Article
1- Service de parodontologie, Institut d'Odonto-Stomatologie, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal2- Service d'odontologie, Hôpital militaire de Ouakam, Dakar, Sénégal
Résumé
Les urgences bucco-dentaires et parodontales en particulier peuvent entraver la disponibilité opérationnelle des soldats sur les théâtres d'opérations. L'objectif de ce travail était d'évaluer les besoins en soins parodontaux des militaires sénégalais avant leur déploiement pour une mission au Mali.
Matériel et méthodes
Il s'agit d'une étude descriptive et transversale basée sur un échantillonnage exhaustif du contingent en partance au Mali. La collecte des données a duré 2 mois et a été faite à l'aide d'un questionnaire élaboré sur la base des variables étudiées. L'indice communautaire des besoins en soins parodontaux CPITN avec les critères définis par l'OMS a été utilisé. Les mesures ont été effectuées par un même opérateur formé et calibré. L'analyse des données a été faite avec les logiciels Sphinx® (version 5) et SPSS® (version 20.0).
Résultats
Un contingent de 498 militaires a été examiné. La moyenne d'âge était de 33 ans. Ces militaires étaient composés en majorité par les militaires du rang (73 %). La prévalence des parodontites était de 69,5 % contre 23 % de gingivites induites par la plaque. La valeur moyenne des besoins en soins parodontaux était de 2,10 avec un écart type de 0,63. Le détartrage était nécessaire pour 65,68 % des militaires, alors que 1,61 % avait besoin de traitements complexes. Ces besoins en soins parodontaux étaient différents selon la catégorie de rang militaire.
Conclusion
Les besoins importants en soins parodontaux nécessitent l'optimisation des modalités de l'aptitude dentaire du militaire sénégalais afin d'éviter les conséquences délétères des pathologies parodontales en théâtres d'opérations.
Oral and periodontal emergencies in particular can seriously hamper the operational readiness of soldiers in theaters of operation. The objective of this work was to assess the periodontal treatment needs of the Senegalese military before their deployment for a mission in Mali.
Material and methods
This was a descriptive and cross-sectional study based on an exhaustive sampling of the quota going to Mali. The data collection lasted 2 months and was done using a questionnaire developed on the basis of the variables studied. The CPITN Community Periodontal Treatment Index Needs with criteria was used in accordance with WHO criteria. The measurements were performed by the same operator trained and calibrated. Data analysis was done with Sphinx® (version 5) and SPSS® (version 20.0).
Results
A contingent of 498 soldiers was examined. The average age was 33 years old. These soldiers were mostly composed of non-commissioned officers (73 %). The prevalence of periodontitis was 69,5 % compared with 23 % plate-induced gingivitis. The average value of periodontal treatment needs was 2,10 with a standard deviation of 0,63. Scaling was required for 65,68 % of the military while 1,61 % needed complex treatments. These periodontal care needs differed by military rank category.
Conclusion
The high prevalence of periodontal treatment needs requires the optimization of the modalities of the dental aptitude of the Senegalese soldier in order to avoid the deleterious consequences of oral pathologies in theaters of operation.
Les maladies parodontales, ou parodontopathies, peuvent être définies comme des maladies infectieuses multifactorielles. Elles sont caractérisées par des symptômes et signes cliniques qui peuvent inclure une inflammation visible ou non, des saignements gingivaux spontanés ou provoqués d'importance variable, la formation de poches en rapport avec des pertes d'attache et d'os alvéolaire, une mobilité dentaire, et peuvent conduire à des pertes de dents (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, 2002).
Le personnel militaire est caractérisé par son exposition au stress de combat et à des changements de modes alimentaires et d'habitudes de vie liés aux missions intérieures et extérieures. L'un des objectifs de la formation militaire donnée aux soldats est d'atteindre l'aptitude physique et mentale nécessaire pour la mission à effectuer. Cela demande une bonne santé générale et orale pour la formation et la participation aux exercices et manœuvres de pré-déploiement (Fenistein, 2004 ; Gunepin et al., 2011). Les autorités et les décideurs de l'armée n'ont pas toujours les éléments leur permettant d'apprécier l'impact des maladies parodontales d'un point de vue socio-économique, mais aussi sur la disponibilité opérationnelle des soldats (Chrysanthakopoulos, 2011 ; Jasmin et Jaafar, 2011).
Une récente étude réalisée par Gunepin et al. (2015) avait conclu qu'au Mali, comme dans la plupart des théâtres d'opérations extérieurs, la survenue d'une majorité d'urgences dentaires de militaires français aurait pu être évitée (61,3 %) car ces urgences étaient liées à des pathologies préexistantes avant la projection et à des comportements à risque d'un point de vue odontologique (mauvaise hygiène alimentaire et bucco-dentaire).
Des militaires sénégalais ont pris part, en juillet 2016, à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) sans une équipe dentaire propre, ce qui pourrait nécessiter des références vers d'autres structures médicales de l'ONU.
Selon Gjermo (1991), le terme de « besoins en traitement » devrait être défini comme l'intervention nécessaire pour modifier la condition existante en vue de l'objectif décrit. Dans un environnement militaire, l'objectif est d'atteindre un état de santé général suffisant, et en particulier de santé bucco-dentaire, pour pouvoir s'entraîner et participer à des exercices, des manœuvres et des déploiements (Skec et al, 2006 ; Moss, 2002).
À notre connaissance, aucune étude épidémiologique n'a réussi à évaluer la sévérité, la distribution des maladies parodontales et encore moins les besoins en soins parodontaux des militaires sénégalais sélectionnés pour une mission de maintien de la paix des Nations Unies, et leur impact sur la disponibilité opérationnelle des hommes. Ces informations sont pourtant très importantes pour établir les priorités et déterminer le type et le nombre de services de prévention et de traitement requis, ainsi que le type de personnel utile pour les fournir.
Il s'agit d'une étude transversale descriptive qui s'est déroulée du 24 mars au 23 mai 2016 au centre d'entraînement tactique (C.E.T 7) de la zone militaire numéro 7, dans la région de Thiès, où séjournaient les militaires dans le cadre de leurs mise en condition et entraînement avant leur déploiement au Mali. Cette étude s'est intéressée à la population des militaires sénégalais sélectionnés pour la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA). Il s'agissait d'un échantillonnage exhaustif. Tous les 498 militaires du contingent étaient inclus dans l'étude. Les militaires ont donné leur consentement éclairé en sachant que les résultats de cette enquête n'auraient pas d'impact sur leur participation à la mission des Nations Unies au Mali.
L'observation clinique a été effectuée au cabinet dentaire du centre médical, par deux examinateurs formés au service de parodontologie de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) et calibrés au charting parodontal et aux mesures des indices parodontaux.
Les données de l'entretien avec le patient ainsi que celles de l'examen parodontal ont été consignées dans une fiche d'enquête établie à cet effet.
Le matériel utilisé pour l'examen de chaque patient était composé d'un plateau d'examen comprenant un miroir, une précelle de cabinet, une sonde 6, une sonde parodontale OMS et une sonde parodontale de Williams pour la mesure de la profondeur de poche et de la perte d'attache clinique.
Pour chaque sujet inclus dans l'étude, les paramètres étudiés étaient les caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, grade et niveau de scolarisation) et la mesure des indices parodontaux (indice de plaque de O'Leary (O'Leary et al., 1972), indice de saignement gingival, BOP de Ainamo et Bay (1975) et indice CPITN (Ainamo et al., 1982)).
Les données ont été analysées à partir du programme Sphinx®. Le logiciel SPSS® 20.0 a été utilisé pour le calcul des fréquences, des moyennes, des écart-types et des pourcentages. Le seuil de significativité a été fixé à 5 %.
L'étude a été conduite conformément aux respects des aspects légaux et éthiques en accord avec la déclaration d'Helsinki relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, et après accord des hautes autorités des forces armées sénégalaises.
La population d'étude est constituée de 498 militaires dont 8 femmes, avec une moyenne d'âge de 33 ans et un écart-type de 8,96 ans.
La catégorie des hommes du rang (grades compris entre soldat, caporal et caporal-chef) est la plus représentée avec 73 %, suivie des sous-officiers à 25 % (grades compris entre sergent, sergent-chef, adjudant, adjudant-chef et major), et enfin les officiers (grades allant de sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, commandant, lieutenant-colonel, colonel) avec 2 %.
Dans l'échantillon, 147 militaires ont le niveau d'études primaires, 149 militaires ont le niveau du collège, 175 d'entre eux ont le niveau du lycée, et enfin 27 ont le niveau universitaire (fig. 1).
Dans notre population d'étude, les distributions observées des maladies parodontales sont les suivantes (fig. 2) :
– prévalence de la maladie gingivale induite par la plaque (ou gingivite) : 23 % (116) ;
– prévalence de la parodontite chronique : 69,48 % (346) ;
– prévalence de la parodontite agressive : 0,2 % (1) ;
– prévalence de parodonte sain : 7,32 %.
La valeur moyenne des besoins en soins parodontaux est de 2,10 avec un écart type de 0,63.
En ce qui concerne les besoins en soins parodontaux, plus de la moitié de notre échantillon (65,86 %) a besoin d'un détartrage, tandis que 19,68 % ont en plus besoin de surfaçage. Les traitements complexes (chirurgie parodontale pouvant comporter un lambeau d'assainissement, une régénération parodontale, des comblements osseux, etc.) sont indiqués chez 1,61 % des militaires (fig. 3).
Le tableau ci-dessous révèle que 67,3 % des militaires entre 20 et 34 ans (208) ont besoin de détartrage, tandis que 20,7 % ont, en plus du détartrage, besoin de surfaçage radiculaire. Un traitement parodontal complexe est indiqué chez 1,9 % des militaires de cette tranche d'âge.
Pour la tranche d'âge allant de 35 ans à 60 ans, 63,5 % ont besoin de détartrage, 18 % de surfaçage, et 1,1 % a besoin de traitement complexe (lambeau d'assainissement, régénération parodontale, comblements osseux, etc.) (tableau 1).
Concernant les besoins en soins parodontaux (tableau 2) :
– les officiers ont besoin de détartrage dans 87,5 % des cas et de surfaçage dans 12,5 % des cas ;
– les sous-officiers ont besoin de détartrage dans 61,6 % des cas, de surfaçage dans 19,2 % des cas, et en plus de traitement complexe dans 0,8 % des cas ;
– les hommes du rang ont besoin de détartrage dans 66,8 % des cas, de surfaçage dans 20 % des cas, et en plus de traitement complexe dans 1,9 % des cas.
L'analyse des besoins en soins parodontaux, objectivée par le tableau ci-dessous (tableau 3), révèle que :
– les militaires qui ont le niveau d'études primaires ont besoin de détartrage dans 65,3 % des cas, de surfaçage dans 19,7 % des cas, et de traitement complexe dans 2 % des cas ;
– les militaires ayant le niveau du collège ont besoin de détartrage dans 69,1 % des cas, de surfaçage dans 16,8 % des cas, et en plus de traitement complexe dans 0,7 % des cas ;
– les militaires qui ont le niveau du lycée ont besoin de détartrage dans 61,7 % des cas, de surfaçage dans 24 % des cas, et en plus de traitement complexe dans 2,3 % des cas ;
– les militaires ayant le niveau d'études universitaires ont besoin de détartrage dans 77,8 % des cas et de surfaçage dans 7,4 % des cas. Le traitement complexe n'est pas un besoin thérapeutique dans cette catégorie.
La présente étude est une enquête épidémiologique observationnelle descriptive de type transversal. Cette étude a permis d'évaluer la distribution des maladies parodontales et les besoins en traitements parodontaux des militaires sénégalais sélectionnés pour une mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali.
Les militaires inclus dans cette étude avaient tous bénéficié d'une visite médicale et dentaire dans leur corps d'appartenance, avant d'être sélectionnés pour prendre part à la mission au Mali, selon les critères définis par l'ONU.
Ainsi, l'échantillonnage de type exhaustif utilisé dans cette étude n'a pas permis de faire des corrélations ou des études d'associations entre les maladies parodontales et l'état de santé générale puisque certaines pathologies, telles que le diabète ou les maladies cardiovasculaires, étaient sources d'inaptitude avant même la sélection finale.
Le sex ratio n'a pas été défini compte tenu de l'effectif réduit des militaires du genre féminin (8/498). Cela s'explique par le pourcentage faible des femmes dans l'armée de manière générale ainsi que de celles désignées pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies.
La population d'étude est composée de 498 militaires sénégalais. Les militaires du rang (grades allant de soldat à caporal-chef) représentent 73 %, les sous-officiers (grades compris entre sergent et major) 25 %, et les officiers (grades compris entre sous-lieutenant et colonel) 2 %. Cette répartition est à l'image de l'armée où, de manière générale, les militaires du rang sont plus représentatifs.
La moyenne d'âge est de 33 ans avec un écart-type de 8,96 ans. Cette moyenne d'âge élevée pourrait s'expliquer par le mode de désignation des militaires devant prendre part à des missions des Nations Unies, ces derniers devant avoir un certain nombre d'années de service et d'expérience professionnelle. La moyenne d'âge dans cette étude recoupe sensiblement celle trouvée par Cisse (2010) qui était de 30,39 ans dans un échantillon de militaires de la zone de Dakar.
La répartition de l'échantillon selon le niveau d'études révèle un faible taux d'individus ayant le niveau universitaire (5,4 %) lié au fait que les officiers qui ont le niveau universitaire requis pour ce statut étaient faiblement représentés dans la population d'étude.
L'évaluation des besoins en soins parodontaux indique que 87,2 % des militaires examinés avaient besoin de thérapies parodontales allant du détartrage et du surfaçage radiculaire au traitement complexe. Globalement, 91,57 % des militaires n'avaient jamais bénéficié de détartrage, soin pourtant recommandé en moyenne tous les 6 mois selon la susceptibilité à la maladie parodontale. Seuls 13, 8 % des militaires avaient besoin uniquement d'un enseignement à l'hygiène orale. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus au Canada par Stephen et al. (1991), avec 10,8 % de leur échantillon ne nécessitant aucun traitement. En Espagne, Mombiedro Sandoval et Llena Puy (2008) montraient que seuls 7,2 % des militaires avaient uniquement besoin de motivation à l'hygiène bucco-dentaire. Les besoins en soins parodontaux sont quantitativement inférieurs à ceux trouvés par Katz et al. (2000) qui rapportent que seuls 1,17 % des militaires israéliens présentaient une bonne santé parodontale.
L'analyse des besoins en soins parodontaux selon l'âge, le grade et le niveau d'instruction montre que les militaires les plus jeunes (20 à 34 ans), les hommes du rang ainsi que les militaires avec un nombre d'années d'études de moins de 12 ans présentaient plus d'indications de thérapies parodontales allant du détartrage et du surfaçage radiculaire au traitement parodontal complexe. Ces résultats sont concordants avec plusieurs études comme celles de Mombiedro Sandoval et Llena Puy (2008) et Horev et al. (2003), mais restent contradictoires avec ceux rapportés par Katz et al. (2000).
Ainsi, cette enquête a montré une prévalence élevée des besoins en soins parodontaux dans un échantillon de militaires sélectionnés pour prendre part à une mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali. Pourtant, ces militaires avaient tous bénéficié d'une visite médicale et dentaire, qui a donc montré ses insuffisances.
À l'issue de ce travail, des recommandations nous ont semblées nécessaires à l'endroit du commandement et du personnel du service de santé des armées, allant dans le sens de la mise en place d'un programme de promotion de la santé bucco-dentaire dans les armées afin de rendre les soldats plus opérationnels.
L'évaluation des besoins en soins parodontaux avec l'indice CPITN indique que 87,2 % des militaires sénégalais examinés ont besoin de thérapies parodontales allant du détartrage-surfaçage radiculaire au traitement complexe. L'analyse des besoins en soins parodontaux selon l'âge, le grade et le niveau d'instruction révèle une disparité sociale. Les résultats issus de cette enquête montrent l'urgence d'optimiser les modalités de l'aptitude dentaire du militaire sénégalais afin d'éviter les conséquences délétères des pathologies bucco-dentaires en théâtres d'opérations.