Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 02 du 01/05/2013

 

CHIRURGIE PLASTIQUE

Gauthier WEISROCK*   Francis LOUISE**   Georges RACHLIN***   Jean-Claude FRANQUIN****   Gilles KOUBI*****   Stefen KOUBI******  


*Assistant hospitalo-universitaire
**UFR d’odontologie, Aix-Marseille
Université (AMU)
***PU-PH
****UFR d’odontologie, Aix-Marseille
Université (AMU)
*****Attaché
******UFR d’odontologie, Aix-Marseille
Université (AMU)
*******MCU-PH
********UFR d’odontologie, Aix-Marseille
Université (AMU)
*********PU-PH
**********Pavillon Odontologie, Hôpital
La Timone, 264, rue Saint-Pierre,
13385 Marseille Cedex 5
Koubi-dent@wanadoo.fr
***********MCU-PH
************UFR d’odontologie, Aix-Marseille
Université (AMU)

Parmi les facteurs de succès qui influencent le traitement d’une perforation radiculaire, la localisation de la perforation et la possibilité de contamination sont déterminantes car la conjonction de ces deux facteurs peut engendrer des dégâts considérables au niveau du parodonte.

La réussite de la prise en charge des cas de perforation est aussi fonction de la technique et des matériaux utilisés. Dans le cas présenté dans cet article, l’obturation endodontique de la...


Parmi les facteurs de succès qui influencent le traitement d’une perforation radiculaire, la localisation de la perforation et la possibilité de contamination sont déterminantes car la conjonction de ces deux facteurs peut engendrer des dégâts considérables au niveau du parodonte.

La réussite de la prise en charge des cas de perforation est aussi fonction de la technique et des matériaux utilisés. Dans le cas présenté dans cet article, l’obturation endodontique de la perforation a été réalisée avec un nouveau matériau à base de silicate tricalcique, le Biodentine™, et la correction de la récession l’a été par une chirurgie muco-gingivale par double papille qui a permis l’accès à la perforation sur la partie externe de la racine et son obturation avec le même matériau.

La conjonction de ces deux techniques a abouti à la disparition de la récession et à la conservation de la dent.

Le suivi clinique et radiographique démontre, au bout de 1 an, la validité de cette approche thérapeutique. Un certain nombre de matériaux tels que les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine (CVIMAR), les résines composites chémopolymérisables et, plus récemment, le MTA (mineral trioxide aggregate), dérivé du ciment de Portland, ont été utilisés pour remplacer la dentine perdue, dans les cas nécessitant un recouvrement par un lambeau gingival.

Les CVIMAR ont la capacité d’adhérer chimiquement à la dentine et à l’émail par un mécanisme d’échange d’ions et ont la possibilité de libérer du fluor. Cependant, ils possèdent des propriétés mécaniques limitées et ne peuvent pas supporter de charges excessives. Une forte suspicion de cytotoxicité vis-à-vis des cellules pulpaires et de destruction des odontoblastes par apoptose subsiste à leur égard.

Les résines composites chémopolymérisables se rétractent au moment de la prise et entraînent un hiatus à l’origine de percolation et d’irritation pulpaire, de reprise de caries et de sensibilité postopératoire. Le MTA et les produits dérivés de la formule du ciment de Portland sont très efficaces pour induire la formation de tissu minéralisé mais leur faible résistance à la compression et leur long temps de prise les rendent inadaptés à une utilisation clinique dans l’obturation des perforations.

Devant les insuffisances des matériaux existants, les laboratoires Septodont commercialisent un nouveau produit, le Biodentine™, conçu pour répondre au cahier des charges d’un matériau idéal en mettant l’accent sur sa biocompatibilité, son étanchéité marginale et sa résistance mécanique. Les progrès réalisés ces dernières années dans le domaine des bétons spéciaux ont guidé cette réflexion. Le produit Biodentine™ est essentiellement composé de silicate tricalcique micronisé (C3S) dont la prise en présence d’eau conduit à la formation d’un silicate de calcium hydraté (fig. 1). Sa stabilité dimensionnelle durant la prise et ses remarquables propriétés biologiques permettent son utilisation comme matériau d’obturation des perforations à la place des produits les plus couramment utilisés.

L’ensemble de ces excellentes propriétés a permis d’élargir le champ de ses indications et de le recommander :

• comme matériau de restauration coronaire temporaire (6 mois) ;

• comme matériau de coiffage direct ;

• comme substitut dentaire dans les techniques « en sandwich » ouvertes ou fermées ;

• comme matériau d’obturation des perforations ;

• lors des pulpotomies ;

• pour l’apexification ;

• comme matériau d’obturation par voie rétrograde (chirurgie endodontique).

La perforation radiculaire est caractérisée par une communication artificielle entre l’espace canalaire radiculaire et les tissus parodontaux. Elle peut se produire soit après une résorption radiculaire, soit après un accident au cours du traitement endodontique ou de la restauration prothétique de la dent [1]. Cette situation clinique est difficile à traiter et peut souvent aboutir à l’extraction de la dent concernée [2]. Le succès thérapeutique dépend de la taille et de la localisation de la perforation, de son obturation immédiate et de la prévention de la contamination secondaire ainsi que de la taille de la récession [3, 4].

Ces perforations radiculaires peuvent être traitées soit de manière chirurgicale, soit de manière conservatrice [5, 6, 7, 8]. Le traitement conservateur non chirurgical consiste en l’obturation étanche de la perforation avec différents matériaux [9, 10, 11, 12]. Cependant, ces perforations peuvent entraîner des récessions gingivales plus ou moins importantes [13]. Dans les cas de récession importante, seul un traitement chirurgical bien conduit pourra permettre de résoudre le problème. Cet article décrit le cas d’un patient qui a pâti d’une perforation accidentelle lors d’un traitement endodontique, laquelle a entraîné, au niveau de la moitié de la hauteur de la canine supérieure droite, une récession gingivale importante qui a été traitée avec succès par la combinaison de :

• une obturation endodontique immédiate de la perforation par le Biodentine™ ;

• le scellement de la partie externe de la perforation avec le même matériau ;

• une technique chirurgicale parodontale, dite de la double papille, qui a permis l’accès à la partie externe de la perforation et à la reconstruction du complexe muco-gingival [14].

PRÉSENTATION DU CAS

Un homme de 58 ans, suivi à l’école dentaire de Marseille pour un traitement endodontique de sa canine supérieure droite (dent n° 13), subit accidentellement une perforation profonde qui atteint la moitié de la hauteur radiculaire vestibulaire de cette dent (fig. 2).

Après traitement endodontique, l’obturation immédiate de cette perforation est réalisée avec le matériau ­Biodentine™ (fig. 3).

Une récession gingivale vestibulaire importante apparaît 1 semaine plus tard. L’examen clinique montre une récession de 9 mm de hauteur au niveau de la canine supérieure droite. Le tissu gingival adjacent à la perforation est enflammé et la surface vestibulaire de la racine est exposée et présente une perte de substance importante. Le tissu osseux environnant est intact. La largeur de cette récession est de 3 mm (fig. 4).

Une intervention par double papille est programmée 15 jours plus tard. Cette intervention permet un accès à ciel ouvert de la partie vestibulaire de la racine atteinte. Préalablement à la couverture de la racine exposée par une chirurgie à double papille, une obturation étanche de la perforation radiculaire est faite avec le Biodentine™ (fig. 5 à 10).

Dans la technique de la double papille [14], les deux papilles interdentaires sont utilisées comme des sites donneurs pour recouvrir la dénudation radiculaire isolée. Les risques de nécrose sont peu importants car les papilles interdentaires sont épaisses et larges. Une incision biseautée en V au niveau de la récession est réalisée à partir des papilles interdentaires mésiale et distale (fig. 11). Le tissu délimité par l’incision en V est éliminé. Deux incisions horizontales sont faites au niveau des papilles et se poursuivent par des incisions verticales de décharge de pleine épaisseur jusqu’à la base de la récession, puis se continuent en demi-épaisseur afin de faciliter le déplacement de ces lambeaux. Après avoir détergé la surface radiculaire et procédé à l’obturation étanche de la restauration avec le matériau Biodentine™, les deux demi-papilles sont suturées ensemble pour couvrir la racine dénudée. Le lambeau est ensuite stabilisé par une suture suspendue (fig. 11).

Les points de suture sont déposés 10 jours plus tard (fig. 12). Un contrôle est effectué toutes les semaines et 3 mois après l’intervention ; il permet de constater un recouvrement radiculaire complet (fig. 13 à 15).

Le sondage parodontal, effectué à 3 mois postopératoires, est de 2 mm en vestibulaire et interproximal de la dent n° 13.

DISCUSSION

La perforation d’une dent traitée endodontiquement entraîne la diminution de ses propriétés physiques et mécaniques. De plus, l’élargissement intempestif du canal au cours de la préparation biomécanique et l’application de forces excessives au niveau de l’obturation de ce dernier ainsi que le type de restauration prothétique proposé peuvent accentuer la susceptibilité à la fracture verticale de cette dent. Malgré cela, et avec quelques précautions, il est possible de conserver et de reconstituer prothétiquement une telle dent [1, 13, 9, 8].

Dans le cas présenté ici, le type de dent (canine) et la quantité résiduelle importante de dentine radiculaire (longueur et épaisseur des parois) ainsi que les conditions occlusales favorables associées à un biotype gingival épais ont permis de retrouver une intégrité dentaire et parodontale.

Une autre option de traitement aurait été un traitement orthodontique avec égression passive de la dent [6, 7] mais la situation très apicale de la perforation n’a pas permis l’utilisation de cette technique. Ce type de traitement aurait abouti à une diminution importante de la longueur radiculaire. En ce qui concerne le choix de la technique muco-gingivale, l’importance de la récession et l’anatomie des papilles bordant les lésions ont fait préférer un lambeau par double papille permettant l’accès à la lésion radiculaire et la reconstruction du complexe muco-gingival.

Il existe une grande variété de techniques de recouvrement qui possèdent, chacune, des avantages et des inconvénients. Le choix se fera en fonction de la situation clinique (biotype gingival et/ou atteinte des tissus interproximaux…). Toutes ces techniques font appel :

• soit à des lambeaux pédiculés avec ou sans prélèvement de tissu conjonctif [16] ;

• soit à des greffes épithélio-conjonctives [17].

Les résultats avec les greffes épithélio-conjonctives sont variables (de 0 à 90 %) [18]. Le but est l’obtention de tissu kératinisé. Cette technique doit se limiter aux secteurs non esthétiques [19] en raison de son aspect de rustine lié aux caractéristiques du tissu palatin.

La technique des lambeaux pédiculés consiste à déplacer latéralement ou coronairement du tissu gingival pour combler la récession. Il existe :

• les lambeaux positionnés latéralement (LPL) [20] ;

• les lambeaux positionnés coronairement (LPC) [21] ;

• des techniques combinées [22].

Les résultats des études montrent, pour le LPC, un recouvrement moyen de 77 % alors que pour le LPL, il est de 66 %. La technique combinée de Zuchelli montre un recouvrement, quant à elle, de 88 %. Elle nécessite une hauteur de gencive kératinisée minimale et un vestibule suffisamment profond.

Les greffes pédiculées peuvent être associées à une greffe de conjonctif enfoui (GCE) [23]. avec un recouvrement moyen de 82 % [24].

Généralement, après une intervention de chirurgie plastique parodontale, c’est-à-dire entre le tissu greffé et la racine de la dent, la cicatrisation est de type « long épithélium d’attache ».

Dans le cas clinique présenté ici, le matériau utilisé est essentiellement composé par du silicate tricalcique (CA3SiO5). Les études montrent, avec ce type de matériau, une bioactivité vis-à-vis des ostéoblastes [25], des cellules pulpaires [26], des fibroblastes parodontaux [27], des kératinocytes, des cémentoblastes [28] et des fibroblastes gingivaux [29]. Ces résultats, observés dans des conditions expérimentales proches de la clinique, pourraient laisser supposer une cicatrisation par réattache conjonctive. Cette hypothèse reste à confirmer par une étude complémentaire mais pourrait expliquer la qualité du résultat obtenu (fig. 16).

L’extraction de la canine et son remplacement par un implant auraient pu être envisagés. Nous avons préféré conserver la proprioception et la mobilité physiologique de la dent ainsi que son support parodontal naturel. Les conditions cliniques associées à un coût minimum de ce ­traitement ont été décisives dans la détermination du choix thérapeutique.

La chirurgie parodontale associée à la biocompatibilité de Biodentine™, à la taille et au niveau de la perforation a conduit à choisir ce type de traitement combiné qui a permis la conservation de la dent.

Dans ce cas, s’agissant d’une importante perforation, un délai de 2 semaines avant l’intervention a été respecté afin d’obtenir une stabilisation de la lésion parodontale.

CONCLUSION

Le succès de cette technique repose sur la capacité à réaliser un traitement endodontique correct de la dent, une obturation immédiate de la perforation, un scellement externe au niveau de la racine et un recouvrement radiculaire par chirurgie muco-gingivale.

Dans ce cas, un nouveau matériau à base de trisilicate de calcium, bien connu pour ses bonnes propriétés mécaniques et son excellente biocompatibilité, a été choisi.

Il existe un grand nombre de techniques chirurgicales pour le traitement des récessions gingivales. La qualité du recouvrement nécessaire dans ce cas associée aux caractéristiques de la lésion et aux conditions anatomiques environnantes a fait préférer la technique de la double papille. Quand toutes les conditions sont regroupées, le pronostic de ces dents avec perforation reste favorable.

Ce travail a été effectué au sein du Département d’odontologie conservatrice (Pr H. Tassery) et de parodontologie (Pr F. Louise), Faculté d’odontologie de Marseille.

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