Article
Henri Michel BENOIST* Adam SECK-DIALLO** Papa Demba DIALLO***
*Maître de conférences
Service de parodontologie
Département d’odontologie
Université Cheikh-Anta-Diop
Dakar, Sénégal
**Maître-assistant
Service de parodontologie
Département d’odontologie
Université Cheikh-Anta-Diop
Dakar, Sénégal
***Professeur
Service de parodontologie
Département d’odontologie
Université Cheikh-Anta-Diop
Dakar, Sénégal
La malnutrition, qui compte l’insuffisance nutritionnelle la plus commune dans le monde : la carence martiale, constitue un problème de santé publique en Afrique. La vitamine C et le fer, qui a un rôle majeur dans l’érythropoïèse, sont tous deux des micronutriments antioxydants impliqués dans la synthèse du collagène et certains mécanismes immunitaires de défense de l’hôte. Si l’étiologie des parodontites agressives est clairement établie par la nature et la virulence de la flore microbienne, la pathogenèse de l’hyperplasie est encore peu claire. L’influence de médicaments ou de facteurs liés à la nutrition, tels que l’avitaminose C responsable du scorbut, est bien documentée. Ce rapport de cas décrit une parodontite agressive accompagnée d’une hyperplasie inflammatoire de la gencive et de la muqueuse des crêtes édentées chez une jeune Sénégalaise âgée de 31 ans, asthénique et souffrant d’anémie ferriprive. La prise en charge s’est fondée sur une antibiothérapie, une supplémentation en fer et en vitamine C ainsi qu’un traitement chirurgical de l’hyperplasie et des poches parodontales. L’évolution à moyen terme a été peu favorable. Les conditions socio-économiques de la patiente ne lui ont pas permis de changer son régime alimentaire essentiellement à base de poisson et pauvre en fruits et légumes. L’influence potentielle de l’anémie ferriprive sur la sévérité de la maladie parodontale n’est pas à écarter.
Malnutrition remains a public health problem in Africa and iron deficiency is the most common nutritional deficiency in the world. The vitamin C, and the iron which has a key role in erythropoiesis, are antioxidant micronutrients involving in the synthesis of collagen and immunitary host defence mechanisms. If the etiology of the aggressive periodontitis is well established by the nature and the virulence of the microbial flora in biofilm, the pathogenesis of hyperplasia is still unclear even if the influence of drugs and some nutritional factors is well documented. Role of vitamin C deficiency in scurvy is well-established. This case report describes an aggressive periodontitis accompanied by a marked gingival and edentulous crest mucosal enlargement in a young Senegalese female 31 years old with asthenia and suffering from iron deficiency anemia. The therapy was based on antibiotics, supplementation of iron and vitamin C, and surgical procedures of gingival hypertrophy and periodontal pockets. However, the clinical outcome was unfavorable. The socio-economic status of this patient did not enable her to primarily change its dietary habits only based on fish with poor or none consumption of fruits and vegetables. The influence of iron deficiency anemia on the severity of the periodontal disease may be considered.
Le statut socio-économique est un déterminant majeur de la santé et, à travers le monde, des millions de personnes vivent dans de mauvaises conditions sanitaires, en étant constamment sous-alimentés et exposés aux multiples infections (Enwonwu et Sanders, 2001). L’état nutritionnel est défini comme l’état de santé conditionné par l’utilisation des nutriments par les cellules (Pellet, 1987). Afin de maintenir un état de santé optimal, une alimentation bien équilibrée en macronutriments (hydrates de carbone, lipides et protéines) et en micronutriments ou oligo-éléments (vitamines et minéraux) est nécessaire (Enwonwu et Sanders, 2001). Plusieurs études ont déjà évoqué les anomalies du développement dentaire et du squelette oro-facial chez les malnutris (FDI Working Group, 1994). La relation entre l’état parodontal et la nutrition est mise en évidence depuis plusieurs siècles à travers les effets de la supplémentation en vitamine C contenue dans les agrumes chez les malades atteints de scorbut (Moynihan, 1995 ; Léger, 2008). Le diagnostic de cette affection, qui a aujourd’hui quasiment disparu dans les pays industrialisés, reste difficile. En effet, les premiers signes sont souvent vagues et peu spécifiques ; les maladies gingivales constituent cependant un signe presque constant et l’anémie peut être observée au bout de quelques mois (Léger, 2008).
La carence martiale est l’insuffisance nutritionnelle la plus commune dans le monde. Ses symptômes sont subtils et non spécifiques et ne deviennent évidents le plus souvent qu’avec l’anémie grave (Schneider et al., 2005). Le fer est un constituant de l’hémoglobine, ainsi qu’un facteur régulateur de l’érythropoïèse. Son métabolisme dans l’organisme est centré par son rôle dans la synthèse de l’hémoglobine (Howard et Hamilton, 2004). Approximativement 70 % du fer du corps humain est incorporé dans l’hémoglobine et l’érythropoïèse représente le processus physiologique qui en a le plus largement besoin (Doherty, 2007). Les formes de stockage du fer (la ferritine et l’hémosidérine) constituent environ 13 % de la quantité totale de fer de l’organisme. Un déficit en fer est généralement provoqué par une hémorragie chronique, provenant le plus souvent du tractus gastro-intestinal ou urinaire, ou d’un autre site anatomique (Howard et Hamilton, 2004). Chez les personnes âgées, une déplétion martiale peut être le signe d’une affection maligne gastro-intestinale. Une infestation par les ankylostomes constitue une cause répandue de déficit en fer à travers le monde, mais la malabsorption et l’augmentation des besoins en fer au cours de la grossesse sont d’autres causes possibles (Howard et Hamilton, 2004). L’insuffisance des apports nutritionnels peut aggraver le déficit en fer mais en constitue rarement la cause unique en dehors des périodes de croissance de l’enfant et de l’adolescent. Le diagnostic d’anémie ferriprive peut être suspecté en se fondant sur les antécédents de l’individu, mais des analyses biologiques (avec plusieurs tests) sont nécessaires pour le confirmer. La recherche de l’étiologie est toujours nécessaire. Le dosage de la ferritine est certainement le test le plus utile pour confirmer l’anémie ferriprive (Howard et Hamilton, 2004). Un taux bas indique toujours un déficit en fer alors qu’une valeur normale ne garantit pas des réserves normales, dans la mesure où la concentration de ferritine augmente au cours de l’inflammation chronique et des hépatopathies (Howard et Hamilton, 2004).
Les parodontites agressives selon la classification d’Armitage (Armitage, 1999) regroupent un ensemble d’entités cliniques caractérisées par une destruction rapide et sévère du support parodontal due à la virulence des bactéries du biofilm sous-gingival. Dans certaines conditions, le tissu gingival peut proliférer, envahir les zones interproximales et recouvrir en partie les couronnes dentaires (Kaqueler et Le May, 1998). Cette hyperplasie peut être localisée ou généralisée, fibreuse (gencive ferme, dense, peu douloureuse de couleur inchangée) ou inflammatoire (gencive œdémateuse, hyperhémique, molle, sensible, hémorragique, de couleur rouge violacée), ou encore combinée (Kaqueler et Le May, 1998). L’hyperplasie inflammatoire peut aussi faire l’objet de surinfections. Si l’étiologie des parodontites agressives est clairement établie par la nature et la virulence de la flore microbienne, celle de l’hyperplasie semble être plus difficile à cerner et sa pathogenèse est peu claire (Seymour et al., 1996). Néanmoins, l’accroissement gingival induit par les médicaments tels que la phénytoïne, la nifédipine et la cyclosporine est bien documenté (Seymour et al., 1996). La thérapeutique se limite habituellement aux aspects préventifs, au maintien d’une hygiène orale adéquate et à l’utilisation de techniques d’exérèse de l’excroissance gingivale. Dans le modèle multifactoriel de Seymour et al., les facteurs génétiques, l’inflammation gingivale et les variables pharmacocinétiques des médicaments semblent être plus significatifs dans l’expression de l’hyperplasie.
Le rapport de cas présenté ci-après décrit la prise en charge d’une parodontite agressive associée à une hyperplasie gingivale inflammatoire chez une jeune Sénégalaise souffrant d’une carence martiale avérée.
La patiente est une Sénégalaise âgée de 31 ans au moment de la consultation, célibataire, sans enfants ni profession. Elle est née et a grandi dans un village de pêcheurs sur la petite côte à environ 60 km de Dakar (capitale) et y demeure toujours. Elle a été envoyée par le dentiste du centre de santé de sa communauté rurale après y avoir subi plusieurs extractions dentaires. Elle se plaignait d’un gonflement douloureux de la gencive et de mobilités dentaires évoluant depuis plusieurs années. Les douleurs étaient exacerbées par le port d’une prothèse en résine (fig. 1) réalisée 2 mois avant sa première consultation en clinique universitaire de parodontologie. Elle a mentionné, au cours de l’entretien, un saignement gingival spontané nocturne depuis plus de 1 an. Elle a également évoqué une sensation quasi permanente de fatigue signant une asthénie, mais n’a pas signalé d’antécédents médicaux clairement établis. La patiente ne prenait aucun traitement au long cours. Elle pesait 52 kg pour une taille de 1,62 m et présentait une peau sèche sans lésions apparentes. L’observation de la paume des mains et de la plante des pieds n’a pas mis en évidence de signes d’hyperkératose qui auraient fait évoquer le syndrome de Papillon-Lefèvre. L’indice de masse corporelle (IMC) calculé était de 19,81 kg/m2, à la limite de la normalité.
La patiente présentait, à l’examen intrabuccal, une denture permanente incomplète. Les dents 17, 16, 24, 25, 26, 27, 37, 36, 46, 47 étaient absentes du fait d’extractions pour cause de mobilité accrue. Les pertes dentaires au maxillaire et à la mandibule réalisaient une classe 1 de Kennedy (édentement bilatéral postérieur). Aucune information précise n’a pu être obtenue quant à l’évolution des dents de sagesse qui étaient aussi absentes et aucune carie n’a été détectée. L’hygiène bucco-dentaire, appréciée par l’indice d’hygiène orale simplifié (IHOS) de Greene et Vermillon (Greene et Vermillon, 1964) était cotée à 2. La gencive présentait un tatouage réalisé il y a plusieurs années. L’indice gingival de (Löe et Silness, 1963) était de 2. La mobilité dentaire variait entre les degrés 2 et 4 de l’indice de Mühlemann (Mühlemann, 1954). Une hyperplasie gingivale inflammatoire très marquée, de score 3 (fig. 2) selon les critères d’Ellis et al. (Ellis et al., 2001) était observée en regard de toutes les dents résiduelles (en vestibulaire et/ou palatin ou lingual) de même qu’un épaississement important des tissus mous des crêtes édentées (fig. 3 et 4). L’aspect aurait pu faire évoquer un éléphantiasis (hyperplasie fibreuse ou fibromatose héréditaire) si ce n’avait été l’absence de fermeté des tissus. Des abcès parodontaux vestibulaires étaient notés sur les versants alvéolaires des 15, 14, 44 et 45 qui présentaient des mobilités de degré 4. Une suppuration au niveau du sillon de ces dents était observée après pression digitale. Dès que le sondage parodontal a pu être réalisé, des pertes d’attache de 4 à 10 mm ont été observées. La radiographie panoramique montrait une alvéolyse importante avec une perte osseuse entre 50 et 75 % (fig. 5). Le diagnostic d’une parodontite agressive généralisée sévère a été posé.
La patiente a été envoyée au service universitaire d’hématologie à la suite des résultats de la numération-formule sanguine qui montrait un hématocrite de 34,6 %, des valeurs très abaissées du taux d’hémoglobine (7,6 g/dl), du TGMH (15,4 pg), du VGM (70,3 fl) et du CGMH (22,0 g/dl). Le taux de polynucléaires neutrophiles était à la limite inférieure de la normalité mais légèrement abaissé (44,1 %). Ces résultats mettaient en évidence une anémie microcytaire hypochrome. Le test d’Emmel était négatif. Le taux des plaquettes était de 259 × 103/µl (valeurs normales chez l’adulte : 150-400 × 103/µl). L’examen clinique en hématologie s’est révélé négatif avec, notamment, une absence de splénomégalie. Un dosage de la ferritine a alors été fait et a montré un taux très abaissé (7,2 µg/l) par rapport aux valeurs normales de la ferritinémie (25-135 µg/l), montrant ainsi l’anémie ferriprive. L’entretien sur les habitudes nutritionnelles a en effet révélé que la patiente avait une alimentation essentiellement à base de poisson, puisqu’elle habitait un village de pêcheurs et vivait dans des conditions socio-économiques difficiles. Le rôle d’aucun autre facteur étiologique n’a pu être clairement établi. Un déficit en vitamine C a été présumé au regard de l’asthénie de la patiente et du tableau clinique parodontal qui a fait évoquer le scorbut. Le dosage de l’acide ascorbique plasmatique n’a cependant pas été fait.
Une approche classique du traitement de la parodontite agressive a été faite avec un pronostic très réservé, surtout que la patiente n’acceptait pas l’idée d’un édentement total. Une antibiothérapie a été mise en place dès la première consultation (doxycycline à la posologie de 200 mg/j en une prise unique pour une durée de 12 jours) et le port de la prothèse iatrogène en résine a été déconseillé. Un brossage dentaire avec un mélange d’eau oxygénée à 10 volumes et de bicarbonate de sodium (pâte de Keyes) a été prescrit. Les dents 14, 15, 44 et 45 ont été extraites 3 jours après le début de l’antibiothérapie et après un nettoyage des surfaces dentaires aux ultrasons. Cette attitude a été motivée par de vives douleurs à la mastication, la présence d’abcès et la mobilité dentaire importante. Un antalgique (paracétamol, 1 g 4 fois par jour) et un bain de bouche (chlorhexidine à 0,2 % en rinçage 2 fois par jour) ont été prescrits.
Une supplémentation en vitamine C (1 g/j pendant 3 semaines) et en fer per os (1 comprimé de 200 mg de sels ferreux 2 fois par j [Fumafer®], soit 66 mg de fer métal par comprimé, pendant 6 mois) a été mise en place par l’hématologue et quelques conseils diététiques ont été prodigués. Le détartrage aux ultrasons a été poursuivi à partir de la deuxième semaine après les extractions, associé à une irrigation sous-gingivale à la polyvidone iodée diluée (Bétadine®). Une augmentation de l’hyperplasie a cependant été notée malgré l’arrêt du port de la prothèse (fig. 3, 4 et 6). Le lambeau de Widman modifié (LWM) a été réalisé pour le traitement de l’hypertrophie et des poches parodontales avec une incision primaire très décalée permettant une large exérèse de la gencive inflammatoire. La procédure a d’abord été réalisée à la mandibule puis, 2 semaines plus tard, au maxillaire (fig. 7), accompagnée d’un désépaississement de la muqueuse des crêtes édentées. La pièce opératoire prélevée au maxillaire du côté palatin a été envoyée en analyse au laboratoire d’anatomopathologie de la faculté. Le surfaçage radiculaire au maxillaire a été gêné par les mobilités dentaires plus importantes qu’à la mandibule et par la difficulté de mise en place d’attelles collées (du fait de la surcharge occlusale au niveau antérieur liée à l’absence des molaires) ou de ligatures métalliques (à cause de l’hyperplasie).
Deux semaines après le lambeau de Widman modifié, les conditions de mise en place d’un système de contention sont devenues favorables. Des ligatures en échelle au fil de jonc mou 4/10 mm ont été posées au maxillaire et à la mandibulaire, et le surfaçage radiculaire a pu être réalisé.
L’examen histologique de la pièce opératoire montrait des signes d’acanthose au niveau épithélial et la présence d’un infiltrat inflammatoire chronique polymorphe important avec peu de fibres de collagène, sans signes de malignité. Le chorion était richement vascularisé. Le diagnostic de plasmocytose orificielle (infiltration massive par les plasmocytes) a cependant été exclu. Les résultats du contrôle clinique effectué après la chirurgie montraient une stabilité des tissus gingivaux (fig. 8 et 9). La confection d’une nouvelle prothèse transitoire afin de rétablir une capacité masticatoire suffisante a été reportée dans l’attente d’une plus grande fermeté de la muqueuse gingivale. Les tissus gingivaux sont restés stables jusqu’au quatrième mois à partir duquel des signes de récidive de l’hyperplasie au niveau de la gencive et des crêtes édentées avec apparition de douleurs et de suppuration ont été observés chez la patiente revenue de son village. Une nouvelle orientation de la thérapeutique a alors été décidée (extraction des dents résiduelles et restauration par une prothèse complète) et la patiente a de nouveau été envoyée en hématologie et en médecine interne pour un suivi médical.
Seuls les aspects liés à l’état nutritionnel et à ses implications potentielles dans le processus de destruction parodontale sont discutés.
Une condition essentielle pour la multiplication continue des microbes pathogènes dans le corps est l’acquisition de fer en quantité suffisante pour leur croissance (Hershko, 1993). Porphyromonas gingivalis est une bactérie anaérobie à pigmentation noire, à Gram négatif qui est un agent étiologique majeur de la maladie parodontale (Socransky et al., 1998). Le fer est un des nutriments essentiels à sa croissance et détermine de façon très importante sa virulence (Lewis, 2010). La lactoferrine, une glycoprotéine contenue dans les polynucléaires neutrophiles, a entre autres propriétés la capacité de se lier au fer, privant ainsi les pathogènes de ce nutriment essentiel à leur croissance et contribuant ainsi à la bactéricidie (Cottet, 1998). Le modèle de l’interaction entre l’état nutritionnel, la fonction immunitaire et l’infection montre que cette dernière peut perturber l’utilisation des nutriments par les cellules et induire une malnutrition (Enwonwu et Sanders, 2001). De même, la diminution ou l’épuisement des réserves en nutriments antioxydants comme le fer ou certaines vitamines pourrait favoriser un stress oxydatif qui potentialiserait la morbidité et la mortalité par une accélération de la progression d’une maladie (Enwonwu et Sanders, 2001). Le surplus de libération de radicaux libres par les polynucléaires neutrophiles pourrait expliquer l’exacerbation des phénomènes inflammatoires au cours de la maladie parodontale (Cottet, 1998). En l’absence de pathologie de système clairement identifiée, il est possible que la réponse immunitaire de l’hôte soit altérée par le déficit sévère en fer (Doherty, 2007). Une baisse de la phagocytose des polynucléaires neutrophiles est généralement observée (Dallman, 1987 ; Howard et Hamilton, 2004). Cela pourrait expliquer la faible réponse au traitement parodontal et la récidive, de même qu’une moindre résistance à l’infection. Le diagnostic du déficit en vitamine C, ou acide ascorbique, dans ce rapport de cas est évoqué uniquement sur la base de deux signes cliniques – l’atteinte parodontale associée à l’hyperplasie gingivale et l’asthénie – sans que le dosage plasmatique soit fait et dont les valeurs normales doivent se situer entre 26 et 84 µmol/l. L’incidence d’une supplémentation en vitamine C sur l’état parodontal est bien connue dans le traitement du scorbut (Moynihan, 1995 ; Fain, 2004 ; Amaliya et al., 2007). La vitamine C a un rôle essentiel dans la synthèse du collagène, notamment son hydroxylation, de même que, sur le plan immunologique, dans la résistance de l’hôte face aux bactéries du biofilm (Moynihan, 1995 ; Léger, 2008). Ce mécanisme biochimique d’hydroxylation est crucial car il permet aux fibres de collagène d’avoir une configuration en triple hélice indispensable au maintien de la structure des tissus (Léger, 2008). L’acide ascorbique a aussi un puissant effet antioxydant qui protège des effets délétères des radicaux libres oxygénés (Amaliya et al., 2007). La gencive et, notamment, les parois des capillaires gingivaux seraient particulièrement sensibles à l’action de ces radicaux libres (Moynihan, 1995). Ainsi, les tissus à forte teneur en collagène comme la gencive, les muqueuses, l’os et la peau sont particulièrement sensibles au déficit en acide ascorbique (Léger, 2008).
L’hydroxylation facilite par ailleurs l’absorption du fer, d’où le lien probable entre son déficit et l’anémie qui fait partie de ses signes. Selon les travaux d’Enhos et al. (2009), la carence martiale ne serait pas un facteur de risque direct des maladies parodontales dans un suivi sur 3 mois de 39 femmes dont 19 présentaient une anémie. Les facteurs de confusion sont cependant nombreux et, pour des raisons éthiques, la relation de cause à effet peut être difficile à prouver, ce qui expliquerait peut-être la rareté des études sur le sujet. Les études sur modèle animal ont clairement montré qu’un déficit sévère en vitamine C provoquait un œdème et des hémorragies du ligament parodontal, une ostéoporose de l’os alvéolaire, des mobilités dentaires et une dégénérescence des fibres de collagène gingivales. Les études chez l’homme ont été peu concluantes, probablement en raison de l’étiologie multifactorielle des maladies parodontales (Moynihan, 1995).
Malgré la supplémentation en fer et en vitamine C associée au schéma thérapeutique de la parodontite agressive et de l’hyperplasie gingivale, l’état parodontal n’a pu être stabilisé. Le diagnostic de scorbut a été ainsi difficile à retenir d’emblée ici, mais le maintien des habitudes alimentaires dû aux conditions socio-économiques difficiles de la patiente constitue probablement un facteur potentiel de récidive ou d’aggravation, et ce d’autant que la restauration prothétique qui aurait amélioré le coefficient masticatoire n’a pu être réalisée. La viande, les fruits et légumes sont d’importantes sources de protéines, de fer et de vitamines mais ne sont pas toujours accessibles à certaines catégories de la population dans les pays non développés.
La relation de cause à effet entre l’altération de la fonction masticatoire et les troubles nutritionnels reste par ailleurs peu claire (Moynihan, 1995), mais l’influence de la mastication sur la digestion des aliments semble bien établie et documentée (Ngom et Woda, 2002).
Il existe cependant certaines causes possibles d’un échec de la réponse thérapeutique à l’administration orale de fer (Howard et Hamilton, 2004) telles que le diagnostic erroné (anémie d’une autre étiologie, ce qui serait peu probable dans ce cas), la non-application du traitement, la malabsorption et la présence d’un autre saignement occulte qui n’aurait pas été mis en évidence.
La possibilité de l’aggravation de la maladie parodontale en relation avec l’anémie ferriprive est à prendre en considération du fait de l’incidence de l’apport en nutriments antioxydants sur la physiologie des tissus parodontaux et de ses effets potentiels sur l’immunité. Des études plus approfondies permettront probablement de confirmer ou non les relations étiopathogéniques potentielles entre le déficit en fer et les maladies parodontales en prenant en compte les facteurs de confusion possibles.