Article
Daniel ETIENNE* Nicolas COHEN** Robert AZZI*** Fani ANAGNOSTOU****
*Exercice privé
**Département de parodontologie UFR d’odontologie, Université Denis Diderot, Paris 7 et Service d’odontologie Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris
***Exercice privé
****Département de parodontologie UFR d’odontologie, Université Denis Diderot, Paris 7 et Service d’odontologie Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris
Les techniques de régénération osseuse pour optimiser le placement des implants dentaires par rapport à la réalisation prothétique ont focalisé l’attention des praticiens. Les remaniements muqueux ont été quelque peu négligés, excepté dans des situations à visée esthétique. La chirurgie plastique péri-implantaire est toujours ignorée par certains et utilisée en routine par d’autres. L’objectif de cette revue est de faire le point sur les tendances actuelles du remaniement muqueux des secteurs édentés par des techniques utilisables après des reconstructions osseuses.
Practitioners have focused their interest on osseous regenerative techniques to optimize the implant position-prosthetic relationship. Soft tissue management has been neglected, excepted in esthetic situations. Peri-implant plastic surgery may be ignored while it is routine for others. This review aims at showing the actual trends on edentelous ridges soft tissue management by surgical techniques which may be used after bone reconstruction.
Lors de la reconstruction osseuse pré/péri-implantaire, le recouvrement par la muqueuse buccale du tissu osseux greffé ou régénéré favorise la vascularisation ainsi qu’une protection contre la salive et la flore buccale. L’exposition postchirurgicale de l’os lors des techniques d’augmentation osseuse verticale a été fréquemment rapportée (Chiapasco et al., 2004 ; Proussaefs et Lozada, 2005, 2006, Roccuzzo et al., 2007 ; Roccuzzo et al., 2004). Cette exposition serait favorisée, entre autres, par les caractéristiques anatomiques du site, la technique chirurgicale, l’état général et une cascade d’événements biologiques pouvant interférer avec la cicatrisation de la plaie.
Histologiquement, la muqueuse buccale est constituée d’un tissu conjonctif (lamina propria) et d’un épithélium stratifié. L’épithélium est formé de cellules épithéliales en couches qui se différencient lors de la migration vers la surface. La muqueuse qui recouvre les parties coronaires des procès alvéolaires ou le palais, est recouverte d’un épithélium kératinisé (muqueuse kératinisée). Le tissu conjonctif est riche en fibroblastes et dense en fibres de collagène organisées en faisceaux qui s’insèrent dans le tissu osseux. L’union tissu conjonctif-épithélium est forte avec de nombreuses papilles conjonctives profondes. Ces caractéristiques confèrent à la muqueuse kératinisée une grande résistance mécanique.
En revanche, le tissu conjonctif de la muqueuse alvéolaire est constitué d’un tissu conjonctif lâche, avec des fibres de collagène peu organisées et de nombreuses fibres élastiques, et le recouvrement épithélial est non kératinisé. Ce tissu conjonctif alvéolaire est ancré sur des structures mobiles telles que les muscles. L’union tissu conjonctif-épithélium est plate. Ces caractéristiques confèrent à la muqueuse alvéolaire des propriétés élastiques, utilisées lors de la libération des lambeaux.
La muqueuse kératinisée est séparée de la muqueuse alvéolaire par une ligne de jonction muco-gingivale. Sa stabilité dans le temps ainsi que l’apport de la muqueuse kératinisée lors de l’aménagement des tissus mous en chirurgie pré/péri-implantaire ont fait l’objet de plusieurs études. Il s’agit principalement de rapports et de séries de cas d’un niveau de preuve faible. La nécessité d’une muqueuse kératinisée autour des implants est toujours un sujet de controverse (Cairo et al., 2008). Certaines études ont montré la présence d’une santé muqueuse sans qu’il y ait de tissu kératinisé autour des implants (Wennström et al., 1994), tandis que d’autres montraient un risque de perte osseuse en l’absence de tissu kératinisé autour des surfaces implantaires rugueuses. Cependant, si plusieurs systèmes sont comparés, il en ressort, essentiellement pour les secteurs postérieurs, que l’absence de muqueuse kératinisée est associée à plus de dépôts de plaque et d’inflammation gingivale, mais sans lyse osseuse crestale autour des implants (Chung et al., 2006).
Une des complications fréquemment citée lors de l’augmentation osseuse est l’exposition des greffons osseux ou des membranes de recouvrement. La tension des lambeaux lors des mouvements et l’altération de la vascularisation par les incisions ou les sutures sont des causes d’échec de l’augmentation osseuse verticale d’après des études chez l’animal (Rothamel et al., 2009) et chez l’homme (Lundgren et al., 2008).
L’obtention d’un lambeau sans tension nécessite la mobilisation de la muqueuse alvéolaire, ce qui crée un traumatisme d’autant plus important que l’augmentation est verticale. L’étendue du traumatisme est directement liée à l’apport vasculaire du tissu, à sa perfusion et, par conséquent, au risque de nécrose (Retzepi et al., 2007). Ces effets délétères sont démontrés lors de l’élévation d’un simple lambeau muco-périosté où une diminution de l’apport vasculaire et une ischémie sont observées (McLean et al., 1995). Il a été aussi démontré que l’intensité et la durée d’une ischémie pouvaient induire une nécrose tissulaire (Carroll et Esclamado, 2000).
Après une incision crestale et des incisions de décharge verticales en trapèze qui limitent l’extension latérale du lambeau, l’altération de la microcirculation est favorisée lors de l’avancement coronaire par la libération horizontale du périoste, à la base du lambeau (Park et al., 2011) et davantage encore par une dissection muqueuse des plans superficiels qui permet un déplacement coronaire optimal (Greenstein et al., 2009 ; Greenwell et al., 2004).
L’avancement coronaire du lambeau présente aussi l’inconvénient de réduire la hauteur de la muqueuse kératinisée, de déplacer coronairement la ligne muco-gingivale vers le sommet de la crête édentée et d’entraîner une plus grande dyschromie de la muqueuse alvéolaire avec le tissu kératinisé des dents adjacentes.
Pour limiter les risques d’exposition secondaire des membranes ou des greffes osseuses, des variantes à l’incision crestale ont été proposées. Nous retiendrons particulièrement les incisions décalées en palatin (Jovanovic et al., 1992) ou dans le vestibule. Ces dernières s’avèrent performantes avec le rapport d’une seule exposition sur 38 cas (Buser et al., 1996). Pour avancer coronairement le lambeau lingual, une libération de l’insertion du muscle mylo-hyoïdien dans le lambeau a également été préconisée (Ronda et Stacchi, 2011).
La solution de remplacement à l’avancement coronaire des lambeaux est de recourir à une expansion progressive des tissus mous. L’instrumentation s’est récemment améliorée et il est possible d’utiliser des ballonnets en méthacrylate de méthyle et pyrrolidone de vinyle qui absorbent les fluides corporels. Leur expansion permet de bénéficier d’une hauteur plus importante de tissus mous. Sur 24 sites chez 12 patients, seuls 2 sites ont présenté une infection et 2 sites une exposition des ballonnets. Mais la technique n’a pu éviter un remaniement muqueux secondaire par greffe épithélio-conjonctive ou conjonctive sur 22 sites lors de la pose ou après la pose des implants (Kaner et Friedmann, 2010).
Nous pouvons nous attendre, en présence d’un biotype parodontal fin (Seibert et Lindhe, 1997), à une épaisseur réduite de tissu conjonctif, avec moins de vaisseaux et une résistance mécanique plus faible au traumatisme chirurgical. Le biotype parodontal fin est déterminé à l’aide d’une sonde parodontale visible par transparence au travers de la gencive (Kan et al., 2003, 2010).
L’importance d’une muqueuse fine et sa corrélation avec le remodelage osseux restent controversées. Ainsi, une crête osseuse fine au scanner (≤ 4 mm) chez des patients présentant une gencive fine, festonnée et des récessions gingivales dans la région antérieure était modifiée avec succès par des greffes osseuses d’apposition latérale. À 40 mois postopératoires, les implants n’étaient pas observés par transparence au travers de la muqueuse ou associés à des récessions de la muqueuse marginale (Verdugo et al., 2011).
La prévalence des tissus mous fins est moins fréquente, par rapport aux dents adjacentes (respectivement 17,5 % contre 45 %), après une mise en fonction de 6 mois d’implants unitaires. Le niveau muqueux marginal serait plutôt déterminé par le niveau de la crête osseuse que par son épaisseur, selon une évaluation par tomographie volumique (Nisapakultorn et al., 2010). Cet effet limité de l’importance du gain osseux horizontal sur la stabilité de la muqueuse marginale a été aussi retrouvé après régénération osseuse guidée (Schneider et al., 2011). Ces résultats sont en opposition avec des publications qui soulignent l’importance de l’épaisseur osseuse crestale sur la récession de la muqueuse marginale implantaire, bien qu’une relation directe ne soit pas établie (Evans et Chen, 2008 ; Spray et al., 2000).
Le dilemme est encore plus marqué si l’on considère la relation inverse entre l’épaisseur gingivale et le niveau osseux. En effet si l’épaisseur de la muqueuse crestale avant la pose d’un implant est inférieure ou égale à 2 mm, une perte osseuse crestale de 1,45 mm peut se produire au bout de 1 an, autour d’implants posés en juxta-osseux ou supra-osseux (Linkevicius et al., 2009).
L’effet d’autres paramètres muqueux, tels que la hauteur et/ou l’épaisseur de la muqueuse kératinisée, la mobilité de la muqueuse alvéolaire des plans superficiels par rapport aux plans profonds et le traumatisme des sutures, devrait être aussi évalué.
La perte de la corticale vestibulaire d’une alvéole va entraîner une réduction tridimensionnelle du volume, variable selon le délabrement et les caractéristiques anatomiques du site.
Dans les situations esthétiques partiellement édentées, la préservation du volume alvéolaire par biomatériau de substitution osseuse ou os autogène est une possibilité séduisante qui peut, selon la technique utilisée, éviter ou limiter le déplacement coronaire de la ligne muco-gingivale.
Les avulsions des dents maxillaires antérieures, sites où l’os vestibulaire est très fin (Ghassemian et al., 2011), peuvent bénéficier de techniques de préservation du volume de la crête alvéolaire, applicables aussi dans d’autres secteurs et des revues systématiques récentes en soulignent l’intérêt (Vignoletti et al., 2012). Quelle que soit la technique chirurgicale utilisée, une perte de volume dans le sens transversal et vertical est cependant constatée (Ten Heggeler et al., 2010). Le bénéfice clinique et l’intérêt du patient doivent donc être comparés aux techniques classiques (Hammerle et al., 2012).
Les modifications de l’épaisseur des tissus mous ont été étudiées sur 4 à 6 mois pour un lambeau replacé après avulsion et mesurées à 3 mm sous le bord de la gencive marginale par ultrasons. En vestibulaire, un gain d’épaisseur de 2,4 à 2,9 mm était constaté, en lingual il était de 1,1 à 1,5 mm tandis qu’une épaisseur occlusale de 2,1 mm était obtenue. Les alvéoles comblées par biomatériau de substitution osseuse et recouvertes par une membrane de collagène exposée montraient en revanche une légère perte d’épaisseur de tissus mous (Iasella et al., 2003).
Nous n’évoquerons pas dans cette revue les situations avec placement immédiat d’un implant dans l’alvéole mais les situations pré-implantaires. Avant l’avulsion d’une racine dans le secteur antérieur, il est possible de meuler la racine jusqu’au bord osseux marginal afin de permettre un recouvrement secondaire par de la gencive (Langer, 1994). Cette méthode présente l’inconvénient de différer l’avulsion de 3 à 4 semaines si l’on veut obtenir une résistance acceptable des tissus mous recouvrant la racine.
L’utilisation d’une greffe épithélio-conjonctive ou conjonctive a été proposée pour recouvrir une alvéole comblée par de l’os autogène ou un biomatériau de substitution osseuse. Un palais épais est favorable à un prélèvement d’une greffe épithélio-conjonctive de 1,5 à 2 mm d’épaisseur dont les extrémités, désépithélialisées à la lame, sont enfouies sous les berges des lambeaux vestibulaire et lingual. La zone centrale kératinisée est préservée et s’adapte au périmètre gingival de l’alvéole. Des sutures vestibulaires et linguales tendent le greffon au-dessus de l’alvéole. Cette technique est particulièrement indiquée avec la destruction d’une corticale alvéolaire. La projection du tissu conjonctif doit recouvrir le déficit osseux et une incision de décharge est parfois nécessaire pour optimiser le débridement (Etienne et al., 1995). L’avantage de cette méthode est de préserver le volume gingival vestibulaire et lingual et la hauteur de muqueuse kératinisée. Sur le plan cosmétique, il faut noter cependant une petite invagination correspondant à la limite du tissu kératinisé du « bouchon » épithélio-conjonctif avec les lambeaux. L’autre possibilité est de n’utiliser qu’un greffon conjonctif épais, placé à cheval sur la crête pour améliorer le fondu tissulaire.
Cette technique a été évaluée après une perte de la corticale vestibulaire. Les alvéoles comblées par une combinaison biomatériau de substitution osseuse et d’os autogène à 50 % sont isolées au niveau de la perte de substance vestibulaire et en occlusal par une membrane de collagène. En occlusal, une greffe épithélio-conjonctive est ensuite placée à cheval sur la crête. Seules 2 greffes épithélio-conjonctives sur 39 se sont partiellement nécrosées et 3 greffons osseux n’étaient pas intégrés à 5 mois (Stimmelmayr et al., 2011).
En présence d’une nécrose de la greffe gingivale, le pertuis généré avec la cavité orale favorise l’infection du comblement avec ou sans expulsion des granules de biomatériau ou des particules osseuses. Les infections sont rencontrées surtout avec les biomatériaux de substitution osseuse et le curetage à 2 mois de l’alvéole permet d’éviter l’effondrement des tissus mous, mais l’os alvéolaire ne se régénère pas ou que très faiblement.
La solution de remplacement du bouchon (c’est-à-dire sans projections conjonctives latérales) épithélio-conjonctif ou conjonctif préconisée avec des implants (Landsberg, 1997) est applicable aussi à la régénération pré-implantaire (Tal, 1999) et souffre des mêmes limites. Ce dernier auteur montre, à 1 semaine postopératoire pour 43 greffons conjonctifs de 3 à 4 mm d’épaisseur, 11 greffes non vitales (26 %), 13 greffes partiellement vitales (31 %) et 18 greffes vitales (43 %). Le risque de nécrose du greffon semble d’autant plus grand que le biotype gingival est fin. La survie du greffon dépendrait plutôt du caillot et du tissu de granulation sous le greffon que de la coaptation des bords qui sont souvent décollés (Tal, 1999). Le périmètre réduit du greffon en bouchon est plus adapté à un prélèvement tubérositaire épais, à morbidité réduite pour le patient. Les preuves manquent cependant sur la meilleure prévisibilité du prélèvement tubérositaire.
Pour améliorer la cicatrisation des tissus mous, lors d’un comblement alvéolaire, des lambeaux conjonctifs pédiculés ont été préconisés. Ces pédicules peuvent être vestibulaires (Rosenquist, 1997), mais si le biotype parodontal est fin, la quantité utilisable peut être des plus réduites. L’approche palatine est plus réaliste car l’accessibilité est plus favorable et la nécrose partielle du pédicule était limitée à 2 cas sur 103 (1,9 %) dans des situations cliniques diverses (Khoury et Happe, 2000) (fig. 1234567 à 8). Cependant, la torsion ou la tension excessive sur un pédicule conjonctif long peut favoriser une altération de la microcirculation du lambeau palatin ou une hypoesthésie.
Une dissection en direction coronaire de la face interne du lambeau palatin permet de libérer un pédicule horizontal de périoste/tissu conjonctif pour recouvrir le matériau de comblement. Ce pédicule est ensuite enfoui lors des sutures, sous le lambeau vestibulaire. Avec ou sans association avec une membrane résorbable sur la greffe osseuse, tous les sites étudiés (n = 28) ont présenté une cicatrisation de première intention. Cette méthode a permis de traiter plusieurs alvéoles et la fréquence de la nécrose (partielle) du lambeau palatin ou du site donneur périosté a été limitée à 8,6 %, sans exposition de la greffe osseuse (Santana et de Mattos, 2009).
Après avulsion de la dent sans lambeau et avec débridement soigneux de l’alvéole présentant un déficit vestibulaire, une membrane de collagène peut aussi être adaptée en sous-périosté sur le déficit osseux vestibulaire. Le biomatériau est ensuite placé pour combler l’alvéole au ras de la crête osseuse. La membrane de collagène, qui recouvre le biomatériau en occlusal, est stabilisée par des sutures matelassées horizontales. Une colle chirurgicale va favoriser l’hémostase et la prothèse est adaptée au contour gingival (Sclar, 2004). Néanmoins, des études histologiques ont montré une formation osseuse altérée quand les membranes de collagène, réticulées ou non, étaient exposées à l’environnement oral (Tal et al., 2008). Une comparaison entre le pédicule palatin, le bouchon épithélio-conjonctif et la membrane de collagène exposée est en faveur de la première technique pour la préservation du volume muqueux (Raghoebar et al., 2009).
Les différentes techniques décrites ci-dessus sont à opposer aux lambeaux avancés coronairement pour recouvrir des secteurs régénérés ou greffés importants. Ils peuvent entraîner une perte partielle ou totale du vestibule, ce qui nécessite ensuite une reconstruction par lambeau muqueux apicalisé, greffe conjonctive ou épithélio-conjonctive (Greenstein et al., 2009). Des taux de succès de régénération avec ou sans exposition sont présentés, mais sans données sur le déplacement de la ligne muco-gingivale et les modifications de la hauteur de muqueuse kératinisée.
La conservation ou l’apport de muqueuse kératinisée a été préconisé pour favoriser une stabilisation des tissus mous péri-implantaires et/ou potentialiser le résultat esthétique. L’aspect des tissus mous autour des prothèses sur implant serait en effet un paramètre important pour la satisfaction des patients (Chang et al., 1999).
Lors du second stade chirurgical implantaire, un lambeau peut être légèrement apicalisé pour déplacer la muqueuse kératinisée en vestibulaire des piliers de cicatrisation. Ce déplacement tissulaire peut être augmenté en plaçant l’incision horizontale initiale à 2 ou 3 mm en palatin du sommet de la crête. Une dissection muqueuse de palatin en vestibulaire est ensuite réalisée, préservant le périoste et le tissu conjonctif sous-jacent qui peut être manipulé à son tour. Le lambeau vestibulaire de recouvrement est stabilisé par des sutures périostées (Hurzeler et Weng, 1996).
Une greffe épithélio-conjonctive a été préconisée sur une crête édentée présentant une hauteur réduite de muqueuse kératinisée. La réalisation de telles greffes avant la pose d’implants unitaires a montré, pour 8 patients sur 9, une hauteur de muqueuse kératinisée supérieure ou égale à 3 mm lors du placement de l’implant (Barone et al., 1998).
Ces greffes épithélio-conjonctives nécessitent un palais épais pour le site donneur et une stabilisation soigneuse du greffon au périoste. La greffe est stabilisée coronairement avec le tissu kératinisé maintenu au sommet de la crête édentée ou à la muqueuse kératinisée du lambeau lingual récliné. Apicalement, des sutures périostées vont tendre le greffon pour l’adapter au périoste et éviter une contraction de la greffe. Le lambeau muqueux vestibulaire est fixé par des sutures périostées à la base du greffon. Le gain de tissu kératinisé initial est spectaculaire mais la littérature scientifique est surtout faite de rapports de cas (Landi et Sabatucci, 2001).
Le secteur mandibulaire latéral est délicat à traiter car le périoste est lâche. La greffe épithélio-conjonctive peut-être plaquée sur le site receveur par des gouttières s’appuyant sur les piliers implantaires et dans un rapport de 5 cas, à 1 an postopératoire, la hauteur résiduelle moyenne de la greffe était 4,3 mm, ce qui représentait 37 % de la hauteur initiale des greffons (Hassani et al., 2010).
Après reconstruction osseuse d’une crête édentée, des techniques de chirurgie plastique parodontale peuvent être utilisées pour augmenter ou rectifier le volume de la crête et favoriser l’émergence prothétique. Pour les augmentations latérales la technique du rouleau avec retournement sous le lambeau vestibulaire d’un pédicule conjonctif prélevé en palatin ou l’aménagement d’une poche vestibulaire avec insertion d’un greffon conjonctif sont des méthodes performantes. Lorsqu’il s’agit d’obtenir un gain horizontal et vertical, une greffe épithélio-conjonctive d’interposition est en revanche préférée (Prato et al., 2004).
Lorsque la largeur de muqueuse kératinisée est satisfaisante, une incision crestale et des incisions vestibulaires de décharge verticales permettent, par une dissection muco-périostée ou muqueuse, de déplacer apicalement le lambeau avec sa bande de muqueuse kératinisée, l’augmentation du volume vestibulaire étant obtenue par une greffe conjonctive suturée au périoste ou au lambeau vestibulaire qui va la recouvrir totalement. Les variantes sont nombreuses (fig. 91011121314 à 15) et la difficulté technique est d’autant plus grande que l’incision crestale est déportée en palatin avec pour incidence une exposition du palais et du tissu interimplantaire. Une greffe conjonctive peut être utilisée comme pansement biologique en palatin (fig. 16171819202122 à 23) mais les risques de nécrose sont plus élevés. Si le lambeau n’est pas déplacé apicalement, la muqueuse kératinisée en excès vestibulaire sur des piliers de cicatrisation longs va permettre, après une seconde intervention de gingivoplastie, de maintenir des papilles interimplantaires (Tinti et Benfenati, 2002).
L’augmentation de volume vestibulaire est aussi réalisable simplement par une incision crestale, biseautée apicalement sur la face interne du lambeau palatin. Le conjonctif palatin est récliné en muco-périosté avec le lambeau vestibulaire puis retourné sur la face interne du lambeau pour augmenter le volume en regard des émergences implantaires (Barone et al., 1999) et favoriser des papilles interimplantaires (Azzi et al., 1999).
Une libération du lambeau palatin est possible pour compenser un manque de muqueuse kératinisée en lingual des implants. Un lambeau muco-périosté palatin est récliné après avoir placé, sur la surface, deux incisions verticales de décharge jusqu’au contact osseux. Une dissection partielle horizontale de la face interne du lambeau palatin est ensuite réalisée en respectant une épaisseur du lambeau de 2 mm, tandis que sur la face externe, une incision horizontale est placée 3 à 4 mm plus apicalement que la dissection partielle de la face interne. Une dissection « en feuillet » à direction coronaire va permettre de libérer le lambeau palatin (Tinti et Parma-Benfenati, 1995). Il est nécessaire, avec cette technique, d’avoir des tissus mous palatins épais et il y a un risque d’ischémie du lambeau et de nécrose du site d’avancement.
Les techniques actuelles de chirurgie plastique de reconstruction de la muqueuse buccale requièrent souvent le prélèvement de tissu en dehors du site opératoire. Les limites sont la quantité disponible du site donneur mais aussi la vascularisation du greffon. Des techniques d’ingénierie tissulaire qui miment des processus embryologiques et de cicatrisation en impliquant des molécules de signalisation et ou de matrice extracellulaire ont été proposées pour reconstruire la muqueuse buccale. Les efforts se sont focalisés sur l’optimisation des conditions de culture et de matrice afin d’obtenir un épithélium fonctionnel en multicouche avec des cellules qui se différencient. En dehors de l’épithélium, la muqueuse buccale est composée du tissu conjonctif, ce qui incite à l’utilisation de matrices biodégradables qui permettent aussi la colonisation des fibroblastes. Plusieurs types de matrices, de cellules et de conditions de culture ont été testés in vitro et in vivo (Scheller et al., 2009 ; Moharamzadeh et al., 2012).
Le développement de l’ingénierie de la muqueuse buccale est fondé sur l’utilisation de matrices, de facteurs de croissance et/ou de cellules (McGuire et Nunn, 2005). Des matrices dermiques, des facteurs de croissance comme le facteur de croissance dérivé des plaquettes (platelet derived growh factor, PDGF) ou des concentrés plaquettaires (plasma riche en plaquettes et plasma riche en fibrine), ainsi que des cellules cultivées ex vivo font partie des stratégies proposées.
Des matrices dermiques acellulaires, issues d’un prélèvement cutané post-mortem, désépithélialisées et traitées (afin d’éviter la transmission de certaines pathologies ou d’engendrer une réponse de rejet) ont été proposées pour augmenter le tissu lors de l’augmentation verticale. Des résultats encourageants ont été obtenus (Tal et al., 2002).
Les facteurs de croissance jouent aussi un rôle clé dans l’ingénierie tissulaire. D’après les résultats de nombreuses études chez l’animal, le PDGF améliore la cicatrisation des tissus parodontaux. La combinaison rhPDGF-BB-phosphate tricalcique (bêta-TCP) avec une membrane de collagène et un lambeau a été appliquée pour l’augmentation verticale à la fois du tissu osseux et de la muqueuse en chirurgie pré-implantaire (Fagan et al., 2008). Les concentrés plaquettaires (plasma riche en plaquettes, lysat plaquettaire) sont utilisés comme source de facteurs de croissance autologues actifs dans la cicatrisation des tissus mous (Eppley et al., 2006). Ces préparations, en présence de thrombine, forment des gels. Elles assurent ainsi l’hémostase et présentent des propriétés adhésives. Par ailleurs, sous l’effet de la thrombine, des plaquettes, des facteurs de croissance et d’autres substances bioactives libérées jouent un rôle essentiel dans la cicatrisation (Soffer et al., 2003). Ces facteurs agissent sur le chimiotactisme, la prolifération et la différenciation cellulaire et stimulent l’angiogenèse et le métabolisme des fibroblastes. Il a été aussi décrit que le plasma riche en plaquettes diminuait la morbidité mais son bénéfice clinique en chirurgie plastique parodontale reste controversé (Bashutski et Wang, 2008). Il en est de même pour l’apport de plasma riche en fibrine (Aroca et al., 2009). Néanmoins, d’après les résultats d’un essai clinique randomisé récent, le plasma riche en plaquettes améliore la cicatrisation gingivale et peut prévenir l’exposition des mèches en titane. Lorsqu’il est appliqué sur de telles mèches après augmentation osseuse verticale avec de l’os bovin, aucune exposition n’est observée, tandis que le taux d’exposition des mèches est de 29 % pour le groupe contrôle (Torres et al., 2010).
Le troisième axe de l’ingénierie tissulaire de la reconstruction de la muqueuse est fondé sur la transplantation des cellules. Des fibroblastes gingivaux autologues, prélevés lors d’une biopsie et ayant connu une expansion in vitro, ont été injectés au niveau des papilles pour combler l’espace interdentaire. Une nette amélioration a été observée par rapport aux sites qui n’ont pas reçu de transplants (McGuire et Scheyer, 2007).
Il a été aussi rapporté une transplantation des fibroblastes gingivaux autologues ensemencés après leur expansion in vitro sur une matrice d’acide hyaluronique afin de créer de la gencive kératinisée au niveau de 6 sites chez 5 patients (Prato et al., 2003). Des substituts composés de fibroblastes vivants issus de la peau de nouveau-né et cultivés dans des conditions bien définies (HF-DDS, human fibroblast-derived dermal substitute, Dermagraft Advanced Tissue Sciences) sont ensemencés sur des mèches de polyglactine (Vicryl, Ethicon) et cryopréservées. Il a été aussi rapporté dans une étude contrôlée randomisée une augmentation de la gencive kératinisée avec l’utilisation de ces substituts (McGuire et Nunn, 2005). Ces cellules sécréteraient des facteurs qui agissent en synergie et stimulent la colonisation de la plaie, sa vascularisation et sa réépithélialisation (Naughton et al., 1997). L’utilisation de ces substituts a été aussi décrite dans le cas d’approfondissement vestibulaire. Des études supplémentaires sont nécessaires pour établir leur efficacité dans le cadre de la reconstruction de la muqueuse en chirurgie osseuse pré-implantaire.
En implantologie, l’objectif est d’optimiser la pérennité des prothèses implanto-portées sur les plans fonctionnel et esthétique. Les récessions muqueuses péri-implantaires sont multifactorielles, mais on cherche à pouvoir changer le biotype muqueux pour résister aux sollicitations mécaniques et améliorer la prévisibilité du résultat esthétique, du moins dans sa composante tissus mous. L’obtention d’un résultat esthétique satisfaisant est en effet contraignante pour tous les intervenants de la chaîne de traitement. La péri-implantite nous pose aussi un problème et il n’a pas été démontré que l’environnement muqueux n’a aucun rôle sur son évolution.
Cette revue souligne les insuffisances des études sur nos options thérapeutiques. La progression des travaux en ingénierie tissulaire est révélatrice de la demande des praticiens pour des solutions cliniques réduisant le temps et la morbidité des interventions, tout en augmentant la prévisibilité d’une santé péri-implantaire stable à long terme.