Article
Michel JABBOUR* Bahige TOURBAH**
*DSO – PH Responsable Unité d’implantologie chirurgie et pathologie buccale Service d’ORL et de chirurgie cervico-maxillo-faciale, CHU de Bicêtre Responsable du DU de chirurgie pré-implantaire, Paris-XI Exercice exclusif en chirurgie implantologie (Paris)
**DCD – AH Service d’ORL et de chirurgie cervico-maxillo-faciale, CHU de Bicêtre Exercice privé exclusif en chirurgie orale
Les augmentations osseuses pré-implantaires ont permis de repousser les limites imposées par un volume osseux réduit. Désormais, ces techniques font partie intégrante du plan de traitement implantaire. Cependant, elles présentent toutes un risque d’incidents, de complications ou d’échecs. la gestion préopératoire, peropératoire ou postopératoire ne peut être dissociée de l’acte chirurgical lui-même. Le praticien chirurgien doit être formé et prêt à y faire face. Cet article retrace les complications les plus fréquentes en rapport avec les prélèvements autogènes, les comblements sinusiens, les augmentations osseuses et l’utilisation des blocs osseux allogéniques.
Bone volume augmentations allowed to use implants even on a reduced bone volume. These techniques are nowadays part of the implant treatment planning. However, they all include a risk of incidents, complications or failures. Preoperative, peroperative or postsurgical treatments can be dissociated of the surgical act no more. The clinician must be taught about and ready to face it. This article deals with the most frequent complications occurring in autogenous takings, sinusfloor augmentations, bone augmentations and the use of allogenous bone blocks.
Les limites dues à un volume osseux crestal insuffisant aussi bien en hauteur qu’en épaisseur ont été repoussées grâce aux augmentations osseuses pré-implantaires qui font désormais partie intégrante du plan de traitement implantaire. Il est vrai que l’os autogène a prouvé sa supériorité et sa reproductibilité ; néanmoins, son utilisation nécessite systématiquement un autre site chirurgical, intra-oral ou extra-oral, avec une morbidité plus ou moins importante. L’exposition ou la résorption partielle ou totale sont des complications relativement rares mais doivent être longuement expliquées au patient avant la chirurgie (Antoun et al., 2001).
Par ailleurs, l’utilisation des blocs allogéniques dans certains types de reconstructions, bien qu’elle soit aujourd’hui admise et établie, n’en reste pas moins très délicate et le risque d’infection et d’exposition demeure relativement élevé (Bahat et Fontanessi, 2001a).
Quant au rehaussement du plancher sinusien, bien qu’il soit un acte codifié, il comporte lui aussi des risques de complications et d’échec qui peuvent être parfois très sévères (Schwartz-Arad et al., 2004).
Le but de cet article est de définir, de prévenir et éventuellement de traiter les complications engendrées par ces greffes.
Le tabac constitue une contre– indication absolue aux augmentations osseuses horizontales et verticales.
La fumée du tabac réduit la vascularisation et affecte négativement la cicatrisation, provoquant des déhiscences tissulaires et une exposition de la greffe (Bahat et Fontanessi, 2001b). En revanche, le tabac ne semble pas jouer un rôle négatif sur la réussite du comblement sinusien (Levin et al., 2004).
La chirurgie pré-implantaire nécessite une prescription soigneuse et anticipée. En effet, ces interventions chirurgicales de longue durée et impressionnantes pour le patient sont à l’origine de stress et d’anxiété pouvant nuire à leur bon déroulement, particulièrement sous anesthésie locale. Ces manifestations d’anxiété peuvent être diminuées par la prescription d’anxiolytiques tels que l’hydroxyzine 100 mg (Atarax®) ou le diazépam 10 mg (Valium®), à commencer la veille puis 1 heure avant l’intervention. Le praticien doit impérativement prévenir le patient qu’il devra être accompagné.
Pour les interventions longues et fastidieuses, le recours à une sédation vigile est pleinement justifié.
La douleur postopératoire est classée de modérée à intense et peut être prévenue par la prescription de paracétamol et codéine (1 g/60 mg par prise) ou de tramadol (100 mg par prise) toutes les 6 heures pendant 48 heures. Les antalgiques doivent être administrés immédiatement après la chirurgie pour relayer la fin de l’action de l’anesthésie locale.
L’apparition d’un œdème postopératoire dû à l’extravasation postchirurgicale est très fréquente, voire systématique lors de ces chirurgies, les ecchymoses parfois très inesthétiques (fig. 1) restent une vraie préoccupation pour le patient qui doit en être informé à l’avance. Par conséquent, un anti-inflammatoire stéroïdien comme la prednisolone (1 mg/kg/j) peut être prescrit et être administré au minimum 4 heures avant l’intervention. Il est recommandé de commencer le matin de la veille de l’intervention et de continuer le matin pendant 4 jours. L’application d’une pochette de froid immédiatement après la chirurgie et pendant les 12 heures qui suivent contribue à diminuer considérablement l’œdème (Greenstein, 2007).
Un hématome (fig. 2) peut compliquer la phase postopératoire, il est alors fortement recommandé de prolonger l’antibiothérapie de 4 à 5 jours.
La prévention du risque infectieux se fait par une antibiothérapie à base d’amoxicilline (3 g/j) ou 600 mg/j de clindamycine en cas d’allergie à la pénicilline. Elle est commencée 1 heure avant l’intervention et continuée pendant 5 jours (Esposito et al., 2003).
Les sites de prélèvements intra-oraux symphysaire et rétromolaire sont utilisés en chirurgie pré-implantaire quand le volume osseux à reconstruire est généralement de 1 à 3 dents. Cette notion est importante car un manque de matériel osseux conduit immanquablement à une reconstruction non adéquate et insuffisante.
La grande majorité des interventions sont réalisées sous anesthésie locale avec prémédication. La durée de la chirurgie ne devrait pas dépasser 2 heures. Pour les reconstructions complexes, une sédation intraveineuse pratiquée par un médecin anesthésiste procure un grand confort de travail pour le chirurgien et un silence opératoire plus long tout en diminuant sensiblement les doses anesthésiques. Un patient présentant une sensibilité en fin de chirurgie fait précipiter la fermeture du site, étape essentielle pour la réussite de la greffe.
Les complications dépendent directement de la localisation du site donneur.
Un scanner préopératoire permettant de visualiser le trajet du nerf alvéolaire inférieur ainsi qu’une technique de prélèvement osseux appropriée diminuent considérablement le risque de lésion de ce nerf. Une fracture et une luxation guidée du fragment permettent d’éviter la lésion du pédicule alvéolaire inférieur. L’utilisation des disques diamantés avec des écarteurs appropriés protège le lambeau vestibulaire et les éléments environnants qui sont respectivement le périoste, le muscle masséter et l’artère faciale (fig. 3). Une section de cette artère peut se révéler très problématique, l’hémorragie étant très difficile à maîtriser. Les suites opératoires sont en général simples (Nkenke et al., 2002).
L’accès chirurgical est plus aisé et le volume prélevé est légèrement plus important. Une section osseuse supérieure trop proche des racines dentaires provoque une lésion du paquet vasculo-nerveux et la mortification des dents antérieures. Une lésion du nerf mentonnier par compression, écrasement, étirement ou section peut mener à des paresthésies temporaires ou définitives de la région labio-mentonnière (Bahat et Fontanessi, 2001b). Le nerf incisif (fig. 4) est souvent exposé après le décollement du bloc osseux, sa lésion peut provoquer des mortifications ou des paresthésies dentaires se manifestant par une sensibilité des dents (Bahat et Fontanessi, 2001b).
Une lésion de l’artère sublinguale provoque un hématome du plancher de la bouche et une obstruction des voies respiratoires supérieures engageant un risque vital pour le patient (Del Castillo-Pardo de Vera et al., 2008 ; Givol, 2000).
La fermeture hermétique des tissus mous est un facteur clé pour une cicatrisation optimale. Des sutures en deux plans sont fortement recommandées. Les sutures du plan profond seront réalisées avec un matériau résorbable.
En postopératoire, la déhiscence avec ou sans nécrose de la plaie est une complication souvent observée au niveau du site donneur symphysaire. Elle est très souvent due à une mauvaise fermeture du site. Selon les auteurs, la prévalence d’une déhiscence de la plaie peut varier de 2,5 à 10 % (Bahat et Fontanessi, 2001a, 2001b). La déhiscence est traitée par une désinfection à la chlorhexidine sous forme de gel ou en bain de bouche et une antibiothérapie. Une surinfection du site peut conduire à un abcès mentonnier et à une cicatrice fibreuse (fig. 5).
Les troubles neurosensitifs au niveau des incisives mandibulaires, du menton sont fréquents. Ces paresthésies peuvent être temporaires (6 mois) (Misch, 1997) ou définitives.
Les fourmillements des incisives mandibulaires atteignent de 7 à 29 % (Misch, 1997) des patients selon les auteurs. Il est fortement recommandé de respecter une distance de sécurité de 5 mm par rapport aux éléments anatomiques adjacents (racines dentaires, foramen mentonnier et bord basal de la mandibule) (fig. 6).
Un scanner préopératoire permet de visualiser les éléments anatomiques (artère alvéolo-antrale, septa osseux, etc.) qui risquent de compliquer la chirurgie, de diagnostiquer et éventuellement de traiter des pathologies intrasinusiennes (aspergillose, kyste) (fig. 7 et 8) qui peuvent compromettre sérieusement la réussite de la greffe (Jensen et al., 1998).
Les complications sont relativement rares mais elles peuvent affecter le pronostic du traitement (Tarnow et al., 2000).
La lésion pendant l’ostéotomie de l’artère alvéolo-antrale, dont le diamètre peut dépasser parfois les 2 mm, provoque un saignement peropératoire altérant la visibilité du site opératoire et augmentant le risque de perforation de la muqueuse de Schneider (Lee, 2010).
Cette artère est visible sur les reconstructions coronales obliques du scanner lorsque son trajet est intra-osseux ; on peut alors l’éviter ou la contourner lors de l’ostéotomie (fig. 9).
Par ailleurs, il faut éviter les incisions de décharge hautes très postérieures afin de ne pas sectionner les rameaux muco-gingivaux de l’artère alvéolaire postéro-supérieure.
La muqueuse sinusienne, appelée aussi membrane de Schneider, est composée d’un périoste recouvert d’un épithélium respiratoire muco-ciliaire. Elle est extrêmement fine et donc facile à déchirer.
D’après les auteurs, les perforations surviennent dans 10 à 35 % des cas de greffe sinusienne (Pikos, 1999).
Les petites perforations seront naturellement refermées par un décollement large de la membrane qui se replie alors sur elle-même et obstrue cette perforation. On la protège par l’application d’une bande en collagène fortement adhérente (Collatape® ou Pangen) (fig. 10 et 11). Les perforations plus larges peuvent être suturées par un fil résorbable (Vicryl® rapide 6/0) (fig. 12 et 13). Cela nécessite une bonne visibilité et une grande dextérité. Cette manipulation reste extrêmement difficile dans la majorité des cas.
Si la fermeture de la déchirure s’avère impossible, il faudra arrêter l’intervention, isoler le sinus et le lambeau muco-périosté par une membrane en collagène et reporter la greffe d’au moins 3 mois.
Les septa intrasinusiens sont fréquents et sont visibles sur le scanner. Si le septum est dans le sens vestibulo-palatin il est préférable de réaliser deux fenêtres d’ostéotomie distinctes (fig. 14). Quand le septum ne peut être évité, le décollement est plus délicat et le risque de déchirure de la membrane est plus élevé (fig. 15) (Pikos, 1999).
La perméabilité de l’ostium sinuso-nasal doit être impérativement vérifiée sur les coupes frontales du scanner. En cas de doute, l’avis d’un ORL est indispensable. Une perméabilité réduite aboutit souvent à un hémosinus (fig. 16) qui peut mettre plusieurs jours à se résorber. Mais son obstruction altère le drainage postopératoire, ce qui peut provoquer une sinusite aiguë qu’il faudra souvent drainer par une méatotomie moyenne (Pommer et al., 2012).
La sinusite aiguë infectieuse avec suppuration (fig. 17) est en général due soit à une faute d’asepsie, soit à un sinus déjà infecté ou à un foyer infectieux dentaire aigu ou chronique qui n’a pas été éradiqué avant la chirurgie. Elle peut aussi être provoquée par un dépassement du matériau de greffe (fig. 18) soit pendant la chirurgie, soit immédiatement après, par suite d’une perforation secondaire de la membrane de Schneider insuffisamment décollée ou devenue fragile après la chirurgie. Dans tous ces cas de figure, une révision sinusienne est souvent nécessaire, accompagnée d’une couverture antibiotique et d’une élimination du foyer infectieux dentaire ou du matériau de greffe.
Si l’infection provoque une communication bucco-sinusienne, un délai d’attente de 2 à 3 mois est alors nécessaire avant d’envisager sa fermeture par une technique appropriée (fig. 1920 à 21).
Les sinus ayant déjà subi des interventions ou des communications bucco-sinusiennes présentent une membrane cicatricielle qui complique fortement leur décollement à cause des adhérences et de la fusion de celle-ci avec la muqueuse buccale. Par ailleurs, la reconstruction latérale ou en 3D du site vient compliquer et allonger la durée de l’intervention (fig. 22 et 23).
Les tissus mous doivent être évalués préalablement à la chirurgie. Il ne faut pas hésiter à augmenter la hauteur de gencive attachée par une greffe épithélio-conjonctive au moins 6 semaines avant la greffe. Celle-ci permet d’approfondir le vestibule, d’éliminer les brides cicatricielles et, surtout, d’éloigner les insertions musculaires (fig. 24).
Si le site receveur est spongieux, peu dense ou de très faible épaisseur, la fixation du greffon peut s’avérer difficile et l’utilisation, si la construction osseuse le permet, des vis d’ostéosynthèse de large diamètre (1,6 mm) peut se révéler indispensable. La mobilité du greffon provoque une pseudarthrose et un clivage du greffon au moment de la pose des implants.
Dans les reconstructions en 3D, une fixation stable du greffon palatin est indispensable pour la réussite de ce type de greffe (fig. 25).
La fermeture passive du site est la condition primordiale pour une réussite de la greffe. Cette fermeture sans tension est possible grâce aux incisions de décharge périostées et à la dissection des tissus mous. Cette dissection est particulièrement risquée au niveau du secteur prémolaire mandibulaire car les branches du nerf mentonnier cheminent immédiatement sous le périoste (fig. 26).
La déhiscence tissulaire (fig. 2728 à 29), avec ou sans nécrose du lambeau notamment palatin (fig. 30), est la complication la plus fréquente dans ce type de greffe (Khoury et Happe, 2000 ; Bahat et Fontanessi, 2001a), notamment dans les augmentations en 3D (fig. 31). Elle est due à une altération vasculaire causée par une mauvaise planification, un lambeau étroit ou un traumatisme chirurgical. Le tabagisme est un facteur aggravant (Levin et al., 2004). Le port d’un appareil amovible est proscrit pendant toute la période de cicatrisation gingivale primaire qui dure en général de 10 à 15 jours (Verhoeven et al., 2000).
Le traitement des expositions des sites greffés est compliqué et le pronostic demeure réservé. Tenter de suturer peut élargir la surface exposée et entraîner des nécroses étendues du lambeau. Il est conseillé alors de désinfecter la plaie à la chlorhexidine jusqu’à la maturation des tissus mous. Le patient doit être étroitement surveillé et, en l’absence d’une suppuration, une réévaluation de la situation est faite régulièrement pour décider du maintien ou non du greffon. Si l’exposition persiste et qu’aucun recouvrement n’est possible, le greffon est alors déposé. La surinfection du site greffé et du greffon peut conduire à un échec total de l’intervention (Verhoeven et al., 2000).
Pendant le processus de cicatrisation, une diminution du volume greffé est un signe du remodelage osseux. Les vis d’ostéosynthèse peuvent alors émerger des tissus mous (fig. 32). Le plus souvent, ces vis sont bien tolérées et ne provoquent pas d’inflammation du complexe muco-gingival. Elles peuvent être déposées dans les phases terminales de la cicatrisation.
L’interposition du tissu mou entre le greffon et le site receveur (Bahat et Fontanessi, 2001a ; Schwartz-Arad et al., 2004) conduit à un échec partiel ou total de la greffe et la pose des implants pourrait être fortement compromise. Quel que soit le type de greffe, tous les interstices doivent être remplis par des particules osseuses afin d’empêcher la migration des tissus mous. Si la muqueuse est de bonne qualité, une nouvelle greffe peut être tentée.
La résorption est mise en évidence par l’apparition précoce des têtes de vis. Elle est fréquente avec l’os autogène et peut avoisiner les 25 % du volume initial (Verhoeven et al., 2000) (fig. 33 et 34).
Les augmentations osseuses avec des blocs allogéniques obéissent aux mêmes règles générales que l’os autogène. Mais leur utilisation est plus délicate (Petrungaro et Amar, 2005 ; Keith, 2004) et les risques de surinfection et d’exposition sont plus élevés (fig. 35). Il est impératif que le chirurgien respecte une technique chirurgicale méticuleuse et un protocole opératoire précis (Keith, 2004).
Malgré leur coût très élevé, les blocs osseux allogéniques offrent néanmoins des avantages indéniables car, outre le fait d’écarter le prélèvement extra-oral, leur forme et surtout leur épaisseur facilitent sensiblement l’acte chirurgical.
Les résultats à court terme ont montré un taux relativement élevé de réussite mais de nombreuses études cliniques et histologiques sont encore nécessaires pour établir leur prédictibilité.
Les augmentations osseuses pré-implantaires peuvent provoquer des complications sévères qui sont très mal perçues à la fois par le patient et le praticien. Une communication et une explication claire et compréhensible par le patient sont indispensables et un consentement éclairé doit être impérativement signé.
Le plan de traitement et le protocole chirurgical doivent être mûrement réfléchis. Un examen clinique et radiologique approfondi des sites donneurs et receveurs est réalisé avant la date de la chirurgie. Une attention particulière doit être portée à la qualité des tissus mous. En cas de surinfection et d’exposition du greffon, il est préférable de déposer ce dernier rapidement et de soulager le patient dans les meilleurs délais.