Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2020

 

Article

GS MOBIO 1 / NT KOFFI-COULIBALY 1 / D KONE 1 / Zocko Ange Desire POCKPA 1 / David Guanga MELESS 2  

1- UFR d'odonto-stomatologie, département de parodontologie, université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan2- UFR d'odonto-stomatologie, département de santé publique, université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

Résumé

Résumé

L'objectif de cette étude est de montrer que le diagnostic des affections parodontales associées à l'infection VIH peut contribuer au dépistage des patients séropositifs VIH.

La méthode a consisté à sélectionner des patients atteints de trois affections parodontales associées au VIH, à savoir l'érythème gingival linéaire, la gingivite ulcéro-nécrosante, et la parodontite ulcéro-nécrosante.

Nous avons enregistré le statut sérologique du VIH de chaque patient, puis calculé la prévalence de l'infection au VIH et analysé la corrélation entre ces affections parodontales et l'infection au VIH.

Les résultats ont donné une prévalence de 29 % de séropositifs dans notre échantillon.

Parmi les 29 patients séropositifs, 8 connaissaient leur état de séropositivité et 21 nouveaux cas ont été découverts à l'occasion de l'enquête.

En ce qui concerne la corrélation entre les affections parodontales et l'infection au VIH sous-jacente, elle n'était pas statistiquement significative. Cependant, la découverte d'une proportion non négligeable de nouveaux cas de patients VIH positifs (22 %) grâce à cette étude illustre l'importance de demander le test de sérologie VIH à tout patient présentant l'une de ces affections parodontales associées à l'infection VIH, qui font souvent partie des premiers signes cliniques de l'infection au VIH.

Summary

Abstract

This study objective is to show that diagnosis of HIV associated periodontal affections can contribute to the screening of HIV positive patients.

The method consisted in selecting patients of three periodontal associated conditions HIV, namely lineal gingival erythema, ulcerative necrotizing gingivitis and ulcerative necrotizing periodontitis.

We have recorded the HIV status of each patient and then calculated the prevalence of HIV and the correlation between these periodontal diseases

and HIV infection.

The results gave a 29% prevalence of HIV positive in our sample.

Of the 29 HIV-positive patients, 8 were aware of their condition and 21 new cases were discovered on the occasion of the investigation.

Regarding the correspondence between periodontal conditions and the underlying HIV infection, it was not statistically significant. However, the discovery of a significant proportion of new cases of HIV positive patients (22%) thanks to this study illustrates the importance to request HIV testing from every patient with any of these periodontal affections.

Key words

Linear gingival erythema, ulcerative necrotizing gingivitis, ulcerative necrotizing periodontitis, HIV infection, screening.

Introduction

Depuis le début de l'épidémie au virus de l'immunodéficience acquise (VIH), la cavité orale a joué un rôle important dans le dépistage, le diagnostic et le suivi de la progression de l'infection par l'apparition d'affections buccales spécifiques fortement corrélées à des taux de CD4 plus bas et à des charges virales plasmatiques élevées (Glick et al., 1994 ; Shiboski et al., 2009). Les affections buccales couramment associées à l'infection au VIH sont : la candidose buccale persistante ; la leucoplasie orale chevelue ; le sarcome de Kaposi ; le lymphome non hodgkinien ; la chéilite angulaire ; l'érythème gingival linéaire (EGL) ; la gingivite ulcéro-nécrosante (GUN) ; la parodontite ulcéro-nécrosante (PUN). Les trois dernières affections citées représentent les manifestations parodontales principales du VIH (Peacock et al., 2016).

Véritables « signes d'appel », les lésions buccales constituent souvent les premières manifestations de l'infection (Reznik, 2005). Lorsque le statut du malade est inconnu, la présence des lésions indique une forte suspicion de l'infection au VIH. Lorsque le statut est connu, leur présence signe une évolution de la maladie vers le stade SIDA (syndrome de l'immunodéficience acquise), d'où leur utilisation dans la plupart des classifications modernes des stades cliniques de la maladie (Williams, 1993).

L'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation des Nations Unies pour le SIDA (OMS/ONUSIDA), ainsi que de nombreuses sociétés savantes médicales (OMS, 2007 ; UK National Guidelines for HIV, 2008 ; Qaseem et al., 2009), ont unanimement recommandé la prescription systématique du dépistage du VIH chez les patients présentant des marqueurs cliniques évocateurs d'une infection comme les affections buccales précitées. L'intérêt de ces marqueurs diagnostiques est d'une part de promouvoir le diagnostic précoce de l'infection au VIH pour une prise en charge rapide et efficace et réduire le risque de transmission par ignorance du statut, et d'autre part de surveiller l'évolution de la maladie afin d'éviter la progression de l'infection VIH vers le stade SIDA (Marks et al., 2006 ; Gazzard et al., 2008).

Cependant, malgré les initiatives visant à promouvoir le diagnostic précoce de l'infection au VIH, les études suggèrent qu'il existe encore une proportion importante de patients qui ne sont pas conscients de leur état séropositif (Delpierre et al., 2007). En Europe, il a été estimé que 30 % de tous les sujets VIH-positifs ignorent leur infection au VIH (Hamers et Phillips, 2008).

Dans les pays d'Afrique subsaharienne, où vivent 70 % des personnes infectées au VIH dans le monde (OMS, 2012), en dépit des campagnes de sensibilisation, les populations sont encore réticentes à faire leur test de sérologie VIH, et les patients sont encore trop souvent dépistés tardivement. Cette situation est à l'origine de l'augmentation de la morbidité et de la mortalité liées à l'infection au VIH, ainsi que d'un risque accru de transmission du virus à d'autres personnes.

Dans ce contexte, le chirurgien-dentiste en général et le parodontiste en particulier pourraient jouer un rôle important dans le dépistage des personnes infectées par le VIH, en diagnostiquant les affections parodontales associées à l'infection VIH ou en suggérant le test de sérologie VIH aux patients présentant une affection parodontale associée à l'infection VIH.

L'objectif de cette étude est de montrer que le diagnostic des affections parodontales associées à l'infection VIH peut contribuer au dépistage des patients séropositifs VIH.

Matériel et méthodes

Nous avons réalisé une étude transversale descriptive incluant des patients consultant le service de parodontologie du Centre de consultations et de traitements odonto-stomatologiques (CCTOS) d'Abidjan de mars 2013 à janvier 2014. Les sujets éligibles étaient ceux qui présentaient l'une des trois affections parodontales associées à l'infection au VIH suivantes : l'EGL, la GUN et la PUN (fig. 1 à 3). L'interrogatoire a permis de documenter le statut sérologique VIH des patients. Lorsque le statut n'était pas connu ou que le patient se considérait comme séronégatif, le test de sérologie VIH lui était proposé. Les trois affections parodontales incriminées dans l'infection au VIH ont été diagnostiquées selon des critères cliniques (tableau 1). L'étude a porté sur 132 patients d'âge compris entre 18 et 54 ans, avec une moyenne de 32 ans, dont 55 femmes (55 %) et 45 hommes (45 %). Parmi les 132 patients, 32 ont refusé de faire le test de sérologie VIH. Au total, 100 patients ont constitué l'échantillon de notre étude.

Nous avons d'abord calculé la prévalence de l'infection au VIH dans l'échantillon global et dans chaque groupe de patients atteints d'une des trois affections parodontales. Ensuite, à l'aide du test khi-deux, nous avons évalué la corrélation entre l'infection au VIH et la présence de l'affection parodontale. Les fréquences ont été comparées avec un risque d'erreur α à 5 %

Résultats

La fréquence des maladies parodontales dans l'échantillon était de 48 % pour l'EGL, de 28 % pour la GUN, et de 24 % pour la PUN. Vingt-neuf patients étaient séropositifs au VIH, soit une prévalence de 29 % (tableau 2). Parmi les 29 séropositifs, 8 sujets connaissaient leur état de séropositivité, et 21 nouveaux cas ont été découverts au cours de l'enquête. Douze patients avaient un EGL (41 %), 6 patients avaient une GUN (20,7 %), et 11 patients avaient une PUN (37,9 %) (tableau 3). En ce qui concerne la corrélation entre les affections parodontales et l'infection au VIH sous-jacente, elle n'était pas statistiquement significative (P > 0,05) (tableau 4).

Discussion

L'objectif de cette étude était de montrer que le diagnostic des affections parodontales associées à l'infection VIH peut contribuer au dépistage des patients séropositifs VIH.

Nous avons sélectionné 100 patients atteints des trois affections parodontales associées au VIH pour constituer l'échantillon de notre étude.

La prévalence des séropositifs VIH dans l'échantillon est de 29 %. Parmi les 29 séropositifs, 21 (22,8 %) ont découvert leur séropositivité grâce à la prescription du test de sérologie eu égard au diagnostic d'une affection parodontale associée au VIH (tableau 3).

Au niveau de la prévalence des affections parodontales associées au VIH, l'EGL est celle qui a la prévalence la plus élevée (41,34 %). Ce résultat corrobore les données de la littérature, qui ont toujours défini l'EGL comme étant une affection parodontale fortement liée à l'apparition et à la progression de l'infection VIH vers la maladie SIDA (Swango et al., 1991), si bien qu'au début de l'épidémie du VIH, elle a été appelée « gingivite associée au VIH » (Winkler et al., 1989). Cependant, lorsqu'on s'est rendu compte qu'elle pouvait se produire chez des personnes non infectées par le VIH, la terminologie d'« érythème gingival linéaire » a été préférée.

Après l'EGL, l'affection parodontale la plus présente chez les patients VIH positifs dans notre étude est la PUN, dont la prévalence (37,93 %) est proche de celle de l'EGL (37,93 %). La GUN, avec une prévalence de 20,68 %, vient en dernière position. La GUN et la PUN font partie du groupe des maladies parodontales nécrosantes.

Ce sont des maladies qui sont dues à une très mauvaise hygiène bucco-dentaire et affectent les personnes immunodéprimées, dont les sujets VIH séropositifs ou ceux au stade SIDA (Shangase et al., 2004).

La GUN et la PUN présentent des similarités au niveau des signes cliniques (Rowland, 1999). Cependant, dans la PUN, les lésions nécrotiques s'étendent à l'os alvéolaire, ce qui n'est pas le cas dans la GUN. Dans les pays en voie de développement (Afrique subsaharienne), le manque de soins et les consultations tardives font que la GUN évolue très rapidement vers la PUN (Ranganathan et al., 2000). Cette situation explique la prévalence élevée dans notre échantillon de la PUN chez les patients VIH positifs par rapport à la GUN.

Nous avons cherché à connaître la corrélation entre l'infection au VIH et la présence des affections parodontales. Statistiquement, le lien entre ces trois affections parodontales et l'infection au VIH n'était pas significatif. Cependant, la découverte d'une proportion non négligeable cliniquement (22 %) de nouveaux cas de séropositifs au cours de cette étude doit interpeller sur la présence probable d'une infection au VIH sous-jacente dans certaines maladies parodontales aigües. À la lumière de ces observations, il est recommandé aux chirurgiens-dentistes, dans le cadre du dépistage précoce de l'infection au VIH, de demander le test de sérologie VIH à tous les patients présentant l'une de ces trois affections parodontales (EGL, GUN et PUN). Les chirurgiens-dentistes et plus particulièrement les parodontistes doivent jouer un rôle de premier plan dans le dépistage précoce de l'infection au VIH, car ils ont l'expertise pour diagnostiquer les affections parodontales associées au VIH. Aussi les chirurgiens-dentistes devraient-ils être formés aux conseils post-test positif VIH afin d'annoncer les résultats, d'aider et d'orienter les nouveaux patients séropositifs VIH. En effet, au cours de cette étude, l'une des difficultés rencontrées a été l'annonce des résultats du test de sérologie VIH. Après les 5 premiers patients séropositifs, nous avons contacté une ONG (organisation non gouvernementale) experte dans le suivi des patients vivants avec le VIH pour nous former aux conseils post-VIH positif. Cela confirme que la prise en charge des patients infectés doit être pluridisciplinaire, impliquant les médecins, les chirurgiens-dentistes, les pouvoirs publics et les ONG.

Conclusion

Cette étude a montré que le diagnostic des affections parodontales suspectées d'être associées au VIH pourrait être un moyen de dépistage de l'infection au VIH chez certains patients. Certes, l'étude n'a pas montré de lien statiquement significatif entre les trois affections parodontales (l'érythème gingival linéaire, la gingivite ulcéro-nécrosante et la parodontite ulcéro-nécrosante) et l'infection à VIH (p > 0,05), cependant, la découverte d'une proportion non négligeable de nouveaux cas de patients VIH positifs (22 %) grâce à cette étude illustre l'importance de prescrire le test de sérologie VIH à tout patient présentant l'une de ces affections parodontales associées à l'infection VIH, et qui font souvent partie des premiers signes cliniques de l'infection au VIH.

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