Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 02 du 01/05/2013

 

Article

Winston CHEE  

DDS, FACP. Ralph and Jean Bleak professeur en dentisterie restauratrice, directeur, dentisterie implantaire, professeur en dentisterie restauratrice, codirecteur, prothèse avancée
École de dentisterie d’Ostrow Université de Californie du Sud Los Angeles, Californie, États-Unis

Résumé

De nombreuses restaurations implanto-portées sont scellées ; l’avantage majeur de ce mode de rétention étant de pouvoir cacher l’accès à la vis des restaurations vissées. Cela permet également plus de latitude pour le positionnement de l’implant et son orientation lors de la préparation du site implantaire. Ce facteur, associé au souci des fabricants d’implants d’obtenir une restauration implantaire aussi proche que possible d’une restauration dentaire, a largement favorisé les restaurations implantaires scellées.

Le but de cet article est d’élucider le problème du ciment résiduel autour des piliers lorsque les restaurations implanto-portées sont scellées. Il n’y a pas d’attache parodontale autour des piliers et bien souvent les piliers et les restaurations sont livrés simultanément. Dans ces situations, malgré l’absence d’attache, les piliers sont parfois laissés en place avant la pose de la restauration finale et l’on se retrouve en présence d’une attache constituée d’hémidesmosomes qui est faible et peu résistante à un éventuel débordement de ciment. Si le problème n’est pas traité, le débordement de ciment peut être à l’origine d’une mucosite péri-implantaire voire d’une perte osseuse.

Summary

Many implant supported restorations are retained to the implant by way of cementation, the main motivation for this is to hide the screw access of screw retained restorations. This also allows more latitude for implant placement and the trajectory of the implant is less critical when the implant site is prepared. This factor together with the implant manufacturers desire to have restoration of implants as similar as possible to restoration of teeth to remove obstacles toward incorporation implant related therapy to dental practices have made cemented implant restorations dominant in many areas.

The purpose of this article is to elucidate the phenomenon of retained cement around abutments when implant supported restorations are cemented. There is no periodontal attachment around abutments, often abutments and restorations are delivered simultaneously. In these situations there is no attachment whatsoever, in some instances abutments are left in place before delivering definitive restorations in these instances there may be a hemi desmosomal attachment which is weak and may not resist extrusion of cement. Extrusion of cement can be related to peri implant mucositis and bone loss if left untreated.

Key words

Cement-retained, screw-retained, excess cement

Introduction

Les restaurations implanto-portées peuvent être vissées ou scellées (fig. 1 et 2). Une grande majorité d’entre elles sont scellées sur des piliers qui sont eux-mêmes vissés dans l’implant dentaire. La littérature regorge d’articles soulignant les avantages et les inconvénients des restaurations vissées et scellées (Chee et al., 1999 ; Michalakis et al., 2003) et les thèmes le plus souvent abordés relèvent de la facilité de fabrication, du coût, de la passivité, de la rétention, de l’occlusion, de l’esthétique, de la pose et de la possibilité de dépose. La plupart de ces articles ne parviennent pas à conclure sur la supériorité d’une méthode par rapport à une autre. On peut débattre de l’importance relative de chacun des facteurs précités et montrer qu’ils favorisent l’une ou l’autre méthode de rétention des restaurations implanto-portées, sauf en ce qui concerne la possibilité de dépose, point sur lequel il est incontestable que les restaurations vissées sont supérieures aux restaurations scellées.

Bien que les cliniciens connaissent bien le scellement comme mode de rétention, y étant déjà habitués avec le scellement des couronnes sur des dents préparées, le scellement sur des piliers implantaires présente deux inconvénients évidents : la possibilité de dépose et l’extrusion d’excès de ciment dans le sulcus péri-implantaire (fig. 3). Cet article se penche tout particulièrement sur ces deux aspects pour dissuader de sceller les restaurations implanto-portées.

Possibilité de dépose

Les avantages et les inconvénients du scellement des restaurations implanto-portées ont déjà suscité un grand intérêt car certains cliniciens n’hésitent pas à détruire des restaurations intactes par ailleurs pour résoudre des problèmes sous-jacents de dévissage (Misch, 1995 ; Henry et al., 1996). Certains pensent que les problèmes de dévissage ont diminué grâce à l’amélioration de la configuration des implants et des vis (Henry et al., 1996). En prévoyant et en planifiant quelque peu l’option d’une restauration scellée, cela peut faciliter la maintenance et le suivi des patients. Pour les patients qui déménagent ou qui changent de cabinet dentaire et dont un pilier se dévisse, la facilité de dépose d’une restauration vissée est plus prévisible. Il ne subsiste aucun doute sur la méthode de rétention, ni sur le type de ciment utilisé ou sur la forme du pilier qui se trouve sous les restaurations. L’amélioration des configurations implantaires et une meilleure compréhension de la mécanique d’un joint vissé ont réduit l’incidence des premières publications (Misch, 1995 ; Henry et al., 1996). Cependant, il y aura toujours des dévissages, bien que chez un plus faible nombre de patients. Étant donné que le nombre de patients traités par des implants augmente, le nombre d’épisodes de dévissage va également augmenter, simplement en raison du nombre d’implants restaurés.

De nombreuses méthodes de dépose des restaurations scellées ont été proposées, allant de guides d’accès aux vis sous-jacentes jusqu’à l’utilisation de vis pour déplacer les restaurations en poussant contre les piliers (Doerr, 2002 ; Okamoto et Minagi, 2002 ; Gittleman, 1996 ; Chee, 1998). Toutes ces méthodes requièrent des efforts de planification et de fabrication des restaurations et sont moins prévisibles que les restaurations implanto-portées vissées en termes de possibilité de dépose lorsque les vis de piliers se dévissent ou pour raisons de maintenance. Lorsque les restaurations ne peuvent être déposées intactes, il ne reste qu’une option : leur découpe pour tenter d’accéder à la vis de rétention, ou le fraisage à travers la restauration en essayant de deviner l’orientation de l’implant sous-jacent. En général, ces deux options rendent la restauration inutilisable, ce qui nécessite qu’elle soit refaite. Dans les secteurs antérieurs de la bouche, cela requiert la mise en place immédiate d’une restauration provisoire, rendant la maintenance de la restauration plus difficile à assurer. Les figures 4 à 6 illustrent les conséquences de la découpe des restaurations et de leur fraisage pour accéder aux vis de piliers, ce qui aurait évidemment été plus simple à gérer si on avait prévu des restaurations vissées ; dans l’exemple des dents postérieures, il n’y avait aucune raison de sceller étant donné que l’orifice d’accès à la vis aurait été situé dans une zone acceptable pour visser la restauration. La néces­sité de détruire des restaurations pour accéder à des vis dévissées devient encore plus problématique lorsqu’il s’agit de restaurations jumelées, pour lesquelles la destruction de l’un des éléments peut entraîner l’obligation de refaire l’ensemble de la restauration.

Malgré les avantages que présente la possibilité de dépose, avec les taux de survie élevés et bien documentés des implants dans la cavité buccale, de nombreux patients vont continuer à voir leurs dents se détériorer par suite de caries ou de maladie parodontale. Ces processus pathologiques peuvent, et c’est souvent le cas, entraîner des pertes dentaires. Si des implants ont été placés pour restaurer des dents manquantes chez ces patients, ils peuvent être réutilisés comme support de restaurations devant remplacer des dents programmées pour une extraction. Dans ces situations, les armatures existantes peuvent quelquefois être incorporées dans la « nouvelle » prothèse. Les figures 7 à 10 illustrent le cas d’un patient avec une restauration implanto-portée dans la région maxillaire postérieure et dont la prémolaire présente, au bout de quelques années, une résorption radiculaire. La dent a été extraite et la restauration finale a été fabriquée en utilisant les implants adjacents pour supporter le nouveau bridge implanto-porté. Avec les restaurations vissées, la gestion de ce type de situation est simplifiée par rapport aux restaurations scellées, et cela permet une économie significative en termes de coût avec l’utilisation des éléments existants et la possibilité de les modifier pour pallier de futures pertes dentaires.

Excès de ciment

L’extrusion de ciment de scellement dans le sulcus péri-implantaire est un problème qui a été négligé mais qui occupe désormais une place de premier plan. Contrairement aux dents, les implants n’ont pas de système d’attache pouvant limiter le débordement de ciment de scellement vers l’intérieur du sulcus péri-implantaire. Le meilleur système d’attache que l’on puisse espérer autour d’un pilier placé sur un implant est celui d’un long épithélium de jonction (Welander et al., 20089 ; Abrahamsson et al., 2003). Cette attache se développe avec le temps et peut dépendre du matériau qui compose le pilier. Cela ne permet pas de prévoir quelle sera la nature de l’attache muqueuse et, de plus, comme le pilier est souvent posé en même temps que la restauration, il n’y aura aucune forme d’attache entre le pilier et les tissus mous environnants durant la phase du scellement.

Dès 1997, Agar et al. ont démontré qu’il était presque impossible d’éliminer les excès de ciment dans le sulcus profond autour des piliers implantaires (Agar et al., 1997). Cependant, les fabricants d’implants et les cliniciens ont ignoré cette éventualité. Les figures 11 à 13 illustrent une situation où une rétention de ciment a provoqué un abcès qui a nécessité une élévation de lambeau pour éliminer l’excès de ciment. Les figures 14 et 15 illustrent le manque d’adaptation qui peut exister entre les piliers du commerce fournis par les fabricants et le sulcus péri-implantaire autour des restaurations implanto-portées. D’un point de vue clinique, cet excès de ciment peut rester asymptomatique au-delà de 5 ans et, de ce fait, on ne le relie pas souvent aux problèmes qui surgissent (Wilson, 2009). Les figures 16 à 18 montrent un implant avec des tissus mous péri-implantaires sains en apparence. Cet implant a été perdu (pas pour des raisons d’excès de ciment). Lors de sa dépose, la grande quantité de ciment présente à l’interface dent/implant est évidente. Sur la figure 17, on observe très nettement que le joint de ciment de ce pilier ne s’adapte pas à la muqueuse marginale de la restauration, ce qui entraîne de très profondes limites de scellement. Wilson a démontré qu’il existait une relation entre la rétention de ciment, l’inflammation péri-implantaire et le saignement au sondage (Wilson, 2009). En présence d’une inflammation péri-implantaire ou d’un saignement au sondage, il a utilisé un endoscope, ce qui lui a permis d’observer que sur 81 % des implants manifestant ces symptômes cliniques, on retrouvait du ciment résiduel. L’élimination du ciment a permis de résoudre les symptômes dans 74 % des cas.

On peut supposer que l’excès de ciment peut éventuellement être colonisé par des bactéries et entraîner une perte osseuse autour des implants. Un corollaire possible à cela : la série d’articles publiés sur la perte osseuse induite expérimentalement autour des implants (Albouy et al., 2008, 2009, 2012).

Dans certaines situations, l’orientation des implants ne permet pas une rétention vissée, et seules des restaurations scellées peuvent être réalisées. Les piliers devraient alors être dessinés de façon à faciliter l’élimination du ciment, leurs limites ne devraient pas être enfouies de plus de 1 mm de profondeur en dessous de la muqueuse marginale et, dans les zones où l’esthétique a peu d’importance, ces limites doivent rester supra-muqueuses. Or, aucun des piliers du commerce ne remplit ces critères. Les figures 19 à 21 illustrent la façon dont un pilier scellé doit suivre le contour muqueux pour permettre un scellement parfait et préserver la bonne santé des tissus péri-implantaires. Par ailleurs, le volume de ciment placé dans la restauration doit être vérifié pour prévenir la rétention d’un excès de ciment : l’une des méthodes pour accomplir cela est d’avoir des analogues de piliers que l’on place sur les restaurations après le scellement, de façon à déplacer le ciment en excès avant la mise en place des restaurations en bouche. Cela est encore plus crucial lorsque l’on doit placer des restaurations scellées au cours d’un protocole de mise en charge immédiate des implants (fig. 22 à 26).

Conclusion

Concernant la possibilité de dépose des restaurations implanto-portées et les problèmes de rétention de ciment dans le sulcus péri-implantaire, il ne fait aucun doute que la rétention vissée est supérieure au scellement pour la fixation des restaurations sur les implants. Cependant, dans certaines situations, la rétention de ciment ne peut être évitée : un pilier fait sur mesure, sur lequel le joint de scellement suit le contour de la restauration implanto-portée, peut alors atténuer le problème de rétention de ciment dans le sulcus péri-implantaire.

BIBLIOGRAPHIE

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