Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 04 du 01/11/2010

 

Article

Nicola BALDINI*   Giovanni ZUCCHELLI**   Massimo DE SANCTIS***  


*DDS, Département des sciences odonto-stomatologiques, Université de Sienne,
Italie
**PhD, Département des sciences odonto-stomatologiques, Université de Bologne,
Italie
***DDS, Département des sciences odonto-stomatologiques, Université de Sienne,
Italie

Résumé

Un nouveau tracé de lambeau, le lambeau multiple déplacé coronairement, dessiné à l’origine pour la chirurgie muco-gingivale, est proposé pour une indication clinique différente : un lambeau d’accès pour l’insertion d’un implant unitaire dans les zones esthétiques.

Les particularités cliniques du lambeau multiple déplacé coronairement résident dans l’absence d’incisions verticales de décharge, une épaisseur variable, associant des zones d’épaisseur partielle et d’épaisseur totale, et le déplacement coronaire du lambeau.

Un cas clinique de pose d’implant unitaire pour remplacer une incisive centrale maxillaire est décrit pour illustrer chaque étape de cette technique chirurgicale.

Summary

A new flap design, the multiple coronally advanced flap, originally designed for mucogingival surgery, is proposed for a different clinical indication : access flap for single implant insertion in areas of esthetic relevance.

Clinical features of multiple coronal advanced flap are the absence of a vertical releasing incisions, a variable thickness, combining areas of split and full thickness and the coronal repositioning of the flap.

A clinical case of single implant surgery on a maxillary central incisor is reported to describe step by step the surgical technique.

Key words

Incision design, implant surgery, coronal flap repositioning

Introduction

Durant ces dernières années, la chirurgie implantaire a montré qu’elle pouvait être une solution fiable pour remplacer des dents manquantes avec un taux de succès élevé (Lekholm et al., 2006 ; Lindh et al., 1998 ; Naert et al., 2002 ; Noack et al., 1999). Dans les situations cliniques où l’esthétique est un impératif, la gestion des tissus mous au moment de la pose de l’implant et leur intégration autour de la restauration finale sont des aspects essentiels pour le succès du traitement (Fürhauser et al., 2005 ; Belser et al., 2009).

Une bonne gestion des tissus mous peut faciliter la stabilité des tissus mous péri-implantaires à long terme (Belser et al., 1998 ; Grunder et al., 2005). Bien qu’il ait été démontré que la présence de muqueuse kératinisée n’influençait pas la survie de l’implant à long terme (Albrektsson et al., 1986 ; Wennström, 1994), il n’en demeure pas moins que la présence de tissu kératinisé est fréquemment recommandée pour faciliter le contrôle de plaque, obtenir une stabilité optimale des tissus mous péri-implantaires et un meilleur résultat à la fois prothétique et esthétique (Buser et al., 1990 ; Block et Kent, 1990).

Différentes techniques ont été décrites dans la littérature médicale pour augmenter le tissu kératinisé sur les sites implantaires : techniques du rouleau, greffes conjonctives, greffes épithélio-conjonctives.

La technique du rouleau consiste essentiellement à déplacer par rotation du tissu conjonctif palatin et à l’insérer sous le lambeau vestibulaire au moment de la pose de l’implant ou lors de la deuxième phase chirurgicale ; elle a fait l’objet de plusieurs études illustrées par des séries de cas montrant la possibilité d’augmenter l’épaisseur de la muqueuse et la quantité de tissu (Barone et al., 1999 ; Scharf et Tarnow, 1992 ; Abrams, 1980).

Les techniques de greffes aussi bien épithélio-conjonctives (Landi et Sabatucci, 2001 ; Langer et Langer, 1990) qu’uniquement conjonctives (Burkhardt et al., 2008 ; Covani et al., 2007 ; Bianchi et Sanfilippo, 2004) ont démontré qu’elles étaient fiables pour augmenter la quantité de tissu mou et de tissu kératinisé lors de la pose de l’implant.

Durant ces dernières années, une autre question a été soulevée dans la littérature implantaire, celle de l’importance d’une bonne intégration entre les tissus péri-implantaires et les tissus parodontaux adjacents (Buser et al., 2004).

Bien que la pose d’implants sans élever de lambeau ait été largement décrite et évaluée (Oh et al., 2006 ; Schwartz-Arad et Chaushu, 1998 ; Fortin et al., 2006), en particulier lors de l’implantation immédiate (Covani et al., 2008), il n’en demeure pas moins que la plupart des situations cliniques nécessitent l’élévation d’un lambeau pour avoir un bon accès visuel à la crête osseuse, et cet aspect revêt toute son importance dans les situations de crêtes osseuses étroites ou irrégulières ainsi que dans les cas nécessitant une régénération, présentant une crête angulée ou encore un biotype parodontal fin (Hämmerle et Lang, 2001).

Le tracé de lambeau classique décrit dans la littérature médicale consiste en un lambeau trapézoïdal délimité par une incision crestale, qui peut être placée soit sur le sommet de la crête soit dans une position plus palatine, et deux incisions verticales sur les dents adjacentes (Buser et al., 2004, 2008). Cette approche, avec des incisions verticales, peut présenter quelques limites dans les zones où les exigences esthétiques sont élevées.

En fait, les incisions verticales de décharge peuvent générer des cicatrices ou des zones d’hyperkératose qui deviennent très visibles du fait de la différence de teinte.

Les incisions verticales de décharge diminuent également l’apport vasculaire du lambeau lui-même en sectionnant tout le réseau de distribution vasculaire horizontal, réduisant ainsi le trophisme du tissu marginal (Kleinheinz et al., 2005).

Dans l’analyse de Kleinheinz, fondée sur une étude anatomique de la vascularisation de la muqueuse buccale, les incisions marginales réalisées dans les zones dentées et les incisions au milieu de la crête dans les zones édentées se sont révélées les moins traumatisantes pour l’apport vasculaire des tissus superficiels.

Lorsque le déplacement du lambeau n’est pas nécessaire, les auteurs préconisent d’éviter les incisions verticales de décharge.

Lors du tracé d’un lambeau, l’absence d’incisions verticales doit être compensée par des incisions intrasulculaires, qui vont associer au moins une dent adjacente à la récession, et ce dans les directions mésiale et distale.

Au cours des dernières années, les lambeaux en enveloppe ont été décrits en chirurgie implantaire (Barone et al., 1999 ; Nemcovsky et al., 1999, 2000) et en chirurgie parodontale, en particulier dans le domaine muco-gingival, pour traiter des récessions (Zucchelli et De Sanctis, 2000).

Barone décrit une méthode qui consiste essentiellement en une modification de la technique du rouleau précédemment décrite (Barone et al., 1999) caractérisée par l’absence d’incisions verticales de décharge en vestibulaire afin d’améliorer le résultat esthétique. Nemcovsky a décrit une technique dans laquelle on réalise un lambeau de rotation palatin en épaisseur partielle pour permettre une cicatrisation de première intention sur des implants placés dans des alvéoles d’extraction avec mise en charge immédiate, obtenant ainsi une augmentation du tissu kératinisé (Nemcovsky et al., 1999).

Le lambeau déplacé coronairement est une technique bien documentée et validée, utilisée en chirurgie muco-gingivale plastique depuis longtemps (Allen et Miller, 1989 ; Pini Prato et al., 2000) et, plus récemment, pour traiter également des récessions tissulaires autour des implants (Burkhardt et al., 2008). Burkhardt a testé le lambeau déplacé coronairement, associé à une greffe conjonctive, pour traiter des récessions gingivales autour d’implants. La technique permet d’obtenir 66 % de recouvrement total de l’implant à 6 mois (Burkhardt et al., 2008).

Le but de la présente étude est de décrire le lambeau déplacé coronairement, sans incisions verticales de décharge, tel qu’il a été initialement présenté et testé pour la chirurgie muco-gingivale et le traitement des récessions (Zucchelli et De Sanctis, 2000, 2005) mais dans une application différente, celle le destinant à obtenir un meilleur accès à la crête osseuse lors d’une pose d’implant unitaire en un temps, réduisant ainsi les complications esthétiques de la chirurgie implantaire.

Technique chirurgicale

Après une anesthésie locale, on réalise une incision horizontale à l’aide d’un bistouri pour tracer un lambeau en enveloppe. C’est une incision d’épaisseur totale sur le sommet de la crête édentée, que l’on prolonge ensuite du côté vestibulaire par des incisions intrasulculaires incluant 2 dents en direction mésiale et distale (fig. 4). Sur les 2 papilles interdentaires, on réalise des incisions obliques en épaisseur partielle qui convergent vers la zone édentée. Les incisions papillaires sont réalisées en plaçant le bistouri parallèlement au grand axe de la dent de façon à créer une surface conjonctive pouvant recevoir le déplacement coronaire et assurer la stabilisation du lambeau. Les lambeaux sont ensuite élevés en épaisseur (partielle, puis totale, puis partielle). On réalise également une incision intrasulculaire du côté palatin, seulement sur la première dent adjacente à la zone édentée, en mésial et en distal. Les incisions palatines permettent un meilleur accès visuel à la crête osseuse de la zone édentée. Lorsque la crête édentée est bien exposée, l’implant est placé selon le protocole recommandé par le fabricant avec une insertion transmuqueuse. Après l’insertion de l’implant et de la vis de cicatrisation, le lambeau est déplacé coronairement à l’aide d’une incision franche à travers la muqueuse buccale : avec une première incision « en profondeur » dans le périoste et des incisions plus superficielles pour éliminer les insertions musculaires. Le lambeau doit se libérer sans tension de la lèvre et des muscles péribuccaux. La mobilisation du lambeau est jugée suffisante lorsque la partie marginale du lambeau est capable d’atteindre (sans tension) un niveau coronaire à la jonction émail-cément des dents et lorsque les papilles chirurgicales recouvrent (sans tension) les papilles anatomiques. Le lambeau doit être stable dans sa position finale avant les sutures. Les papilles interdentaires anatomiques doivent être désépithélialisées avec soin pour améliorer les lits conjonctifs et pour éliminer l’épithélium qui pourrait interférer dans la cicatrisation des deux surfaces conjonctives des nouvelles papilles. Lorsque le lambeau est déplacé coronairement, les papilles chirurgicales sont tournées vers les extrémités des lambeaux et déplacées sur les lits conjonctifs préparés au niveau des papilles anatomiques. En particulier, la papille chirurgicale située en mésial de l’implant subit une rotation dans une direction mésio-coronaire alors que celle située en distal de l’implant subit une rotation dans une direction disto-coronaire. La gencive marginale de la zone édentée est déplacée coronairement vers la vis de cicatrisation implantaire et stabilisée dans cette position par le déplacement coronaire du lambeau. On réalise des sutures à points suspendus pour permettre une adaptation précise du lambeau autour de la vis de cicatrisation implantaire et stabiliser chaque papille chirurgicale sur la surface conjonctive interdentaire. Les premières sutures à réaliser sont celles qui stabilisent la zone périphérique du lambeau ; la zone centrale sera suturée en dernier. Les sutures sont déposées 10 jours après la chirurgie.

Cas clinique

Une patiente, B.S., âgée de 38 ans et présentant une fracture radiculaire de l’incisive centrale maxillaire gauche, a été choisie pour la mise en place immédiate d’un implant afin de tester le résultat clinique obtenu avec un lambeau déplacé coronairement adapté aux techniques implantaires.

La dent (21) présentait une restauration coronaire et il a été estimé qu’elle ne pouvait être conservée du fait de la fracture coronaire (fig. 1 à 3).

Afin de réduire la durée globale du traitement, une approche avec extraction de la dent et pose immédiate d’un implant a été décidée.

Après une anesthésie locale, un lambeau déplacé coronairement selon la technique précédemment décrite, allant de la 12 à la 23, a été réalisé (fig. 4).

Une incision marginale sur la 21, à la fois en vestibulaire et en palatin est faite. Après cette incision et l’élévation du lambeau (fig. 5 et 6), la 21 est soigneusement extraite, en prenant des précautions particulières pour éviter de léser la corticale osseuse vestibulaire (fig. 7).

L’alvéole d’extraction est ensuite nettoyée à l’aide de curettes pour éliminer le tissu de granulation, permettant ainsi d’obtenir un bon accès visuel aux parois osseuses.

Puis un implant 3i (FOS 423) est placé, selon les critères établis pour le positionnement tridimensionnel correct des restaurations esthétiques (Buser et al., 2004) (fig. 8 et 9).

Étant donné que l’on a opté pour une technique transmuqueuse, une vis de cicatrisation a été placée et le lambeau a été suturé dans une position coronaire en fixant les papilles chirurgicales sur les nouveaux lits conjonctifs des papilles anatomiques préalablement désépithélialisées (fig. 10).

Pour des raisons esthétiques, la patiente a porté une prothèse transitoire amovible durant les premières semaines qui ont suivi la pose de l’implant. Six semaines après la chirurgie, l’implant a été mis en charge avec une restauration provisoire fixée (fig. 11 à 14).

Discussion

La gestion des tissus mous autour des implants dentaires revêt de plus en plus d’importance en chirurgie implantaire pour satisfaire la demande esthétique croissante des patients.

Les études portant sur le lambeau déplacé coronairement pour traiter des récessions ont montré que la stabilisation coronaire du lambeau est possible et qu’elle peut être maintenue durant la période où le niveau d’attache interdentaire l’est également (Allen et Miller, 1989 ; Tenenbaum et al., 1980 ; Cairo et al., 2008).

Le lambeau multiple déplacé coronairement a été décrit pour traiter des récessions multiples et s’est avéré efficace pour obtenir un recou­vrement radiculaire total (Zucchelli et De Sanctis, 2005). Les résultats de cette technique ont démontré sa stabilité à 5 ans.

Les caractéristiques de ce lambeau peuvent être utilisées en chirurgie implantaire. En fait, les avantages de cette technique sont l’absence d’incisions verticales, un meilleur résultat esthétique, un respect essentiel de la vascularisation du lambeau, la possibilité d’une stabilisation coronaire des tissus mous.

L’un des principes fondamentaux à observer lorsque l’on fait de la chirurgie plastique est de modifier le tracé de l’incision pour éviter la présence de tissu cicatriciel dans les zones esthétiques.

Les incisions verticales dans les secteurs antérieurs de la bouche exposent le patient au risque de se retrouver avec des lignes cicatricielles blanchâtres une fois la cicatrisation terminée.

L’utilisation du lambeau multiple déplacé coronairement peut apporter de meilleurs résultats esthétiques et une intégration des tissus mous, en cachant les incisions verticales à l’intérieur de la gencive marginale. Les incisions doivent être prolongées jusqu’aux 2 dents adjacentes, en direction mésiale et distale, pour permettre la mobilisation du lambeau ; l’absence d’incisions verticales doit être compensée par un lambeau plus important incluant un plus grand nombre de dents. Les avantages de ce lambeau en enveloppe sont représentés par le respect de la vascularisation de la muqueuse buccale : les incisions sont intrasulculaires ou situées au milieu de la crête, qui sont des zones où la vascularisation est terminale et où l’on ne risque pas de léser des vaisseaux principaux (Kleinheinz et al., 2005).

Cette approche peut réduire le risque d’une hémorragie peropératoire et faciliter une meilleure phase de cicatrisation.

Dans une étude clinique randomisée récente portant sur 32 patients et 92 récessions (Zucchelli et al., 2009), comparant le lambeau multiple déplacé coronairement avec et sans incisions verticales, il a été démontré qu’en dépit d’une cicatrisation sans suites observée chez tous les patients, on obtient un résultat statistiquement supérieur pour le lambeau sans incisions verticales en termes de suites postopératoires et de durée de chirurgie au fauteuil (les chirurgies sans incisions verticales sont plus rapides à exécuter que les autres). Un examinateur a réalisé en aveugle une évaluation esthétique indépendante des résultats en termes de contour, de contiguïté et de quantité de tissu chéloïde formé : il montre que chez les patients pour lesquels on a réalisé des incisions verticales, l’incidence du gonflement, des douleurs et du saignement a été plus importante que chez les patients ayant subi un lambeau en enveloppe.

L’un des aspects importants de cette technique chirurgicale réside dans l’incision au niveau des papilles des dents adjacentes : l’utilisation d’incisions obliques en épaisseur partielle à la base des papilles anatomiques et la désépithélialisation du reste des papilles anatomiques permettent la stabilisation de nouvelles papilles chirurgicales sur les lits conjonctifs exposés en position coronaire. L’incision en épaisseur partielle pratiquée à la base du lambeau, en supprimant les insertions musculaires, permet le déplacement coronaire du lambeau qui doit atteindre (sans tension) sa nouvelle position coronaire.

La rétraction tissulaire postopératoire (+ 1 mm) est observée pour les deux approches implantaires : en deux temps (Grunder, 2000) et en un temps (Cochran et al., 2002) après 1 an de suivi. Le risque de contraction tissulaire postchirurgicale peut s’avérer être une complication fâcheuse sur les sites implantaires.

Afin de diminuer ce risque, sur le site implantaire, le lambeau est élevé en épaisseur totale pour inclure le périoste, ce qui permet d’obtenir plus d’épaisseur dans la zone critique et de réduire le risque de récession.

De plus, le déplacement coronaire du lambeau peut minimiser le risque d’une contraction apicale, en particulier dans les situations où il existe des récessions gingivales sur les dents adjacentes au site implantaire. Cette approche chirurgicale peut également permettre d’obtenir un recouvrement des surfaces radiculaires exposées en même temps que l’insertion de l’implant, associant ainsi les objectifs muco-gingivaux et implantaires dans une seule et même technique chirurgicale.

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