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P. LEMAÎTRE * J.F. MICHEL ** M.G. POBLETE ***
*Faculté de chirurgie dentaire, Nantes
**Faculté de chirurgie dentaire, Rennes
***Faculté de chirurgie dentaire, Rennes
La littérature médicale nous a montré qu'il existait 9 facteurs de risque déclenchant ou aggravant la maladie parodontale : le biofilm, des modifications significatives de la réponse de l'hôte, l'âge, le sexe, des facteurs socio-économiques, le tabac, des facteurs génétiques, des facteurs endocriniens et, enfin, des facteurs systémiques. La prise en compte de ces facteurs de risque d'évolution de la maladie influe sur le diagnostic mais aussi sur le choix thérapeutique en parodontologie. Un premier article a traité du biofilm et de ses conséquences sur le parodonte. Un deuxième a porté sur le tabac et ses conséquences sur la maladie. Celui-ci traite, pour finir, des autres facteurs potentiels de risque.
Published literature shows that there are nine risk factors that initiate or aggravate periodontal diseases : the biofilm, smoking, age, sex, socio-economic factors, stress, genetic factors, endocrine and systemic factors. These risk factors influence the progress of periodontal diseases and must be taken into account not only because of their effect on diagnosis but also on the choice of treatment and on prognosis. Part 1 of this series dealt with the biofilm, part 2 on tobacco and its effect on periodontal diseases, whilst this final one deals with other potential risk factors.
Diverses études montrent que les parodontites sont précédées de gingivites (Kornman et al., 1997 ; Lindhe et al., 1975 ; Saxe et al., 1967) et que l'accumulation et la maturation du biofilm entraînent une inflammation des tissus voisins qui varie selon les individus (Loë et al., 1965 ; Page, 1986 ; Silness et Loë, 1964). Quoi qu'il en soit, il est évident que la perte d'attache n'apparaît que chez un petit nombre d'individus (Albandar et al., 1998 et 1999 ; Oliver et al., 1998) et sur un petit nombre de sites. Albandar et al. (1997b) ont montré, dans une étude menée aux États-Unis, que, chez des enfants de 13 à 15 ans et des adolescents de 16 et 17 ans, la prévalence des parodontites agressives et des parodontites chroniques variait respectivement de 0,4 à 0,8 % pour les parodontites agressives localisées et de 2,3 à 3,2 % pour les parodontites chroniques, alors que presque 80 % de cette population présente une gingivite. Certains facteurs de risque seraient responsables de l'apparition de pertes d'attache plus ou moins agressives parmi des populations ou des sites dits à risque. Parmi ces facteurs de risque, nous avons étudié le biofilm et le tabac. Peuvent aussi être incriminés les réponses de l'hôte, l'âge, le sexe ainsi que les facteurs socio-économiques, génétiques, endocriniens et systémiques. Ces facteurs de risque font partie intégrante de la décision thérapeutique en influant sur la fréquence des séances de traitement de soutien et sur le pronostic. La décision de réaliser des restaurations complexes doit en tenir compte.
Les maladies parodontales dépendantes de la plaque sont le résultat d'un déséquilibre entre les agresseurs que sont les bactéries et les moyens de défense de l'hôte. Si un certain nombre de maladies, le plus souvent réversibles, sont les conséquences d'une augmentation quantitative des bactéries, les parodontites peuvent être le résultat d'une baisse des défenses de l'hôte face à des bactéries qui, en temps normal, seraient saprophytes. De la même façon, une réaction exacerbée des défenses de l'hôte peut être à l'origine de destructions parodontales importantes.
Des études chez des patients infectés par le VIH, donc aux défenses sévèrement réduites, ont montré que l'incidence des maladies parodontales, en particulier nécrosantes, dans ce groupe était très augmentée (Arendorf et al., 1998 ; Barr et al., 1992 ; Lucht et al., 1998 ; Rego et Pinhero, 1998), augmentation qui diminuait, avec un traitement aux inhibiteurs de protéases, de 4,8 à 1,7 % (Patton et al., 2000). Des défauts locaux du système immunitaire de l'hôte, en particulier des polymorphonucléaires neutrophiles (PMN) et des macrophages, avec diminution de l'adhérence, de la chimiotaxie et de toutes les fonctions de ces cellules ont été mis en évidence dans les parodontites agressives localisées (Schenkein et van Dyke, 1994 ; Agarwal et al., 1994 ; Daniel et al., 1993 ; Shibata et al., 2000 ; van Dyke et al., 1986). Page et al. (1985) ont montré que 85 % des neutrophiles et 74 % des monocytes étaient déficients dans les cas de parodontite agressive. Il est donc évident que toute anomalie des défenses immunitaires de l'hôte change, dans le sens de l'aggravation de la maladie, l'équilibre hôte-agresseur.
De nombreuses études ont montré que la prévalence, le nombre de dents atteintes et la sévérité de la perte d'attache augmentaient avec l'âge (Albandar et al., 1999 ; Albandar, 2002a). Toutefois, cela dépend de la sévérité de la maladie. Le nombre de poches peu profondes à moyennes augmente avec l'âge tandis que la prévalence des maladies parodontales graves diminue après 64 ans (Albandar, 2002a). Ces résultats suggèrent que l'âge est un bon indicateur du degré d'atteinte des tissus parodontaux de support bien qu'il faille plus d'études pour affirmer son rôle en tant que facteur de risque.
Les études épidémiologiques ont montré clairement que les atteintes parodontales sont plus importantes chez les hommes que chez les femmes. Cela est vrai, quelle que soit la classe d'âge, jusqu'à 85 ans. On observe plus de poches de plus de 3 mm chez les hommes : la proportion moyenne est de 1,3 de 18 à 65 ans, de 1,1 de 65 à 80 ans, tandis que, pour les poches de plus de 5 mm, cela va de 1,4 à 1,7. En revanche, dans les groupes de 85 à 90 ans, il semble que l'état parodontal des hommes est meilleur que celui des femmes. Cela peut être dû au fait que plus de dents ont été perdues dans le groupe des hommes (Marcus et al., 1996), ce qui est probable vu l'âge avancé des patients. Le contrôle de plaque est plus négligé par les hommes que par les femmes, et ce, quelle que soit la classe d'âge à laquelle ils appartiennent (Albandar, 2002a).
Une étude récente (NHANES III) montre que les différences de niveau économique entre plusieurs populations sont en rapport avec l'état buccal des patients. Dolan et al. (1997) ont mesuré la perte d'attache chez 761 adultes et rapporté ces mesures au niveau socio-économique et à d'autres facteurs de risque. Ils ont trouvé qu'une extraction de basse souche et un habitat rural étaient des indicateurs de risque quant à la perte d'attache. Elter et al. (1999), dans une étude chez les patients de 65 ans et plus, ont trouvé une relation étroite entre le fait d'être d'un faible niveau socio-économique et la perte d'attache, bien que les deux populations étudiées soient noires, donc à risque. Cependant, après ajustement en tenant compte des autres facteurs de risque, il semble que les facteurs environnementaux et le comportement soient plus influents que le niveau socio-économique (Craig et al., 1998).
Les études les plus récentes montrent une relation entre les facteurs génétiques et la sensibilité interindividus aux maladies parodontales. Des études chez des jumeaux ont montré que de 38 à 82 % de la variance dans une population peut être attribué au facteur génétique (Pilhstrom, 1991 ; Michalowicz et al., 2001). Il a été montré que certaines maladies systémiques sont accompagnées de manifestations parodontales. Par exemple, dans le syndrome de Papillon-Lefèvre, l'implication génétique a été montrée récemment (Zhang et al., 2001). Les formes prépubertaires localisées de maladies parodontales ont généralement des aspects intrafamiliaux de sensibilité aux infections. Quant aux formes généralisées, elles sont souvent associées à un manque d'adhésion des leucocytes ou à d'autres anomalies (Altman et al., 1985) qui sont à l'origine d'un recrutement anormal de ces cellules. On a suggéré un caractère autosomique à la fois dominant et récessif de ces anomalies (Lopez, 1992 ; Shapira et al., 1997).
Les parodontites agressives localisées ou généralisées apparaissent dans les mêmes familles et il a été suggéré que le caractère génétique pouvait être soit dominant lié à l'X (Melnick et al., 1976 ; Spektor et al., 1985), soit récessif autosomique (Boughman et al., 1988 ; Long et al., 1987 ; Saxen et Nevanlinna, 1984), soit encore autosomique dominant (Hodge et al., 2000 ; Marazita et al., 1994 ; Shapira et al., 1997).
Il existe une évidence de l'influence du taux de production de l'interleukine 1 (IL1), du tumor necrosis factor alpha (TNF-α) et des prostaglandines E2 (PGE2) à la suite d'une stimulation des monocytes par des endotoxines (Molvig et al., 1988). De plus, on a montré que certains polymorphismes de gènes sont associés à des différences interindividuelles de production d'IL1 et de TNF-α. Le fait de porter l'allèle 2 de l'IL1-a est associé à une production à peu près 4 fois supérieure d'IL1-α chez les non-fumeurs atteints de parodontite sévère (Shirodaria et al., 2000). L'IL1 et le TNF-α sont des stimulants potentiels de la résorption osseuse et, par leur production augmentée, il a été supposé que ceci pouvait être un marqueur de risque pour les parodontites chroniques ou agressives. D'autres marqueurs potentiels ont été étudiés : on a suggéré que le polymorphisme du codage génétique du récepteur de la vitamine D pouvait jouer un rôle dans la lyse osseuse et le développement des maladies parodontales (Hennig et al., 1999). Gwinn et al. (1999) ont montré une relation étroite entre le polymorphisme du récepteur fMLP et une parodontite agressive ; ce polymorphisme peut en retour affecter l'activation de la protéine G ; il en va de même pour l'IL4 (Michel et al., 1981) et les parodontites agressives, mais pas pour l'IL10 (Hennig et al., 2000 ; Kinane et al., 1999 ; Yamazaki et al., 2001), alors que le polymorphisme du gène codant le fragment Fc-g est associé à un risque élevé de lyse osseuse et de parodontite chronique chez les caucasiens et les Japonais (Kobayashi et al., 2001 ; Meisel et al., 2001).
Dans l'étude NHANES III de 1988 aux États-Unis, les résultats montrent une incidence des pertes d'attache de plus de 5 mm de 31 % chez les diabétiques et de 20 % chez les non-diabétiques, des profondeurs de poche de plus de 5 mm respectivement de 21,6 et 8,8 %, des récessions de plus de 3 mm de 31,8 et 22,8 % et, enfin, du saignement au sondage de 63,7 et 50,4 %. Une étude sur 3 ans confirme que l'état parodontal et la réponse au traitement sont plus mauvais pour un groupe de patients insulinodépendants que pour un groupe contrôle. De même, les maladies parodontales sont plus nombreuses chez les diabétiques que chez les non-diabétiques (Albandar, 2002a). En se fondant sur une étude portant sur 1 426 personnes, le rapport diabète/pertes d'attache est de 2,3 (Grossi et al., 1995), tandis que par rapport à la présence de lyse osseuse, il est de 2,2 chez les diabétiques bien contrôlés et de 5,3 chez ceux qui le sont mal (Taylor et al., 1998). Une étude sur 3 ans de l'état parodontal et de la réponse au traitement de sujets âgés de 24 à 36 ans montre que les sujets diabétiques, surtout ceux ayant un contrôle faible ou des complications multiples, ont plus rapidement des récidives sur les poches profondes et plus de pertes tissulaires après traitement que le groupe contrôle (Tervonen et Karjalainen, 1997).
Il a été suggéré que l'hyperglycémie glycosyle progressivement le corps des protéines, formant ainsi des produits terminaux de la glycation (advanced glycation end-products, AGE), stimulant alors les phagocytes qui relarguent des cytokines à l'origine de pertes tissulaires (Nishimura et al., 1998 ; Lalla et al., 1998). Lalla et al. (2000) ont traité des souris diabétiques avec des récepteurs solubles (sRAGE) qui bloquent les interactions et l'activation des récepteurs RAGE. Bien qu'elles aient été infectées par Porphyromonas gingivalis, on observe chez elles une diminution des cytokines pro-inflammatoires et des métalloprotéinases dans les tissus gingivaux ainsi qu'une réduction de la perte osseuse, ce qui suggère un rôle du diabète dans la perte tissulaire (Lalla et al., 2000). On a montré aussi que les patients diabétiques avaient une réponse inflammatoire exacerbée (Salvi et al., 1998).
Les modifications hormonales ou d'autres modifications physiologiques sont aussi des facteurs influant la pathogénie des maladies parodontales. Cela inclut les changements systémiques comme ceux des vaisseaux, de la réponse immunitaire locale aux microbes et du métabolisme du collagène.
Toutefois, un diabétique bien contrôlé répond au traitement comme un patient sain (Christgau et al., 1998). Enfin le traitement des maladies parodontales résulte en une baisse de 10 % de l'hémoglobine glycosylée (Grossi et al., 1997).
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Philippe LEMAÎTRE : 1, rue Gresset - 44000 NANTES - FRANCE.