Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 02 du 01/05/2013

 

TRAITEMENT DE L’URGENCE

Charles MICHEAU*   Stéphane KERNER**  


*Docteur en chirurgie dentaire
Assistant des universités
Praticien hospitalier
UFR d’odontologie de l’université
Paris 7
c-micheau@orange.fr
**Docteur en chirurgie dentaire
Ancien assistant universitaire
UFR d’odontologie de l’université
Paris 7
stephane.kerner@gmail.fr

LE SYNDROME DU SEPTUM

Un tassement alimentaire dans l’espace interdentaire ou une obturation débordante peuvent induire des douleurs spontanées, ressenties le plus souvent au cours des repas lors de la mise en fonction, mais pouvant aussi être continues. Elles peuvent être violentes et mal localisables, confondues avec des douleurs de pulpite. À l’examen, la papille dentaire apparaît souvent tuméfiée. Une pression sur la papille provoque une douleur et signe le diagnostic....


LE SYNDROME DU SEPTUM

Un tassement alimentaire dans l’espace interdentaire ou une obturation débordante peuvent induire des douleurs spontanées, ressenties le plus souvent au cours des repas lors de la mise en fonction, mais pouvant aussi être continues. Elles peuvent être violentes et mal localisables, confondues avec des douleurs de pulpite. À l’examen, la papille dentaire apparaît souvent tuméfiée. Une pression sur la papille provoque une douleur et signe le diagnostic. Les douleurs de syndrome du septum résultent de la compression mécanique mais surtout du développement bactérien associé qui entraîne l’inflammation du site. Le traitement consiste à retirer les éléments irritatifs sous-gingivaux, à nettoyer la zone inflammatoire et à appliquer un antiseptique topique. Dans un deuxième temps le point de contact défectueux devra être reconstitué (fig. 1).

ABCÈS PARODONTAL

Selon Meng [1], un abcès parodontal est une infection localisée, purulente des tissus parodontaux. Sa fréquence est importante : elle constitue 14 % des urgences dentaires [2]. D’un point de vue pathogénique, il s’agit de la pénétration de bactéries dans la paroi gingivale de la poche. Les cellules inflammatoires sont alors attirées par chimiotactisme et entraînent la destruction du tissu conjonctif et la production de pus [3].

C’est un épisode d’active résorption osseuse : il est donc primordial de le prendre rapidement en charge afin d’en limiter la morbidité. On distingue deux types d’étiologie : avec ou sans maladie parodontale [4].

Étiologie

Étiologie avec maladie parodontale

• Fermeture de la poche parodontale (accumulation de fibrine et de pus).

• Changement de la flore.

• Modification de la réponse de l’hôte.

• Fragments de tartre projetés dans les tissus au cours du détartrage.

• Détartrage mal conduit : tartre résiduel au fond de la poche et fermeture superficielle de cette dernière.

• Administration systémique d’antibiotiques sans débridement sous-gingival préalable.

Étiologie sans maladie parodontale

• Impaction d’un corps étranger au niveau gingival.

• Perforation au cours d’un traitement endodontique.

• Anomalies de l’anatomie dentaire.

• Fractures radiculaires.

L’abcès parodontal peut être la première cause d’extraction pendant la phase de maintenance : une prise en charge rapide et efficace est un prérequis à la conservation de l’organe dentaire.

Une fois la phase active maîtrisée, il est souvent nécessaire d’avoir recours à une phase chirurgicale qui aura pour objectif de corriger l’architecture négative (cratères gingivaux inter-proximaux) laissés par la pathologie.

Diagnostic

Le diagnostic d’un abcès parodontal repose sur l’évaluation et l’interprétation des doléances du patient d’une part et des signes cliniques et radiographiques d’autre part.

La douleur est un phénomène inconstant : la poche parodontale étant un système ouvert, le pus peut s’écouler évitant ainsi toute surpression intra-tissulaire.

Le symptôme clinique caractéristique est la présence d’un œdème gingival localisé sur la face latérale de la racine associé à une rougeur marquée.

La suppuration, signe caractéristique de l’abcès, peut être spontanée ou provoquée par la pression.

L’examen clinique permet de mettre en évidence :

• une poche parodontale profonde ;

• une mobilité augmentée ;

• une douleur majorée à la percussion.

L’examen radiographique peut être normal au niveau de l’os interdentaire s’il est réalisé dès la phase initiale mais il permet d’objectiver généralement la destruction tissulaire osseuse rapide impliquant une grande partie du tissu de soutien de la dent (fig. 2).

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel d’un abcès parodontal doit toujours être fait avec les autres abcès de la cavité buccale.

Les infections aiguës comme les parodontites apicales, les fractures et fêlures peuvent avoir des similitudes de symptômes et de signes cliniques avec les abcès parodontaux, malgré une étiologie différente. Une vitalité pulpaire absente, la présence de lésion carieuse profonde, un sondage ponctiforme doivent permettre la distinction entre les différentes étiologies.

Certaines pathologies tumorales peuvent également prendre l’aspect d’un abcès parodontal (carcinome métastatique d’origine pancréatique par exemple) : face à ce type de lésion on constate d’abord une absence de réponse au traitement et souvent un déplacement radiculaire mis en évidence à la radiographie.

Traitement

Il s’agit d’un traitement d’urgence compte tenu de la rapidité des destructions tissulaires secondaires à cet épisode infectieux aigu.

Chez un patient en bonne santé, le protocole de prise en charge de cette pathologie est simple car l’abcès parodontal est un système ouvert : il se draine directement dans la cavité ­buccale par la poche parodontale. Après avoir réalisé une anesthésie, à distance de la tuméfaction, on effectuera un débridement de la lésion à l’aide des ultrasons et curettes et il est recommandé d’adjoindre une irrigation sous-gingivale de polyvidone iodée [5] afin de diminuer la charge bactérienne le plus efficacement possible.

Il s’agit donc d’un traitement local : la prescription d’un antibiotique par voie générale n’est pas indiquée [6].

L’administration d’antibiotique ne sera réservée qu’en cas d’extension de la lésion infectieuse ou si le patient présente une pathologie nécessitant une antibioprophylaxie systématique : le métronidazole sera la molécule de choix [7] compte tenu de son spectre étroit adapté aux bactéries anaérobies.

Quand la destruction osseuse est trop importante et que le pronostic de la dent concernée est mauvais l’extraction pourra être réalisée en urgence.

MALADIES PARODONTALES NÉCROTIQUES : GINGIVITES ULCÉRO-NÉCROTIQUES ET PARODONTITES ULCÉRO-NÉCROTIQUES

Historique — définitions

Les premières références à cette pathologie semblent dater du IVe siècle avant J.-C. Ces atteintes ont été décrites sous différents noms : infection de Vincent, stomatite ulcérative du soldat ou gingivite ulcéro-membraneuse [8]…

La classification de l’Académie américaine de parodontologie de 1999 [9] a différencié et défini :

• la gingivite ulcéro-nécrotique (GUN), comme une infection caractérisée par une nécrose gingivale présentant des papilles « décapitées », associée à des saignements gingivaux et des douleurs. La présence d’une haleine fétide ainsi qu’un enduit pseudomembraneux sont des éléments secondaires du diagnostic ;

• la parodontite ulcéro-nécrotique (PUN), comme une infection caractérisée par la nécrose des tissus gingivaux, du ligament parodontal, et de l’os alvéolaire.

Les données actuelles sur ces pathologies ne sont pas suffisantes pour les distinguer clairement. De plus, il est possible qu’elles correspondent à deux stades différents de la même infection.

Ces maladies étant toutes deux liées à une diminution systémique de la résistance à une infection bactérienne des tissus parodontaux, il a donc été suggéré que la GUN et la PUN soient regroupées sous la dénomination commune de maladies parodontales nécrotiques (MPN).

Épidémiologie

Bien que la prévalence de ces maladies ait diminué au cours du vingtième siècle, une recrudescence a été constatée en Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale (14 % de la population). Actuellement, la prévalence des gingivites ulcéro-nécrotiques est estimée à moins de 0,5 % [10]. L’évolution vers la parodontite ulcéro-nécrotique est quant à elle plus rare, et prédomine chez les sujets présentant une réponse immunitaire. Chez les individus HIV positifs, elle est comprise entre 0 et 11 % [11].

Ces pathologies sont en revanche plus fréquentes dans les pays en voie de développement, en particulier chez les jeunes, avec une prévalence pouvant atteindre 15 % [12]. Leur progression en noma (évolution rapide des MPN vers une gangrène orofaciale) a été également rapportée dans ces populations [12].

Signes cliniques

La GUN est un état inflammatoire aigu d’origine bactérienne. Les premiers signes cliniques correspondent à érythème linéaire de la gencive marginale qui se prolonge aux papilles. Puis celles-ci prennent un aspect ulcéré, décapité, nécrotique et sont douloureuses (fig. 3 et 4).

Cet état peut ensuite évoluer vers la gencive marginale. Les lésions ulcérées sont recouvertes d’une pseudomembrane grisâtre (composée de débris nécrotiques et de bactéries) dont le retrait provoque un saignement. Cet état clinique est fréquemment associé à une haleine fétide. La progression de ces lésions peut provoquer une exposition du tissu osseux dans les régions interproximales où les papilles ont été perdues [13]. En absence de traitement, la GUN peut progresser vers les tissus parodontaux profonds (os alvéolaire et ligament parodontal), d’où le passage vers la PUN [14]. De plus, des épisodes récurrents de GUN chez certains patients peuvent aussi être à l’origine d’une perte d’attache [8]. Aux signes locaux habituellement constatés, peuvent s’ajouter des signes loco­régionaux et généraux (tableau I). La PUN peut évoluer vers le noma ; cette maladie gangreneuse orofaciale dévastatrice est très grave et très rare. Elle est généralement rapportée chez des enfants africains issus de milieux défavorisés des pays en voie de développement, ayant un affaiblissement important du système immunitaire [12].

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel de la GUN peut se faire avec une primo-infection herpétique (HSV) pour laquelle des vésicules herpétiques peuvent apparaître sur le palais, le dos de la langue ou la gencive. Après rupture de ces vésicules, des ulcérations peu profondes persistent, de couleur gris jaune et entourées d’un halo rouge.

Le diagnostic différentiel peut être établi avec les lésions traumatiques, la gingivite desquamative, le pemphigoïde muqueux bénin, certaines formes de leucémies…

Histopathologie

En 1896, Vincent rapporte que des spirochètes et des fusiformes de la flore bactérienne ont une responsabilité dans les GUN. Bien que ces bactéries soient communément retrouvées chez des patients n’étant pas atteints de MPN, il est en effet probable que celles-ci et d’autres soient impliquées dans la pathogénie des GUN. Une des caractéristiques de cette pathologie est l’invasion bactérienne (spirochètes) au sein de la gencive, qui a été mise en évidence par l’analyse de biopsies [15]. Le facteur bactérien représente donc un élément essentiel dans l’étiologie de cette pathologie.

Bactériologie

La flore retrouvée chez ces patients se compose essentiellement de : Prevotella intermedia, Fusobactérium sp, Treponema sp, et Selenomonas sp. Le concept de flore constante suggère une association entre cette flore et la maladie, ainsi que la présence d’une flore variable composée d’une population bactérienne hétérogène [16]. De plus, certains auteurs évoquent une étiologie virale par le cytomégalovirus ou le virus de l’herpès [17, 18].

Facteurs de risques

HIV+

Les patients séropositifs ainsi que ceux souffrant d’autres maladies systémi­ques atteignant le système immu­nitaire sont prédisposés aux MPN. De plus, la présence de PUN chez ces patients est fréquemment associée à un taux de CD4 + < 200 cellules/mm3 [19].

Déficience nutritionnelle

Ces patients présentent une moindre résistance aux infections, notamment en cas de carence vitaminique.

Hygiène orale insuffisante

La présence d’une hygiène orale insuffisante représente un facteur favorisant l’apparition de MPN. De plus, il est établi depuis longtemps que celles-ci se développent chez des patients ayant une gingivite préexistante [20].

Stress, et fatigue liée au surmenage

Une recrudescence des maladies parodontales en rapport avec des situations de stress a été rapportée (militaires, étudiants en période d’examen, patients en dépression) [20, 21, 22]. Ces conditions particulières provoquent en effet l’activation de l’axe corticotrope hypothalamo-hypophysaire, ce qui entraîne alors une augmentation de la concentration des corticostéroïdes sériques et urinaires [23], aboutissant à une immunosupression. Le stress joue donc un rôle dans le développement des MPN. En période de stress, une modification des consommations alimentaires, une augmentation du tabac et une diminution de l’hygiène orale sont également fréquemment observées.

Tabac

Le tabac représente un facteur de risque pour toutes les maladies parodontales, y compris les MPN (AAP, 1996). De plus, le risque augmente avec la quantité fumée quotidiennement inhalée. Il agit en modifiant la composition de la plaque bactérienne et en altérant la réponse de l’hôte.

Âge

Bien que cette pathologie puisse subvenir à n’importe quel âge, celle-ci est fréquemment rapportée chez des adultes jeunes dans les pays industrialisés. Ceux-ci pouvant être en rapport avec la présence d’un certain nombre d’autres facteurs de risque (stress, tabac…) [13].

Traitement

Conduite à tenir face à l’urgence

Il est recommandé un débridement doux et superficiel des lésions, afin de diminuer la charge bactérienne et désorganiser le biofilm (écouvillonnage à l’eau oxygénée ou ultrasons). Chez certains patients, l’utilisation d’ultrasons est déconseillée du fait de la vaporisation du spray (HIV+, hépatites B, C…). En cas de douleur intense, une anesthésie peut être nécessaire (anesthésie de contact ou injection à distance).

Prescription

Antalgique

Antalgiques de palier I ou II si la douleur est intense, paracétamol voire paracétamol codéiné (si nécessaire).

Bains de bouche

• Chlorhexidine (0,12 % ou 0,2 %) 3 fois par jour pendant 15 jours

ou

• peroxyde d’hydrogène (3 %) dilué de moitié avec de l’eau tiède jusqu’à disparition des symptômes, puis chlorhexidine (0,12 % ou 0,2 %).

Ces bains de bouche ne seront efficaces qu’après le débridement des lésions.

Antibiothérapie

Elle est préconisée en cas de présence de signes généraux (fièvre, malaise, état fébrile) ou en absence de réponse rapide au traitement mécanique. La monothérapie de métronidazole 250 mg/3 fois par jour pendant 6 jours est le traitement de choix [16]. Celle-ci pourra être prolongée en cas de persistance des symptômes.

Chez les patients HIV+, l’utilisation de métronidazole permet une cicatrisation rapide [24].

Néanmoins, d’autres antibiotiques tels que la pénicilline ou les tétracyclines peuvent être utilisés en adjonction du débridement manuel [13]. Face à cette pathologie la réalisation d’un test bactérien n’est pas nécessaire, même si une antibiothérapie est décidée.

Le patient sera revu tous les 2-3 jours pour un débridement, jusqu’à disparition des symptômes. Chez un patient à risque ou en cas de persistance des symptômes, la prescription d’un test HIV est indiquée.

Suite du traitement

Thérapeutique étiologique

Après traitement de l’urgence et disparition des symptômes, une thérapeutique étiologique parodontale devra être envisagée (instructions d’hygiène orale, détartrages et surfaçages des poches ≥ 4 mm).

Prévention de la récidive

L’établissement d’un programme de maintenance régulier est souhaitable afin d’éviter une récurrence de la maladie.

Éducation du patient aux facteurs de risque

L’élimination des facteurs de risque (lorsque cela est possible) est essentielle dans la prévention de la récidive.

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