Article
Henri Michel BENOIST* Adam SECK-DIALLO** Mohammed RAIS*** Mame ASTOU FAYE**** Abdoulaye DIOUF***** Malick SEMBÈNE****** Papa DEMBA DIALLO*******
*Service de parodontologie, Département
d’odontologie, Université Cheikh-Anta-
Diop, Dakar (Sénégal)
**Service de parodontologie, Département
d’odontologie, Université Cheikh-Anta-
Diop, Dakar (Sénégal)
***Chirurgien-dentiste, Fez (Maroc)
****Chirurgien-dentiste, Dakar (Sénégal)
*****Service de parodontologie, Département
d’odontologie, Université Cheikh-Anta-
Diop, Dakar (Sénégal)
******Service de parodontologie, Département
d’odontologie, Université Cheikh-Anta-
Diop, Dakar (Sénégal)
*******Service de parodontologie, Département
d’odontologie, Université Cheikh-Anta-
Diop, Dakar (Sénégal)
Un des paramètres importants de l’esthétique faciale est le sourire. C’est une position dynamique des lèvres pour exprimer des sensations ou des sentiments et dont une caractéristique distinctive est la ligne du sourire qui suit le bord inférieur de la lèvre supérieure. Sa position (basse, moyenne ou haute) permet de classer plusieurs types de sourires en fonction de la hauteur des dents et de la gencive exposée. Les objectifs de cette étude étaient de déterminer la prévalence des différents types de lignes du sourire dans des populations sénégalaises et marocaines et d’en évaluer la satisfaction individuelle.
Une étude multicentrique a été réalisée au Maroc et au Sénégal chez 372 volontaires âgés de 16 à 57 ans (moyenne : 26,9 ± 7,7 ans) dont 200 Marocains et 172 Sénégalais. L’échantillon était composé de 287 hommes (77,2 %) et de 85 femmes (22,8 %). Les types de lignes du sourire et le parallélisme de la lèvre inférieure ont été étudiés. Une analyse de régression logistique pas à pas ascendante sur la relation entre l’autosatisfaction (variable dépendante) et plusieurs variables explicatives (indépendantes) a été réalisée. La ligne de sourire basse a la plus grande fréquence (41,1 %), suivie de la ligne moyenne (34,4 %) et de la ligne haute (sourire gingival, 24,5 %). La ligne basse est plus fréquente chez les Marocains et dans les tranches d’âge supérieures à 34 ans, la ligne moyenne et la ligne haute plus fréquentes chez les Sénégalais (p = 0,008). Une différence significative existe selon le sexe chez les Sénégalais où le sourire gingival est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Le parallélisme de la lèvre inférieure est observé chez 57,5 % des sujets avec une prédominance chez les Marocains (p < 0,001). L’auto-évaluation du sourire montre un taux de satisfaction supérieur chez les Sénégalais (p < 0,001). La ligne basse est plus appréciée chez les Marocains et la ligne moyenne chez les Sénégalais. La ligne haute n’est appréciée par aucun Marocain. L’analyse de régression montre que l’appartenance à une nationalité, l’âge et l’absence de parallélisme baissent la probabilité de satisfaction alors que la ligne basse et la ligne moyenne lui sont favorables.
Le milieu socioculturel (marocain ou sénégalais) influe probablement sur les critères d’appréciation du sourire et indique la nécessité d’une dentisterie esthétique contextuelle.
One of the key points in facial esthetics is smiling which is a dynamic position of lips that expresses feelings. The position of the upper lips determine several types of smile line (low, mild and high) according to height of the upper incisors and the gingival display. The aims of this study were to assess prevalence of the various types of smile line in Senegalese and Moroccans populations and to evaluate individual satisfaction.
A multicenter study was performed including 372 individuals in Morocco (200) and Senegal (172) with age bracket from 16 through 57 years (mean : 26.9 years ± 7.7) and 287 males and 85 females. Smile types and lower lips parallelism with the arc smile were assessed. The relation of the independent variables with subjects’ satisfaction as dependent variable was assessed by performing multivariate logistic regression analysis on subject-based data (stepwise analysis, forward likelihood ratio).
The low smile line is the most frequent (41.1 %) following by the mild smile line (34.4 %) and the high line (gummy smile, 24.5 %). Low smile is more frequent in Moroccans and in age > 34 years, while the mild and high smile lines are predominant in Senegalese (p = 0.008). A significant difference was found in gender about the gummy smile with higher values in Senegalese females. Lower lips parallelism with arc smile was observed in 57.5 % and more frequently in Moroccans (p < 0.001). Self-evaluation has shown more satisfaction in Senegalese (p < 0.001). The low smile line was more appreciated in Moroccans and the mild smile line was more in Senegalese. None of Moroccans appreciated the gummy smile in this study. The multivariate logistic regression analysis highlights that nationality, age and lack of labial parallelism had negative effect on satisfaction while low and mild smile lines increase its probability.
Appreciation criteria of smiling seem to be related to socio-cultural conditions in Morocco or in Senegal and indicate the necessity of a contextual approach in esthetic dentistry.
Une prise en charge dentaire complète selon Nowzari doit être une approche holistique qui reconnaît le bien-être psychosocial du malade comme un facteur déterminant et qui s’attelle aussi bien à donner une apparence saine qu’à restaurer la fonction. Ainsi, l’esthétique est une composante à part entière des traitements dentaires actuels (Nowzari, 2001).
Dans le vocabulaire MeSH (Medical Subject Headings) de Pubmed, le mot smiling est défini comme suit : « A facial expression which may denote feelings of pleasure, affection, amusement, etc. » Littéralement traduite, cette définition dit que le fait de sourire est une expression faciale qui peut faire évoquer des sensations de plaisir, des sentiments, de l’amusement, etc. Borghetti et Monnet-Corti définissent le sourire comme « une position dynamique qui varie selon le degré de contraction des lèvres » (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). Ces définitions, pour ne citer que celles-là, sont différentes du fait des aspects considérés mais finalement, on peut penser qu’elles se complètent dans le cadre facial avec un élément déterminant : la ligne du sourire. C’est la ligne imaginaire qui suit le bord inférieur de la lèvre supérieure étirée par le sourire et qui est généralement convexe (Towsend, 1993 ; Morley et Eubanks, 2001 ; Borghetti et Monnet-Corti, 2008). Elle est déterminée par la position de la lèvre au cours du sourire non forcé (Reddy, 2003). La position de cette ligne – bien visible en fait car il s’agit du bord de la lèvre – par rapport aux dents et aux différentes parties du parodonte superficiel a été à l’origine de plusieurs classifications (Goldstein et Lancaster, 1984 ; Tjan et al., 1984 ; Jensen et al., 1999 ; Liébart et al., 2004) mais dont le but est essentiellement parodontal. Dans les secteurs antérieurs des maxillaires, la position de la gencive marginale vestibulaire est un paramètre important dans l’obtention d’un sourire idéal (Sonick, 1997) ; les thérapeutiques visant l’esthétique et le retour à la santé gingivale doivent alors impérativement prendre en compte les rapports entre les restaurations et le parodonte. Les contours de la gencive marginale, la hauteur des incisives découvertes et la gencive exposée influencent toute l’esthétique faciale et, de façon plus spécifique, l’esthétique du sourire (Chiche et al., 1994 ; Jahanbin et Pezeshkirad, 2008). Lorsque le sourire du patient doit être évalué, l’esthétique de la gencive doit être prise en compte car une des caractéristiques du sourire idéal habituellement décrite est l’exposition d’une hauteur de 1 à 2 mm de gencive marginale (Keim, 2001). Il est important de noter que la plupart des études ont été faites en milieu caucasien et la plupart des conclusions des travaux sur l’esthétique dentaire sont fondées sur ce modèle.
Les objectifs de cette étude étaient de déterminer la prévalence des différents types de lignes du sourire dans des populations africaines appartenant à des groupes ethno-culturels différents et d’en évaluer la satisfaction individuelle.
Il s’agit d’une étude transversale multicentrique réalisée chez des sujets volontaires au Sénégal et au Maroc.
Les sujets choisis de façon aléatoire devaient être âgés d’au moins 15 ans et être en denture permanente. Ils ne devaient avoir fait l’objet d’aucun traitement parodontal pour des motifs esthétiques et le parodonte antérieur devait présenter une apparence saine (absence d’inflammation, d’hypertrophie ou de saignement spontané), même s’il était réduit. Toutes les dents des secteurs maxillaires et mandibulaires de la première prémolaire de droite à celle de gauche devaient être présentes, soit au moins 8 dents contiguës.
Le consentement éclairé et écrit des sujets volontaires a été obtenu pour leur participation à l’étude de même que pour l’utilisation, à des fins de publication scientifique, des photographies ne portant pas atteinte à leur dignité ou ne permettant pas leur identification.
Les sujets qui souffraient d’une maladie parodontale sévère, d’odontalgie ou de défauts orthodontiques majeurs (anomalies dentaires et/ou squelettiques notamment de classe III d’Angle associées ou non à une classe III squelettique de Ballard, avec ou sans occlusion croisée du secteur antérieur) n’ont pas été retenus du fait de l’impact psychologique potentiel de ces atteintes pouvant altérer leur aptitude à sourire de façon naturelle. Les sujets qui présentaient un sourire ne découvrant aucune dent, des caries non traitées, des restaurations inadéquates ou qui étaient porteurs de prothèse dans les secteurs antérieurs n’ont pas été inclus dans l’étude.
Les sujets sélectionnés ont été photographiés de face en position assise à l’aide d’un appareil de photographie numérique, la tête appuyée à un mur de façon que le plan de Francfort (passant par le bord inférieur des orbites oculaires et le bord supérieur des conduits auditifs) soit à peu près horizontal (parallèle au sol). Cela correspond à un sujet assis regardant droit devant lui. L’appareil de photographie (Nikon coolpix L4, 4 mégapixels) était monté sur un trépied ajustable en hauteur pour éviter tout mouvement de l’objectif durant la prise de vue. Deux prises de vue ont été réalisées pour chaque sujet de l’étude : une au cours du sourire naturel et une autre au cours d’un sourire forcé obtenu par un étirement maximal volontaire des lèvres.
Les types de sourires ont été classés en trois catégories selon la position de la ligne du sourire. Cette classification est fondée sur celles de Tjan et al. (Tjan et al., 1984) et Goldstein et Lancaster (Goldstein et Lancaster, 1984) et distingue :
– la ligne haute, qui représente un sourire découvrant la totalité de la hauteur coronaire des dents maxillaires antérieures et une bande continue de gencive (ce type a été considéré comme sourire gingival quelle que soit la hauteur de la bande de gencive exposée) ;
– la ligne moyenne, qui décrit un sourire découvrant tout ou partie de la hauteur des dents maxillaires antérieures et seulement la gencive interproximale ;
– la ligne basse, dans le cas d’un sourire découvrant une partie de la hauteur des dents maxillaires antérieures et au cours duquel la gencive n’apparaît pas.
Dans le cadre de cette étude, le type de sourire était surtout déterminé par la visibilité de la gencive interdentaire. La totalité de la surface coronaire n’était pas toujours visible pour pouvoir en déterminer la proportion exposée en termes de pourcentage qui n’aurait été qu’approximatif. Seul le sourire naturel a été considéré pour le classement des sujets sélectionnés. Le sourire forcé n’a été pris en compte que pour déterminer le nombre de dents exposées afin de s’assurer qu’il était supérieur ou égal à celui trouvé dans le sourire naturel, qui était ainsi validé.
Une question fermée unique sur l’auto-appréciation par les sujets de leur sourire était posée : « Êtes-vous satisfait(e) de votre sourire ? » (réponse : oui/non).
Le parallélisme du bord supérieur de la lèvre inférieure par rapport aux bords libres des incisives supérieures ainsi que le nombre de dents (maxillaires) exposées au cours du sourire naturel et du sourire forcé ont été étudiés. Le parallélisme a été évalué par rapport à la tendance de la courbe des bords libres incisifs maxillaires et celle du bord supérieur de la lèvre inférieure (fig. 1). Les canines étaient exclues car leurs bords libres n’apparaissaient pas toujours en raison de leur position plus basse. Dans les cas où les bords libres des incisives maxillaires n’étaient pas visibles au cours du sourire, le parallélisme était considéré par défaut. Les différents éléments d’appréciation du sourire sont illustrés à la figure 1.
L’analyse des photographies a été faite par un seul examinateur. Dix pour cent des photographies de sourire naturel ont été sélectionnées au hasard et classées à plusieurs reprises jusqu’à l’obtention d’une concordance excellente lors du calcul du coefficient kappa (compris entre 0,81 et 1).
Les données recueillies ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS (Statistical package for social sciences) version 14.0. Le test du chi carré de Pearson a été utilisé pour la comparaison des proportions et le test t de Student pour la comparaison des moyennes.
Une analyse multivariée de régression logistique utilisant le modèle pas à pas ascendant a été réalisée pour identifier les variables prédictives du résultat de l’auto-évaluation du sourire des sujets de l’étude. La variable qualitative binaire à expliquer (ou variable dépendante) était la « satisfaction » pouvant avoir, comme valeur, « 0 = non satisfait » ou « 1 = satisfait ». L’effet (B), les odds ratios [Exp (B)] et l’intervalle de confiance (IC) à 95 % ont été déterminés pour chacune des variables explicatives (indépendantes). Pour tous les tests réalisés, le seuil de signification statistique était fixé à p < 0,05.
Le tableau 1 donne une vue d’ensemble de toutes les caractéristiques prises en compte dans cette étude. L’échantillon est composé de 372 participants habitant en milieu urbain, dont 200 Marocains et 172 Sénégalais. Les sujets de l’étude sont âgés de 16 à 57 ans avec une moyenne de 26,9 ± 7,7 ans sans différence statistiquement significative entre les Marocains et les Sénégalais. À 86,5 %, ils sont âgés de 16 à 34 ans et à 74,7 % de 21 à 34 ans. La répartition selon le sexe montre une plus grande proportion d’hommes que de femmes ; le sex ratio H/F est de 3,7. La proportion de femmes marocaines est plus faible que celle de femmes sénégalaises (p < 0,001). Au cours du sourire naturel, 48,5 % des Marocains contre 32,6 % des Sénégalais ont une ligne du sourire basse, qui est le type le plus souvent observé dans l’échantillon. La ligne de sourire haute est significativement plus fréquente chez les Sénégalais que chez les Marocains (p = 0,008). La répartition des lignes du sourire en fonction des tranches d’âge ne montre pas de différences statistiquement significatives (tableau 2). Cependant, la proportion de ligne basse est plus importante chez les sujets âgés de plus de 34 ans, qui présentent par ailleurs une plus faible proportion de ligne haute, que chez les plus jeunes. Les différences dans les proportions des types de sourires entre les hommes et femmes marocains ne sont pas significatives alors que chez les Sénégalais, les sourires du type « ligne haute » et « ligne moyenne » sont significativement plus fréquents chez les femmes, tandis que le type « ligne basse » est plus fréquent chez les hommes (tableau 3).
Le nombre de dents découvertes au cours du sourire naturel est significativement plus élevé chez les Sénégalais que chez les Marocains (en moyenne près de 2 fois plus) (tableau 1). La même différence significative est retrouvée au cours du sourire forcé. L’analyse selon le sexe montre qu’au cours du sourire naturel, les hommes découvrent en moyenne 8,8 ± 3,3 dents contre 9,8 ± 3,1 dents chez les femmes avec une différence statistiquement significative (p = 0,020).
Le parallélisme de la lèvre inférieure par rapport à la courbe des bords libres des incisives supérieures est plus fréquemment observé chez les sujets marocains que sénégalais (p < 0,001). Les différences de proportions globales de l’auto-évaluation chez les Marocains et les Sénégalais sont statistiquement significatives (tableau 1). L’analyse montre que tous les sujets marocains qui présentent une ligne de sourire haute (21 %) ne sont pas satisfaits de leur sourire (fig. 2). Une plus grande proportion de Marocains est satisfaite de son sourire quand la ligne est basse alors que pour les Sénégalais, la ligne de sourire moyenne est plus appréciée. En considérant la présence ou non du parallélisme de la lèvre inférieure, une différence dans l’auto-évaluation des types de sourires apparaît : 4 fois plus de Sénégalais sont satisfaits en l’absence de parallélisme que de Marocains (fig. 3).
L’analyse de régression logistique a permis de construire un modèle final prédictif à 90,1 % de la satisfaction. Cinq variables indépendantes ont été retenues dans ce modèle : la nationalité marocaine, l’âge, la ligne de sourire basse, la ligne moyenne et le non-parallélisme de la lèvre inférieure. Seules la ligne basse et la ligne moyenne ont un « effet positif » (valeur de B) sur la satisfaction avec une valeur d’odds ratio [Exp (B)] très élevée (tableau 4). Les trois autres variables (effets négatifs) réduisent la probabilité pour les sujets de l’étude d’être satisfaits de leur sourire.
L’échantillon de l’étude peut être considéré comme une vision de la diversité ethnique et culturelle d’Afrique. Cependant, la répartition selon le sexe n’a pas tenu compte de celle de la population générale et la proportion de femmes marocaines est significativement différente de celle des femmes sénégalaises. Le nombre réduit de femmes marocaines peut s’expliquer par le contexte socioculturel au Maroc qui leur impose une certaine discrétion, d’où leur participation volontaire moins importante que celle obtenue au Sénégal. La sélection des participants à cette étude ne s’est pas faite selon des tranches d’âge, ce qui est à l’origine d’une répartition non homogène. Les jeunes (adolescents et adultes jeunes de moins de 35 ans) ont semblé être plus volontaires pour cette étude que les plus âgés, ce qui est aisément compréhensible. L’auto-évaluation n’a tenu compte que d’une seule modalité discriminante à elle seule dans la réponse des sujets, et ce quels qu’aient pu être les motifs de satisfaction ou non. Cette approche catégorique pourrait cependant avoir l’avantage de limiter les biais d’interprétation.
Le fait de classer comme sourire gingival toute exposition de la gencive marginale quelle qu’en soit sa hauteur se justifie car si une récession marginale vestibulaire peut ne pas être visible au cours du sourire de type « ligne moyenne » ou « ligne basse », elle devient visible dès que la gencive marginale des dents adjacentes est visible. La ligne gingivale perturbée devient alors visible et inesthétique, et la notion de « ligne haute » ou « très haute » ou la différence entre ces deux critères pourrait ne plus paraître pertinente. Dans cette approche, le type de sourire sur parodonte réduit est considéré au même titre que sur parodonte de hauteur normale. La particularité ne se fera ressentir que dans la prise en charge du besoin esthétique car ces classifications n’ont pas un but diagnostique, et encore moins thérapeutique. Une attitude critique cependant à l’égard des différentes classifications, y compris celle de cette étude, est permise. En effet, les critères de jugement et d’appréciation du sourire sont très différents selon que le type caucasien (beaucoup plus étudié) ou mélanoderme est considéré. Par ailleurs, les différences fondamentales dans le morphotype cranio-facial et les aspects socioculturels conduisent indubitablement à des différences d’appréciation. Le sourire ne peut donc pas être le même pour tous, même s’il exprime parfois la même chose.
Les personnes âgées ont tendance à exposer moins de hauteur de gencive que les plus jeunes et les femmes découvriraient plus leurs dents que les hommes (Dong et al., 1999 ; Keim, 2001 ; Borghetti et Monnet-Corti, 2008). Cette tendance est retrouvée dans cette étude où la fréquence de la ligne de sourire basse augmente avec l’âge, même si les différences ne sont pas statistiquement significatives. La baisse de l’élasticité et de la tonicité tissulaire avec l’âge entraînant une ptose labiale est évoquée dans la littérature médicale (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). Cette tendance est surtout évidente après la tranche d’âge des 30-39 ans (Desai et al., 2009). La position de la ligne du sourire chez les femmes serait en moyenne plus haute de 1,5 mm que celle des hommes (Peck et Peck, 1995). Les résultats de cette étude confirment cette tendance concernant la fréquence de la ligne de sourire haute (fig. 4 et 5) et de la ligne moyenne (fig. 6), même si les différences ne sont pas statistiquement significatives. Le nombre de dents exposées est aussi significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes.
Cette notion de sourire « parfait » qui veut que les dents maxillaires soient alignées sur la courbure de la lèvre inférieure (parallélisme) (Borghetti et Monnet-Corti, 2008) doit aussi être considérée avec prudence dès que le niveau de satisfaction individuelle et de l’entourage prend en compte d’autres paramètres fortement liés au milieu socioculturel comme le tatouage gingival et la présence d’un diastème interincisif qui sont des critères très appréciés au Sénégal, notamment chez la femme (fig. 5, 7 et 8). L’étude de Tjan et al. a montré un parallélisme, chez 84,8 % des sujets, entre les bords libres des incisives maxillaires et la lèvre inférieure selon une courbe, alors que les courbures étaient inversées chez 13 % (Tjan et al., 1984) (fig. 5). Ce parallélisme semble être moins fréquent chez les Sénégalais et les Marocains, avec cependant une tendance plus accentuée chez les premiers. Peut-on imputer ce constat à une similitude des Marocains au modèle caucasien ? La réponse affirmative est tentante, d’autant que la ligne de sourire basse est significativement plus fréquente chez les Marocains et dans l’échantillon global, confirmant les résultats des deux études (Tjan et al., 1984 ; Liébart et al., 2004). Ce type de ligne du sourire est par ailleurs plus apprécié par les Marocains. En revanche, la ligne haute, où le sourire gingival est classé ici, n’est appréciée par aucun sujet marocain de l’étude. La représentation caricaturale (ancienne) du sujet de race noire avec un large sourire découvrant toutes ses dents semble faire penser que ce dernier « sourit plus ». Cependant, Keim évoque cette même tendance chez les top-modèles contemporains de type caucasien qui ont un sourire découvrant plus de 2 mm de gencive et considéré comme très attractif (Keim, 2001). Cela ramène au problème de l’appréciation individuelle et collective du sourire. L’exemple du parallélisme de la lèvre inférieure est probant : le pourcentage de Sénégalais satisfaits et qui ne présentent pas de parallélisme est significativement plus élevé (plus de 4 fois supérieur) que celui des Marocains pour qui ce critère semble être un paramètre important. Ce paramètre, décrit dans les études sur le type caucasien, entre dans le cadre des caractéristiques du sourire « parfait » tel qu’il est considéré (Borghetti et Monnet-Corti, 2008). L’analyse de régression effectuée dans cette étude montre que la probabilité d’autosatisfaction concernant le sourire diminue avec l’âge. Cela pourrait s’expliquer par la baisse de la tonicité musculaire qui pourrait altérer l’expressivité du sourire mais expliquerait aussi la plus grande fréquence de lignes du sourire basses dans les tranches d’âge les plus avancées. Cette analyse semble aussi confirmer le meilleur impact de la ligne basse et surtout moyenne sur le niveau de satisfaction, de même que l’absence de parallélisme labial diminuerait la probabilité de satisfaction, confirmant ce critère comme spécifique dans l’esthétique du sourire. Il a été suggéré que pas plus de 2 mm de hauteur de gencive ne devraient être exposés au cours du sourire, sans qu’aucune évidence scientifique soit apportée, et qu’une exposition gingivale excessive (sourire gingival) pourrait affecter l’esthétique du sourire (Hunt et al., 2004). Dans leur étude chez 120 étudiants à qui ils ont fait évaluer 7 photographies de femmes et 7 d’hommes avec différents niveaux d’exposition de la gencive marginale, Hunt et al. ont montré que le sourire exposant entre 0 et 2 mm de gencive était le plus attractif et que, au-delà de ces valeurs, il devenait moins séduisant. Le sourire gingival dans cette étude a une fréquence plus élevée que celle évoquée par Tjan et al. qui est de 7 % pour les hommes et 14 % pour les femmes (Tjan et al., 1984). Les ratios femmes/hommes chez les Sénégalais et les Marocains sont cependant les mêmes que ceux des travaux de Peck (Peck et al., 1992) et de Tjan et al. qui trouvent 2 femmes pour 1 homme concernant la ligne labiale haute, et 1 femme pour 2,5 hommes pour la ligne basse, laquelle semble être une caractéristique masculine. Les ratios chez les Marocains sont un peu différents du fait de la faiblesse du groupe en sujets de sexe féminin.
Il est important de rappeler deux particularités chez le mélanoderme : la pigmentation (fig. 7) et le tatouage gingival (fig. 8) qui est une pratique traditionnelle très prisée par les femmes au Sénégal. Cette pigmentation naturelle est acceptée de façon générale et ne constitue pas un problème esthétique, contrairement au modèle caucasien qui fait appel à la dépigmentation de la gencive au laser par exemple afin d’en harmoniser la teinte (Berk et al., 2005). Le but esthétique recherché dans le tatouage est de créer un contraste important entre la gencive et les dents pour en faire ressortir l’éclat. On peut dire que l’exposition d’un maximum de tissus dento-parodontaux au cours du sourire est presque recherchée. Geron et Atalia montrent, dans leur étude sur l’évaluation du sourire (Geron et Atalia, 2005), qu’en raison du dymorphysme sexuel dans la ligne du sourire, l’appréciation du sourire est fortement dépendante de ce que Peck et Peck nomment le form concept (la traduction littérale en français est peu explicite) (Peck et Peck, 1970), que l’on peut assimiler à un « modelage de la perception » : une particularité faciale sera d’autant plus considérée comme « correcte » qu’elle sera fréquemment observée. Ce concept semble s’accorder avec l’acceptation ou non de phénomènes comme l’hyperpigmentation de la gencive. Le taux de satisfaction plus important chez les Sénégalais que chez les Marocains, notamment concernant la ligne de sourire haute (sourire gingival), montre encore, avec le parallélisme, l’acuité de la divergence culturelle des critères esthétiques d’appréciation. L’inclusion d’une modalité de la variable « nationalité » dans le modèle prédictif final de régression logistique avec un effet négatif semble indiquer que le milieu socioculturel marocain ou sénégalais influe probablement sur les critères d’appréciation du sourire.
Les multiples facettes et bases socioculturelles rendent aléatoire la reconnaissance d’un sourire parfait ou idéal universel du fait de la perception relative (par le sujet lui-même et son entourage) et des critères d’évaluation. La dentisterie esthétique doit être contextuelle et devra s’appuyer, en ce qui concerne le milieu africain, sur d’autres études comparatives entre divers groupes ethniques.