Article
Andrada POPOVICI SOANCA* Alexandra ROMAN** Radu CÂMPIAN*** Cosmin CIOBAN****
*Université de médecine et de pharmacie
Iuliu Hatieganu, Département de
parodontologie, Cluj-Napoca, Roumanie
**Université de médecine et de pharmacie
Iuliu Hatieganu, Département de
parodontologie, Cluj-Napoca, Roumanie
***Université de médecine et de pharmacie
Iuliu Hatieganu, Département de
réhabilitation orale, gestion de santé
buccale et dentaire, Cluj-Napoca,
Roumanie
****Université de médecine et de pharmacie
Iuliu Hatieganu, Département de
parodontologie, Cluj-Napoca, Roumanie
La parodontite agressive peut avoir des effets désastreux sur les fonctions orales et sur l’esthétique. La parodontite agressive généralisée est une maladie multifactorielle qui se développe à partir d’interactions complexes entre des gènes spécifiques de l’hôte et l’environnement. Le traitement des destructions parodontales avancées représente un véritable défi pour le parodontiste, en partie à cause de la difficulté pour gérer l’inflammation locale, liée aux différences de réponse entre individus, mais aussi en raison de la difficulté à compenser les tissus perdus. Le but de cet article est de présenter certaines approches thérapeutiques complexes incluant une collaboration interdisciplinaire dans trois cas de parodontite agressive avancée. Le traitement parodontal conventionnel a constitué la première étape thérapeutique pour tous les patients. D’autres approches thérapeutiques complexes ont été réalisées, avec une chronologie adaptée à la situation clinique. Tous les patients présentaient une migration pathologique des dents antérieures et ont subi un traitement orthodontique afin d’améliorer l’hygiène buccale et l’esthétique, corriger le trauma occlusal et, éventuellement, corriger les défauts osseux. Bien que la gestion de l’infection locale, de l’inflammation et des dysfonctions ait été obtenue pour les trois patients, le résultat positif à long terme reste à prouver.
Aggressive periodontitis may have devastating effects on oral functions including esthetics. Generalized aggressive periodontitis is a multifactorial disease that develops as a result of complex interactions between specific host genes and the environment. The treatment of advanced periodontal destructions presents a significant challenge for the periodontist in part due to the difficulty to manage the local inflammation because differences in interindividual response, but also because of the difficulty to compensate the lost tissues. The aim of the present paper is to reveal some complex therapeutic approaches including interdisciplinary collaboration in three cases of advanced aggressive periodontitis. Conventional periodontal therapy was the first therapeutic step for all the patients. Other complex therapeutic approaches were realized, their order depending on the clinical presentation. For all our patients, pathologic migration of anterior teeth was present and orthodontic therapy was realized in order to improve oral hygiene and esthetics, to correct occlusal trauma and eventually to correct the osseous defects. Even if the management of local infection, inflammation and the impaired functions was obtained for the three patients, the positive long term outcome must to be proved.
La parodontite est une maladie complexe et son expression implique des interactions très intriquées entre le biofilm et la réponse immuno-inflammatoire de l’hôte, ainsi que des altérations consécutives à l’homéostasie du parodonte (Taubman et al., 2007). La destruction du tissu conjonctif et de l’os résulte initialement de l’activation de mécanismes tissulaires (Kornman, 2008). Comme d’autres types de maladies parodontales, la parodontite agressive se révèle aux cliniciens sous des formes de sévérité et de réponse au traitement qui sont variables. Il existe des aspects diagnostiques classiques, qui conviennent généralement pour tous les patients, mais les données actuelles tentent d’expliquer cette hétérogénéité dans l’expression de la parodontite agressive.
L’un des aspects importants à prendre en compte pour le clinicien réside dans le fait que le phénotype clinique n’est pas simplement un défi microbiologique traduit par une réponse standard de l’hôte. Tout d’abord, des variations de gènes altèrent la réponse de l’hôte aux infections, ce qui modifie la sévérité clinique de la maladie. Ensuite, certains facteurs de risque peuvent influencer l’expression de la maladie en altérant la nature de la réponse immuno-inflammatoire et faire basculer l’équilibre vers une destruction parodontale plus sévère (Kornman, 2008). Certains des facteurs de risque (par exemple le tabac) peuvent induire une modification de l’expression des gènes, appelée régulation épigénétique, et jouer un rôle en modifiant la réponse inflammatoire d’une façon dynamique (Bobetsis et al., 2007). Les différences d’exposition déterminent la sévérité de la destruction parodontale (Feinberg, 2007). Mais il existe également d’autres mécanismes par lesquels les facteurs de risque systémiques induisent des modifications au niveau de l’homéostasie locale.
D’un point de vue clinique, il est important de prendre en considération le phénotype clinique, qui est typiquement fondé sur les aspects cliniques associés à l’inflammation et à la perte de tissus parodontaux, et qui ne reflète pas la complexité du phénotype biologique (Offenbacher et al., 2007). En d’autres termes, les individus qui ont un aspect clinique similaire peuvent avoir une réponse différente au traitement, en raison de processus pathogènes variables qui favorisent la progression de la maladie (Offenbacher et al., 2008). Sur le plan thérapeutique, il est très difficile pour le clinicien de cibler les mécanismes intriqués qui sont associés à la destruction parodontale.
Comme cela a été cité par le passé, la parodontite agressive généralisée touche le plus fréquemment les jeunes adultes et, très souvent, le diagnostic coïncide avec une destruction parodontale sévère. En dehors du traitement parodontal conventionnel, celui de ces patients requiert des approches thérapeutiques complexes.
Cet article présente quelques approches thérapeutiques complexes incluant une collaboration interdisciplinaire dans trois cas de parodontite avancée.
Un bilan parodontal complet de chaque patient a été réalisé. Les paramètres cliniques ont été enregistrés initialement, à 2 mois et lors des visites de contrôle ou de maintenance : indice de plaque (IP) (O’Leary et al., 1972), indice de saignement au sondage (ISS) (Ainamo et Bay, 1975), profondeur de poche au sondage (PPS), niveau d’attache clinique (NAC) initial et mobilité. La profondeur de poche a été enregistrée en six points : mésio-vestibulaire (MV), vestibulaire (V), disto-vestibulaire (DV), disto-lingual (DL), lingual (L) et mésio-lingual (ML) (tableaux 12 à 3). Les modifications esthétiques dues aux migrations pathologiques, aux triangles noirs ou à des restaurations mal adaptées ont également été enregistrées. Des orthopantomographies et des séries de radiographies rétroalvéolaires ont été réalisés.
Les critères suivants ont été utilisés pour diagnostiquer la parodontite agressive généralisée (Armitage, 1999 ; Tonetti et Mombelli, 2003) :
– absence de conditions systémiques significatives ;
– perte parodontale rapide ou destruction sévère en relation avec l’âge du patient ;
– perte d’attache affectant au moins 3 dents permanentes autres que les premières molaires et les incisives ;
– antécédents familiaux ;
– manque de concordance entre la qualité de plaque bactérienne présente et la sévérité de la destruction parodontale ;
– individus de moins de 30 ans.
Le traitement parodontal conventionnel prescrit aux 3 patients présentant une parodontite agressive généralisée comprenait un détartrage-surfaçage associé à une antibiothérapie systémique (Augmentin® et métronidazole) pendant 7 jours.
Chaque patient a également subi des corrections occlusales de façon à éliminer les interférences occlusales.
Après une réévaluation au bout de 2 mois, d’autres traitements ont été mis en œuvre tels que des lambeaux d’assainissement ou des techniques régénératrices, ou encore de la chirurgie plastique parodontale, de l’orthodontie, des contentions, des traitements restaurateurs (par exemple des odontoplasties directes en résines plastiques) et une maintenance, de façon à corriger les effets dévastateurs de la destruction parodontale. La contention au niveau des dents antérieures du maxillaire (patient 1) et mandibulaires (patient 3) a été effectuée en utilisant une fibre imprégnée en résine (Construct® System, Kerr) et l’odontoplastie avec de l’Herculite XRV® (Kerr) et de l’Optibond Solo Plus® (Kerr). Les visites de maintenance ont été programmées tous les 3 mois de façon à prévenir une aggravation de la destruction parodontale (Artun et Urbye, 1988).
Les options thérapeutiques pour réaliser ces objectifs ont été présentées aux patients et leur consentement écrit a été recueilli.
Le premier patient est une femme de 33 ans. Son motif de consultation principal est l’extrusion de l’incisive centrale maxillaire gauche. La patiente indique qu’elle a eu un traitement orthodontique à l’âge de 14 ans. L’examen clinique révèle une perte d’attache parodontale et une perte osseuse modérée à sévère (PPS : 2-10 mm ; NAC : 0-8 mm), d’importantes malpositions des 12, 13 et 14, et une migration pathologique de la 21. La première prémolaire supérieure droite présente une mobilité de classe III et les autres dents mentionnées plus haut présentent une mobilité de classe II. On enregistre un indice de plaque de 40 % et un indice de saignement au sondage de 37,5 %. L’examen radiographique révèle une perte significative de près des deux tiers de la hauteur de l’os au niveau des dents maxillaires. Quelques défauts osseux verticaux sont sans doute présents.
Les objectifs thérapeutiques pour cette patiente sont de stopper la maladie parodontale grâce à un traitement parodontal spécifique, de corriger les malpositions de la première prémolaire maxillaire, de la canine et de l’incisive latérale droites, pour éliminer l’inflammation, prévenir d’autres migrations pathologiques et améliorer l’esthétique.
Le traitement parodontal conventionnel est suivi d’une chirurgie à lambeau et d’une greffe osseuse pour les défauts verticaux (Bio-Oss®), de 12 à 17 et de 24 à 27. L’absence d’une réponse appropriée dans la région de 12 à 14 conduit à la mise en place d’un traitement orthodontique qui consiste en un appareillage fixe et un implant vestibulaire.
La contention des incisives maxillaires est réalisée avec du Construct® System (Kerr). Parce que le traitement orthodontique implique la canine droite, la contention est étendue seulement aux incisives. La réduction amélaire du bord libre de l’incisive centrale gauche et l’odontoplastie en composite sont réalisées en méthode directe pour masquer les triangles noirs.
Après le traitement initial, une réduction de la profondeur de poche de 1,52 mm (tableau 1) et un indice de saignement au sondage de 10 % est obtenue. Une nette amélioration est observée en ce qui concerne l’esthétique et l’état parodontal, 8 mois après le début du traitement orthodontique. L’appareillage orthodontique est maintenu en place pour assurer une contention. Aucune augmentation du score de plaque lors des visites de maintenance n’est enregistrée (IP = 35) (fig. 123 à 4).
Une jeune femme de 25 ans est adressée à notre département pour une évaluation parodontale et un traitement. La patiente a peur de perdre ses dents et indique s’être aperçue de l’apparition d’un espace entre ses dents antérieures. Les paramètres cliniques révèlent une perte d’attache parodontale et osseuse modérée (PPS : 4-6 mm ; NAC : 2-5 mm), une migration pathologique importante des incisives mandibulaires associée à un diastème de 4 mm, mais également la migration des dents antérieures maxillaires. On note 2 récessions gingivales de classe 3 de Miller respectivement sur la 31 (de 4 mm de haut) et la 41 (de 1 mm de haut), associées à une absence totale de gencive attachée. On enregistre une valeur de 35 % pour l’indice de plaque et de 54,8 % pour l’indice de saignement au sondage. On observe la présence de défauts osseux verticaux sur les radiographies rétroalvéolaires des incisives latérales maxillaires.
Les objectifs de traitement pour cette patiente sont d’éliminer la maladie parodontale et de corriger le problème esthétique et fonctionnel des dents antérieures.
Après un traitement parodontal initial, un traitement chirurgical régénérateur avec du Bio-Oss® (Geistlich, Suisse) est entrepris au niveau des dents maxillaires postérieures droites. Le traitement orthodontique a été envisagé pour aligner les dents antérieures, pour améliorer l’esthétique et faciliter la contention. En tenant compte du traitement orthodontique, une greffe gingivale libre dans la zone mentionnée ci-dessus est réalisée afin de créer de la gencive attachée. Deux mois plus tard, des appareillages orthodontiques amovibles maxillaire et mandibulaire sont mis en place. Après avoir obtenu la fermeture des espaces au niveau des dents maxillaires, l’appareillage amovible est utilisé comme moyen de contention en attendant la stabilisation éventuelle des dents. Les dents antérieures sont restaurées en méthode directe afin d’améliorer l’esthétique et de rétablir les points de contact.
Après le traitement initial, on enregistre une réduction de la profondeur de poche au sondage de 1,8 mm (tableau 2) et une nette diminution de l’inflammation (ISS : 15 %). On obtient une hauteur de 6 mm de gencive attachée au niveau des incisives centrales mandibulaires et un approfondissement du vestibule 6 mois après la chirurgie muco-gingivale. Lors de la réévaluation 6 mois après la greffe gingivale libre, on ne note aucune augmentation du score de plaque (IP = 22) (fig. 567 à 8).
Le troisième patient, une femme de 40 ans, est adressé à notre département pour une perte d’attache parodontale et une perte osseuse généralisées sévères (PPS : 5-11 mm ; NAC : 3-9 mm), une migration pathologique des incisives maxillaires, une mobilité généralisée des dents et une mobilité importante des incisives, avec un indice de plaque de 38 % et un indice de saignement au sondage de 70 %.
Les objectifs de traitement pour cette patiente sont de stopper l’inflammation, de redresser les dents maxillaires antérieures, de stabiliser les dents mobiles et de réduire la profondeur des poches.
L’extraction des dents au pronostic défavorable est réalisée (17, 15, 28, 38). Le traitement parodontal initial (détartrage-surfaçage et antibiothérapie systémique) est suivi de la pose d’un appareillage orthodontique maxillaire amovible pour redresser et assurer la contention temporaire des dents. La contention des dents mandibulaires antérieures est réalisée afin de diminuer la mobilité et de créer des conditions optimales de cicatrisation après la chirurgie parodontale. Malheureusement, la chirurgie de réduction des poches ne peut pas être effectuée parce que la patiente entame une grossesse. Les visites de contrôle (rappel) sont programmées de façon à gérer l’état parodontal durant cette période.
On observe une réduction de la profondeur de poche de 1,7 mm après la thérapeutique initiale (tableau 3). On enregistre un ISS de 50 % et la persistance d’une mobilité accrue. Aucune augmentation du niveau de plaque (IP = 32) 1 mois après la contention n’est constatée (fig. 91011 à 12).
La désorganisation mécanique du biofilm est essentielle pour contrôler l’infection bactérienne. Parce que la parodontite agressive est associée à des bactéries spécifiques qui peuvent pénétrer à l’intérieur des tissus, dans les cas présentés ici le traitement antibiotique systémique a été associé à un détartrage-surfaçage. Le choix de la prescription d’une association d’antibiotiques est fondé sur le concept classique de l’antibiothérapie systémique en parodontie (van Winkelhoff, 2005). Certains auteurs utilisent de la doxycycline comme adjuvant thérapeutique (Chaturvedi, 2009). L’azithromycine systémique est une autre option qui a été également utilisée (Haas et al., 2008 ; Gomi et al., 2007).
La réduction de la profondeur des poches après le traitement initial a été obtenue dans les trois cas présentés et concorde avec les données de la littérature médicale (Loos et al., 1987).
La migration pathologique des dents antérieures, ou changement de leur position (Chasens, 1979), est causée par la perte d’équilibre de la position des dents (du fait de la perte des tissus parodontaux), la pression des tissus enflammés, les habitudes orales, la poussée de la langue ou la présence d’un frein vestibulaire (Cirelli et al., 2006). La migration pathologique des dents est rapportée chez 30 à 50 % des patients présentant une parodontite modérée à sévère (Towfighi et al., 1997 ; Martinez-Canut et al., 1997) et est remarquée par le patient seulement quand l’esthétique est affectée. Malheureusement, bien souvent, lors du diagnostic, la destruction parodontale est déjà avancée.
Chez les 3 patients, on a pu observer une migration pathologique des dents antérieures et le traitement orthodontique a été réalisé pour améliorer l’hygiène buccale, corriger le trauma occlusal et, également, améliorer l’esthétique en réalignant les incisives en malposition et déplacées (Maeda et al., 2007). Pour le premier patient, il avait également été prévu l’éventuelle modification des défauts osseux (Cirelli et al., 2006). Le rétablissement des contacts proximaux a facilité la contention.
Comme cela a été mentionné plus haut, de multiples éléments contribuent au phénotype clinique de la parodontite agressive et les 3 patients dont les cas ont été rapportés ici peuvent avoir différents facteurs de prédisposition. Les deux derniers peuvent être considérés comme appartenant au stade P2 de l’interface du biofilm gingival (ISS > 50 %) proposé par Offenbacher et al. (Offenbacher et al., 2008), avec des bases biologiques spécifiques pour expliquer la sévérité de la maladie. La persistance de l’inflammation dans le troisième cas renforce l’idée évoquée plus haut et l’incapacité de cibler le traitement sur les processus biologiques associés à la pathogénie de la maladie.
La réduction attendue de la profondeur de poche après le traitement initial a été obtenue dans les trois cas présentés.
Un traitement interdisciplinaire est généralement nécessaire dans les formes agressives de maladie parodontale, mais la chronologie des étapes thérapeutiques spécifiques dépend de la sévérité de la situation clinique.
Même s’il a été possible de gérer l’infection locale, l’inflammation et les fonctions « altérées » chez les trois patients, le résultat positif à long terme reste à prouver.
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt concernant le contenu de cet article.
Ce travail a été financé en partie par le Romanian MECI Grant, PSIDENT, n° 42-141.
Les auteurs souhaitent remercier le Pr Alin Serbanescu et le Dr. Ana Maria Vladutiu pour leur soutien.