Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 01 du 01/02/2011

 

Article

Georges RACHLIN*   Marie-Noëlle PRAT**   Patrice BERGERON***   Waddah SABOUNI****  


*DrCD, Toulon
**DrCD, Toulon
***DrCD, spécialiste qualifié, orthopédie dento-faciale, Bandol
****DrCD, spécialiste qualifié, orthopédie dento-faciale, Bandol

Résumé

Un patient présentant un problème parodontal et un problème esthétique localisé va bénéficier d’un traitement chirurgical par régénération osseuse puis d’un traitement d’orthodontie pour corriger la lésion et retrouver un environnement tissulaire esthétique.

Summary

A patient with periodontal and cosmetic problem will receive a surgical treatment by regeneration and orthodontic treatment to correct the defect and to recover an aesthetics tissue environment.

Key words

Aesthetics, Dental papilla, Regeneration, Orthodontics

Introduction

L’esthétique est devenue une partie primordiale des traitements dentaires actuels. L’association de plusieurs disciplines est souvent nécessaire pour obtenir une restauration de la fonction et de l’esthétique (Nowzari, 2000). Concernant les problèmes parodontaux, la régénération des tissus perdus reste un objectif important de la thérapeutique (Caton, 1993). La régénération des papilles, lorsqu’elles sont absentes, est difficile et imprévisible chirurgicalement (Han et Takei, 1996 ; Azzi et al., 1999 ; Pini Prato et al., 2004). Elle est sous la dépendance de facteurs anatomiques et morphologiques et l’intervention de plusieurs spécialistes est souvent nécessaire pour obtenir le résultat escompté. En effet, afin de se retrouver dans ce contexte anatomique et morphologique normal, il faut parfois faire appel à l’orthodontie (Kokich, 1996 ; Proffit, 2000).

Le but de cet article est de décrire un rapport de cas qui associe traitement parodontal régénératif et ­l’orthodontie par gouttière préformée pour restaurer fonction et esthétique.

Cas clinique

Le patient, âgé de 35 ans, présente une lésion parodontale localisée au maxillaire antérieur, associée à un déplacement dentaire. L’importance du diastème, qui s’est formé entre 11 et 12, produit un trou noir inesthétique lors du sourire (fig. 1).

L’examen clinique parodontal montre en particulier une perte d’attache de 7 mm, en mésial de la 12. Cela est confirmé par l’examen radiographique (fig. 2 et 3).

Toute mobilisation de dents par orthodontie doit se faire au niveau d’un parodonte sain, en l’absence d’inflammation.

Aussi, avant d’entreprendre la phase d’orthodontie, un diagnostic parodontal doit d’abord être posé : en l’absence d’autre lésion parodontale, ce patient présente une parodontite chronique localisée entre 11 et 12, aggravée par un traumatisme occlusal.

La thérapeutique initiale comprend une motivation et un enseignement à l’hygiène bucco-dentaire, un détartrage complet complété par un surfaçage localisé au niveau de la lésion. Une équilibration occlusale fonctionnelle est réalisée afin d’éliminer toute interférence au niveau de la 11 et de la 12.

Compte tenu de l’importance de la lésion parodontale, une intervention parodontale régénératrice est planifiée.

Lors de l’examen clinique effectué par l’orthodontiste, le patient présente :

– sur le plan occlusal, une classe I dentaire canine et molaire, droite et gauche, avec supraclusion et diastème entre 11 et 12, ainsi qu’une dysharmonie dento-dentaire (DDD) par macrodontie relative du groupe incisivo-canin mandibulaire (fig.4 et 5) ;

– sur le plan fonctionnel, une interférence sur la 11 en protrusion, des interférences sur les 11 et 12, en latéralité droite, et une interposition linguale légèrement antérieure ;

– sur le plan esthétique, un sourire dégageant des triangles noirs de part et d’autre de la 11 (fig. 6).

L’objectif du traitement orthodontique est la fermeture de l’espace entre les 11 et 12 par correction de la dysharmonie dento-dentaire par stripping à l’arcade mandibulaire, et l’ingression de la 11.

Technique chirurgicale parodontale

La technique de préservation papillaire a été employée afin d’obtenir une fermeture primaire du lambeau au niveau du site d’intervention, car les tissus interdentaires sont larges et bien kératinisés (Genon et Bender, 1986 ; Cortellini et al., 1995).

Les incisions intrasulculaires vestibulaires et palatines s’étendent à une dent en mésial et en distal par rapport à la lésion. Au niveau du diastème, le trait d’incision est décalé du côté palatin pour libérer la gencive kératinisée interproximale vers la face vestibulaire et avoir accès à la lésion. Aucune incision de décharge vestibulaire n’a été faite. Les lambeaux vestibulaires et palatins sont de pleine épaisseur (fig. 7 et 8).

Après débridement de la lésion et surfaçage radiculaire, une préparation de tétracycline est appliquée pendant 2 minutes sur la racine qui est ensuite rincée (Terranova et al., 1986). Les dérivés de l’émail (Emdogain®) sont alors appliqués sur les surfaces radiculaires, à l’abri du sang et de la salive (Tonetti et al., 2002), et les tissus sont repositionnés et suturés (fig. 9 et 10).

Une antibiothérapie (Lysocline® 2 gélules par jour) et un bain de bouche antiseptique à base de chlorhexidine sans alcool sont prescrits pour 10 jours (McGuire et Scheyer, 2010), complétés par des antalgiques de niveau 1 en cas de douleur (paracétamol 500 mg et ibuprofène 400 mg, prescrits en alternance toutes les 3 heures). Un contrôle postchirurgical est fait au bout de 8 jours et les points de suture sont retirés au bout de 15 jours.

Le patient est suivi pour des contrôles de prophylaxie et une maintenance professionnelle pendant 2 mois puis il est adressé à l’orthodontiste pour continuer le traitement.

Technique d’orthodontie

De nombreuses techniques sont utilisées chez l’adulte pour déplacer les dents (Proffit, 2000). Parmi ces techniques, le déplacement des dents par des gouttières transparentes préformées peut présenter d’énormes avantages (Vlaskalic et Boyd, 2001). Pour cette raison, il est planifié un traitement par la technique des gouttières préformées dans le cas présenté ici.

Le plan de traitement orthodontique via des gouttières thermoformées s’effectue en deux temps.

Premier temps

Un modèle 3D est fabriqué à partir d’empreintes en polyvynilsiloxane du patient, grâce à un scanner CT (computed tomography).

Un logiciel de traitement (Align Technology, Santa Clara, Californie) positionne les dents en fonction de la demande de l’orthodontiste (prescription déterminée par l’ISFESO). Quand le set-up virtuel (ClinCheck) est prêt, les mouvements dentaires sont décomposés en plusieurs séquences en prenant soin d’éviter toute interférence occlusale et interproximale. L’orthodontiste peut alors valider ou modifier la proposition d’un traitement Invisalign.

Une fois le set-up informatique (ClinCheck) validé, chaque étape du traitement est convertie en un modèle physique en résine.

Second temps

Le traitement, par gouttières thermoformées, de la fermeture du diastème avec ingression de la 11 et stripping des 11 et 12 pour éviter le triangle noir interdentaire est réalisé. Un stripping est nécessaire sur l’arcade mandibulaire pour coordonner les arcades et améliorer les mouvements de propulsion et de latéralité.

Pour refermer le diastème entre 11 et 12, le nombre d’aligneurs s’élève à 16, soit 8 mois de traitement, et, au niveau de la mandibule, seuls 8 aligneurs sont nécessaires, soit 4 mois de traitement.

Résultats

Du point de vue parodontal, la lésion mésiale importante sur la 12 est réduite : la profondeur de sondage est passée de 7 à moins de 3 mm ; l’examen radiographique, fait 6 mois après l’intervention chirurgicale, montre une reconstruction au niveau de la lésion osseuse verticale (fig. 11).

Malgré une chirurgie a minima par lambeau de préservation papillaire, on a pu observer, vers le deuxième mois postopératoire, une légère récession gingivale en distal de la 11 (fig. 12). Deux ans après le traitement parodontal, le niveau osseux entre 11 et 12 est resté stable (fig. 13).

Du point de vue orthodontique, l’alignement des dents a été assuré et le point de contact entre la 11 et la 12 est restauré, rétablissant un sourire esthétique par fermeture du diastème et création d’une papille (fig. 14 et 15). La pérennité du résultat est assurée par des gouttières préformées à port nocturne.

Discussion

De nombreuses études ont démontré l’efficacité clinique et histologique ainsi que le potentiel régénératif des dérivés des matrices de l’émail dans le traitement des lésions parodontales chez l’homme (Yukna et Mellonig, 2000 ; Froum et al., 2001 ; Tonetti et al., 2002). L’utilisation des dérivés des matrices de l’émail a été choisie, dans ce cas clinique, afin d’éviter la pose d’une membrane dans une zone esthétique, écartant ainsi tout risque d’exposition de celle-ci dans la cavité buccale et pouvant entraîner une aggravation du point de vue esthétique. De plus, la pose chirurgicale d’une membrane aurait probablement obligé l’extension du lambeau et, peut-être, une ou deux incisions de décharge. La perte de tissu gingival en distal de la 11 ainsi que l’absence de papille entre les 11 et 12 ont été corrigées à la suite du déplacement orthodontique des dents, ce qui a permis de retrouver un contexte anatomique favorable (Tarnow et al., 1992).

Dans ce cas clinique, la supraclusion que présente ce patient ne permet pas de poser les verrous sur l’arcade mandibulaire pour corriger la dysharmonie dento-dentaire. Pour contourner cette difficulté, il faudrait un traitement alourdi : il faudrait d’abord « corriger la supraclusion » par pose d’un traitement multibague maxillaire pour ingresser les incisives maxillaires, afin de pouvoir ensuite poser les verrous sur l’arcade mandibulaire.

Le choix de la technique d’orthodontie par gouttière préformée a été également fait pour que le patient puisse enlever celle-ci et, donc, pour que le brossage soit plus facile que lors d’un traitement conventionnel : le passage du fil dentaire est alors possible et les nettoyages professionnels sont aisés pendant le traitement. En effet, la pose de bagues, brackets et fils métalliques inamovibles rend souvent difficiles les phases d’hygiène indispensables au cours des traitements mixtes ortho-parodontaux. Aussi, chaque fois que c’est possible, le choix des gouttières sera privilégié dans ce type de traitements.

Cependant, le patient doit montrer de la rigueur dans le port de l’appareillage et l’orthodontiste doit maîtriser la faisabilité des mouvements par gouttières thermoformées en ajoutant les auxiliaires nécessaires et en ajustant les rythmes et vitesses de déplacement en fonction du parodonte et du cas clinique.

Conclusion

Chaque discipline odontologique présente des limites et une prévisibilité ne permettant pas d’obtenir dans tous les cas un bon résultat. C’est pourquoi il est nécessaire d’associer plusieurs spécialités pour arriver au résultat escompté. C’est souvent le cas entre la parodontie et l’orthodontie : la parodontie va gérer les problèmes des tissus de soutien de la dent et l’orthodontie améliorera les rapports anatomiques, ce qui redonnera fonction et esthétique aux patients.

BIBLIOGRAPHIE

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