Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 02 du 01/05/2012

 

Article

Aurélie SOUFFEZ*   Loïc CALVO**   Christophe LAFFORGUE***   Jean-François DUFFORT****   Pierre BARTHET*****   Gérard BRUNEL******  


*AHU, sous-section de parodontologie – UFR d’odontologie, Université Paul Sabatier Toulouse III
**AHU, sous-section de parodontologie – UFR d’odontologie, Université Paul Sabatier Toulouse III
***AHU, sous-section de parodontologie – UFR d’odontologie, Université Paul Sabatier Toulouse III
****MCU, sous-section de parodontologie
*****MCU, sous-section de parodontologie – UFR d’odontologie, Université Paul Sabatier Toulouse III
******PU, sous-section de parodontologie – UFR d’odontologie, Université Paul Sabatier Toulouse III

Résumé

Le tabagisme, cause importante de mortalité évitable dans le monde, a des effets désastreux sur l’état de santé général et de nombreuses répercussions sur la pathologie de la cavité buccale. Entre autres, il constitue l’un des principaux facteurs de risque de maladies parodontales. Par conséquent, le dentiste a un rôle primordial à jouer dans la lutte antitabac. Cette étude a pour but d’évaluer l’implication des chirurgiens-dentistes dans la prise en charge de leurs patients fumeurs. Cent un dentistes de l’agglomération toulousaine ont répondu à un questionnaire. La majorité des praticiens identifient les patients fumeurs et les informent des risques liés à la consommation de tabac, mais très peu proposent un suivi lors du sevrage ou orientent systématiquement leurs patients vers un professionnel compétent. Le manque de temps et le manque de connaissances sont là pour expliquer cette insuffisance d’implication. Des mesures sont à prendre pour que les chirurgiens-dentistes puissent se placer en tant qu’acteurs dans ce combat contre le tabagisme.

Summary

Smoking, an avoidable worldwide mortality cause, has disastrous effects and consequences both on general and oral health. Among them, smoking is one of the major risk factors in periodontal diseases. Consequently dental surgeons have a key role to play in the anti-smoking fight. The aim of this study was to evaluate the implication of dental surgeons in taking care of smoking patients. One hundred and one dentists from the Toulouse area answered a questionnaire. The majority of practitioners identifies smoking patients and informs them on the risks associated with smoking. However, very few of them offer a follow-up during detoxification or orient them to another professional. Lack of time and knowledge seem to be the major reasons for this. Measures should be taken in order to include dental surgeons in the fight against smoking.

Key words

Tobacco, tobacco cessation, dentist practice patterns

Introduction

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé de 2009 (OMS, 2009), le tabagisme tue plus de 5 millions de personnes dans le monde.

Le tabac augmente le risque de cancer du poumon, de la vessie et, en association avec l’alcool, ceux des voies aéro-digestives supérieures. Il intervient en tant que facteur de risque des maladies cardio-vasculaires et respiratoires (Martinet et Bohadana, 2004). À côté de ses effets sur la santé générale, il provoque des colorations des dents et de leurs traitements conservateurs (Lequart et Wemaere, 2008). Il a des effets délétères sur les muqueuses buccales (Gauzeran, 2008), entraînant des kératoses, lésions à risque de transformation maligne, et altère la cicatrisation après extraction dentaire (Walsh et al., 2007). Il constitue également l’un des principaux facteurs de risque dans le développement des cancers buccaux (Barthélémy et al., 2005) et des maladies parodontales. Il augmente la prévalence et la sévérité de l’atteinte parodontale (Martinez-Canut et al., 1995) : les fumeurs présentent un niveau d’inflammation gingivale plus faible (Haffajee et Socransky, 2001 ; Muller et al., 2002), une perte d’attache clinique plus importante (Axelsson et al., 1998 ; Grossi et al., 1994 ; Hyman et Reid, 2003), une perte d’os alvéolaire accrue (Grossi et al., 1995), un plus grand nombre de poches profondes (Grossi et al., 1994) et un nombre plus élevé de dents absentes (Axelsson et al., 1998 ; Grossi et al., 1994) que les non-fumeurs. Ils répondent aussi moins favorablement aux traitements parodontaux et implantaires que les non-fumeurs (Johnson et Slach, 2001 ; Michel et al., 2004). La sévérité de l’atteinte serait corrélée à l’importance de l’intoxication tabagique (Grossi et al., 1994, 1995) et l’arrêt du tabac semblerait favorable à l’amélioration de la santé parodontale (Bergström et al., 2000 ; Brothwell, 2001).

Les dentistes ont un rôle primordial à jouer dans la prise en charge des patients fumeurs puisque le tabac a des effets directs sur le déclenchement et l’évolution de pathologies bucco-dentaires. Ils ont de nombreuses occasions pour aborder le problème de la consommation tabagique avec leurs patients lors des visites régulières, en raison des conséquences visibles du tabac au niveau de la cavité buccale (Gordon et al., 2009). Ils ont également aujourd’hui la possibilité de prescrire des substituts nicotiniques et d’aider activement leurs patients fumeurs.

Malheureusement, les dentistes sont, pour la plupart, peu impliqués dans l’aide au sevrage tabagique (Pizzo et al., 2010). Comme le concluent une revue de la littérature médicale (Warnakulasuriya, 2002) ainsi que des études menées aux États-Unis (Dolan et al., 1997 ; Hu et al., 2006), au Royaume-Uni (Warnakulasuriya, 1999), en Australie (Clover et al., 1999), en Inde (Chandrashekar et al., 2011) ou encore en Suède (Helgason et al., 2003), même si la plupart des dentistes demandent à leurs patients s’ils fument, seule une minorité d’entre eux offrent un conseil et un soutien au sevrage (Martinelli et al., 2008).

Le but de cette étude est d’évaluer l’implication de chirurgiens-dentistes dans la prise en charge de leurs patients fumeurs à partir d’une enquête menée auprès des praticiens de la région toulousaine.

Matériel et méthodes

Des questionnaires ont été distribués au cours des mois de novembre et décembre 2010 à 117 dentistes choisis au hasard dans les Pages jaunes et exerçant dans un cabinet situé au sein de l’agglomération toulousaine.

Le questionnaire comprenait 24 questions organisées en différentes rubriques :

– informations générales relatives aux praticiens (sexe, année d’obtention de leur diplôme, statut tabagique…) ;

– connaissances du praticien (effets du tabac, sevrage tabagique) et de sa pratique clinique ;

– prise en charge des patients fumeurs (intervention minimale, information, traitement, aide au patient et orientation du patient) ;

– causes du manque d’information et de prise en charge de ces patients par les dentistes.

Les réponses aux questionnaires ont été saisies dans le logiciel informatique Epi Info 3.5.2 puis l’analyse a été menée sur Excel 2007.

Les résultats ont d’abord fait l’objet d’une analyse descriptive. Une analyse statistique croisée par le test du chi carré a ensuite été réalisée pour détecter d’éventuelles différences associées à l’activité du praticien, à la localisation de son exercice ou encore à l’ancienneté de sa pratique.

L’effectif des dentistes fumeurs étant trop limité, il n’a pas été possible de faire d’analyse statistique fondée sur le statut tabagique des praticiens.

Résultats

Taux de retour des questionnaires

Sur 117 questionnaires distribués, 101 ont été remplis. Le taux de retour a donc été de 86,32 %.

Informations générales

Comme l’indique le tableau 1, sur l’ensemble des chirurgiens-dentistes ayant répondu au questionnaire :

– 55,45 % étaient des hommes et 44,55 % des femmes ;

– 31 % étaient diplômés depuis 10 ans ou moins, 24 % depuis 10 à 20 ans, 30 % depuis 20 à 30 ans et 15 % depuis plus de 30 ans ;

– 78,22 % avaient leur cabinet situé dans une ville de moins de 20 000 habitants, 18,81 % dans une ville de 20 000 à 50 000 habitants et 2,97 % dans une ville de plus de 100 000 habitants.

Les résultats montrent que 100 % des praticiens interrogés faisaient de l’omnipratique, 22,77 % avaient en plus une orientation vers la parodontologie, 7,92 % vers l’endodontie, 4,95 % vers la pédodontie, 21,78 % vers l’implantologie et 7,92 % vers la chirurgie.

Concernant leur statut tabagique 9,9 % des praticiens interrogés étaient fumeurs, 64,36 % non fumeurs et 25,74 % anciens fumeurs.

Niveau de connaissances des praticiens

Sur l’ensemble des praticiens, 58,42 % estimaient que leurs connaissances sur les effets du tabac étaient satisfaisantes ; mais ils étaient 81,19 % à estimer que leurs connaissances sur le sevrage tabagique étaient à améliorer.

Pratique clinique parodontale

Concernant l’examen parodontal, 82,18 % des dentistes réalisaient un bilan de sondage et 95,05 % un bilan radiologique.

Du point de vue thérapeutique, ils étaient 97,03 % à avoir un abord non chirurgical et 35,64 % à recourir à la chirurgie alors que 65,35 % d’entre eux adressaient leurs patients à un parodontiste.

Parmi les praticiens ayant répondu au questionnaire, aucun ne considérait l’arrêt du tabac dans le traitement des maladies parodontales comme peu ou pas important ; au contraire, 56,44 % le considéraient comme indispensable et 43,56 % le considéraient comme important.

Prise en charge des patients fumeurs

En ce qui concerne l’intervention minimale, 67,33 % des dentistes demandaient tout le temps à leurs patients s’ils fumaient, seulement 35,64 % demandaient s’ils souhaitaient arrêter et 60,40 % leur conseillaient l’arrêt. Alors que ces pourcentages ne variaient pas de façon significative en fonction de l’implantation du cabinet ou de l’année d’obtention du diplôme, ils variaient en fonction de l’activité du praticien (tableau 2). Ceux dont l’activité était orientée vers la parodontie et/ou l’implantologie étaient significativement plus nombreux (87,88 %) à demander tout le temps au patient s’il fumait par rapport à ceux qui ne pratiquaient ni parodontie ni implantologie (57,35 % ; p < 0,05). Ils étaient aussi plus nombreux (75,76 %) à conseiller à leurs patients d’arrêter de fumer par rapport à leurs confrères (52,97 % ; p < 0,05).

S’agissant de l’information aux patients, 58,42 % des dentistes informaient des effets du tabac sur la santé bucco-dentaire de façon systématique alors que seuls 45,54 % informaient des bénéfices de l’arrêt. Ni l’activité du praticien, ni la localisation de son cabinet, ni l’année d’obtention de son diplôme n’avaient d’influence sur ces pourcentages (tableau 2).

Seulement 25 % des dentistes interrogés proposaient systématiquement un sevrage temporaire lors de la réalisation d’actes chirurgicaux et 38 % n’en proposaient jamais ; 80,20 % des dentistes ne conseillaient jamais à leur patient de suivi ni de soutien alors que seulement 1,98 % en proposaient tout le temps. Pour les substituts nicotiniques, aucun n’en prescrivait systématiquement et 94,06 % n’en prescrivaient jamais. L’aide au sevrage par le dentiste ne variait pas en fonction de l’activité du praticien, de la localisation du cabinet ou de l’ancienneté de son exercice (tableau 2).

Ils étaient 7,92 % à orienter leurs patients vers un médecin généraliste, 5 % vers un tabacologue et 3 % vers un programme d’aide spécialisée. À l’opposé, ils étaient respectivement 45,54 %, 64 % et 81 % à ne jamais orienter vers un médecin généraliste, un tabacologue ou un programme spécialisé. Le pourcentage de dentistes dirigeant leurs patients vers un tabacologue variait en fonction de l’orientation de l’activité du praticien. Ainsi, les dentistes qui ne pratiquaient ni la parodontie ni l’implantologie étaient 25 % à orienter parfois leurs patients vers un tabacologue mais 43,75 % le faisaient quand ils pratiquaient ces disciplines (p < 0,05). La localisation du cabinet et l’ancienneté d’obtention du diplôme n’avaient pas d’influence sur l’orientation des patients vers un médecin généraliste, un tabacologue ou un programme d’aide spécialisée (tableau 2).

Obstacles au manque d’information et d’aide aux patients fumeurs

Sur l’ensemble des praticiens consultés, 50,5 % estimaient que le manque de connaissance sur les effets du tabac et sur le sevrage tabagique pouvait constituer un obstacle et, pour 69,31 %, le manque de temps était un frein à l’information. Ils étaient 32,67 % à considérer que dispenser cette information n’entrait pas dans leur rôle. Seuls 4,95 % pensaient que la peur de vexer ou de perdre un patient pouvait être une des raisons à mettre en avant pour ne pas les informer. Enfin, 44,55 % considéraient qu’ils n’étaient pas capables de délivrer de telles informations à leurs patients fumeurs. Comme le montre le tableau 3, le pourcentage de dentistes considérant le manque de temps comme une barrière variait en fonction de la localisation du cabinet. Les praticiens dont le cabinet se situait dans une ville de plus de 20 000 habitants (86,36 %) étaient en effet statistiquement plus nombreux à considérer le manque de temps comme un problème par rapport à ceux installés dans une ville de moins de 20 000 habitants (64,56 % ; p < 0,05). L’activité du praticien et l’année d’obtention du diplôme n’influençaient pas de façon significative les résultats.

Perspectives

Lorsque les dentistes étaient interrogés sur la mise en place dans le cursus universitaire d’un enseignement plus important sur le tabac et la prise en charge des patients fumeurs, 78,79 % des 99 dentistes ayant répondu à cette question considéraient que cette mesure pourrait être intéressante alors que 21,21 % pensaient le contraire.

Discussion

Si les professionnels de l’odontologie instauraient une évaluation et des interventions de sevrage tabagique au sein de leur pratique, ils pourraient avoir un impact important sur l’arrêt de la consommation (Dolan et al., 1997 ; Gordon et al., 2009). Malheureusement les résultats de notre étude montrent que même si la plupart des dentistes se renseignent sur le statut tabagique de leurs patients, ni l’aide au sevrage ni même l’orientation du patient vers un autre professionnel de santé ne font partie de leur préoccupation quotidienne et des obstacles à cette prise en charge sont mis en avant.

Intervention minimale

L’identification systématique des fumeurs est essentielle (Dolan et al., 1997) et nos résultats montrent que les chirurgiens-dentistes en sont conscients. Ils sont 68 % à rechercher systématiquement le statut taba­gique et seuls 3 % ne le font jamais. Par ailleurs, 35,64 % s’informent méthodiquement sur le désir d’arrêter de fumer de leurs patients, 48,51 % parfois et 16 % ne le font jamais. Seuls 60,40 % des dentistes conseillent automatiquement d’arrêter de fumer alors qu’ils sont 86,14 % à considérer que cela fait partie de leur responsabilité. Il y a donc une contradiction entre les opinions et la pratique.

L’analyse de la littérature médicale montre des résultats variables en fonction des pays et de l’année de publication des études. En effet, d’après les résultats d’un questionnaire recueilli en 2003-2004 dans l’est du Texas (Hu et al., 2006), la moitié des praticiens s’informent systématiquement du statut tabagique de leurs patients, environ 23 % ne leur demandent jamais s’ils sont prêts à arrêter et les deux tiers d’entre eux conseillent l’arrêt. En 1997, aux États-Unis, Dolan rapporte que 33 % des omnipraticiens questionnent la plupart de leurs patients sur leur consommation de tabac et que 65 % leur suggèrent de la stopper (Dolan et al., 1997). L’auteur met en évidence une différence majeure en fonction de l’activité du praticien puisque ces pourcentages augmentent à 71 et 75 % respectivement pour les parodontistes. En Australie, Clover a adressé un questionnaire à 95 dentistes membres de l’ADA (Australian Dental Association) et il a noté une participation moindre des dentistes par rapport à celle de notre étude avec 40 % de praticiens ne questionnant jamais leurs patients sur leur envie d’arrêter et 36 % ne préconisant jamais l’arrêt comparé aux 7 % de notre enquête (Clover et al., 1999). Enfin en Inde, les dentistes apparaissent comme étant peu impliqués dans l’intervention minimale puisqu’ils ne sont que 37 % à se renseigner sur les habitudes tabagiques de leur patient (Chandrashekar et al., 2011).

Dans cette étude, l’analyse statistique a permis de mettre en évidence une influence de l’orientation du praticien sur l’identification des patients fumeurs, d’une part, et sur le conseil à l’arrêt, d’autre part. L’association majeure entre l’altération du parodonte et la consommation tabagique ainsi que la récurrence des formations proposées aux parodontistes et aux implantologistes insistant sur l’importance de la prise en charge des habitudes tabagiques peuvent expliquer l’implication plus importante de ces praticiens. La participation moindre des pédodontistes s’explique évidemment par l’âge de leurs patients. Pour les autres qui sont omnipraticiens, les résultats révèlent qu’ils ne se soucient pas assez des effets néfastes du tabac ; même s’ils sont concernés par l’état de santé bucco-dentaire en général, les effets néfastes du tabac sont moins marqués sur les pathologies endodontiques, occlusales ou prothétiques qu’ils ne le sont sur le parodonte.

Les retours positifs vis-à-vis de l’intervention minimale peuvent s’expliquer par le fait que cette étape peut facilement s’intégrer dans une consultation au niveau du questionnaire médical.

Information

L’information au patient est un devoir que doit remplir tout professionnel de santé. Elle est primordiale pour déclencher une prise de conscience chez les patients fumeurs.

Les praticiens ne sont pourtant que 58,42 % à informer de façon systématique leur patient sur les effets du tabac sur la cavité buccale et 45,54 % sur les bénéfices de l’arrêt. Heureusement, ils ne sont respectivement que 2 et 4 % à ne jamais délivrer d’information sur ces deux éléments. C’est d’autant plus surprenant qu’ils affirment quasiment tous que l’information concernant les risques de la consommation de tabac sur l’état de santé bucco-dentaire relève de la responsabilité du dentiste. Alors pourquoi un tel décalage ?

L’explication réside peut-être dans le fait que près du quart des chirurgiens-dentistes considèrent que leurs explications n’ont pas de conséquence sur la motivation du patient vers une tentative d’arrêt alors que des études indiquent le contraire. Il a en effet été suggéré que les chirurgiens-dentistes qui proposent des programmes efficaces de sevrage tabagique dans leur pratique peuvent espérer atteindre un taux d’arrêt de 10 à 15 % par an auprès de leurs patients, ce qui est comparable aux taux obtenus par les médecins généralistes (Warnakulasuriya, 2002). Une revue de la littérature médicale (Gordon et al., 2006) révèle également l’efficacité du conseil contre le tabac délivré à des patients atteints de maladies parodontales au sein de cliniques dentaires au Royaume-Uni. En 6 mois, ceux qui ont bénéficié d’une intervention présentent un taux d’abstinence de 13,3 % par rapport à un taux de 5,3 % pour le groupe contrôle. Le chirurgien-dentiste peut donc avoir une réelle efficacité sur l’arrêt de la consommation tabagique de ses patients.

Concernant l’information délivrée aux patients, l’étude de Hu aux États-Unis présente des pourcentages similaires à ceux de cette enquête avec 55 % des praticiens qui abordent les risques du tabac sur la santé et 47,5 % qui soulignent les bénéfices de l’arrêt (Hu et al., 2006). En Australie, seulement 40 % des dentistes informent plus de la moitié de leurs patients sur les effets au niveau de la cavité buccale (Clover et al., 1999).

Traitement et aide aux patients

Des études révèlent que le chirurgien-dentiste peut être utile dans le sevrage et avoir autant d’impact que d’autres professionnels de santé (Hu et al., 2006 ; Warnakulasuriya, 2002). Malheureusement, les résultats montrent que la grande majorité des praticiens (80,20 %) estiment que la prise en charge des patients souhaitant arrêter de fumer ne fait pas partie de leur mission de santé. Cela est en adéquation avec leur pratique car 80,20 % ne proposent jamais de soutien et de suivi pour aider leurs patients lors d’une tentative d’arrêt.

Le fait que le chirurgien-dentiste soit peu impliqué dans les interventions de sevrage a déjà été exposé dans la littérature médicale. En Inde, aucun des praticiens interrogés lors d’une enquête menée à Cochin n’assiste les patients lors de l’arrêt (Chandrashekar et al., 2011). Des études en Suède (Helgason et al., 2003) et en Australie (Clover et al., 1999) fournissent des chiffres légèrement supérieurs avec respectivement 87 et 92 % des chirurgiens-dentistes n’ayant jamais accompagné leurs patients lors d’un sevrage. Dans son étude, Dolan a démontré une influence de l’orientation du praticien puisqu’un plus grand nombre de parodontistes (48 %) prennent en charge le sevrage tabagique par rapport aux omnipraticiens (29 %) (Dolan et al., 1997). Ce paramètre n’a néanmoins pas d’influence dans cette étude.

La quasi-totalité des praticiens ne prescrit jamais de substituts et seuls 6 % d’entre eux le font parfois. Les faibles pourcentages issus de l’analyse de ce questionnaire peuvent relever du fait que les chirurgiens-dentistes français ne connaissent pas les méthodes d’aide et ne sont pas formés pour prescrire dans le cadre du sevrage.

En Australie (Clover et al., 1999), les professionnels dentaires sont respectivement 4 et 3 % à prescrire parfois des patchs ou des gommes, alors que dans une étude menée aux États-Unis (Hu et al., 2006), 27,2 % des praticiens prescrivent des substituts nicotiniques pour une meilleure prise en charge de leurs patients.

Orientation du patient

Même si le chirurgien-dentiste ne s’estime pas compétent pour conduire une tentative d’arrêt, il se doit de proposer une solution au patient comme le diriger vers une consultation chez un professionnel plus à même de l’aider. Pourtant, seulement 12,87 % orientent de façon systématique leurs patients vers l’une des trois spécialités ; 7,92 réfèrent tout le temps le patient vers un médecin généraliste, 5 % vers un tabacologue et 3 % vers un programme d’aide spécialisé. Ils sont 51,48 % à n’adresser que parfois et 35,64 % jamais. Ces résultats varient en fonction de l’activité du praticien avec un pourcentage statistiquement plus élevé de parodontistes et/ou d’implantologistes orientant vers un tabacologue. La consommation de tabac ayant de fortes conséquences négatives sur le parodonte et la cicatrisation post-chirurgicale, son arrêt peut se placer en tant qu’objectif à atteindre pour améliorer le pronostic des traitements parodontaux et implantaires. En Australie, le pourcentage de dentistes n’orientant ni vers un programme d’aide, ni vers un médecin généraliste est plus élevé, puisqu’il atteint 81 % (Clover et al., 1999). Aux États-Unis, selon les résultats d’un questionnaire, 67 % des dentistes ne réfèrent jamais leurs patients vers un programme d’aide (par rapport aux 81 % de notre étude) et 7,6 % le font la plupart du temps (Hu et al., 2006).

Par conséquent, il semble qu’en France, comme dans d’autres pays, le patient se retrouve souvent seul pour faire les démarches lui permettant d’aller consulter un professionnel capable de le prendre en charge. Tout comme il existe un travail de collaboration avec l’orthodontiste, le chirurgien-dentiste et le tabacologue pourraient unir leurs efforts dans le sevrage tabagique des patients.

Obstacles

Dans cette enquête, l’absence de volonté de la plupart des praticiens de prendre en charge les fumeurs est multifactorielle. L’analyse des obstacles au manque d’information et d’aide aux patients fumeurs établit que la barrière la plus importante est le manque de temps (69,31 %), suivi du manque de connaissances sur les effets du tabac et le sevrage (50,50 %) et, ensuite, le sentiment d’incapacité à aider le patient à arrêter (44,55 %). Des similitudes sont retrouvées dans la littérature médicale ; des études menées en Australie (Clover et al., 1999), en Suède (Helgason et al., 2003), en Inde (Chandrashekar et al., 2011) ou aux États-Unis (Dolan et al., 1997 ; Hu et al., 2006) rapportent que les barrières les plus fréquemment citées sont le manque de connaissances du dentiste sur la manière de venir en aide au patient, le manque de temps ou encore le fait que ce ne soit pas son rôle. Une autre barrière est aussi mise en avant dans les revues (Chandrashekar et al., 2011 ; Clover et al., 1999 ; Dolan et al., 1997 ; Helgason et al., 2003) puisque le manque de rémunération pour le temps passé à essayer d’amener le patient à arrêter semble constituer un obstacle.

Considérant les contraintes horaires des cabinets dentaires et sachant qu’une aide au sevrage peut s’avérer chronophage, le manque de temps apparaît comme un obstacle difficile à franchir. Pour encourager les dentistes à prendre en charge les patients fumeurs, il serait souhaitable d’envisager une rémunération pour le temps qu’ils y consacrent (Chandrashekar et al., 2011 ; Clover et al., 1999 ; Dolan et al., 1997 ; Helgason et al., 2003). Cet obstacle est ressenti différemment selon la localisation du cabinet. Les dentistes installés dans des villes de plus de 20 000 habitants sont statistiquement plus nombreux à considérer le manque de temps comme une barrière par rapport à leurs confrères implantés dans des villes de moins de 20 000 habitants. Cette différence peut se comprendre par l’instauration d’un relationnel plus important entre le patient et le praticien exerçant dans une ville plus petite. Le praticien accorderait peut-être plus de temps à la discussion et aux explications sans considérer ces moments comme une perte de temps.

Le manque de connaissances et le sentiment d’incapacité à prodiguer une aide soulèvent le problème de la formation initiale et continue. Les résultats montrent que près de 80 % des dentistes considèrent qu’en matière de sevrage, ils doivent améliorer leurs connaissances. En effet, même si les effets du tabac leur sont connus, ils ne reçoivent que peu d’enseignement sur les méthodes de sevrage (Pizzo et al., 2010).

L’enseignement initial ainsi que la formation continue devraient être renforcés sur ce point pour que les praticiens se sentent enfin aptes à prendre en charge leurs patients fumeurs, surtout qu’ils semblent prêts à être mieux formés puisque environ 80 % d’entre eux seraient favorables à un renforcement de l’enseignement universitaire dans ce domaine.

Par ailleurs, des études soulignent le bénéfice de l’enseignement, ceux qui ont reçu un complément de formation sur le sevrage étant plus nombreux à prendre en charge leurs patients que les autres (Dolan et al., 1997 ; et Hu et al., 2006).

L’amélioration de la prise en charge des patients fumeurs ne se fera qu’après certaines modifications au sein de l’enseignement et de la pratique dentaire.

Les résultats de cette enquête sont nécessairement liés au mode de sélection qui était limité aux praticiens de la région toulousaine. L’avis de dentistes installés dans un environnement rural n’a pas été recueilli et peut conduire à une analyse différente.

Conclusion

Cette enquête met en évidence que même si la majorité des praticiens identifient les patients fumeurs et les informent des risques liés à la consommation de tabac, peu nombreux sont ceux qui proposent un suivi lors du sevrage ou orientent systématiquement le patient vers un professionnel compétent.

La lutte contre le tabagisme doit pourtant être menée par tous les professionnels de santé pour espérer voir chuter sa progression et les conséquences désastreuses de sa consommation. Des modifications au sein des pratiques de l’odontologie devraient être envisagées, les organismes de Sécurité sociale ayant reconnu le droit aux chirurgiens-dentistes de prescrire des substituts nicotiniques.

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