LÉSIONS MUQUEUSES
Adam SECK-DIALLO* Abdoulaye DIOUF** Henry Michel BENOIST*** Malick SEMBÈNE**** Papa Demba DIALLO*****
*Maître de conférences agrégé
Service de parodontologie, Département d’odontologie, Université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal
**Assistant
Service de parodontologie, Département d’odontologie, Université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal
***Maître de conférences agrégé
Service de parodontologie, Département d’odontologie, Université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal
****Professeur
Service de parodontologie, Département d’odontologie, Université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal
*****Professeur
Service de parodontologie, Département d’odontologie, Université Cheikh-Anta-Diop, Dakar, Sénégal
Le lichen plan (LP) est une affection cutanéo-muqueuse fréquente, généralement bénigne, d’évolution chronique et récidivante. Il se caractérise par un trouble affectant les kératinocytes et par des aspects cliniques très polymorphes. Outre les manifestations dermatologiques, le lichen plan touche aussi les muqueuses buccales [1]. Les lésions buccales peuvent être présentes en l’absence de lésions cutanées [
Le lichen plan (LP) est une affection cutanéo-muqueuse fréquente, généralement bénigne, d’évolution chronique et récidivante. Il se caractérise par un trouble affectant les kératinocytes et par des aspects cliniques très polymorphes. Outre les manifestations dermatologiques, le lichen plan touche aussi les muqueuses buccales [1]. Les lésions buccales peuvent être présentes en l’absence de lésions cutanées [2]. Elles sont généralement chroniques, avec des exacerbations aiguës rarement résolutives spontanément et posent de ce fait des problèmes thérapeutiques. De par sa prévalence (de 0,1 à 2,2 %), le lichen plan buccal (LPB) figure parmi les affections les plus fréquentes des muqueuses buccales. Il se rencontre plus souvent chez la femme que chez l’homme (ratio 2,3/1). L’âge moyen des patients lors du premier diagnostic se situe entre 55 et 60 ans [3]. Sur le plan étiologique, deux hypothèses sont proposées : une forme idiopathique et une forme secondaire, médicamenteuse ou associée aux hépatopathies chroniques [4-6]. Plusieurs formes de LPB ont été décrites et ont permis de distinguer les types réticulaire (forme la plus connue), papulaire, annulaire, floral, en plaques, atrophique, ulcérant et bulleux (rarement observé). Les trois dernières formes ont été regroupées sous l’appellation « lichen plan buccal érosif » car elles peuvent s’accompagner de symptômes douloureux. Au cours de leur évolution, les lésions buccales peuvent se manifester chez le même patient sous des formes différentes. Les sites de prédilection sont le plancher de la bouche, les bords latéraux de la langue, les faces internes des joues et les replis vestibulaires gingivo-jugaux. L’atteinte gingivale peut simuler une gingivite desquamative [7]. Le risque évolutif principal du LPB est la transformation maligne, surtout dans les formes anciennes, atrophiques ou érosives [8-10]. Cet article rapporte la prise en charge parodontale d’une patiente de 69 ans présentant une parodontite généralisée sévère et atteinte d’un lichen plan cutanéo-muqueux.
Mme F.G., âgée de 69 ans, sénégalaise, s’est présentée en septembre 2011 au Service de parodontologie de l’université Cheikh de Dakar. Elle est envoyée par son chirurgien-dentiste traitant en raison de symptômes douloureux quand elle s’alimente. La patiente évoque aussi une perte de goût, des mobilités dentaires, des gingivorragies spontanées et provoquées. Cette symptomatologie se manifeste depuis environ 2 ans. L’entretien révèle la survenue de poussées aiguës tous les 3 à 4 mois. Le questionnaire médical met en évidence une hypertension artérielle et un lichen plan cutané évoluant depuis une dizaine d’années et pour lequel la patiente avait été mise sous corticothérapie systémique à base de bétaméthasone (Célestène® 2 mg, 2 comprimés par jour pendant 6 semaines) et locale (Diprosone® 0,05 %) en application sur les lésions cutanées. Le traitement dermatologique a été interrompu sans avis médical.
Le dossier médical a révélé un bilan hépatique normal, l’absence de diabète (glycémie à jeun = 0,86 g/l ; postprandiale = 0,91 g/l) et une anémie normochrome, normocytaire (taux d’hémoglobine = 9,9 g/l). La patiente indique se brosser les dents 2 fois par jour sans moyen d’hygiène complémentaire.
L’examen exobuccal révèle une chéilite de la demi-muqueuse de la lèvre inférieure (fig. 1a) et des lésions cutanées sur les bras, le ventre et les cuisses sont observées (fig.1b). L’examen endobuccal met en évidence des ulcérations larges à contours irréguliers, douloureuses, couvertes d’arborisations blanchâtres au niveau du plancher de la bouche (fig. 2). On note une hyperpigmentation de la face interne des joues et du palais (fig. 1d).
L’examen de la denture révèle une fluorose dentaire au stade 4 de Dean [11], l’absence des dents 27, 38, 37, 36 (qui ont été extraites 1 an plus tôt pour mobilité dentaire) et une destruction coronaire importante de la dent 17. L’examen occlusal met en évidence la présence de nombreuses interférences en latéralité et en propulsion, des facettes d’usure sur l’ensemble de la denture, des fêlures sur les dents 11 et 21 et des diastèmes secondaires entre les dents 13-12, 21-22, 32-31 et 42-43.
L’examen du parodonte révèle une inflammation gingivale généralisée, en particulier au niveau de la région incisivo-canine inférieure (indice gingival = 2,68 [12]), des gingivorragies (saignement au sondage = 69,3 % [13]) ainsi que des dépôts importants de plaque (indice d’O’Leary = 93,2 % [14]). Des poches parodontales profondes sont retrouvées au niveau de plusieurs sites, notamment des dents 18 et 11 (profondeur de poche ≥6 mm). Des récessions sont présentes sur toute la denture. L’évaluation de la mobilité (indice de Mühleman [15]) révèle une mobilité de degré 4 sur la dent 18 et de degré 3 sur les dents 34 et 35.
L’examen radiographique (radiographie panoramique) révèle une alvéolyse généralisée intéressant de 50 à 75 % de la hauteur radiculaire ainsi qu’une atteinte des furcations sur les dents 46 et 47 (fig. 3). Les données cliniques et radiologiques vont dans le sens d’une parodontite chronique sévère associée à un lichen plan buccal.
Une thérapeutique parodontale non chirurgicale a été mise en œuvre. Elle comprenait notamment des instructions pour le contrôle de plaque. Un détartrage aux ultrasons a été réalisé, puis 4 séances de débridement sous-gingival sous anesthésie locale ont été effectuées, en association à des irrigations sous-gingivales de povidone iodée. Trois dents ont été extraites durant la thérapeutique initiale compte tenu de leur mauvais pronostic : la 18 (perte d’attache importante et mobilité dentaire de degré 4), la 17 (destruction coronaire totale) et la 24 (perte d’attache terminale en vestibulaire). Une antibiothérapie à base d’amoxicilline (2 g/j pendant 10 jours) a été instaurée et un bain de bouche à base de povidone iodée (Bétadine® verte) a été prescrit. L’écouvillonnage des lésions buccales, réalisé à la recherche d’une candidose buccale, était négatif.
Un contrôle de l’hygiène buccale effectué 2 semaines après la thérapeutique initiale a montré une amélioration du contrôle de plaque avec toutefois la persistance d’un saignement spontané (fig. 4a). Il a été demandé à la patiente de reprendre le rinçage avec un bain de bouche à base de povidone iodée 3 fois par jour pendant 1 semaine. Une réévaluation parodontale a été effectuée 3 mois après la fin du traitement (fig. 4b). Elle a montré une amélioration de l’hygiène (O’Leary = 9,3 %), des signes cliniques d’inflammation (indice gingival = 0,85 ; saignement au sondage = 9,27 %), des mobilités et des profondeurs de sondage.
La corticothérapie systémique a été réinstaurée pendant 1 semaine (Célestène® 2 mg, 2 comprimés par jour pendant 4 jours puis 1 comprimé par jour pendant 3 jours). Pour la prise en charge de la chéilite de la lèvre inférieure, une corticothérapie locale à base de dénoside (Locapred® pommade) a été prescrite.
Le traitement parodontal et dermatologique a permis de stabiliser la maladie parodontale et de diminuer la symptomatologie douloureuse. Les quantités importantes de plaque retrouvées sont probablement en relation avec les difficultés, pour la patiente, de maintenir une hygiène bucco-dentaire adéquate. En effet, Lo Russo et al. [16] avaient retrouvé, chez les patients ayant développé un lichen plan buccal, des profondeurs de poche et des pertes d’attache plus importantes sur les sites en regard de lésions érosives de la gencive que sur les sites sains. De plus, le rôle des bactéries du biofilm dans l’apparition de lésions lichénoïdes a été rapporté dans de nombreuses études [17].
Le choix d’une thérapeutique non chirurgicale fondée sur un détartrage et un débridement sous-gingival des poches parodontales a été dicté par la présence de lésions douloureuses. L’instauration d’une corticothérapie systémique avant le traitement parodontal a permis de réduire significativement les symptômes douloureux [18].
En complément du débridement sous-gingival, des irrigations sous-gingivales de povidone iodée ont été effectuées. En effet, en irrigations sous-gingivales, celle-ci a plusieurs indications en parodontologie. Elle permet de diminuer l’inflammation gingivale et de réduire la bactériémie [19]. Ce protocole thérapeutique a permis une amélioration du contrôle de plaque, une diminution de l’inflammation et une évolution favorable des profondeurs de sondage. La persistance d’un saignement spontané 2 semaines après la thérapeutique a conduit à demander à la patiente de reprendre un rinçage biquotidien avec un bain de bouche à base de povidone iodée. La patiente signale la disparition progressive des symptômes douloureux pendant les repas.
Dans ce cas clinique, l’examen histopathologique des lésions buccales n’a pas été réalisé. Le diagnostic de lichen plan buccal a été effectué en se fondant sur l’aspect clinique des lésions. Les données de la littérature médicale ont montré que le diagnostic de lichen plan buccal était essentiellement clinique [20]. En revanche, en présence de lésions suspectes, cet examen permet le dépistage de transformations carcinomateuses. La recherche de Candida albicans a été négative. L’utilisation de cette médication au long cours est susceptible d’entraîner une candidose secondaire [21].
Malgré un bon contrôle de plaque, il persiste chez la patiente un aspect desquamé de la gencive et des lésions ulcératives au niveau du plancher. L’une des raisons évoquée dans la littérature médicale serait un mauvais suivi du traitement par les patients mais aussi les difficultés de l’utilisation topique des corticostéroïdes [20, 22].
La restauration prothétique n’a pas pu être réalisée, malgré la demande de la patiente, du fait de la persistance de lésions ulcératives au niveau du plancher buccal. En effet, ce type de restauration est susceptible d’aggraver un lichen plan existant [23].
L’information du patient sur la chronicité de sa pathologie et, en particulier, sur le risque de dégénérescence carcinomateuse reste importante. Dans ce contexte, il est impératif de maintenir une étroite surveillance afin d’être en mesure de maintenir une situation parodontale stable [24].
L’instauration d’un traitement parodontal et dermatologique a permis de stabiliser la parodontite et de réduire la symptomatologie douloureuse. La survenue de poussées aiguës et la symptomatologie douloureuse obligent le praticien à réaliser un traitement parodontal de compromis à la recherche d’une stabilité maximale des paramètres cliniques sans toutefois s’investir dans des thérapeutiques plus complexes. L’élimination des facteurs irritants est déterminante dans le traitement des patients atteints de lichen plan buccal. Le rôle de l’odontologiste est important dans le dépistage et le diagnostic précoce de cette affection, d’autant que les lésions buccales sont souvent inaugurales et que le pronostic s’améliore avec la précocité du traitement. Un suivi régulier des patients est nécessaire afin d’empêcher une récidive de la maladie parodontale et de suivre l’évolution du lichen plan, en particulier dans les formes érosives inflammatoires.