Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 01 du 01/02/2012

 

Article

Jamal M. STEIN*   Christian HAMMÄCHER**  


*Département de dentisterie opératoire,
parodontologie 1 dentisterie préventive,
Hôpital universitaire, Aachen, Allemagne
**Clinique d’implantologie, parodontologie
et prothèse, Aachen, Allemagne
***Clinique d’implantologie, parodontologie
et prothèse, Aachen, Allemagne

Résumé

Différentes techniques ont été décrites pour recouvrir les récessions gingivales et augmenter les tissus mous : lambeaux pédiculés et/ou greffes de tissu conjonctif. Parmi les techniques novatrices visant à augmenter la quantité de tissu kératinisé, on trouve celle de la tunnélisation modifiée qui se définit comme étant un lambeau d’épaisseur partielle réalisé sans incisions de décharge. Contrairement à la technique d’origine, cette modification associe l’insertion d’une greffe de tissu conjonctif avec un repositionnement plus coronaire de l’ensemble de la zone tunnélisée. Cet article décrit les principales caractéristiques et met l’accent sur les différentes indications et limites que présente cette technique. Un guide des indications en fonction de la profondeur de la récession et la présence ou non de tissu kératinisé est présenté pour aider le clinicien dans sa prise de décision.

Summary

Different methods for coverage of gingival recessions and soft tissue augmentations using pedicle flaps and/or connective tissue grafts (CTG) have been reported. One of the innovative techniques to increase the amount of keratinized tissue is the modified tunnel technique which is designed as split flap without vertical releasing incisions. In contrast to the original technique, the modification combines the insertion of a CTG with coronal advancement of the tunnel complex. The present article describes the main characteristics and highlights different indications and limitations for this technique. Depending on recession depth and the presence of keratinized tissue an indication guideline for decision making is introduced.

Key words

Mucogingival surgery, recessions, modified tunnel technique

Introduction

Les récessions gingivales sont définies comme étant une exposition de la racine due à une migration apicale de la gencive marginale. Leur prévalence semble augmenter avec l’âge, allant de 8 % chez les enfants à 100 % chez les adultes âgés de 50 ans et plus (Kassab et Cohen, 2003 ; Woofter, 1969). Parmi les facteurs étiologiques, on trouve des facteurs morphogénétiques primaires et secondaires. Les premiers sont constitués par l’absence de la paroi osseuse vestibulaire ou sa déhiscence (Lost, 1984) et/ou un biotype gingival fin (Müller et al., 2000), alors que le brossage traumatique (Serino et al., 1994), les maladies parodontales inflammatoires (Wennström, 1996) ou le déplacement orthodontique des dents (Coatoam et al., 1981) forment les facteurs secondaires.

La chirurgie parodontale plastique offre plusieurs options pour traiter et prévenir les récessions parodontales. D’après les suggestions de Miller (Miller, 1985) et Harris (Harris, 1994), les objectifs du recouvrement radiculaire des récessions parodontales sont l’obtention d’un recouvrement radiculaire complet avec un minimum de tissu parodontal kératinisé (au moins 2 mm de largeur) sain (profondeur au sondage < 3 mm et absence de saignement au sondage), ainsi qu’un résultat esthétique et fonctionnel au niveau de la gencive. L’intérêt d’une épaisseur de tissu pour stabiliser les résultats thérapeutiques obtenus, c’est-à-dire transformer un biotype fin en un biotype épais, a déjà été signalé dans de précédentes études (Wennström, 1990).

De nombreuses techniques chirurgicales ont été proposées pour obtenir un recouvrement radiculaire. Des revues systématiques avec des méta-analyses (Roccuzzo et al., 2002 ; Oates et al., 2003 ; Cairo et al., 2008) ont démontré que pour recouvrir des récessions localisées de classes I et II de Miller on pouvait utiliser des lambeaux déplacés coronairement (LDC), des greffes de tissu conjonctif (GTC) et la régénération tissulaire guidée (RTG), mais que le pourcentage de recouvrement radiculaire obtenu avec les greffes de tissu conjonctif était statistiquement supérieur à celui de la RTG (Roccuzzo et al., 2002 ; Oates et al., 2003). Par la suite, l’association d’un LDC à une greffe de tissu conjonctif a permis d’obtenir un pourcentage de recouvrement statistiquement meilleur qu’avec un LDC seul (Cairo et al., 2008). De même, l’utilisation de facteurs biologiques tels que les dérivés de la matrice amélaire (DMA) associés à un LDC améliorent les résultats cliniques de façon significative par rapport au LDC utilisé seul. Bien que les recouvrements radiculaires obtenus avec les techniques LDC + GTC et LDC + DMA ne présentent pas de différence significative (Cairo et al., 2008), la quantité de tissu kératinisé obtenue est plus importante avec la première qu’avec la seconde (McGuire et Nunn, 2003).

Pour le traitement des récessions multiples et celles correspondant à la classe III de Miller, nous ne disposons que de données limitées. Durant ces 10 dernières années, les lambeaux déplacés ont été modifiés avec de nouveaux tracés pour traiter des récessions multiples. Afin de pouvoir utiliser une technique sans incisions en vue de recouvrir des récessions avec un résultat esthétique optimal, la technique de tunnélisation a été mise au point et modifiée (Azzi et Étienne, 1998 ; Zabalegui et al., 1999). Dans cet article, nous décrivons les indications, les options et les limites d’utilisation de cette technique.

Technique de tunnélisation modifiée

Conformément au protocole d’Allen (Allen, 1994), le tracé d’origine de la technique de tunnélisation comprend la préparation d’un lambeau muqueux supra-périosté avec des incisions intrasulculaires. Cela permet de mobiliser la gencive marginale et, par conséquent, de créer une « poche ». En tunnélisant les papilles interdentaires, on peut créer un tunnel muco-gingival reliant toutes les « poches » adjacentes. La greffe de tissu conjonctif est ensuite glissée à l’intérieur du tunnel, partiellement exposée sur les récessions et suturée dans cette position. Étant donné que le pourcentage de recouvrement radiculaire dépend de la taille de la greffe qui survit par-dessus la surface radiculaire, la nécrose des parties exposées de la greffe de tissu conjonctif est l’un des problèmes qui limitent la prédictibilité de cette technique originale. Pour surmonter ce problème, il faut obtenir un meilleur recouvrement de la greffe de tissu conjonctif. Par conséquent, il a été suggéré de déplacer coronairement la « poche » et le tunnel. Cette modification a été décrite par Azzi et Étienne (Azzi et Étienne, 1998). Elle nécessite une dissection muco-périostée au-delà de la ligne muco-gingivale et sous chaque papille. Il existe une autre modification qui consiste à utiliser une approche microchirurgicale avec des lames et des sutures microchirurgicales, ce qui réduit le traumatisme chirurgical (Zuhr et al., 2007 ; Cortellini et Tonetti, 2001). De nouveaux instruments de tunnélisation (par exemple le Tunneling Knife I/II de Hu-Friedy, Rotterdam), qui sont de petits élévateurs spécialement courbés, ont été mis au point pour faciliter la préparation supra-périostée du tunnel et limiter le risque de perforations iatrogènes. Les principales différences concernant l’indication et le tracé du lambeau entre la technique de l’enveloppe, la technique de tunnélisation d’origine et la technique de tunnélisation modifiée sont ­présentées dans le tableau 1. La figure 1-6 fournit un exemple de technique de tunnélisation modifiée chez un patient présentant des récessions multiples de classe III de Miller.

Avantages et efficacité

Bien que le lambeau déplacé coronairement associé à une greffe de tissu conjonctif ait été pendant longtemps considéré comme une référence pour le recouvrement des récessions, la technique de tunnélisation a été revue et améliorée parce qu’elle offre plusieurs avantages. Étant donné qu’elle permet d’éviter des incisions verticales de décharge, on peut ainsi préserver la continuité des papilles gingivales et optimiser l’apport vasculaire du lambeau. Le tissu interproximal est ainsi soutenu par la greffe de tissu conjonctif sous-jacente. Par ailleurs, cette technique permet également d’obtenir un gain de tissu kératinisé et un épaississement de la gencive. Ces deux facteurs sont importants pour l’établissement d’un tissu parodontal et/ou péri-implantaire stable.

À ce jour, seules 3 études ont été publiées sur les résultats obtenus pour le recouvrement radiculaire par la technique de tunnélisation : Aroca et son équipe ont traité 20 patients présentant des récessions de classe III de Miller dans une étude en demi-bouche, contrôlée et randomisée (Aroca et al., 2010). Ils ont utilisé une technique de tunnélisation modifiée pour insérer une greffe conjonctive avec et sans dérivés de la matrice amélaire. Ils démontrent que la technique de tunnélisation modifiée avec greffe de tissu conjonctif est une approche prédictive pour les récessions de classe III de Miller. Cependant, l’association de dérivés de la matrice amélaire n’améliore pas les résultats cliniques. Le pourcentage de recouvrement radiculaire est respectivement de 82 % (GTC + DMA) et de 83 % (GTC). Dans une autre étude sur 5 patients présentant des récessions gingivales multiples de classes I et II de Miller, une matrice dermique acellulaire au lieu d’une greffe de tissu conjonctif avec la technique de tunnélisation est utilisée (Modaressi et Wang, 2009). Ses auteurs obtiennent en moyenne 61 % de recouvrement radiculaire et 0,15 % d’augmentation en épaisseur du tissu. Dans une étude récente, la quantité de recouvrement radiculaire après le traitement de 8 patients présentant des récessions de classe I de Miller avec la technique de tunnélisation modifiée a été examinée (Thalmeir et al., 2010). Ses auteurs rapportent un taux de recouvrement radiculaire moyen de 93,3 % au bout de 6 mois. Quand la profondeur de récession initiale était inférieure à 4 mm, un recouvrement radiculaire complet a été obtenu dans 84 %, des cas ; quand elle était supérieure ou égale à 4 mm, seuls 44 % des cas ont pu être totalement recouverts.

En résumé, quelques données limitées indiquent une performance élevée de la technique de tunnélisation modifiée associée à une greffe de tissu conjonctif, en particulier pour les récessions de profondeur moyenne (< 4 mm). D’autres études avec une puissance statistique plus élevée devraient être menées pour vérifier l’efficacité de cette technique.

Options thérapeutiques

Malheureusement, à ce jour, aucune modalité thérapeutique n’a encore été rapportée dans la littérature médicale pour la technique de tunnélisation modifiée. Cependant, différentes options thérapeutiques peuvent être conseillées.

Recouvrement de récessions multiples

D’après l’idée originale de la technique de tunnélisation, cette méthode peut être recommandée pour le recouvrement de récessions multiples de type classe I, II ou III de Miller, si les profondeurs des récessions sont modérées (< 4 mm). D’un point de vue pratique, il faut noter que la difficulté à réaliser la préparation supra-crestale au-delà de la ligne muco-gingivale augmente avec la largeur de gencive attachée située apicalement à la récession. Pour des récessions de classe I de Miller avec une large bande de gencive attachée au-delà de la récession (≥ 3 mm), les lambeaux déplacés coronairement (associés à une greffe de tissu conjonctif ou à des dérivés de la matrice amélaire) semblent être mieux indiqués (fig. 7-10). Chez les patients présentant des récessions multiples de classe II de Miller, la technique de tunnélisation modifiée peut s’avérer une méthode très performante, étant donné que la préparation du tunnel dans la partie située apicalement à la récession ne nécessite pas une mobilisation de la gencive attachée (fig. 11-13). Dans ces situations, le tunnel de couverture est essentiellement constitué de muqueuse alvéolaire, ce qui facilite sa mobilisation et son déplacement coronaire (moins de tension tissulaire). La technique de tunnélisation donne également de bons résultats pour les récessions de classe III de Miller (Aroca et al., 2010). Contrairement à la classe I de Miller, la dissection des papilles interdentaires permettant le déplacement coronaire de l’ensemble du complexe tunnélisé semble même facilitée lors du traitement des classes III de Miller (fig. 1-6).

Recouvrement des récessions gingivales unitaires

Raetzke a décrit la technique de l’enveloppe pour recouvrir des récessions unitaires en associant une greffe de tissu conjonctif qui était suturée ou collée dans une « enveloppe » supra-périostée, préparée comme pour une récession entourant un lambeau muqueux sans incisions verticales de décharge (Raetzke, 1985). L’un des inconvénients de cette technique est le fait qu’une grande partie de la greffe demeure exposée, limitant ainsi la prévisibilité du recouvrement, en raison du risque de nécrose (partielle) de la greffe de tissu conjonctif (fréquemment) largement exposée. En tunnélisant les papilles adjacentes, la technique de tunnélisation modifiée permet le déplacement en direction coronaire de ce tunnel. Par conséquent, cela permet de recouvrir une plus grande partie de la greffe de tissu conjonctif (fig. 14-16).

De même que pour les récessions multiples, la technique de tunnélisation modifiée n’est pas indiquée si la quantité de gencive attachée située apicalement à la récession est supérieure ou égale à 3 mm (solution de remplacement : LDC + DMA/GTC) ou si la profondeur de la récession est supérieure ou égale à 4 mm (solution de remplacement : lambeau de translation latérale + DMA/GTC (fig. 17-19) ou greffe gingivale libre).

La figure 20 montre un arbre décisionnel permettant de poser l’indication de la technique de tunnélisation modifiée pour recouvrir les récessions gingivales.

Épaississement gingival (« inversion du biotype »)

Le déplacement orthodontique des dents peut entraîner une exposition iatrogène des racines, en particulier chez les patients présentant un biotype gingival fin (Wennström, 1996). Chez ces derniers, l’augmentation gingivale (« inversion du biotype ») avant de commencer le traitement orthodontique peut prévenir l’apparition de récessions (fig. 21-24). De même, la restauration des dents par des couronnes dont les limites sont sous-gingivales, dans des zones esthétiques et en présence d’un biotype gingival fin, peut être améliorée par un épaississement préalable de la gencive afin de prévenir une perte de tissu gingival après l’insertion de la couronne (Borghetti et al., 1990).

Augmentation des tissus péri-implantaires

Le traitement des récessions gingivales (déhiscences) sur des implants représente toujours un défi en chirurgie muco-gingivale. Pour maintenir ou augmenter les tissus mous péri-implantaires, nous avons mis au point un traitement particulier de conditionnement tissulaire à réaliser avant, pendant ou après l’insertion de l’implant à l’aide de la technique de tunnélisation modifiée.

Chez les patients présentant des dents avec des récessions gingivales ou des biotypes gingivaux fins et dont le remplacement par des implants immédiats est programmé, nous cherchons à recouvrir les récessions et/ou à augmenter l’épaisseur gingivale de la dent 3 mois avant l’extraction et la pose de l’implant. Étant donné que l’apport vasculaire pour la greffe de tissu conjonctif au niveau de la dent provient des vaisseaux sanguins du plexus parodontal, du plexus supra-périosté et du lambeau de recouvrement (Guiha et al., 2001), sur les implants, par contre, la nutrition d’une greffe de tissu conjonctif est fournie uniquement par l’apport périosté et par le lambeau de recouvrement. Par conséquent, le recouvrement radiculaire avec une greffe de tissu conjonctif va conduire à une augmentation gingivale plus stable sur les dents que sur les implants et devrait être utilisé chaque fois qu’une dent présentant un défaut gingival doit être remplacée par un implant (immédiat) (fig. 25-30).

De même, au moment de l’insertion d’un implant, une greffe de tissu conjonctif peut contribuer à améliorer la quantité et la qualité des tissus péri-implantaires. De façon alternative ou en plus, l’augmentation gingivale peut être réalisée après la pose de l’implant, en particulier lors de l’exposition de ce dernier. Ainsi, la technique de tunnélisation modifiée représente une méthode élégante pour glisser la greffe de tissu conjonctif en soulevant délicatement les papilles adjacentes à l’implant (fig. 31-36).

Limites et conclusion

La technique de tunnélisation modifiée est une méthode sans incisions et très peu invasive pour réaliser une augmentation gingivale parce qu’elle permet une préservation maximale de l’apport vasculaire et un recouvrement optimal de la greffe par rapport aux techniques initialement décrites. Cependant, il faut tenir compte des limites et contre-indications.

En dehors des contre-indications générales à tout traitement chirurgical, les fumeurs ont un risque accru de retard de cicatrisation, de nécrose de la greffe et d’infection, ce qui amoindrit les résultats de recouvrement radiculaire avec une greffe de tissu conjonctif (Martins et al., 2004 ; Chambrone et al., 2009). De plus, il existe une corrélation entre l’épaisseur initiale du lambeau et le succès du traitement. (Baldi et al., 1999 ; Hwang et Wang, 2006). Par ailleurs, certains facteurs liés au traitement, tels qu’une tension excessive au niveau du lambeau (Pini-Prato et al., 2000) et le traumatisme lié à la chirurgie (Burkhardt et al., 2005) vont limiter le gain de recouvrement radiculaire. Enfin, il faut insister sur le fait que notamment la technique de tunnélisation modifiée est techniquement très délicate qui nécessite de l’expérience et de l’habileté de la part du chirurgien. La préparation soignée du lambeau, en particulier chez les patients présentant un biotype fin et de petites papilles gingivales, est essentielle pour éviter les perforations. Dans quelques rares cas, la dissection de papilles extrêmement fines peut s’avérer impossible étant donné le risque élevé de déchirement.

Comme le montre la figure 20, chez les patients présentant des récessions très profondes (> 4 mm) et une absence de tissu kératinisé apicalement et latéralement à la récession, il vaut mieux utiliser une approche en plusieurs étapes avec une greffe gingivale libre plutôt que des techniques de tunnélisation. Cela peut s’avérer particulièrement vrai dans le cas de récessions multiples à la mandibule et associées à un vestibule très peu profond.

En résumé, les indications (différentielles) pour la technique de tunnélisation modifiée devraient être établies en tenant compte de :

– la santé générale et les habitudes tabagiques du patient ;

– l’expérience du chirurgien ;

– la taille des récessions ;

– la quantité de tissu kératinisé environnant.

En fonction de ces paramètres, la technique de tunnélisation modifiée est une méthode innovante qui dépasse le domaine de la chirurgie plastique parodontale. Elle permet d’augmenter la gencive dans différentes situations cliniques, en particulier en présence de récessions gingivales multiples, avec une meilleure intégration de la greffe grâce à l’absence d’incisions verticales de décharge et une préservation maximale de l’apport vasculaire.

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