combinaison de soins endodontiques, parodontaux et prothétiques pour maintenir la dent sur arcade. Cependant, les taux de survie et de succès des dents bénéficiant d’amputations radiculaires, d’hémisections et de tunnels sont tout à fait séduisants. Huynh-Ba et al. ont récemment réalisé une revue systématique sur les résultats à long terme (au moins 5 ans) de ces thérapeutiques (Huynh-Ba et al., 2009). Ils rapportent des taux de survie de 50 à près de 100 % pour des périodes de suivi allant jusqu’à 13 ans. Ils corroborent d’autres résultats précédemment publiés et faisant état de taux de survie de 80 à 90 % pour des périodes de suivi de 10 à 12 ans (Carnevale et al., 1998 ; Basten et al., 1996). Il est également particulièrement intéressant de constater que les dents ayant été perdues au cours des années de surveillance l’étaient principalement pour des raisons endodontiques (reprises de caries, parodontites apicales), prothétiques ou traumatiques (fractures), et plus rarement pour cause de progression des pertes d’attache (Huynh-Ba et al., 2009 ; Carnevale et al., 1998 ; Basten et al., 1996). Ces résultats sont particulièrement intéressants à l’heure où certains préfèrent extraire d’emblée des dents atteintes de furcation de classes 2 et 3, pour les remplacer par des implants. De récentes publications (Lindhe et al., 2008) font état de taux de péri-implantites en augmentation et, selon les estimations, présentes chez 28 à 56 % des patients. Compte tenu des progrès réalisés en termes de régénération parodontale et des bons taux de succès parfaitement établis pour les techniques « classiques » de chirurgie parodontale, la conservation et le traitement des dents atteintes de lésions interradiculaires restent d’actualité et doivent être proposés aux patients à la place de l’extraction ou de la solution implantaire.