Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 03 du 01/09/2010

 

Article

Khadija AMINE*   Siham BENNANI**   Souad SEKKAT***   Nadia KHLIL****   Jamila KISSA*****   Abdellah BENSLIMANE******  


*Professeur, Service de parodontologie, faculté de médecine dentaire, Casablanca, Maroc
**PHD, Département de biologie, Institut Pasteur, Casablanca, Maroc
***Professeur, Département d’immunologie, faculté de médecine et de pharmacie, Casablanca, Maroc
****Professeur, Service de parodontologie, faculté de médecine dentaire, Casablanca, Maroc
*****Professeur, Service de parodontologie, faculté de médecine dentaire, Casablanca, Maroc
******Professeur, Département d’immunologie, faculté de médecine et de pharmacie, Casablanca, Maroc

Résumé

Les cytokines jouent un rôle central dans la pathogénie de certaines affections. Au cours des infections parodontales, elles semblent intervenir de façon déterminante dans le déclenchement et l’évolution de la maladie.

Afin d’étudier le profil des cytokines produites dans les parodontites agressives, ont été comparés l’IL-10 et l’INF-γ produits par les lymphocytes du sang périphérique stimulés de façon non spécifique par la PHA et l’anti-CD3. Les dosages ont été effectués chez 26 patients atteints de parodontites agressives et 13 témoins sains par une technique immuno-enzymatique.

Les résultats ont montré que les patients atteints de parodontites agressives sécrètent significativement plus d’IL-10 que d’INF-γ ; la production d’INF-γ est également statistiquement plus basse chez les malades que chez les témoins.

Cela suggère un défaut de production de l’INF-γ chez ces patients et, par conséquent, la prédominance d’un profil de type Th2. Ces données mettent l’accent sur le rôle important joué par les cytokines de type Th2 dans la pathogénie des parodontites agressives.

Summary

Cytokines play a central role in the pathogenicity of certain disorders. During periodontal infections, they seem to intervene in a determining way in the initiation and the evolution of the disease.

In order to establish the cytokine profiles of T lymphocytes produced in the aggressive periodontitis, we compared IL-10 and INF-γ produced by the lymphocytes of the peripheral blood stimulated in a non specific way by the PHA and the anti-CD3. The dosages were made on 26 patients with aggressive periodontitis and on 13 healthy adults by an immunoenzymatic technique. The results showed that the patients with aggressive periodontitis produce significantly more IL-10 than INF-γ and less INF-γ than healthy persons.

This suggest a defect of production of INF-γ for these patients resulting in the ascendency of Th2 profil.

These data emphasize the important role played by the cytokines Th2 in the pathogenicity of agressive periodontitis.

Key words

Aggressive periodontitis, cytokines Th2, Th1

Introduction

La réponse de l’organisme aux agents pathogènes infectieux fait intervenir des interactions complexes entre cellules immunitaires et inflammatoires, régulées par un réseau de médiateurs solubles : les cytokines.

Les cytokines sont essentiellement produites par les lymphocytes T. Cependant, elles ne sont pas toutes produites par le même type de cellules T. Chacune des deux sous-populations lymphocytaires T helper (Th1 et Th2) se distingue par le profil de cytokines qu’elles sécrètent. Les cellules Th1 produisent préférentiellement de l’interleukine 2 (IL-2) et de l’interféron gamma (INF-γ), alors que les cellules Th2 sécrètent de façon prédominante de l’IL-4, de l’IL-5, de l’IL-10 et de l’IL-13 (Mosmann et al., 1986). Les cellules de type Th1 sont à l’origine des réactions à médiation cellulaire, alors que celles de type Th2 influencent la production d’anticorps (Del Prete et al., 1994). Les deux sous-populations cellulaires ont des fonctions suppressives l’une vis-à-vis de l’autre. L’IL-10 régule négativement la différenciation des cellules de type Th1 et les fonctions macrophagiques. L’INF-γ inhibe les fonctions des cellules de type Th2 (Kobayashi et al., 2000).

Le rôle crucial des cytokines dans la régulation de la réponse immunitaire suggère qu’une production anormale de ces cytokines est à l’origine de certaines situations physiopathologiques.

Les infections parodontales font partie des maladies à développement variable. En effet, plusieurs facteurs (bactériens, environnementaux, génétiques et immunitaires) peuvent intervenir dans l’apparition et l’évolution de ces pathologies (Socransky et Haffajee, 1992). Il n’est donc pas exclu que les cytokines puissent jouer un rôle important dans la pathogénie de ces affections et déterminer ainsi leur évolution (Taubman et Kawai, 2001).

Partant de cette hypothèse, l’étude des réponses immunes au cours des infections parodontales agressives est abordée à travers l’analyse du profil des cytokines produites lors de ces pathologies.

Matériel et méthode

Patients et contrôles

Deux populations d’individus ont été étudiées : 26 patients atteints de parodontite agressive et 13 témoins ne présentant aucun problème parodontal ni aucune pathologie générale. L’âge des membres des deux groupes variait de 15 à 30 ans. Les sujets de l’étude ont été recrutés dans un centre de soins et de consultation dentaire de Casablanca pendant une période de 8 mois.

Ils ne présentaient aucune pathologie générale, n’avaient subi aucun traitement parodontal et n’avaient pas pris de traitement antibiotique durant les 3 mois précédant l’étude.

Le diagnostic de la parodontite agressive a reposé sur la base des signes cliniques après sondage parodontal et a été confirmé par un bilan radiographique long cône.

Les critères de diagnostic pris en considération ont été ceux adoptés par l’Académie américaine de parodontologie (AAP) en 1999 (Armitage, 1999).

Pour les parodontites agressives localisées, les critères diagnostiques étaient représentés par une perte d’attache supérieure à 4 mm sur au moins 1 première molaire et/ou incisive avec des lyses radiologiques souvent angulaires. Il n’existait pas plus de 2 dents atteintes en dehors des premières molaires et incisives.

Pour les parodontites agressives généralisées, la perte d’attache était supérieure à 4 mm sur plusieurs dents, dont au moins 3 n’étaient pas des incisives ou des premières molaires.

Méthode

L’IL-10 et l’INF-γ ont été dosés par la technique ELISA (enzyme linked immunosorbent assay) dans les surnageants de culture de lymphocytes séparés à partir du sang périphérique et stimulés de façon non spécifique par la phytohémaglutinine (PHA) et des anti-CD3.

L’induction des cytokines à partir de PBMC (peripheral blood mononuclear cells) a été réalisée par incubation de 106 cellules par millilitre dans du milieu complet (RPMI-PS/Clu 10 % SAB), en présence de concentrations optimales d’anti-CD3 et de PHA, pendant 48 à 72 heures. Le pic de sécrétion de l’IL-10 et de l’INF-γ a été détecté au bout de respectivement 48 et 72 heures après expériences préliminaires.

L’INF-γ et l’IL-10 ont été dosés par des kits d’analyse (Immunotech-France) utilisant une méthode immuno-enzymatique de type sandwich en deux étapes utilisant un anticorps monoclonal anticytokine (l’INF-γ ou l’IL-10) biotinylé comme conjugué. Les seuils de détection des tests sont 16 pg/ml pour l’IL-10 et 0,39 UI/ml pour l’INF-γ.

Les analyses statistiques utilisées au cours de ce travail ont été réalisées grâce au test du chi carré de Fisher pour la comparaison des taux de cytokines. Le degré de significativité a été obtenu avec un p < 5 %.

Résultats

Chez les patients atteints de parodontite agressive, une production importante d’IL-10 a été trouvée chez 22 patients, soit 84,62 %, après stimulation par l’anti-CD3 et chez 19 patients, soit 73,08 %, après stimulation par la PHA. En revanche, l’INF-γ n’était produit que par 6 patients, soit 23,08 %, après stimulation par l’anti-CD3 et par 11 patients, soit 42,31 %, après stimulation par la PHA (tableau 1). La différence de production de ces deux cytokines est statistiquement significative (tableau 2).

Dans cette étude, les patients atteints de parodontite agressive sécrètent significativement plus d’IL-10 que d’INF-γ.

Les mêmes dosages effectués dans le groupe témoin ont montré que les deux cytokines étaient indifféremment produites après les stimulations non spécifiques par la PHA et par l’anti-CD3 (tableau 3).

Il faut cependant noter que, pour l’INF-γ, les malades sécrètent significativement moins de cytokines que les témoins sains (tableau 4), alors que la différence de production d’IL-10 entre patients et témoins est non significative.

Discussion

Les mécanismes impliquant les cellules T CD4+ helper ainsi que le réseau complexe des cytokines ont été étudiés dans diverses pathologies.

Dans les parodontites, il semble que l’expression de la sévérité de la maladie dépende de la balance Th1/Th2 (Berglundh et Donati, 2005 ; Gemmell et al., 2002), bien que les études soient controversées quant à la prédominance d’un type (Th1 ou Th2) par rapport à l’autre (tableau 5). En effet, certaines études ont examiné la production des interleukines 2, 4, 5 et 6 par les leucocytes des patients avec des parodontites et ont remarqué une réponse lymphocytaire privilégiant une orientation Th1 de la réponse immune dans les parodontites agressives (Fujihashi et al., 1996).

D’autres études (Katz et Michalek, 1998), ont montré à travers le modèle murin, que la réponse était orientée initialement Th1 suivie d’un glissement vers un profil Th2 dans des stades plus tardifs de la maladie. Enfin, la possibilité de sécrétion simultanée de cytokines Th1 et Th2 au niveau des tissus parodontaux a également été suggérée (Ito et al., 2005).

Dans le présent travail, la capacité de production des cytokines (INF-γ et IL-10) par les PBMC d’individus atteints de parodontite agressive a été évaluée en réponse à une stimulation non spécifique par de la PHA et de l’anti-CD3. Des quantités relativement élevées d’IL-10 ont été sécrétées par la plupart des patients (84,6 % de ceux avec parodontites agressives). À l’inverse, l’INF-γ n’a été détecté que chez 23,08 % des patients après une stimulation par l’anti-CD3 et par 42,31 % d’entre eux après stimulation par la PHA. De plus, les malades semblent sécréter significativement moins de cytokines du type Th1 (l’INF-γ) que les témoins.

L’analyse de ces résultats suggère un défaut de production de l’INF-γ chez ces patients et, par conséquent, la prédominance d’une réponse majoritairement de type Th2 au cours des parodontites agressives dans l’échantillon de la population étudiée. Des résultats similaires ont été rapportés chez des patients atteints de parodontite agressive (Gemmell et Seymour, 2004 ; Sigusch et al., 1998). Ces données ont été confortées par une étude moléculaire qui a montré une prédominance d’expression des ARNm des cytokines de type Th2 (IL-10, IL-4, IL-6) et une diminution de celle des ARNm des cytokines de type Th1 (TNF-α, IL-2) chez les patients avec une parodontite agressive par rapport à des patients avec une parodontite chronique (Lappin et al., 2001).

Ces données sont fortement en faveur d’un rôle important des cytokines de type Th2 dans la régulation de la réponse immune au cours des infections parodontales agressives.

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