Article
Donald J. FERGUSON* Suhaila B. MAKRAMI**
*DMD, MSD. Professeur d’orthodontie et doyen. Collège universitaire européen (ex-Collège universitaire Nicolas et Asp). Dubai, Émirats arabes unis
**DDS, MS orthodontie. Cabinet privé d’orthodontie. Al Ain, Émirats arabes unis
Le déplacement orthodontique rapide après corticotomie alvéolaire est un concept de traitement clinique qui a rencontré une certaine réticence, et ce, pour trois raisons : elle ne correspond pas au paradigme médié par les cellules du ligament parodontal ; les implications de la technique ne sont pas faciles à intégrer aux connaissances existantes, et la valeur de cette technique n’est pas largement reconnue. Le modèle de déplacement dentaire après corticotomie alvéolaire est essentiellement médié par l’ostéopénie. Les résultats de la corticotomie alvéolaire plus greffe d’augmentation sont les suivants : 1) le traitement actif est 3 à 4 x plus rapide (6 mois au lieu de 2 ans), 2) le champ d’action sur la malocclusion est 2 à 3 x plus important qu’avec l’orthodontie seule, 3) cela élimine le besoin d’une chirurgie orthognatique dans les cas squeletiques alvéolaires, et 4) les résultats obtenus sont plus stables. En général, la corticotomie alvéolaire est réalisée dans la semaine qui suit la pose des appareillages orthodontiques fixés. Le patient est vu toutes les deux semaines au lieu de toutes les 4 à 6 semaines, et l’on applique les forces biomécaniques et les séquences d’arcs correspondants.
Rapid orthodontic tooth movement following alveolar decortication is a clinical treatment idea that has been resisted mainly for three reasons: it does not fit the PDL cell mediated paradigm, implications of the technique do not easily connected to existing knowledge, and value of the technique is not widely recognized. The tooth movement model following alveolar decortication is mostly osteopenia mediated. Alveolar decortication plus augmentation grafting results in the following: 1) active treatment is 3X to 4X times more rapid (6 months instead of 2 years), 2) scope to malocclusion is 2X to 3X greater than with orthodontics alone, 3) eliminates the need for orthognathic surgery in alveolar skeletal cases, and 4) outcomes are more stable. Typically, alveolar decortication surgery is performed within 1-week after placement of fixed orthodontic appliances. The patient is seen every two weeks instead of 4 to 6 weeks, and typical biomechanical forces and arch wire sequences are applied.
Un universitaire de carrière bien connu et respecté, questionné récemment lors d’une session de formation sur l’orthodontie assistée par la corticotomie a répondu ceci : « Je ne suis pas certain d’y croire totalement, mais j’ai pensé qu’il fallait que vous en ayez connaissance. » Cet enseignant érudit et très connu s’est simplement montré diligent, et son commentaire est au cœur de la question : pourquoi est-ce que l’orthodontie assistée par la corticotomie a mis tant de temps à être prise en considération… et pourquoi sommes-nous si réticents envers des idées nouvelles ?
Campanario avance trois arguments pour expliquer la réticence envers les idées nouvelles que l’on rencontre dans le monde scientifique (Campanario, 2004) :
– la domination du paradigme en vogue ne permet pas à la nouvelle idée de « trouver sa place », ce qui signifie que la nouvelle idée entre en collusion avec le paradigme prédominant ;
– les implications de la nouvelle idée ne sont pas faciles à intégrer aux connaissances existantes ;
– la valeur de la nouvelle technique et la portée de ses implications ne sont pas largement reconnues.
En orthodontie, l’élément qui domine le paradigme du déplacement dentaire prend modèle sur un processus régulé par les cellules du ligament parodontal (Krishnan et al., 2006, 2009). Il existe une documentation solide qui vient étayer le fait que les forces orthodontiques appliquées sur les dents conduisent à un changement dans la dynamique cellulaire du ligament parodontal, initialement à partir d’une population de cellules fibroblastiques, pour aboutir à un ligament plus riche en ostéoblastes et en ostéoclastes. C’est seulement lorsqu’un nombre suffisant de cellules est atteint pour permettre les activités anaboliques et cataboliques requises pour le déplacement dentaire que le mouvement dentaire devient cliniquement apparent. Selon ce paradigme régulé par les cellules du ligament parodontal, la hyalinisation acellulaire est presque impossible à éviter ; la hyalinisation du ligament parodontal est utilisée pour expliquer la phase latente du déplacement ainsi que le processus qui précède la résorption radiculaire externe.
Le modèle du déplacement dentaire qui explique ce qui se produit après la corticotomie alvéolaire est un paradigme qui n’est pas familier à la communauté orthodontique : c’est un processus de déplacement dentaire par l’intermédiaire d’os spongieux ou trabéculaire qui implique une ostéopénie passagère avant que l’os alvéolaire retrouve sa densité (Kim et al., 2009 ; Sebaoun et al., 2008). Il est bien établi que le taux de déplacement dentaire dépend en partie de la densité de l’os alvéolaire (Verna et Melsen, 2000) et que le déplacement dentaire est accéléré dans des conditions de faible densité osseuse.
Le déplacement dentaire rapide après une corticotomie alvéolaire est rendu possible parce que la lésion infligée à l’os alvéolaire cortical aboutit à une réponse cicatricielle qui diminue la densité osseuse de l’os médullaire et, de ce fait, réduit la résistance au déplacement dentaire. La réponse cicatricielle a été définie par Frost comme étant un phénomène d’accélération régionale (PAR), un processus éphémère incluant une diminution de la composante minérale de l’os, mais sans réduction du volume de la matrice osseuse (Frost, 1983, 1989a, 1989b). La réponse PAR est directement liée et est proportionnelle à l’intensité et à la proximité de la lésion (Frost, 1981 ; Garg, 1997 ; Mueller et al., 1991 ; Sebaoun et al., 2008 ; Shih et Norrdin, 1985 ; Yaffe et al., 1994).
Les concepts suivants expliquent de façon précise le déplacement dentaire qui se produit après la technique de corticotomie alvéolaire :
– la lésion infligée à l’os cortical provoque un modelage (modification des surfaces osseuses) rapide (en quelques heures à quelques jours) essentiellement au niveau de l’os trabéculaire et de la lamina dura situés immédiatement à proximité de la lésion (Sebaoun et al., 2008 ; Lee et al., 2008). Bien que l’os cortical soit certainement affecté par la lésion, la réponse des corticales à cette lésion est plus lente (de quelques semaines à quelques mois) par rapport à celle à l’os trabéculaire. De ce fait, la fonction structurelle de l’os est liée à l’intégrité des corticales (lent taux de renouvellement via un remodelage ou la formation d’ostéons secondaires), alors que la fonction métabolique de l’os est due à la libération rapide (taux de renouvellement rapide via un modelage) de métabolites vitaux, en particulier de calcium, à partir de l’os trabéculaire (fig. 1) ;
– la déminéralisation alvéolaire conduit à un taux plus élevé de déplacement dentaire. La réduction de la quantité de métabolites de calcium disponible, c’est-à-dire la manipulation du calcium soit par un moyen pharmacologique soit par voie alimentaire, conduit à un taux et à une étendue plus élevés de déplacement dentaire (Engstrom et al., 1988 ; Goldie et King, 1984 ; Midgett et al., 1981 ; Verna et Melsen, 2003) ;
– après la corticotomie alvéolaire, la matrice osseuse déminéralisée est transportée avec le déplacement dentaire ; dès que celui-ci cesse ou que la malocclusion est corrigée, l’alvéole se reminéralise (Wilcko et al., 2009). Le concept du transport de la matrice osseuse est en accord avec les observations histomorphométriques des tissus osseux alvéolaires qui le considèrent comme une étape fonctionnelle après la corticotomie alvéolaire. La fraction minéralisée de l’os alvéolaire trabéculaire diminue considérablement après la corticotomie et l’intégrité du ligament parodontal et de la lamina dura disparaît littéralement du champ de vision lors de l’examen histologique. Cependant, lorsque l’on permet à l’alvéole de se reminéraliser, cette intégrité réapparaît (fig. 2).
Le second argument de Campanario pour expliquer pourquoi les nouvelles idées se heurtent à la réticence du monde scientifique est fondé sur le fait que toute nouvelle idée n’est pas facile à relier aux connaissances de base existantes. Celles-ci, en orthodontie, défendent un modèle de déplacement dentaire par l’intermédiaire de cellules du ligament parodontal et ne sont pas en faveur d’un modèle ostéopénique. La littérature scientifique a accordé peu d’attention aux tissus biologiques en dehors du ligament parodontal et au-delà de la lamina dura, avec toutefois quelques exceptions (Lee et al., 2008 ; Milne et al., 2009 ; Roberts et al., 2004 ; Von Böhl et Kuijpers-Jagtman, 2009). Cela explique pourquoi la participation de l’ostéopénie de l’os trabéculaire au déplacement dentaire est mal comprise et identifiée, et demeure relativement peu connue.
Le dernier argument établi par Campanario est que la valeur de la nouvelle technique et la portée de ses implications ne sont pas largement reconnues. Les trois qualités majeures ou avantages de l’orthodontie assistée par la corticotomie sont des phases de traitement rapide plus actives, un rayon d’action élargi du traitement de la malocclusion et des résultats orthodontiques plus stables.
Le premier aspect, la rapidité du temps de traitement, est plus largement reconnu depuis la récente attention qui lui a été portée. Ferguson a effectué une revue systématique et une méta-analyse de la corticotomie alvéolaire et du déplacement dentaire (Ferguson, 2012). Six publications avec des données expérimentales ont été finalement retenues conformément aux critères de sélection exigés : corticotomie par fraisage chirurgical, technique de mesure fiable pour enregistrer le déplacement dentaire cumulé, données disponibles à la fois pour les groupes tests et les témoins, et données disponibles à la fin des semaines 1, 2, 3 et/ou 4 (Aboul-Ela et al., 2011 ; Cho et al., 2007 ; Iglesias-Linares et al., 2011 ; Lino et al., 2007 ; Mostafa et al., 2009 ; Sanjideh et al., 2010). La méta-analyse des données disponibles a permis de déterminer les points suivants :
– la quantité de déplacement dentaire obtenu après la corticotomie est significativement supérieure à la fin des semaines 2, 3 et 4 (respectivement de 1,9, 1,9 et 2,3 fois) ;
– le taux de déplacement dentaire est significativement plus important après la corticotomie durant les périodes allant de 7 à 14 jours et de 21 à 28 jours (respectivement de 2,0 de et 3,7 fois).
Dans les conditions de la méta-analyse, il a été conclu que la quantité et le taux de déplacement dentaire augmentaient d’au moins un facteur 1 ou 2 durant le premier mois qui suivait la corticotomie alvéolaire (fig. 3).
La portée du traitement des malocclusions s’est élargie grâce à l’orthodontie associée à la technique de corticotomie alvéolaire réalisée par voie chirurgicale en ambulatoire, mais c’est un avantage qui n’est pas encore largement reconnu. La capacité à résoudre, dans un contexte d’hospitalisation ambulatoire, des malocclusions jusqu’ici réservées à la chirurgie orthognatique devrait être perçue comme un énorme avantage. Si l’on compare cela à l’« ensemble des divergences » (Proffit et al., 2007) et à la quantité de changements qui peuvent être obtenus par le déplacement dentaire seul, il est suggéré que l’orthodontie assistée par la corticotomie permet un déplacement de 2 à 3 fois plus important dans toutes les directions, à l’exception de la rétraction (Ferguson et al., 2007 ; Wilcko et al., 2007). Il faut souligner que ces changements ne sont pas réalisables sans l’ajout d’une greffe osseuse d’augmentation au moment de la corticotomie (fig. 4).
Le mécanisme de greffe osseuse d’augmentation pratiquée avec la corticotomie n’est pas bien compris. En 2001, Wilcko et al. ont décrit un traitement orthodontique après une corticotomie alvéolaire sélective en association à une greffe d’augmentation de l’os alvéolaire ; ils ont déposé un brevet pour leur technique qu’ils ont appelée orthodontie ostéogénique accélérée (AOO, accelerated osteogenic orthodontics) (Wilcko et al., 2001). Après avoir soulevé des lambeaux de pleine épaisseur en vestibulaire et en lingual, on réalise la chirurgie de corticotomie autour des dents à déplacer. De très légères entailles osseuses sont effectuées dans l’os médullaire tout autour des racines. Des portions plus épaisses de la corticale alvéolaire exposée sont également lésées par d’autres entailles réalisées à la fraise pour favoriser le saignement. Une allogreffe de matériau résorbable ainsi que des antibiotiques sont placés directement sur l’os saignant et les lambeaux sont repositionnés et suturés. Le matériau de greffe fréquemment utilisé est un mélange d’os déminéralisé lyophilisé et d’os bovin imbibé d’une solution de phosphate de cléocine (Clindamycine). L’association d’une corticotomie à une greffe d’augmentation alvéolaire différencie cette technique de celles décrites précédemment par d’autres auteurs. Dans le protocole Wilcko, le déplacement dentaire est déclenché quelques jours avant la corticotomie ; les appareillages orthodontiques sont ensuite activés toutes les 2 semaines environ jusqu’à ce que la malocclusion soit corrigée et le résultat clinique recherché obtenu (Wilcko et al., 2001 ; Wilcko et al., 2008 ; Murphy et al., 2009).
La plus grande stabilité des résultats thérapeutiques obtenus par le traitement orthodontique assisté par une corticotomie constitue un avantage majeur mais n’est pas encore largement reconnue à sa juste valeur. Cette remarquable stabilité est attribuée au taux de renouvellement tissulaire accru et à la greffe d’augmentation. La stabilité du résultat orthodontique implique que le ligament parodontal se réorganise après le traitement ; la justification de la mise en place de contentions est d’empêcher les dents de revenir à leur position initiale durant cette période de renouvellement tissulaire, en particulier juste après le traitement actif. Cependant, si le taux de renouvellement est élevé, la mémoire tissulaire est perdue et la lésion créée par la corticotomie induit un taux de renouvellement intense à plusieurs reprises par rapport au seul déplacement dentaire orthodontique (Ferguson et al., 2007 ; Wilcko et al., 2009) (fig. 5).
La stabilité accrue observée après corticotomie est également attribuée à la greffe d’augmentation. Celle-ci, réalisée en même temps que la corticotomie alvéolaire, est stable au moment où le traitement orthodontique actif s’achève (en général au bout de 6 à 9 mois). Twaddle a démontré sur des scanners que la largeur de l’os alvéolaire était augmentée de façon significative après la greffe d’augmentation qui demeure stable pendant au moins 1 an après le débagage (Twaddle, 2002). Rothe et al. ont conclu que les patients qui présentent des corticales mandibulaires plus fines ont un risque accru de récidive au niveau des incisives inférieures (Rothe et al., 2006). On suppose que la remarquable stabilité observée après corticotomie alvéolaire associée à une greffe est due au taux de renouvellement tissulaire accru associé à une augmentation de l’épaisseur de la corticale osseuse alvéolaire provenant de la greffe d’augmentation (fig. 6).
L’historique du développement de la technique de corticotomie pour corriger les malocclusions comporte une première description à la fin des années 1800, mais c’est Heinrich Köle en 1959 qui réintroduit la corticotomie alvéolaire associée à une ostéotomie sous-apicale (Köle, 1959). En 1978, Generson et al. décrivent la corticotomie alvéolaire pour traiter uniquement une béance (Generson et al., 1978) et, en 2001, Wilcko et al. exposent un traitement orthodontique après une corticotomie alvéolaire sélective associée à une greffe d’augmentation alvéolaire (Wilcko et al., 2001). Depuis 2001, la technique de corticotomie alvéolaire a été modifiée à plusieurs reprises : par une approche d’incision corticale sans lambeau ni greffe avec utilisation d’une lame de bistouri pour induire une ostéopénie (Kim et al., 2009) ; par une technique de piézo-incision avec lambeau d’épaisseur partielle et utilisation d’incisions osseuses piézoélectriques plus greffe osseuse d’augmentation (Dibart, 2009). La grande majorité des techniques de corticotomie décrites dans les publications utilisent une fraise chirurgicale pour induire les modifications alvéolaires conduisant à un déplacement dentaire accéléré. Mais la prochaine génération d’innovations techniques conçues pour accélérer le déplacement dentaire inclura vraisemblablement la photobiomodulation, c’est-à-dire une thérapie utilisant une diode électro-luminescente (LED) (Chiari et al., 2010) ou l’application de microvibrations (Kao, 2011), ou encore l’application d’une « onde de choc » (Hazan-Molina et al., 2011).
L’acceptation future de n’importe quelle technique d’orthodontie clinique rapide nécessite les éléments suivants :
– établir de nouvelles connaissances de base qui expliquent l’accélération ;
– expliquer comment le concept du déplacement dentaire accéléré prévaut sur le paradigme actuel ;
– expliquer comment la nouvelle technique s’intègre aux nouvelles connaissances de base et se relie aux connaissances actuelles ;
– présenter des informations/ preuves convaincantes à la communauté orthodontique sur la valeur et les implications de la technique.
N’importe quel universitaire reconnu en orthodontie, lorsqu’on lui demande aujourd’hui ce qu’il pense de l’orthodontie assistée par la corticotomie, devrait être capable de donner la réponse suivante : le traitement orthodontique assisté par la corticotomie permet d’obtenir des résultats pour les phases actives du traitement qui sont de 2 à 4 fois plus rapides que sans corticotomie. Le déplacement dentaire accéléré peut s’expliquer par un nouveau concept appelé « médiation par la spongieuse » qui implique une augmentation passagère du taux de renouvellement tissulaire à proximité immédiate du site de lésion/induction du tissu alvéolaire. La grande stabilité des résultats post-orthodontiques du traitement s’explique par l’épaississement accru de l’os cortical à la suite de la greffe osseuse d’augmentation et par la perte de mémoire tissulaire due au taux de renouvellement tissulaire élevé. Le rayon d’action du traitement des malocclusions est 2 ou 3 fois plus important dans la plupart des directions, permettant ainsi d’éviter la chirurgie orthognatique dans de nombreux cas.