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Philippe BIDAULT* Cyril LUITAUD** Claude BIGOT***
*DCD, Paris
Master en sciences et certificat de parodontologie, Université Laval, Québec
**DCD, Paris
Master en sciences et certificat de parodontologie, Université Laval, Québec
***DCD, DSO, DEO, MCU-PH au service de parodontologie, Faculté de chirurgie dentaire de Montrouge, Paris-V
AP-HP à l’hôpital Bretonneau
Compte tenu des résultats parfois insuffisants des approches mécaniques conventionnelles en parodontie, différentes solutions thérapeutiques ont été décrites. Récemment, une nouvelle technique, la thérapie photodynamique, a été introduite. C’est un traitement anti-infectieux local qui s’appuie sur l’activation d’un colorant par une lumière à une longueur d’onde donnée. Elle est efficace contre les bactéries parodontopathogènes, qu’elles soient résistantes ou non aux antibiotiques. En outre, elle n’est pas associée à l’apparition de résistance bactérienne. Enfin, le traitement est rapide, simple de mise en œuvre et ponctuel. Cette thérapie permet donc de s’affranchir de la plupart des limites des traitements antibiotiques. Les résultats cliniques ont montré son efficacité. D’autres études sont nécessaires pour en préciser les indications et le bénéfice réel.
Considering limited results of mechanical approaches in periodontology, different treatment modalities have been documented. Recently, a new technology, photodynamic therapy has been utilised as a local anti-infective technique based on the activation of a dye by a light source with specific wavelength. It is efficient in killing periodontopatic bacteries, whether or not they are resistant to antibiotics. Furthermore, there is no induction of bacterial resistance. Thus, photodynamic therapy overcomes the limits of antibiotics treatments. The treatment time is short, and the technique is easy to implement. First clinical results have demonstrated some improvements for usual clinical parameters, but further studies are necessary to confirm its beneficial effect.
La désorganisation mécanique du biofilm dentaire et l’élimination des facteurs irritants locaux constituent le fondement des thérapeutiques étiologiques parodontales. Des études longitudinales ont démontré l’efficacité de cette approche fondée sur le détartrage-surfaçage radiculaire, le renforcement de l’hygiène et un suivi régulier (Hallmon et Rees, 2003 ; van der Weijden et Timmerman, 2002). Cependant, tous les patients et tous les sites ne répondent pas uniformément et favorablement à cette approche dite mécanique. On peut alors être amené à adjoindre une thérapeutique chimique par l’utilisation d’antibiotiques, d’antiseptiques ou encore d’agents modulateurs de la réponse de l’hôte. Pour s’affranchir des limites respectives de ces traitements, de nouvelles solutions sont en cours d’élaboration. C’est le cas, par exemple, de la thérapie photodynamique (TPD). Cette technique est déjà commercialisée aux États-Unis et dans certains pays européens ; son introduction en France est imminente. Nous avons donc souhaité présenter ici cette approche innovante.
Pour bien comprendre l’intérêt potentiel de la thérapie photodynamique, seront rappelées, dans une première partie, les limites des principales approches pharmacologiques disponibles. Dans une deuxième partie, les mécanismes fondamentaux de la thérapie photodynamique seront décrits. Enfin, le point sur l’état actuel des connaissances en matière de résultats de la thérapie photodynamique en parodontologie sera fait.
La thérapie photodynamique et ses propriétés anti-infectieuses sont décrites en médecine depuis le début du siècle dernier. De nombreuses indications ont été proposées, notamment en dermatologie et en ophtalmologie (Nestor et al., 2006 ; Silva et al., 2008). L’application la plus connue et reconnue scientifiquement concerne les traitements contre le cancer (Brown et al., 2004 ; Juarranz et al., 2008). Ce n’est que récemment que son action anti-infectieuse a connu un regain d’intérêt (Hamblin et Hasan, 2004). Cette évolution répond au besoin de mettre au point de nouvelles stratégies face à la problématique de la résistance bactérienne aux antibiotiques. Ce phénomène de résistance bactérienne est global : il concerne, à des degrés divers, toutes les espèces bactériennes, toutes les molécules antibiotiques et tous les domaines de la médecine. La cavité buccale n’est donc pas épargnée.
Dans la flore buccale, la résistance aux pénicillines a été documentée pour la première fois en 1983 en Afrique du Sud pour différents streptocoques (Farber et al., 1983). Cette observation a été régulièrement confirmée par la suite. Toutes les bactéries testées et tous les antibiotiques prescrits en odontologie sont concernés (Sweeney et al., 2004 ; Bidault et al., 2007). Or, la prévalence des résistances bactériennes est, semble-t-il, proportionnelle à l’utilisation des antibiotiques. Le développement de ce phénomène dans la cavité buccale est donc en partie lié à l’utilisation des antibiotiques par les dentistes eux-mêmes. De ce fait, il leur est recommandé de réduire leur utilisation aux bonnes indications et d’adopter des protocoles efficaces pour réduire la prévalence des résistances (Samaranayake et Johnson, 1999). Ces recommandations prennent tout leur sens quand on sait qu’il existe une grande variabilité des prescriptions antibiotiques en odontologie tant en termes d’indication que de choix de la molécule ou de la posologie (durée et dosage) (Epstein et al., 2000 ; Palmer et Martin, 1998 ; Thomas et al., 1996 ; Palmer, 2003).
Par ailleurs, ces recommandations s’inscrivent dans une dynamique globale. En effet, si on considère que les dentistes sont responsables d’environ 7 à 10 % de l’ensemble des prescriptions antibiotiques (Al-Haroni et Skaug, 2007 ; Pallasch, 2003), on peut penser que la contribution de la dentisterie aux problèmes de résistance est substantielle (Pallasch, 2003). Les chirurgiens-dentistes ont donc un rôle à jouer au-delà de la sphère buccale dans cette problématique.
À un échelon individuel, les antibiotiques sont associés à différents effets indésirables, essentiellement cutanés, gastriques ou allergiques (Roberts, 2002). En outre, comme toute médication, ils présentent aussi un risque d’interactions médicamenteuses (Hersh et Moore, 2008). Parmi les antibiotiques utilisés en parodontologie, citons par exemple le cas du métronidazole qui, en présence d’alcool ou chez un patient prenant du lithium, peut conduire à des complications sévères (effet antabuse). Enfin, le succès d’un traitement antibiotique est aussi limité par sa bonne application par le patient.
Il est également important de mentionner que l’organisation spécifique en biofilm des bactéries parodontopathogènes leur confère une résistance accrue aux antibiotiques (Socransky et Haffajee, 2002). Au sein d’un biofilm, une bactérie peut être jusqu’à 1 000 fois plus résistante que sous une forme planctonique. De ce fait, la désorganisation mécanique du biofilm est un élément indispensable et préalable à un éventuel traitement antibiotique.
Compte tenu de ces limites, l’antibiothérapie locale ou les antiseptiques locaux peuvent constituer une option complémentaire. Globalement, pour la plupart des molécules testées, les résultats montrent une amélioration statistiquement significative des paramètres cliniques par rapport à une approche mécanique seule (Greenstein, 2005 ; Bonito et al., 2005 ; Hanes et Purvis, 2003). Mais cette amélioration, même significative, reste faible (de 0,1 à 0,5 mm de réduction supplémentaire de profondeur de poche), temporaire et marginale au regard des résultats obtenus avec une approche conventionnelle. La pertinence clinique de cette approche est donc discutée et d’autres études sont nécessaires.
Concernant les agents modulateurs de la réponse de l’hôte, l’utilisation par voie systémique d’anti-inflammatoires ou de doxycycline à des doses sous-antimicrobiennes en complément du détartrage-surfaçage a montré certains bénéfices (Preshaw et al., 2004 ; Reddy et al., 2003). Cependant, des interrogations demeurent (Salvi et Lang, 2005 ; Greenstein, 2006 ; Needleman et al., 2007) et une utilisation à grande échelle ne fait l’objet d’aucune recommandation professionnelle.
Sans vouloir nier les bénéfices réels des solutions existantes, notamment ceux de l’antibiothérapie systémique (Herrera et al., 2008), on comprend que les limites décrites ci-dessus motivent les chercheurs à élaborer de nouvelles stratégies comme la thérapie photodynamique.
La thérapie photodynamique (Jori, 2006 ; Wainwright, 1998) repose sur la combinaison de deux éléments : la lumière et un agent photosensibilisant (AP).
Sous l’effet d’une radiation lumineuse d’une longueur d’onde spécifique, un agent photosensibilisant est activé. Sous sa forme activée, il interagit alors, d’une part, avec les molécules biologiques environnantes par transfert d’électrons (réaction de type I) et, d’autre part, avec l’oxygène présent localement par transfert d’énergie (réaction de type II). Ces réactions aboutissent à la formation de radicaux libres (RL), très réactifs, responsables de l’effet létal de la thérapie photodynamique sur toutes les cellules qui leur sont proches. Cet effet létal survient par altération soit de l’ADN, soit de la membrane cellulaire, provoquant sa rupture ou l’inactivation des systèmes membranaires protéiques de transport.
La source lumineuse est une lumière visible de faible puissance à une longueur d’onde donnée. Compte tenu de son efficacité et de ses caractéristiques de diffusion au niveau des tissus humains, la lumière rouge (longueur d’onde entre 630 et 700 nm) est la plus souvent choisie.
À ce jour, pour des raisons de coût, de sécurité et de facilité d’utilisation, les lasers à diode sont majoritairement employés. En parodontologie, la lumière est transmise à travers une fibre optique courbe et de faible diamètre. Celle-ci s’insère facilement dans les poches parodontales, permettant à la lumière de diffuser en profondeur.
De nombreux composés naturels ou synthétiques ont des propriétés de photosensibilisation. En bouche, les deux agents décrits classiquement sont le bleu de toluidine et le bleu de méthylène. Ces composés sont cationiques. De ce fait, ils sont préférés à d’autres molécules car ils sont efficaces sur les bactéries à Gram négatif et à Gram positif. L’agent photosensibilisant n’a pas besoin d’être au contact ni de pénétrer les cellules cibles, il suffit qu’il soit assez près de celles-ci pour que les radicaux libres produits par l’activation puissent diffuser jusqu’à elles.
La thérapie photodynamique est efficace sur les bactéries, les virus, les champignons et les parasites. Il n’a pas été mis en évidence de phénomène de résistance à ce procédé et les bactéries résistantes aux antibiotiques y sont sensibles. Enfin, il semble qu’elle soit, à l’inverse des antibiotiques, également efficace contre les bactéries organisées en biofilm et, notamment, le biofilm que constitue la plaque dentaire (O’Neill et al., 2002 ; Wood et al., 1999 ; Soukos et al., 2003 ; Muller et al., 2007 ; Zanin et al., 2006). L’action destructrice contre le biofilm s’expliquerait par la capacité des radicaux libres à détruire la matrice extracellulaire de polymères qui entoure les bactéries d’un biofilm.
Comme souvent pour les techniques innovantes, on manque encore d’informations sur la thérapie photodynamique. En parodontologie par exemple, la variabilité des sources lumineuses, des longueurs d’onde et des agents photosensibilisants testés rend difficile une synthèse des résultats. Nous avons donc choisi de les présenter ici en fonction du type d’étude.
Les études in vitro ont montré l’efficacité de la thérapie photodynamique pour détruire de façon significative et souvent complète un grand nombre de bactéries de la cavité buccale (Konopka et Goslinski, 2007 ; Qin et al., 2008). Parmi les espèces testées, on retrouve les principaux parodontopathogènes tels qu’Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis, Treponema denticola, Fusobacterium nucleatum, Prevotella intermedia, Prevotella nigrescens et Campylobacter rectus.
Il a également été montré que la thérapie photodynamique réduit le potentiel de certains facteurs de virulence clés (lipopolysaccharides et protéases) (Komerik et al., 2000). Ces éléments sont à la fois liés au déclenchement de la cascade inflammatoire et responsables directement d’une partie des destructions tissulaires observées (protéases bactériennes). La réduction de l’activité de ces facteurs de virulence constituerait donc un atout additionnel intéressant de la thérapie photodynamique.
Des études animales chez le rat et le chien ont confirmé l’effet létal de la thérapie photodynamique, notamment contre P. gingivalis (Sigusch et al., 2005 ; Komerik et al., 2003). Il a aussi été démontré qu’elle permettait une réduction significative de l’inflammation gingivale (Sigusch et al., 2005 ; Komerik et al., 2003 ; Qin et al., 2008) et de la résorption osseuse (De Almeida et al., 2008 ; Fernandes et al., 2009 ; Komerik et al., 2003).
L’observation de coupes histologiques a démontré l’absence d’altération des tissus parodontaux à la suite de l’application de la thérapie photodynamique (Luan et al., 2009 ; Komerik et Wilson, 2002). Cette innocuité sur les tissus environnants s’explique, entre autres, par la courte durée d’action et une diffusion limitée des radicaux libres. L’action de la thérapie photodynamique est très locale et s’interrompt immédiatement après l’arrêt de la lumière.
L’effet de la thérapie photodynamique en complément de la thérapie initiale mécanique a été évalué chez des patients souffrant de parodontite chronique (Braun et al., 2008 ; Andersen et al., 2007) (fig. 123 à 4). Les résultats montrent, à 3 mois, une amélioration plus importante des paramètres cliniques (gain d’attache clinique, saignement au sondage et réduction de la profondeur de sondage) dans les sites traités avec détartrage-surfaçage plus thérapie photodynamique que dans les sites traités avec une approche mécanique seule. À l’inverse, d’autres auteurs n’ont pas montré d’effet bénéfique additionnel de la thérapie photodynamique en termes de réduction de profondeur de sondage et de gain d’attache clinique (Christodoulides et al., 2008 ; Chondros et al., 2009 ; Polansky et al., 2009).
L’effet de la thérapie photodynamique par rapport au détartrage-surfaçage a aussi été évalué chez des patients souffrant de parodontite agressive (De Oliveira et al., 2007, 2009) (fig. 567 à 8). Les auteurs ont ici comparé l’approche mécanique à la thérapie photodynamique seule et non pas en complément du détartrage-surfaçage. Au bout de 3 mois, la réduction de la profondeur de poche et le gain d’attache clinique sont semblables pour les deux traitements. Les mêmes auteurs avec le même protocole ont étudié la réduction de marqueurs de l’inflammation dans le fluide gingival. À nouveau, il n’y avait pas de différence entre les deux modalités de traitement et ils ont conclu que la thérapie photodynamique était une alternative de traitement intéressante en cas de parodontite agressive (fig. 9101112 à 13).
Des recherches sont en cours sur d’autres applications dentaires. La thérapie photodynamique a par exemple été étudiée dans le traitement des péri-implantites (Haas et al., 2000 ; Hayek et al., 2005 ; Shibli et al., 2003, 2006), en endodontie (Fimple et al., 2008 ; Fonseca et al., 2008 ; Garcez et al., 2008 ; Soukos et al., 2006) et dans le traitement d’infections muqueuses telles que les lésions herpétiques ou les candidoses (Donnelly et al., 2007).
Comme toute thérapeutique, la thérapie photodynamique n’est pas exempte de risques ou de complications potentielles. En médecine, on décrit notamment les phénomènes de phototoxicité et de photo-allergie (Epstein, 1999). Compte tenu de la nature locale du procédé, de la faible pénétration et du faible dosage utilisé dans les applications dentaires, ces risques semblent très faibles. À notre connaissance, aucune complication de la thérapie photodynamique n’a été rapportée en odontologie.
La thérapie photodynamique est un traitement local anti-infectieux introduit récemment en odontologie. Son utilisation n’a pas vocation à remplacer les antibiotiques mais à en limiter les indications pour s’affranchir notamment du risque d’apparition de résistances bactériennes. En outre, elle semble efficace contre les bactéries organisées en biofilm et contre celles qui sont résistantes aux antibiotiques. Son action est rapide, son coût est limité et son résultat n’est pas subordonné à la bonne application du traitement par le patient. Tous ces éléments font d’elle une solution intéressante en parodontologie. Certains résultats cliniques sont intéressants mais d’autres études sont nécessaires pour, d’une part, confirmer ces observations et, d’autre part, évaluer les différentes indications pressenties.