Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 01 du 01/02/2011

 

Article

Marjolaine GOSSET*   Marie-Laure COLOMBIER**  


*Assistante hospitalo-universitaire en
parodontologie
**Maître de conférences, praticienne
hospitalière en parodontologie
Université Paris-Descartes, Faculté de
chirurgie dentaire, Montrouge
Lauréates du prix Méridol 2009

Résumé

L’alcool, aux activités modulatrices des réponses immunes innées et acquises, pourrait être impliqué dans la susceptibilité de l’hôte aux parodontites. Des études épidémiologiques ont établi un lien entre une consommation importante d’alcool ou un alcoolisme chronique et un mauvais état parodontal. Cependant, dans ces travaux, un indice de plaque plus élevé que la moyenne est retrouvé chez les patients.

L’objectif de ce travail est d’étudier si la consommation d’alcool est associée à une incidence plus forte des parodontites, indépendamment du contrôle de plaque.

Une recherche bibliographique réalisée sur Medline a permis de sélectionner cinq études transversales et une étude de cohorte répondant aux critères d’inclusion suivants : études de causalité, publication dans une revue internationale, statut parodontal avec mesure de l’hygiène bucco-dentaire, consommation d’alcool mesurée.

Pour un contrôle de plaque équivalent, la consommation ou la dépendance à l’alcool est associée à des pertes d’attache, des profondeurs de poche et un indice de saignement plus importants et/ou plus fréquents. Une relation dose dépendante existerait entre la quantité d’alcool consommée et le risque parodontal. Cependant, pour l’étude de cohorte, aucune association n’est trouvée. Enfin, une étude trouve une relation inverse, à savoir que plus on consomme d’alcool, meilleur est le statut parodontal.

Ces études sont difficiles à comparer car menées sur des populations non homogènes entre elles. En effet, des inégalités quant au métabolisme de l’alcool existent, notamment entre hommes et femmes ou encore dans la population asiatique. De plus, la consommation d’alcool est rarement comparable (évaluée en nombre de boissons, en litres ou en grammes d’alcool par jour). Enfin, une grande variabilité existe dans les critères utilisés pour définir la parodontite.

Consommer de l’alcool semble accroître le risque de développer une parodontite. Cependant, des études prospectives à long terme, analysant des échantillons suffisamment importants et représentatifs de la population et recueillant des informations selon un mode standardisé, sont nécessaires avant de conclure.

Summary

Alcohol, a potent regulator of immunity and inflammation, may be implicated in host susceptibility to periodontitis. Epidemiological studies have established a link between alcohol drinking or chronic alcoholism and periodontal disease. However, these results may be due to an increased plaque index.

The aim was to study if alcohol drinking is a risk factor for periodontitis, independently of plaque control.

A Medline research has been performed and five transversal studies and one longitudinal study have been selected in accord to the following inclusive criteria : study published in an international review, periodontal status checked using a measure of oral hygiene, alcohol drinking measured.

For equal plaque control, alcohol drinking or alcohol dependence were linked to clinical attachment loss, periodontal pockets and a gingival index or a bleeding on probing more frequent or higher. A dose-dependent relationship may exist between quantities of alcohol drinking and the periodontal risk. However, for the longitudinal study, no association was found. Finally, one study has found an inverse relationship in that more alcohol is drink, better is the periodontal health.

There was various heterogeneities among studies. First, heterogeneity concerning the populations studied exists whereas alcohol metabolism varies according to the sex or the race, especially for Asiatic people. Second, alcohol drinking is evaluated in different way (number of drinking, quantity in liter or in gram per day). Finally, various criteria were used for the diagnosis of the periodontitis.

To drink alcohol may increase the risk to periodontitis. However, longitudinal studies performed on larger sample size, with homogeneity in the patients’ selection criteria, assessment of alcohol consumption and alcohol dependence, and periodontitis measures are need to conclude.

Key words

Alcohol, periodontitis, risk factor

Introduction

Le rôle des bactéries dans le déclenchement des parodontites est un fait bien établi (Socransky, 1970). Cependant, les études menées depuis une vingtaine d’années ont révélé l’importance de la susceptibilité de l’hôte dans leur déclenchement, leur forme clinique et leur progression. Un certain nombre de facteurs prédictifs tels que le tabagisme ou le diabète ont ainsi été identifiés tandis que d’autres, comme le stress psychologique, sont pressentis (Heitz-Mayfield, 2005). L’alcool, qui possède de fortes activités modulatrices des réponses immunes innées et acquises, pourrait être également impliqué (Cook, 1998 ; Goral et al., 2008). Dans un modèle de parodontite expérimentale chez le rat, l’administration d’alcool induit une inflammation parodontale et une destruction de l’os alvéolaire accrue (de Souza et al., 2006 ; Irie et al., 2008). De plus, des études épidémiologiques ont trouvé une association entre une consommation importante d’alcool (Sakki et al., 1994) ou un alcoolisme chronique évalué par un questionnaire de dépendance (Novacek et al., 1995) et un mauvais état bucco-dentaire, notamment paro­dontal. Cependant, dans ces travaux, un indice de plaque plus élevé que la moyenne et plus de tartre ont été retrouvés chez les patients (Novacek et al., 1995). De nouvelles études ont ainsi été menées afin d’évaluer, dans des groupes au niveau d’hygiène comparable, si l’alcool peut représenter un facteur de risque de développement des parodontites.

Objectif du travail

L’objectif de ce travail est de vérifier, à travers une analyse de la littérature médicale, si la consommation d’alcool peut être un facteur de risque des parodontites, c’est-à-dire rendre un hôte permissif aux parodontites indépendamment du contrôle de plaque.

Recherche bibliographique

La question posée pour la sélection des articles est la suivante : « Existe-t-il une association entre la consommation d’alcool et l’existence ou le développement d’une parodontite ne mettant pas en jeu une déficience de l’hygiène bucco-dentaire ? »

Une recherche bibliographique effectuée sur Medline a permis d’identifier :

– 247 articles, en réponse aux mots clés periodontitis (parodontite) et alcohol (alcool), s’étendant sur une période allant de 1962 à 2009 ;

– 55 articles, en réponse aux mots clés periodontal disease (maladie parodontale) et alcohol dependence (alcoolisme), s’étendant sur une période allant de 1966 à 2008.

La lecture des titres et des résumés a permis de sélectionner 12 articles correspondant à des publications scientifiques originales en anglais, portant sur des sujets humains et traitant de la thématique alcool et parodontite. Les articles sans résumé et dont le titre n’était pas suffisamment évocateur ont été écartés. Après lecture des 12 articles, une recherche manuelle ascendante effectuée au sein de revues odontologiques et médicales a permis d’identifier 7 articles supplémentaires. En tout, 19 articles ont été retenus.

Les critères d’inclusion suivants ont été utilisés pour sélectionner les articles répondant à notre objectif. Il s’agit d’études dites de causalité ayant fait l’objet d’une publication internationale en anglais. Le statut parodontal, comprenant une mesure de l’hygiène bucco-dentaire par des examinateurs qualifiés, et la consommation d’alcool doivent être mesurés dans les groupes. Six articles de recherche ont été inclus correspondant à 5 études transversales (niveau de preuve égal à 4) et à 1 étude de cohorte (niveau de preuve égal à 2). L’analyse de ces articles a été réalisée indépendamment selon le mode d’analyse de l’hygiène bucco-dentaire qui peut être directe (mesure de la plaque dentaire) ou indirecte (mesure de l’indice gingival, par exemple). La figure 1 présente le protocole et le ­résultat de la recherche bibliographique, le tableau 1 référence les articles retenus pour l’étude avec leur niveau de preuve et le tableau 2 expose les raisons d’exclusion des autres articles. Le tableau 3 rappelle l’échelle du niveau de preuve des différentes études.

Résultats

Parmi les 6 études retenues, 4 études transversales trouvent une association positive entre la consommation d’alcool (Tezal et al., 2001, 2004 ; Shimazaki et al., 2005) ou la dépendance à l’alcool (Amaral Cda et al., 2008) et l’existence d’une parodontite plus sévère (tableau 4). Pour l’étude de cohorte (Okamoto et al., 2006), aucune association n’est trouvée (tableau 5) alors que pour la dernière étude transversale (Kongstad et al., 2008), cette association est inverse, à savoir que plus on consomme d’alcool, meilleur est le statut parodontal (tableau 6).

Ces études sont difficiles à interpréter communément en raison d’un certain nombre de divergences de protocole qui portent sur :

– le profil génétique. Les études ont été menées sur des populations au profil génétique différent. Or, il existe un polymorphisme du gène ADLH2 (alcohol aldehyde dehydrogenase 2, enzyme qui participe au métabolisme de l’alcool) associé à un ralentissement du métabolisme de l’alcool. Il a été récemment montré que ce polymorphisme, plus fréquent dans les populations asiatiques que dans les autres, était associé à un risque accru de parodontite (Nishida et al., 2005, 2010). De plus, on peut regretter que le diabète, facteur de risque avéré des parodontites, ne soit pas systématiquement référencé et utilisé pour ajuster l’analyse multivariée. Enfin, les femmes étant plus sensibles aux effets de l’alcool que les hommes (Mumenthaler et al., 1999), il est nécessaire d’ajuster les résultats en fonction du sexe ou alors d’analyser les populations séparément, comme le font Kongstadt et al. (Kongstad et al., 2008) ;

– la consommation d’alcool. Les boissons alcoolisées contiennent des quantités variables d’alcool (en grammes). Or, la consommation d’alcool est ici le plus souvent estimée en nombre de boissons plutôt qu’en grammes et avec des seuils extrêmement différents. De plus, elle est évaluée par l’utilisation de questionnaires alors qu’un entretien permettrait une estimation plus juste. En effet, parler de son alcoolisme peut être culpabilisant, entraînant une sous-estimation de la consommation réelle ;

– la définition de la parodontite. Une grande variabilité existe au sujet des critères utilisés pour définir les parodontites. Citons, à titre d’exemple, la perte d’attache (PA) dont le seuil est fixé, selon l’étude, à 1,5 mm (Tezal et al., 2004), à 3 mm (Kongstad et al., 2008) ou à 5 mm (Shimazaki et al., 2005). De plus, l’alcool étant antiseptique, il est intéressant d’étudier si sa consommation entraîne une modification de la flore bactérienne. Seule l’équipe de Tezal nous informe qu’aucune association entre des espèces bactériennes parodontopathogènes (Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Tannerella forsythia, Porphyromonas gingivalis, Prevotella intermedia, Campylobacter rectus, Fusobacterium nucleatum) et la consommation d’alcool n’a été établie (Tezal et al., 2001).

Conclusion

Dans cette revue de la littérature médicale, la consommation d’alcool semble être associée à un risque accru de développer une parodontite. Cela serait très certainement dû à une accumulation d’acétyle aldéhyde, produit du métabolisme de l’éthanol hautement toxique. Cependant, des études prospectives à long terme, analysant des échantillons suffisamment importants et représentatifs de la population et recueillant des informations selon un mode standardisé, sont nécessaires avant de conclure. Cette conclusion est en accord avec une analyse systématique de la littérature, réalisée par Amaral et al. et publiée dans le Journal of Dentistry (Amaral Cda, et al., 2009).

BIBLIOGRAPHIE

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