PÉRIOMÉDECINE
Parodontiste, Marseille
Le diabète est aujourd’hui un vrai problème de santé publique et un facteur de risque majeur des maladies parodontales.
Sa prévalence dans le monde, tous âges confondus, était estimée à 2,8 % en 2000. Selon la Fédération internationale du diabète, cette pathologie touchait 285 millions d’individus en 2010 (6,4 % de la population mondiale adulte) et devrait en atteindre 438 millions en 2030 (44 % de la population mondiale) [1], soit une augmentation de 54 %. Cette...
Le diabète est aujourd’hui un vrai problème de santé publique et un facteur de risque majeur des maladies parodontales.
Sa prévalence dans le monde, tous âges confondus, était estimée à 2,8 % en 2000. Selon la Fédération internationale du diabète, cette pathologie touchait 285 millions d’individus en 2010 (6,4 % de la population mondiale adulte) et devrait en atteindre 438 millions en 2030 (44 % de la population mondiale) [1], soit une augmentation de 54 %. Cette hausse est en partie liée au fait que la population urbaine dans les pays en développement va doubler entre 2000 et 2030.
Il faut noter qu’une prévalence accrue de l’obésité (indice de masse corporelle > 30 kg/m2) – qui est passée, entre 1994 et 2009, de 14 à 26 % États-Unis inclus – est aussi à l’origine de la propagation de cette véritable « épidémie ».
En 2000 en France :
• 1,8 million de Français étaient atteints de diabète (soit une augmentation annuelle de 3,2 % entre 1998 et 2000) ;
• 5,7 milliards d’euros étaient consacrés par l’Assurance maladie aux soins des diabétiques [2].
Le diabète représente 8 % des dépenses de santé des pays développés.
Il existe deux types de diabète, le type 1 et le type 2, caractérisés par une hyperglycémie résultant de défauts dans la sécrétion et l’action de l’insuline. Cette hyperglycémie est fréquemment associée à une hyperlipidémie.
Le diabète de type 2 représente 90 % des cas. Il touche les adultes mais aussi un nombre croissant d’enfants. Il est associé à une insulinorésistance et il est corrélé à l’obésité et à l’âge. Il est lié à une consommation excessive de graisses saturées et de sucres rapides ainsi qu’à la sédentarité. L’anomalie métabolique fondamentale qui précède ce diabète est l’insulinorésistance. Qu’est-ce exactement ?
L’insuline est une hormone secrétée par les cellules bêta du pancréas dans les îlots de Langherans. Elle active l’utilisation du glucose par l’organisme.
Chez le sujet normal, après le repas, la transformation des glucides entraîne une augmentation de la glycémie. Le pancréas, informé de cette augmentation, accroît sa fabrication d’insuline. L’insuline non utilisée par le foie pour la mise en réserve du glucose est déversée dans la circulation sanguine. Elle se fixe sur des récepteurs cellulaires et facilite l’entrée des transporteurs de glucose dans les cellules qui stockent ce carburant sous forme de glycogène.
Au cours du diabète de type 2, la production d’insuline par le pancréas est réduite (elle est nulle dans le diabète de type 1), donc la pénétration cellulaire est moins efficace : c’est l’insulinorésistance qui entraîne un excès de sucre dans le sang, ou hyperglycémie.
En d’autres termes, quand la glycémie augmente, le pancréas agit en sécrétant de l’insuline, hormone hypoglycémiante qui a pour rôle de ramener la glycémie à un taux normal. C’est pourquoi une insuffisance en insuline se traduit par une hyperglycémie.
Cette insulinorésistance est favorisée par l’obésité abdominale, elle s’accompagne souvent d’hypertension artérielle, de problèmes cardio-vasculaires et d’hypertriglycéridémie.
Le diagnostic du diabète de type 2 se fait par le dosage de la glycémie plasmatique à jeun (après 8 à 12 heures de jeûne). Chez le sujet sain, elle est inférieure à 1,10 g/l, chez le sujet diabétique, elle est supérieure à 1,26 g/l. Ce dosage se fait au laboratoire, à partir de sang veineux, ou à l’aide d’un lecteur de glycémie (glucomètre), à partir d’une goutte de sang prélevé avec une lancette au bout du doigt. Ce sang est mis sur une bandelette dont la couleur change en fonction de réactions chimiques proportionnelles à la valeur de la glycémie. On parle de glycémie capillaire quand les résultats seront inférieurs de 15 % au test de laboratoire.
Il existe également une glycémie postprandiale, réalisée 1 h 30 à 2 h après l’ingestion de 75 g de glucose. Elle doit être inférieure à 1,50 g/l.
La glycémie à jeun permet de mesurer le mécanisme de libération, alors que la glycémie postprandiale mesure le mécanisme de stockage.
La mesure de l’hémoglobine glyquée (HbA1c) évalue la glycémie des 2 à 3 mois précédant son dosage. Les globules rouges emmagasinent le glucose. C’est le processus de glycation.
Une glycémie de 1,20 g/l correspond à une HbA1c de 6 %, de 1,50 g/l à 7 %, de 1,80 g/l à 8 %. La valeur normale de l’HbA1c est de 4 à 6 %. Si le diabète est bien équilibré, son taux doit être inférieur à 6,5 %. S’il est supérieur à 8 %, le contrôle du diabète est mauvais.
Il existe une relation entre diabète et maladie parodontale. Les patients diabétiques présentent des pertes d’attache plus sévères que les patients non diabétiques [3]. Mais il existe aussi une association entre l’obésité et les maladies parodontales [4].
Le diabète et les maladies parodontales ont en commun un certain nombre de facteurs de risque dont l’âge, l’incidence familiale, l’obésité, la sédentarité et l’inflammation.
Il existe de nombreuses complications du diabète. Elles peuvent être microvasculaires : touchant les yeux, les reins, les tissus parodontaux ou les nerfs et sont alors liées à l’augmentation du risque infectieux. Mais on note également des complications macrovasculaires comme des problèmes cardio-vasculaires, l’athérosclérose ou l’infarctus, ainsi que des problèmes de cicatrisation.
Ces complications sont le résultat de modifications métaboliques systémiques ou de réponses locales altérées. Le patient doit améliorer le contrôle de sa glycémie en surveillant son poids par l’exercice physique et un régime. Le taux de cytokines inflammatoires peut être diminué par de nouveaux traitements médicamenteux bloquant les médiateurs de l’inflammation et ses récepteurs (AGE et RAGE, respectivement advanced glycation endproducts et receptor for advanced glycation endproducts). En conséquence l’insulinorésistance sera diminuée.
De nombreuses études ont montré que lorsque le diabète est mal contrôlé, les patients présentent plus d’inflammation gingivale que les autres [5].
La présence d’un diabète augmente le risque de parodontite (perte d’attache supérieure à 2 mm sur plus de 2 sites). Chez les enfants atteints de diabète de type 1, le risque est de 3,44 (OR) pour ceux de 6 à 11 ans et de 20,3 (OR) pour ceux de 12 à 18 ans [6].
Chez l’adulte au diabète mal contrôlé, le risque de présenter une parodontite sévère (perte d’attache supérieure à 6 mm sur plus de 2 sites) est de 2,9 [7] (fig. 1 à 4).
La progression de la perte osseuse sera aussi beaucoup plus importante en 2 ans si le diabète n’est pas contrôlé [8].
Dans la troisième étude du NHANES (National Health and Nutrition Examination Study) réalisée aux États-Unis, la prévalence de la parodontite chez les sujets diabétiques et non diabétiques était de 31 % contre 10 % pour les Africains, de 28 % contre 5 % pour les Mexicains et de 22 % contre 6 % pour les Blancs [9]. Dans la même étude, le risque de développer une parodontite triplait lorsque le taux d’hémoglobine glyquée dépassait 9 %.
Dans une étude réalisée en France entre 2002 et 2003 [10], les patients atteints de diabète de type 2 présentaient une pathologie parodontale plus sévère que les patients non diabétiques. De plus, à quantités de plaque égales, l’inflammation gingivale était plus manquée chez les patients diabétiques.
Des sujets atteints de diabète de type 2 et de parodontite sévère non traitée ont un risque accru de mal contrôler leur glycémie par rapport à des patients dont le parodonte est sain [2].
À l’inverse, plusieurs études ont montré que le traitement parodontal (détartrage-surfaçage associé à de la doxycycline) réduisant le taux d’hémoglobine glyquée chez des patients atteints de diabète de type 2 et de parodontite [11]. D’autres études n’ont pu prouver cet effet positif. Que faut-il en penser aujourd’hui ?
Une méta-analyse portant sur 9 études cliniques [12] a montré une réduction de l’hémoglobine glyquée de 0,79 % après traitement parodontal. Une autre analyse récente portant sur 4 études cliniques [13] sur le diabète de type 2 a montré une réduction de l’hémoglobine glyquée de 0,40 %.
Il faut différencier la réponse des patients atteints de diabète de type 1 et de type 2. Dans le type 2, le traitement parodontal peut provoquer une réduction de l’hémoglobine glyquée de 0,95 % [14] par rapport au groupe contrôle. Une étude récente [15] a montré une amélioration significative de l’hémoglobine glyquée mais pas d’amélioration de protéine C réactive (CRP, C-reactive protein) ni des métalloprotéases matricielles (MMP, matrix metalloproteinases) 2 et 9 (facteurs de l’inflammation) 6 mois après le traitement non chirurgical de parodontites modérées à sévères chez des diabétiques de type 2.
Il semble donc, à la lecture de toutes ces études, que l’effet du traitement parodontal soit bénéfique sur le contrôle du diabète de type 2.
En modifiant la façon dont le corps utilise l’insuline, l’inflammation augmente l’insulinorésistance et rend le contrôle de la glycémie plus difficile.
On l’a vu précédemment, l’insulinorésistance est une composante majeure du diabète de type 2. Elle est associée à l’obésité et à l’inflammation. Les tissus adipeux produisent des facteurs qui l’augmentent : TNF-α (tumor necrosis factor alpha), interleukine 6 (IL6), résistine et leptines. L’infection systémique augmente l’insulinorésistance et altère le contrôle de la glycémie. Cette résistance persiste longtemps après la résolution de l’infection.
Il n’est donc pas surprenant que l’infection parodontale influence l’insulinorésistance. Si elle est chronique, elle entraîne une augmentation des taux sériques de TNF-α et d’IL6, affectant aussi directement (par les récepteurs de l’insuline) ou indirectement (en augmentant la CRP, marqueur important de l’inflammation) l’insulinorésistance et perturbant le contrôle de la glycémie.
Dans une étude portant sur 46 sujets atteints de diabète de type 2 et de maladie parodontale, il a été prouvé une relation significative entre les pertes d’attache (supérieures à 4 mm) et le taux sérique de TNF-α [16]. Une autre étude réalisée en France [17] a montré que l’augmentation de l’insulinorésistance était liée à la parodontite sévère. Cette association est amplifiée par le tabac.
À l’opposé, que va-t-il se passer lors de la mise en œuvre du traitement parodontal ? Ce traitement est connu pour entraîner la baisse des taux sériques des médiateurs et des marqueurs de l’inflammation (IL6, TNF, CRP…) [18]. Il semblerait logique qu’il ait un effet sur l’insulinorésistance et, donc, sur le contrôle de la glycémie même si toutes les études ne le montrent pas.
L’obésité est un facteur de risque pour les deux pathologies. Elle est souvent associée au diabète de type 2 et à la maladie parodontale. Cependant, la maladie parodontale ne jouerait pas un rôle aussi important que l’obésité dans le contrôle de la glycémie tout comme le tabac pourrait masquer les relations existant entre maladie parodontale et autres facteurs systémiques.
Voyons néanmoins comment on peut lier l’obésité et la maladie parodontale.
Il s’avère que les individus en surpoids ont un état parodontal beaucoup moins bon que ceux de poids normal [19]. L’état inflammatoire causé par l’obésité peut affecter les tissus parodontaux [3]. L’activation des cytokines pro-inflammatoires (TNF-α, IL6 et CRP) peut être évoquée chez ces patients obèses, la libération de ces cytokines ainsi que des MMP étant amplifiée par les interactions entre AGE et RAGE. Ces deux produits sont responsables d’une « cascade pro-inflammatoire » et sont impliqués dans de nombreuses pathologies inflammatoires comme le diabète, l’obésité et les maladies parodontales.
Une meilleure compréhension de ces relations peut être apportée par le travail de Zuza et al. [20]. Des taux élevés de TNF-α et d’IL6 ont été relevés chez des patients obèses atteints de maladie parodontale. Ces taux étaient inférieurs chez des sujets non obèses atteints eux aussi de maladie parodontale. Le traitement parodontal (détartrage-surfaçage) s’est traduit par une diminution de ces taux beaucoup moins importante chez les patients obèses.
Il faut différencier les diabètes déjà diagnostiqués des diabètes inconnus.
Les diabètes non diagnostiqués
En présence d’une infection parodontale dont la sévérité ne semble pas être en relation uniquement avec le facteur bactérien, l’interrogatoire doit porter sur les signes suivants : polyurie, polydipsie, polyphagie.
Si les réponses sont positives, le diagnostic est ensuite fondé sur l’analyse du poids et des tests de laboratoire. Le praticien peut les prescrire s’il sait en interpréter les résultats. Sinon le patient est adressé à son médecin.
Il existe quatre moyens de diagnostiquer un diabète :
• symptômes associés à un taux de glucose plasmatique > 2 g/l ;
• glycémie à jeun > 1,26 g/l ;
• glycémie 2 h postprandiales > 2 g/l ;
• taux d’hémoglobine glyquée > 6,5 % (entre 5,7 et 6,4 %, le risque de diabète est augmenté).
Les diabètes déjà diagnostiqués
Il faut, par l’interrogatoire, déterminer le type de diabète (type 1 ou 2), son contrôle (glycémie ?), les médicaments pris (insuline ? laquelle ? pour connaître son pic d’activité et éviter les risques d’hypoglycémie) et le régime observé avant de commencer le traitement parodontal. Il faut également connaître les autres problèmes systémiques associés (cardio-vasculaires, hypertension) et leurs médications.
Une façon d’apprécier le contrôle de la glycémie est de connaître les valeurs de l’hémoglobine glyquée pendant 2 ans. Elle doit être inférieure à 7 %. Le contrôle de la glycémie est modéré de 8 à 10 % et mauvais lorsque cette valeur est supérieure à 10 %. Si la valeur de l’hémoglobine glyquée est bonne, le traitement parodontal peut être effectué en commençant par une phase initiale non chirurgicale. Si elle est mauvaise, le patient est adressé à son médecin et le traitement parodontal non chirurgical sera associé à une antibiothérapie (doxycycline 1 g/j pendant 2 semaines).
Si la chirurgie parodontale est indiquée, elle ne sera réalisée qu’avec une hémoglobine glyquée inférieure à 7 %. Si cette valeur n’est pas bonne, il n’y aura pas de traitement chirurgical et une maintenance parodontale sera instaurée, conjointement à une amélioration du contrôle de la glycémie. Une réévaluation des conditions parodontales et du taux d’hémoglobine glyquée sera réalisée entre 6 et 12 mois plus tard.
Ces patients seront traités de préférence le matin. Tout dépendra des relations glucose/insuline en fonction des médications prises. Il faudra ensuite tenir compte des modifications alimentaires que va entraîner le traitement parodontal et s’assurer que le patient a bien mangé avant son rendez-vous. Afin d’éviter l’hypoglycémie, il faut demander au patient d’apporter son glucomètre et vérifier que le taux de glucose avant d’intervenir est égal à 1 g/l.
En cas de signe d’hypoglycémie (confusion, agitation, anxiété, tachycardie), il faut donner à un patient conscient des sucres rapides (15 g) sous forme de jus de fruit, de Coca-Cola ou de carrés de sucre. Si le patient ne peut rien avaler, 1 mg de glucagon sera donné par voie intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutanée.
Une étude intéressante [22] a été réalisée auprès de 5 325 patients adultes présentant un ou plusieurs facteurs de risque pour le diabète (facteur familial, hypertension, taux élevé de cholestérol, obésité ou surpoids) et chez lesquels un test rapide d’hémoglobine glyquée a été effectué, suivi par un test permettant de mesurer la glycémie à jeun (diabète : > 1,26 g/l, prédiabète : 1-1,25 mg/dl, normal < 1 g/l). La présence de poches dont la profondeur dépassait 5 mm sur au moins 26 % des dents ou au moins 4 dents manquantes a permis d’identifier 73 % de patients avec une hyperglycémie non reconnue.
Combiner un examen parodontal et un test à l’hémoglobine glyquée conduit à une sensibilité de 92 %, alors que celle du test à l’hémoglobine glyquée seul est de 75 %.
Sachant que 70 % des patients consultent un chirurgien-dentiste au moins 1 fois par an, un simple examen parodontal et un contrôle des dents manquantes peuvent aider à identifier des patients dont l’hyperglycémie n’est pas reconnue, en notant qu’il s’agit de patients possédant un ou plusieurs facteurs de risque pour le diabète.
Le praticien doit-il réaliser ce test lui-même ? Pourquoi pas s’il sait l’interpréter. Il existe des tests rapides peu onéreux. Sinon le patient est adressé rapidement à son praticien [23].
Le rôle joué par le parodontiste aujourd’hui pour les patients diabétiques est fondé sur :
• le diagnostic et le traitement des maladies parodontales ;
• les relations avec les médecins ;
• la prescription des tests de laboratoire.
Les parodontistes peuvent intervenir à deux niveaux face à cette montée croissante du diabète de type 2 :
• au niveau du diagnostic d’un diabète non reconnu, ils doivent pousser leur interrogatoire et prescrire des tests (glycémie à jeun et hémoglobine glyquée) en présence de maladies parodontales dont l’étiologie ne leur paraît pas claire ;
• puis, au niveau thérapeutique, ils doivent absolument traiter les maladies parodontales chez les diabétiques que ce soit de façon chirurgicale (si les tests sont bons) ou non chirurgicale pour améliorer le contrôle de la glycémie. •
Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’Information Dentaire.
Le rôle du parodontiste pour contrôler l’épidémie de diabète. Première publication dans la rubrique GEPI de l’Information dentaire n° 13 du 29 mars 2012. © ID 2012.