Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 04 du 01/11/2010

 

Revue Scientifique Internationale – Recherche clinique

Parodontologie

Renaud Rinkenbach  

But de l’étude

Les cellules du ligament alvéolo-dentaire (LAD) sont connues pour avoir un potentiel de différenciation en cémentoblastes, quand il s’agit de réparer une racine, ou en ostéoblastes lorsque l’os est endommagé. Différentes voies biochimiques régulent ces mécanismes, l’une d’elles, impliquant les kinases extracellulaires régulatrices du signal (ERK1 et 2), va être étudiée expérimentalement sur le rat. Lors d’un stimulus externe (expérience...


But de l’étude

Les cellules du ligament alvéolo-dentaire (LAD) sont connues pour avoir un potentiel de différenciation en cémentoblastes, quand il s’agit de réparer une racine, ou en ostéoblastes lorsque l’os est endommagé. Différentes voies biochimiques régulent ces mécanismes, l’une d’elles, impliquant les kinases extracellulaires régulatrices du signal (ERK1 et 2), va être étudiée expérimentalement sur le rat. Lors d’un stimulus externe (expérience in vitro), on note une augmentation du facteur de transcription Run2 (Runx2/cbfa1), chef d’orchestre de la différenciation des ostéoblastes par l’intermédiaire des kinases pERK 1/2. Ces hypothèses vont être testées in vivo sur le rat soumis à des forces orthodontiques.

Matériels et méthodes

La cohorte étudiée était constituée de 25 rats âgés de 12 semaines. La première molaire maxillaire de chaque rat anesthésié était reliée à un système orthodontique calibré et mis en tension. Trois groupes ont été formés comme suit :

– groupe 1 : 5 rats soumis pendant 4 heures à des forces continues de 0,25 newton et 5 autres à des forces de 0.5 newton ;

– groupe 2 : 10 rats soumis pendant 2 heures à des forces continues de 0,1 newton ;

– groupe 3 : 5 rats soumis pendant 4 heures à des forces discontinues de 0,1 newton et de 0,25 hertz.

Dans les groupes 1 et 2, les molaires qui étaient mésialées ont été maintenues écartées et sous tension par l’apport d’un composite interproximal. Cinq rats ont été sacrifiés à 1 jour et 5 autres à 2 jours. La molaire controlatérale a servi de témoin à l’étude.

Les coupes paraffinées ont été traitées par immuno-histochimie et testées pour Runx2/cbfa1 et pERK1/2. L’ensemble des données a été analysé en utilisant de test-t de Student.

Résultats

• Dans la zone en tension, on a noté une augmentation des pERK1/2 proportionnelle à la force déployée.

• Dans la zone en pression, cette augmentation n’a été remarquée qu’en présence de forces intermittentes.

• Quelle que soit la zone observée, on note une diminution du Runx2/cbfa1 proportionnelle à la durée et à l’intensité de forces constantes.

Conclusion

Cette étude réalisée in vivo montre clairement la relation entre Runx2/cbfa1, pERK1/2 et la différenciation des cellules du ligament alvéolo-dentaire :

– le gène Runx2 est impliqué dans le remodelage de l’os alvéolaire ;

– la différenciation des cellules du ligament alvéolo-dentaire en ostéoblastes est régulée par le mécanisme des pERK1/2, que l’on retrouve augmenté dans les zones en tension ;

– on note une diminution de Runx2/cbfa1 proportionnelle à la durée de la stimulation orthodontique ;

– les forces intermittentes sont à l’origine d’une régulation positive de pERK1/2.

Commentaires

De nombreuses études sont en cours actuellement et testent les voies de signalisation proposées dans l’élucidation des mécanismes de remodelage osseux. Parmi ces dernières, on retrouve (Houchmand-Cuny, 2009) :

– l’augmentation de la protéine P dans le LAD dans les phases initiales du mouvement dentaire (Davidovitch, 1988) ;

– l’interleukine 1β modifie le métabolisme osseux par la stimulation des ostéoclastes (Jäger, 2005). On retrouve aussi le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα) ainsi que des facteurs de croissance (Masella, 2006 et Roberts, 2004) dans cette même voie ;

– les récepteurs de la protéine morphogénétique osseuse (BMP) et le facteur de croissance transformant β (TGFβ) induisent une différenciation des cellules mésenchymateuses en cellules osseuses en quelques heures (Marie, 2008 et Masella, 2006) ;

– d’après Houchmand-Cuny (2009), l’interleukine 1 va agir sur les ostéoblastes afin qu’ils expriment à leur surface l’activateur du récepteur du facteur nucléaire kappa B ligand (RANK-L). Ce dernier pourra se fixer sur son récepteur RANK à la surface des cellules préostéoclastiques pour les transformer en ostéoclastes. La parathormone, l’interleukine 6 et le TNFα sont aussi des activateurs du système RANK-L/RANK avec une concentration élevée dans le fluide gingival, dans les phases initiales du traitement ODF. L’ostéoprotégerine (OPG) agit comme inhibiteur de cette voie par compétition avec RANK-L.

La recherche est en cours pour comprendre, plus en détail, les effets d’une force orthodontique et les mécanismes biochimiques mis en jeu lors de nos traitements. D’une manière plus générale, ces découvertes pourront expliquer plus précisément les mécanismes microbiologiques d’une ankylose dentaire, d’une résorption radiculaire, de la réponse parodontale à un traumatisme occlusal, voire de la réaction à certaines molécules comme la thyroxine, la doxycycline ou le clodronate.

L’étude du modèle murin est indispensable à la compréhension des mécanismes chez l’homme. De plus, le patrimoine génétique de la souris complètement décrypté présente de nombreuses similarités avec celui de l’homme. La création de souris transgéniques, l’utilisation des techniques de recombinaison homologues (introduction d’un fragment d’ADN dans le génome de la souris), l’inactivation de certains gènes par mutagenèse conditionnelle (utilisation du système Cre/loxP) vont permettre d’exprimer ou non certains gènes (et donc certaines protéines), à différents moments et dans certains organes choisis (la mâchoire, par exemple). Ce système biologique nouvellement créé permettra de tester en les activant ou en les bloquant certaines voies de signalisation. On pourra ainsi les extrapoler, voire les tester chez l’homme, en utilisant toutes les précautions liées aux lois de la bioéthique.