Article
Alina KRIVITSKY AALAM* Alexandre-Amir AALAM**
*Chirurgien-dentiste, Professeur-assistant
clinique, Département de
parodontologie avancée, École de
dentisterie d’Ostrow, University of
Southern California (USC), États-Unis
**Chirurgien-dentiste, Professeur-assistant
clinique, Département de
parodontologie avancée, École de
dentisterie d’Ostrow, University of
Southern California (USC), États-Unis
Le résultat d’un traitement dépend avant tout d’un diagnostic, d’un pronostic et d’un plan de traitement bien établis. La tendance à s’écarter des techniques traditionnelles et prévisibles pour s’orienter vers des techniques et des biomatériaux innovants, spécifiques et limités dans leurs applications est nettement perceptible dans le domaine de l’enseignement. Le but de cet article est d’engager une discussion sur deux modalités thérapeutiques visant à une restauration du sourire : la chirurgie parodontale additive et résectrice.
Treatment outcome is primarily dependent on proper diagnosis, prognosis and planning principles. A drift from traditional and predictable procedures towards elaborate technique and biomaterial trends that are sensitive, specific and limited in their application is noticeable in the educational environment. The purpose of this is to discuss two traditional treatment modalities for smile rehabilitation: additive and resective periodontal surgery.
Récemment, des modalités thérapeutiques non certifiées ont fait leur apparition en dentisterie. Ces nouvelles possibilités résultent de l’ajout progressif de biomatériaux et sont associées à un coût croissant, des techniques chirurgicales complexes et des complications post-chirurgicales. Leur sécurité, leur efficacité et leur longévité ne sont pas prouvées. Cette tendance a conduit à s’écarter du diagnostic et du plan de traitement, éléments pourtant cruciaux pour la stabilité à long terme du résultat thérapeutique. De plus, les relations financières entre les écoles dentaires et les industriels se sont accompagnées d’inconvénients non négligeables qui ont pesé lourdement sur l’exercice des soins dentaires.
En voici quelques exemples. Le dérivé de la matrice amélaire (EMD, enamel matrix derivative), actuellement disponible dans le commerce et préparé à partir d’une matrice amélaire porcine (Emdogain(r)), est censé faciliter la régénération des tissus parodontaux (Hammarström, 1997). Il peut favoriser le recouvrement radiculaire en association avec un lambeau positionné coronairement (Cairo et al., 2008 ; Berlucchi et al., 2002). Cependant, l’absence de cément et de ligament parodontal autour des implants ne justifie pas son utilisation avec les implants dentaires (Casati et al., 2002). La BMP-2 humaine recombinante (rhBMP-2, recombinant human bone morphogenetic protein 2) est un facteur de croissance osseuse synthétique utilisé dans les techniques de greffes maxillo-faciales (Triplett et al., 2009), les fractures du tibia et les chirurgies de fusion vertébrale. Une revue critique s’est intéressée au problème de la sécurité de ce facteur et les effets indésirables rapportés sont de 10 à 50 fois supérieurs aux estimations initiales rapportées dans les publications soumises à comité de lecture et sponsorisées par les industriels (Carragee et al., 2011). Dans la zone cervicale de la colonne vertébrale, des tuméfactions mettant en jeu la vie du patient ont été rapportés (Smucker et al., 2006 ; Lee et al., 2011), posant la question de sa sécurité lors de son utilisation dans les régions maxillo-faciales.
La matrice dermique acellulaire est une allogreffe utilisée pour l’augmentation des tissus mous comme substitut d’une greffe de tissu conjonctif. Elle ne nécessite pas de site donneur et permet de faire des recouvrements multiples. Son utilisation augmente le coût du traitement et le risque de complications (c’est-à-dire d’infections) lors de la cicatrisation. Elle peut donner une quantité de recouvrement radiculaire égale à celle d’une greffe de conjonctif mais s’avère moins performante qu’elle en termes de gain de gencive kératinisée (Gapski et al., 2005). En revanche, la greffe de tissu conjonctif conventionnelle offre un traitement universel et sécurisé à un moindre coût (Chambrone et al., 2008).
Des surfaces et des designs implantaires élaborés font leur apparition sur le marché dans un nombre limité d’études (Wennerberg et Albrektsson, 2010). Il n’en reste pas moins que le nombre d’échecs implantaires et de maladies péri-implantaires est plus élevé qu’avant (Zitmann et Berglundh, 2008).
Le résultat thérapeutique dépend avant tout d’un diagnostic, d’un pronostic et d’un plan de traitement bien établis. Le but de cet article est de revisiter deux modalités thérapeutiques visant à restaurer le sourire : les chirurgies parodontales additives et résectrices.
Les défauts au niveau des tissus mous parodontaux ont pour étiologies les traumatismes et la plaque bactérienne. L’identification et l’élimination des facteurs étiologiques garantissent la stabilité à long terme des résultats (Löe, 1992 ; Wennström et Lindhe, 1993 ; Gartrell et Mathews, 1976). Les facteurs favorisants, tels que les malpositions dentaires, la proéminence des racines, un biotype parodontal fin, une insertion de frein haute et une profondeur de vestibule trop faible, prédisposent les patients à la récession gingivale (Hall, 1984). Lorsque l’on a affaire à des cas plurifactoriels, la communication entre le parodontologiste, le chirurgien-dentiste et/ou l’orthodontiste est essentielle pour prévenir les récidives (Hoag, 1979 ; Smith, 1997 ; Pini Prato et al., 2002 ; Gorman, 1967 ; Stetler et Bissada, 1987) (fig. 1).
L’incidence des récessions augmente avec l’âge et les sites présentant des récessions ont tendance à s’aggraver (Zucchelli et De Sanctis, 2005). Les patients aux récessions gingivales non traitées peuvent les voir progresser contrairement aux patients traités par une greffe gingivale (Auguido et al., 2009).
La classification de Miller est couramment utilisée car elle donne un pronostic sur la quantité de recouvrement radiculaire en se fondant sur le niveau d’attache interproximal (Miller, 1985). Dans les classes I et II, on peut espérer 100 % de recouvrement radiculaire étant donné que l’apport vasculaire du lambeau et de la greffe est intact. Dans les classes III et IV, le recouvrement radiculaire n’est pas optimal étant donné que l’apport vasculaire est réduit. Ce concept universel de la cicatrisation a été négligé au profit de l’utilisation de matériaux et de techniques dans le domaine des greffes osseuses et des augmentations de site (fig. 2 à 4).
Les indications du recouvrement radiculaire sont les suivantes : l’aggravation d’une récession, les caries radiculaires, la sensibilité radiculaire, un aspect esthétique compromis et un aménagement préprothétique (Langer et Langer, 1985 ; Bruno, 1994).
La prévisibilité et le succès d’un traitement dépendent :
– de l’identification du diagnostic de la maladie et de l’élimination des facteurs étiologiques (Wennström et Lindhe, 1983) ;
– de l’identification du diagnostic du défaut et du plan de traitement chirurgical selon l’apport vasculaire disponible (fig. 5 à 8).
En l’absence d’étiologie, la présence de tissu kératinisé n’est pas indispensable au maintien de la santé parodontale (Wennström et Lindhe, 1983). Les techniques de chirurgie muco-gingivale préventives sont indiquées pour prévenir une récession chez des patients en cours de traitement orthodontique (Pini Prato et al., 2000). Le mouvement de version hors de l’enveloppe osseuse diminue la solidité de l’attache (Wennström, 1996). Si un traitement s’avère nécessaire, une corrélation positive entre la quantité de recouvrement radiculaire et l’épaisseur du lambeau gingival a été avancée. En présence d’une gencive fine (> 1 mm), l’utilisation de la greffe de tissu conjonctif est recommandée (Rosetti et al., 2000). En présence d’une gencive épaisse (< 1 mm), n’importe quelle technique additive peut être choisie (Baldi et al., 1999 ; Harris, 1997).
La gestion d’une gencive hautement festonnée et fine est celle qui présente le plus de défis et qui est le moins prévisible (Ochsenbein et Ross, 1969 ; Olsson et Lindhe, 1991 ; Saletta et al., 2001). Une évaluation précise et la classification du biotype des patients sont encore source de controverse et nécessitent une standardisation plus poussée. La signification clinique du biotype est exprimée par son épaisseur et non par sa hauteur (Kao et Pasquinelli, 2002). La largeur du tissu mou est mesurée à l’aide d’une sonde parodontale (Kan et al., 2010). Si la sonde est visible à travers le tissu, le biotype est classé comme étant fin (> 1 mm), si la sonde parodontale n’est pas visible, le biotype est classé comme étant épais (> 1 mm). Il existe une plus grande controverse à propos de la corrélation entre les données sur les tissus mous et durs. Une étude réalisée à l’aide d’une tomographie cone beam (CBCT, cone beam computed tomography) a montré que l’on pouvait avoir une structure osseuse sous-jacente épaisse associée à un tissu gingival fin et vice-versa (Fu et al., 2010).
La profondeur du vestibule influence la mobilité et la passivité du lambeau lors de sa réclinaison. Pini Prato a évalué l’influence d’un lambeau non passif sur le recouvrement radiculaire complet. Au bout de 3 mois, dans le groupe avec tension du lambeau, le recouvrement moyen est de 79 % et l’on observe un recouvrement total dans seulement 18 % des cas ; dans le groupe sans tension du lambeau, les résultats sont respectivement de 87 et de 45 %. (Pini Prato et al., 2000b).
Les malformations muco-gingivales adjacentes aux incisives mandibulaires représentent un défi étant donné la traction du muscle mentonnier sur le lambeau (Ariaudo, 1966). Le rétablissement de la profondeur du vestibule (par une greffe gingivale libre avant le recouvrement radiculaire) ou un lambeau repositionné latéralement sont de bonnes solutions (Grupe et Warren, 1956 ; Bernimoulin et al., 1975). Les récessions palatines et linguales sont difficiles à réparer étant donné que la gencive palatine est totalement attachée et qu’il est déconseillé de réaliser un lambeau d’épaisseur partielle dans la région linguale en raison des limites anatomiques (Campbell, 2002).
La tétracycline, l’acide citrique et l’acide éthylène-diamine tétra-acétique (EDTA) sont les agents de conditionnement radiculaire utilisés en parodontologie (Register et Burdick, 1975, 1976 ; Terranova et al., 1986 ; Blömlof et al., 1996, 1997 ; Daly, 1982). Les avantages du conditionnement radiculaire sont l’effet antibactérien, l’exposition des tubuli dentinaires (élimination de la boue dentinaire), la stabilisation initiale du caillot, l’attache directe avec ou sans cémentogenèse et l’activité anti-collagénase (pour la tétracycline). Les études humaines et animales sont controversées lorsqu’il s’agit d’évaluer le bénéfice réel et le pourcentage moyen de recouvrement radiculaire par rapport aux racines non traitées (Cheng et al., 2007). L’utilisation d’un agent de conditionnement radiculaire dépend de l’expérience anecdotique du praticien et de ses préférences personnelles.
La coopération du patient après la chirurgie est essentielle pour la maintenance à long terme des résultats (Brandtzaeg et Jamison, 1964). Les techniques de brossage inadaptées et les parafonctions doivent être éliminées et un programme d’hygiène buccale correct doit être instauré (Nyman et al., 1975 ; Axelsson et Lindhe, 1978, 1981). Le tabac peut avoir un effet négatif sur la cicatrisation (Miller, 1987).
La cicatrisation d’une greffe gingivale peut être divisée en trois phases : la phase initiale (0-3 jours), la phase de revascularisation (2-11 jours) et la phase de maturation tissulaire (11-42 jours). L’évaluation histologique de l’attache obtenue avec une greffe de tissu conjonctif a surtout été décrite dans des rapports de cas cliniques (Pasquinelli, 1995 ; Harris, 1999 ; Bruno, 2000) comme étant un épithélium de jonction long, une attache conjonctive et des associations. Tous les résultats se sont bien maintenus et le type d’attache ne semble pas influencer la stabilité à long terme (Goldstein et al., 2001 ; Majzoub et al., 2001, Carnio et al., 2003).
Un certain nombre de techniques, telles que les greffes épithélio-conjonctives (Sullivan et Atkins, 1968) et les greffes conjonctives désépithélialisées (Edel, 1974), les greffes repositionnées (Langer et Calagna, 1980), la matrice dermique acellulaire (Harris, 2000), l’EMD (Aichelmann-Reidy et al., 2001) et les membranes (Tatakis et Trombelli, 2000), peut conduire à un résultat clinique similaire.
La chirurgie osseuse résectrice à visée esthétique a deux indications : fonctionnelle (le rétablissement d’un espace biologique et d’une forme de rétention adéquats) et esthétique (le rétablissement d’un niveau de gencive marginale et d’une longueur de dent convenables).
L’espace biologique est composé d’une attache épithéliale et d’une attache épithélio-conjonctive allant de la crête osseuse à la base du sulcus gingival (Gargiulo et al., 1961 ; Vacek et al., 1994). Ce système d’attache, qui constitue une barrière à la fois biologique et mécanique contre l’environnement extérieur, fait partie de l’« éruption active » d’une dent (l’éruption d’une dent à travers les tissus gingivaux jusqu’à ce que le contact soit établi avec les dents antagonistes). Cet espace est de 2,04 mm en moyenne (tissu conjonctif : 1,07 mm et attache épithéliale : 0,97 mm) (Gargiulo et al., 1961). L’écart se situe entre – 0,6 mm et + 7 mm. L’origine embryologique de l’espace biologique a été étudiée sur des modèles humains et animaux, mais les données concernant sa cicatrisation et sa stabilité à long terme après une technique d’allongement coronaire manquent. Les caries radiculaires, les fractures coronaires et les couronnes cliniquement courtes sont des indications pour placer les limites en sous-gingival, ce qui prédispose à la violation de l’espace biologique (Newcomb, 1974). L’inflammation gingivale, la formation d’une poche parodontale et la récession gingivale sont le résultat fréquent de cette invasion (Wang et al., 1993 ; ParmaBenfenati et al., 1986 ; Tal et al., 1989). Bien souvent, les limites marginales des restaurations sont ouvertes (25-200 µm) et abritent du biofilm (White et al., 1994). L’association de limites marginales profondes et ouvertes génère des maladies parodontales et des caries (Dragoo et Williams, 1981, 1981). La localisation de la limite marginale de la restauration coronairement aux fibres supra-crestales est un facteur clé dans le maintien d’une relation saine (Nevins et Skurow, 1984). L’utilisation d’une sonde parodontale pour évaluer la localisation exacte du fond du sulcus ou de l’épithélium de jonction peut s’avérer être un véritable défi et peut entraîner la violation non intentionnelle de l’attache durant la préparation de la dent (Orkin et al., 1987). Un sondage osseux réalisé du fond vers la surface constitue une référence plus fiable que le seul sondage sulculaire allant du sommet vers le fond pour évaluer la position de la limite marginale de la restauration. Les limites intrasulculaires peuvent être situées de 2 à 2,5 mm coronairement au-dessus de la crête osseuse, ou de 0,5 à 1 mm apicalement au rebord de la gencive marginale, lorsque le complexe dento-gingival mesure 3 mm. Chaque individu et chaque site sont uniques et doivent être traités indépendamment. Le sondage osseux et l’évaluation du complexe dento-gingival sont essentiels pour l’établissement d’un bon diagnostic (Gargiulo et al., 1961). Deux formes de hauteurs de crête alvéolaire ont été décrites (Kois, 1993, 1994) :
– crête alvéolaire haute (l’ensemble du complexe dento-gingival présente une hauteur inférieure à 3 mm). La limite de la restauration doit se situer au niveau de la gencive marginale libre ou au maximum 0,5 mm apicalement, pour éviter le risque de violation de l’espace biologique ;
– crête alvéolaire basse (l’ensemble du complexe dento-gingival présente une hauteur supérieure à 3 mm). La limite marginale de la restauration peut se situer à plus de 1 mm apicalement à la gencive marginale libre.
La préparation conventionnelle avec une forme de rétention adéquate résiste aux forces de version ou de soulèvement générées par le déplacement de la restauration. Les couronnes cliniques courtes et les dents traitées endodontiquement (absence d’un effet de ferrule) nécessitent souvent d’avoir recours à un allongement afin de respecter une forme de rétention et une résistance convenables.
La longueur moyenne d’une incisive centrale se situe entre 9 et 11 mm. La forme de rétention minimale requise est de 4 mm (Wagenberg et al., 1989). Lorsque cette longueur est modifiée (fracture radiculaire, carie, éruption passive contrariée), les limites marginales de la restauration vont être placées en position sous-gingivale de façon à compenser le manque de profil d’émergence et de forme de rétention, ce qui va aboutir à une violation de l’espace biologique ou à une restauration en surcontour (Weisgold, 1977) (fig. 9 et 10).
Un effet de ferrule est une bande de dentine de 360° qui supporte l’assise du tenon et procure de 1,5 à 2 mm de paroi dentaire au niveau de la préparation (Sorensen et Engelman, 1990). Cela améliore la forme de résistance des dents traitées endodontiquement et qui sont le support d’une restauration de recouvrement total (avec son tenon), en permettant aux forces occlusales de se répartir au niveau du ligament parodontal plutôt que de se concentrer de façon excessive au niveau de la reconstitution corono-radiculaire, ce qui peut augmenter les risques d’un échec au niveau de la restauration ou de la dent (Libman et Nicholls, 1995 ; Gegauff, 2000).
L’asymétrie gingivale est source de défis esthétiques qui requièrent une harmonisation préalable à la reconstruction prothétique (Rufenacht, 1990) (fig. 11). Les règles de l’esthétique aident à quantifier les relations entre le zénith gingival des dents maxillaires antérieures et la jonction émail-cément des dents adjacentes (Lombardi, 1973). Le rebord de la gencive marginale des incisives centrales maxillaires doit se trouver à la même hauteur que celui des canines maxillaires. Celui des incisives latérales maxillaires doit se trouver à 0,5 mm plus coronairement par rapport aux incisives centrales et aux canines maxillaires (Davis, 2007). Le sommet des papilles doit montrer les mêmes rapports et la même symétrie. Le rapport entre la papille et la structure dentaire visible doit être de l’ordre de 50 % (il varie selon le biotype) (Rufenacht, 1990).
Après l’éruption active, la jonction gingivo-dentaire migre apicalement jusqu’à ce qu’elle atteigne la jonction émail-ément (Gargiulo et al., 1961 ; Goldman et Cohen, 1968). Il existe quatre variantes. Lorsque cette récession physiologique ne se produit pas, il en résulte une éruption passive différée, retardée ou altérée (gencive marginale coronaire à la jonction émail-cément de la dent et entraînant une couronne clinique courte) (Costlet et al., 1977 ; Volchansky et al., 1974 ; Evian et al., 1993) (fig. 12). Une couronne clinique courte peut représenter un défi fonctionnel sur le plan prothétique ou un défi esthétique chez les patients avec un « sourire gingival ». L’hypermobilité de la lèvre, l’éruption compensatrice et l’hypertrophie maxillaire peuvent conduire à un diagnostic et à un plan de traitement erronés (Robbins, 1999). Le traitement de choix pour l’éruption passive perturbée est l’allongement coronaire qui présente de multiples avantages :
– sur la santé parodontale. Les dents dont l’éruption passive est perturbée sont caractérisées par une inflammation gingivale et des pseudo-poches (fig. 12) ;
– sur le plan orthodontique. L’exposition clinique de la jonction émail-cément aide l’orthodontiste à évaluer une position dentaire verticale précise (Kokich, 1997) ;
– sur le plan de la restauration. Une localisation correcte de la crête alvéolaire par rapport à la limite marginale permet d’éviter une invasion de l’espace biologique et d’obtenir un profil d’émergence adéquat (Dello Russo, 1984) ;
– sur l’apparence et l’aspect psychologique. Treize pour cent de la population présente une éruption passive perturbée, gênante lors du sourire (Volchansky, 1974 ; Garber et Salama, 1996). L’allongement de couronne clinique est une solution non invasive, prévisible et définitive qui permet aux patients de se réconcilier avec leur sourire.
Le diagnostic de l’éruption passive perturbée est établi grâce à l’identification clinique de la jonction émail-cément à l’aide d’une sonde exploratrice. Lors d’un diagnostic correct d’éruption passive perturbée, la jonction émail-cément est située en dessous du système d’attache et n’est pas cliniquement décelable. La classification des éruptions passives perturbées de Costlet est initialement fondée sur la quantité de tissu kératinisé (types 1 et 2) et, secondairement, sur la localisation de la crête osseuse (A et B) (Costlet et al., 1977). Cette classification n’a pas encore été remise en question car elle a une signification clinique directe dans le choix des modalités thérapeutiques (gingivectomie – non associée à un recontourage osseux, avec lambeau repositionné apicalement – associée ou non à un recontourage osseux) (fig. 13 à 16).
La prévalence de l’éruption passive perturbée chez les adultes a fait l’objet de peu d’études à ce jour, sans doute en raison du manque de critères diagnostiques précis. Une étude fondée sur une série de 1 025 patients ayant une moyenne d’âge de 24,2 ± 6,2 ans a enregistré une incidence de 12,1 % d’éruptions passives perturbées (Volchansky, 1974). Ce chiffre peut être plus élevé pour les patients traités en orthodontie chez qui la malocclusion (c’est-à-dire la béance antérieure) joue un rôle dans l’altération de la stimulation mécanique nécessaire pour déclencher la rétraction du système d’attache.
De nombreuses techniques chirurgicales sont disponibles pour réaliser un allongement coronaire.
Un bon diagnostic et l’évaluation des facteurs locaux (quantité de tissu kératinisé et attaché, localisation de l’os crestal, biotype, forme et longueur radiculaires, profondeur du vestibule) sont essentiels pour parvenir à un succès thérapeutique (Jorgensen et Nowzari, 2001). La ré-adhésion des contours du tissu mou marginal et le rétablissement de l’espace biologique représentent les principaux défis de cette technique. Une ostéoectomie et une ostéoplastie insuffisantes sont à la base de tels échecs. Sur un modèle humain, seuls quelques praticiens ont pu parvenir aux 3 mm d’ostéoectomie souhaités avec une moyenne de 2,4 mm (Herrero et al., 1995). Pontoriero a rapporté 0,85 mm d’allongement coronaire, obtenu après une ostéoectomie de 1 mm, et l’exposition d’une nouvelle structure dentaire de 3,9 mm (Pontoriero et Carnevale, 2001 ; Deas et al., 2004). Une ostéoplastie insuffisante et l’échec de la transformation du biotype (d’épais à fin) peuvent contribuer à une résorption osseuse minime après la chirurgie, forçant l’espace biologique à se rétablir plus coronairement (Wilderman et al., 1970). Ce processus peut prendre jusqu’à 6 mois après la chirurgie (Bragger et al., 1992 ; Oakley et al., 1999). La position du tissu mou juste après la chirurgie peut ne pas influencer la quantité d’allongement coronaire obtenu à 6 mois (Deas et al., 2004 ; Lanning et al., 2003). Un certain nombre de facteurs (quantité de feston recherchée et extension mésio-distale du lambeau aux dents voisines, quantité et localisation de l’ostéoplastie, et utilisation de sutures au point de matelassier) peut avoir influencé les résultats de ces études.
Alors qu’il est très important de connaître de nombreuses techniques chirurgicales et de nombreux biomatériaux, le diagnostic précis et le plan de traitement sont l’essence même de la prévisibilité du résultat. Il est souvent nécessaire d’avoir une approche pluridisciplinaire pour parvenir au résultat souhaité et satisfaire le patient. Les dentistes doivent se remettre en question pour rester proches des bases scientifiques du diagnostic, du pronostic et de la maintenance à long terme.