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Jean-Marc GLISE * Virginie MONNET-CORTI ** Alain BORGHETTI ***
*Faculté d'odontologie,
Université de la Méditerranée,
Marseille, France
La possibilité de régénération du système parodontal en conditionnant les surfaces radiculaires avec des protéines dérivées de la matrice amélaire a été démontrée histologiquement.
Le but de ce travail est de rapporter le résultat clinique de l'utilisation de ces protéines dans le traitement de lésions intraosseuses.
Trente-cinq lésions ont été traitées chez 22 patients présentant des parodontites chroniques ou agressives. Après élévation d'un lambeau mucopériosté, les lésions osseuses ont été débridées et les parois radiculaires surfacées. La détoxification des surfaces radiculaires a été complétée par l'application d'un gel d'EDTA à 24 % pendant 2 minutes. Le gel de protéines dérivées de la matrice amélaire (Emdogain®) a été déposé sur les surfaces radiculaires et le site refermé hermétiquement.
Les paramètres cliniques enregistrés à J0 et à J360 postopératoires étaient la profondeur de poche, le niveau d'attache clinique, la hauteur de récession gingivale et l'indice de plaque. Pour chaque paramètre, les moyennes ont été calculées à J0 et à J360. Les différences ont été exprimées en valeur absolue (mm) et relative (%). La significativité des résultats a été mesurée par un test t de Student pour séries appariées.
Les résultats ont montré une réduction de la profondeur de poche de 3,9 mm (écart type : 2,0), un gain d'attache clinique de 2,6 mm (écart type : 1,9) et une augmentation de la hauteur de récession gingivale de 1,1 mm (écart type : 0,9). Tous les résultats ont été statistiquement significatifs (p < 0,001).
Dans les limites de cette étude, l'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire améliore les paramètres cliniques dans le traitement des lésions intraosseuses à 1 an postopératoire. Une étude à plus long terme est indispensable pour confirmer ces résultats.
The ability to regenerate periodontal apparatus by the application of enamel matrix proteins onto debrided and conditioned root surface has been histologically demonstrated. The aim of this study was to report clinical result using these proteins in the treatment of intrabony defects.
Thirty-five lesions were treated on 22 subjects with chronic or aggressive periodontitis. Full thickness flap was elevated and the defect was debrided and the root surface was planed. The exposed root surface was conditioned with a 24 % EDTA gel during a 2 minutes period. Emdogain® was applied to the root surface and then the flap was closed and sutured to obtain a complete coverage of the intrabony defect. The clinical parameters recorded at baseline and 1 year postoperatively were ; probing pocket depth, clinical attachment level, height of gingival recession and plaque index. The result of each parameter was expressed as a mean and standard deviation at baseline and after 1 year. The differences in means between baseline and 1 year were calculated and expressed in absolute (mm) and relative (%) values. Statistically significant differences were determined with a Student t-test. The results showed probing pocket depth reduction of 3.9 mm (SD = 2.0), clinical attachment level gain of 2.6 mm (SD = 1.9) and increase in gingival recession of 1.1 mm (SD = 0.9). All results were statistically significant (p < 0.001). Within the limits of this study, the use of enamel matrix derivative proteins improved the clinical parameters in the treatment of intrabony defects 1 year postoperatively. A long term study is necessary to confirm these results.
La reconstruction d'un système d'attache efficace et fonctionnel est l'un des objectifs des traitements parodontaux.
Les processus biologiques associés à la régénération parodontale sont complexes et requièrent la participation de plusieurs ou de tous les composants cellulaires du parodonte, c'est-à-dire les composants cellulaires de la réaction inflammatoire initiale, le recrutement et la prolifération des cellules du tissu conjonctif ainsi que la différenciation et la synthèse des constituants de la matrice extracellulaire (Bartold et Narayanan, 1998). Ces séquences sont prédéterminées : inflammation, granulation, formation tissulaire, remodelage tissulaire. La coordination entre les différents composants du système en présence doit être établie : les fibroblastes pour le tissu conjonctif, les cémentoblastes pour la cémentogenèse, les ostéoblastes pour le compartiment osseux et les cellules endothéliales pour l'angiogenèse doivent être déclenchés et différenciés grâce à une série d'interactions et de régulations cellulaires et moléculaires, par l'intermédiaire de médiateurs solubles et de régulateurs de fonction ( Pitaru ). Jusqu'à présent, les différentes techniques opératoires utilisées dans le traitement des lésions parodontales intraosseuses (comblement, régénération tissulaire guidée) n'ont apporté qu'une solution partielle et peu prévisible.
Le problème principal réside dans l'élaboration d'un néocément dans lequel pourraient s'insérer les nouvelles fibres conjonctives formées. Par ailleurs, la matrice extracellulaire du cément a le potentiel de réguler la différenciation des cellules progénitrices en cémentoblastes (Tatakis, 1993). Il semble donc important de recréer cette couche cellulaire de façon précoce, ce qui permettrait de réguler la prolifération épithéliale et la formation d'une attache épithéliale garantissant l'herméticité du site. Les différentes étapes de cicatrisation pourraient alors se dérouler jusqu'à l'obtention d'une régénération complète du parodonte. Les protéines dérivées de la matrice amélaire modifieraient la prolifération et la migration des cellules du ligament parodontal (Gestrelius ; Hoang ). La compétition entre les différentes cellules en présence (épithéliales, conjonctives, osseuses, desmodontales) s'en trouverait modifiée au profit des cellules du desmodonte. Hammarström ont montré que la régénération des structures cémentaires pouvait être instaurée par l'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire sur les surfaces radiculaires. D'autres études histologiques (Heijl ; Sculean , 2000a et 2000b ; Yukna et Mellonig, 2000) ont confirmé la formation d'un néo-cément acellulaire, mais aussi d'un ligament parodontal et d'un nouvel os alvéolaire.
Plusieurs études in vitro ont montré les propriétés à la fois cémento-conductrices et ostéo-conductrices de ces protéines et la stimulation cellulaire qu'elles ont amenée dans l'environnement dans lequel elles étaient placées ( Boyan ; Schwartz ; Hoang ).
Différents travaux cliniques ( Heijl ; Mellonig, 1999 ; Sculean ; Heden ; Heden, 2000) ont mis en évidence une amélioration des paramètres cliniques : réduction de la profondeur de poche et gain d'attache clinique au bout de 8 mois et jusqu'à 36 mois postopératoires. L'ensemble de ces résultats suggère la possibilité d'une certaine régénération parodontale, en particulier grâce à une néoformation cémentaire.
Le but de ce travail est de rapporter le résultat clinique à 1 an de l'utilisation des protéines amélaires dans le traitement d'une série de lésions intraosseuses.
Trente-six lésions intraosseuses ont été sélectionnées chez 22 patients (16 femmes et 6 hommes) âgés de 13 à 65 ans (moyenne : 30 ans), présentant des parodontites chroniques ou agressives (Armitage, 1999) ; 18 d'entre eux étaient non fumeurs.
Toutes les lésions étaient interproximales à 1, 2 ou 3 parois osseuses résiduelles et présentaient une profondeur de poche au sondage supérieure ou égale à 5 mm après une thérapeutique initiale qui a consisté en des instructions d'hygiène adaptée et des détartrages/surfaçages radiculaires mécaniques et ultrasoniques. Des bains de bouche à la chlorhexidine à 0,12 % étaient prescrits pendant cette phase de traitement. La réévaluation a été effectuée après une période de cicatrisation de 3 mois. Les lésions interradiculaires n'ont pas été incluses. La technique opératoire utilisée a consisté à élever un lambeau muco-périosté dans un souci de préservation tissulaire maximale (Cortellini et Tonetti, 2000). Un débridement soigneux de la lésion osseuse a été effectué à l'aide de curettes parodontales et d'instruments ultrasoniques. Un surfaçage rigoureux des racines exposées à la plaque a ensuite été réalisé. La détoxification de ces surfaces radiculaires a été poursuivie par l'application d'un gel d'EDTA à 24 % (PrefGel™ ) pendant 2 minutes. Un rinçage soigneux a été effectué à l'aide de sérum physiologique. Afin d'éviter la contamination de la surface radiculaire par un saignement trop important lors de la pose du matériau, une compresse stérile isolait le site. Le produit se présentait sous la forme d'un gel après mélange d'un lyophilisat de protéines dérivées de la matrice amélaire et d'une solution véhicule constituée d'un alginate de propylène glycol (Emdogain® ). Actuellement, il est distribué sous la forme d'un gel prêt à l'emploi. Le gel a ensuite été déposé sur la surface radiculaire en regard du défaut en commençant par la base du défaut. Le lambeau a enfin été placé légèrement en position coronaire par des points de Blair-Donati (fig. 1a, 1b, 1c, 1d, 1e, 1f et 1g). Aucun pansement chirurgical n'a été appliqué et des consignes de soins postopératoires ont été données au patient : absence de brossage sur le site pendant 2 semaines, utilisation d'un bain de bouche à la chlorhexidine à 0,12 % 3 fois par jour pendant 2 semaines, 200 mg/j de doxycycline pendant 7 jours et 1 200 mg/j d'ibuprofène pendant 3 jours. Les points ont été retirés 15 jours après l'intervention pendant une séance d'hygiène professionnelle destinée à éliminer la plaque supragingivale. Les patients ont ensuite été revus tous les 3 mois pendant 1 an. A l'occasion de ces visites, des séances de maintenance hygiénique par détartrage-polissage ont été réalisées. Les mesures ont été enregistrées à l'aide d'une sonde Hu-Friedy PCP UNC 15 et rapportées au millimètre le plus proche.
A J0 et à 1 an postopératoire ont été mesurés :
- le niveau d'attache clinique ;
- la profondeur de poche au sondage ;
- la hauteur de récession tissulaire marginale ;
- l'indice de plaque et l'indice gingival.
De plus, la profondeur et la morphologie du défaut intraosseux ont été enregistrées en peropératoire. Les lésions dont la profondeur intraosseuse était inférieure à 2 mm ont été exclues. Elles ont été classées en fonction du nombre de parois (1, 2 ou 3 parois résiduelles). Les moyennes et les écarts types ont été calculés pour chaque paramètre à l'examen initial et à 1 an postopératoire. Le gain moyen (ou la réduction) a été calculé comme étant la différence entre les valeurs postopératoires et les valeurs initiales. La valeur absolue était exprimée en millimètres et la valeur relative, rapportée à la valeur initiale, en pourcentage. La significativité des résultats entre les valeurs moyennes préopératoires et postopératoires pour chaque paramètre a été mesurée par un test t de Student pour séries appariées. Une probabilité de p < 0,05 a été acceptée pour rejeter l'hypothèse nulle. Il a été calculé un coefficient de corrélation entre les différents paramètres.
Les 35 lésions traitées (1 site a été exclu) ont été réparties en 2 groupes : 13 sites présentaient 1 ou 2 parois osseuses résiduelles et 22 sites en présentaient 3. La profondeur de sondage moyenne initiale était de 7,2 mm (écart type : 2,0). A 1 an postopératoire, cette mesure était de 3,3 mm (écart type : 1,1). La réduction moyenne de la profondeur de poche en valeur absolue était de 3,9 mm (écart type : 2,0), représentant une réduction relative de 51,7 %. La différence était statistiquement significative (p = 0,0001). Le niveau d'attache initial moyen était de 8,9 mm (écart type : 2,2) et, à 1 an, de 5,5 mm (écart type : 1,7). Le gain d'attache moyen était de 2,6 mm (écart type : 1,9), représentant un gain relatif de 31,3 % par rapport à la moyenne initiale. Cette différence était statistiquement significative (p = 0,0001). L'augmentation moyenne de la récession, de 1,1 mm (écart type : 1,2), était statistiquement significative (p = 0,0001). Ces résultats sont regroupés dans le tableau I . Les lésions présentaient une profondeur intraosseuse moyenne de 5,1 mm (écart type : 2,2) (tableau II).
Le calcul des coefficients de corrélation montrait une corrélation positive entre la profondeur de sondage et le gain d'attache (r = 0,63), une faible corrélation positive entre la profondeur de sondage et la récession (r = 0,44) et aucune corrélation entre le gain d'attache et la récession gingivale (r = 0,28 en valeur absolue). Enfin, une corrélation significative a été mise en évidence entre la profondeur intraosseuse mesurée en peropératoire et le gain d'attache clinique. Pour l'ensemble des sites, plus cette profondeur était élevée, plus le gain d'attache était grand (fig. 2a, 2b, 2c et 2d).
La profondeur de poche et le niveau d'attache se trouvent améliorés par l'utilisation de protéines dérivées de l'émail (Emdogain®) pour cette série de cas traités. Cette approche biologique du traitement des lésions intraosseuses, plus séduisante que les autres sur le plan fondamental, semble comparable, dans l'amélioration des paramètres enregistrés par le sondage, aux autres types de chirurgies régénératrices (régénération tissulaire guidée et greffe d'os ou de substituts osseux). De plus, sa facilité d'utilisation lui donne un avantage pratique. Seul le conditionnement utilisé sans autre choix possible pour cette série de cas (ayant débuté dès la commercialisation du produit) a pu représenter une certaine difficulté de manipulation, difficulté grandement réduite actuellement grâce au nouveau conditionnement du produit.
Les résultats obtenus corroborent ceux rapportés dans les différents travaux publiés à ce jour ( Heijl ; Pontoriero ; Heden ; Sculean et al., 1999a, 1999b, 2000a et 2000b ; Heden, 2000).
L'utilisation de protéines de la matrice amélaire favorise la réduction de la profondeur de poche (51 % ou 3,9 mm, écart type : 2,0) et le gain d'attache clinique (31 % ou 2,6 mm, écart type : 1,9). Ces résultats sont très proches de ceux obtenus par Heijl , Sculean et Pontoriero . Heijl rapportent une réduction de la profondeur de poche de 3,3 mm (écart type : 1,3) à 8 et 16 mois postopératoires et un gain d'attache clinique de 2,1 mm (écart type : 1,5) à 8 mois (écart type : 1,6) et à 16 mois postopératoires. En revanche, Heden et Heden (2000) montrent des résultats plus favorables. Pour ce dernier, la réduction de la profondeur de poche est de 4,6 mm, soit 54 %, pour les défauts à 1 paroi et de 4,7 mm, soit 55 %, pour les défauts à 2 parois. Le gain d'attache clinique est de 4,2 mm, soit 41 %, quel que soit le type de défaut. Ce dernier est pris en considération comme dans l'étude de Heilj où la répartition des différents défauts est analysée. En effet, 17 défauts à 1 paroi et autant à 2 parois ont été traités. La profondeur moyenne intraosseuse était de 5 mm. Dans notre travail, la répartition des sites donne une prépondérance de défauts à 3 parois (22 sites) mais la profondeur moyenne intraosseuse tous défauts confondus était de 5,1 mm (écart type : 2,2). Il est généralement considéré qu'il existe une corrélation positive entre la profondeur du défaut et le gain d'attache clinique avec les techniques de régénération : plus le défaut est profond, meilleur est le gain d'attache ( Cortellini ; Pontoriero ), ce qui est corroboré par les résultats de la présente étude. De plus, les coefficients de corrélation montrent que la réduction de profondeur au sondage est plus en rapport avec le gain d'attache clinique qu'avec l'augmentation de la récession gingivale.
La récession gingivale postopératoire est limitée, avec cette technique, à 1,1 mm (écart type : 0,9). Elle est similaire à celle rapportée dans les travaux sur la régénération avec utilisation de membranes résorbables ( Caton ; Pontoriero ). Cependant, elle expose à moins de risques que lors de l'exposition éventuelle d'une membrane.
Le potentiel des protéines dérivées de la matrice amélaire dans la régénération parodontale a été montré histologiquement chez l'animal ( Hammarström ; Sculean et al., 1999b) et chez l'homme (Heijl ; Yukna et Mellonig, 2000 ; Sculean et al., 2000b). L'effet à long terme de cette thérapeutique sera fondé essentiellement sur une évaluation clinique et radiographique, compléments indispensables des données histologiques (Reddy et Jeffcoat, 1999).
L'utilisation de protéines dérivées de la matrice amélaire permet une amélioration des paramètres cliniques comme la profondeur de poche et le niveau d'attache à 1 an postopératoire dans le traitement des lésions intraosseuses. Des résultats à la fois cliniques et radiographiques sur une période plus longue et sur un échantillon plus large feront l'objet d'une publication ultérieure.
Demande de tirés à part
Jean-Marc GLISE, 17, place de la Liberté, 83000 TOULON - FRANCE.
Laboratoire Biora. Distributeur Pharmadent, 45, rue Jean-Jaurès, 92300 Levallois-Perret, France.