Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 2 du 01/05/2020

 

Article

Joseph Samba DIOUF / Khady DIOP-BA / Alpha BADIANE / Youssouf OUEDRAOGO / Papa Ibrahima NGOM / Falou DIAGNE  

Service d'orthodontie, Département d'odontologie, faculté de Médecine, Pharmacie et Odontologie, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

Résumé

Résumé

Les migrations dentaires pathologiques, encore appelées « migrations dentaires secondaires », sont des modifications positionnelles des unités dentaires. Elles apparaissent suite à la rupture de l'équilibre des forces qui maintiennent les dents dans une position normale au sein de leurs arcades. Ce déséquilibre peut être causé par des facteurs étiologiques variés, parmi lesquels les parodontopathies. Nous présentons une patiente adulte âgée de 38 ans avec des migrations dentaires secondaires à type de biproversions incisives, de distoversion de la 11, d'égression des 11 et 21, et de diastèmes inter-incisifs. Ces migrations dentaires pathologiques sont associées à une maladie parodontale. Le traitement initial parodontal a été suivi d'un traitement orthodontique correctif fixe multi-attaches. Ce rapport de cas souligne l'importance de la prise en charge orthodontique dans le rétablissement de points de contacts interproximaux, de l'esthétique, de la fonction et du remodelage parodontal.

Summary

Abstract

Pathologic tooth migration, also known as ``secondary dental migrations'', are positional modifications of the dental units. They appear following the disruption of the balance of forces that maintain teeth in a normal position within their arches. This imbalance can be caused by various etiological factors including periodontal disease. We report a 38-year-old adult patient with pathogenic tooth migration as incisor protrusion, tipback of the right central upper incisor (the 11), extrusion of the 11 and the 21, and diastema between incisors. These pathologic tooth migrations are associated with periodontal disease. The initial periodontal treatment was followed by orthodontic treatment. This case report emphasizes the importance of orthodontic management in restoring interproximal contact points, aesthetics, function and periodontal remodeling.

Key words

Tooth migration, periodontal disease, malocclusion, multi-attachment treatment.

Introduction

L'orthodontie est souvent intégrée aux plans de traitement complexes des patients atteints de maladies parodontales (McKiernan et al. 1992 ; Chasens, 1979 ; Cirelli et al., 2006 ; Feng et al., 2005 ; Derton et al., 2011 ; Tian et al., 2015 ; Kim et al., 2012 ; Boyer et al., 2011 ; Vanarsdall, 1995). En effet, il est fréquent de voir se développer des malpositions dentaires suite à une atteinte du parodonte profond (Towfighi et al., 1997 ; Chasens, 1979). Ces malpositions très marquées intéressent généralement le secteur incisif (Towfighi et al., 1997 ; Tian et al., 2015). Il s'agit pour la plupart de vestibuloversions, de diastèmes et d'égressions incisives : ce sont des migrations dentaires secondaires ou pathologiques (Brunsvold, 2005). Ces migrations résultent de la rupture de l'équilibre des forces qui maintiennent les dents dans une position normale au sein de leurs arcades (Kumar et al., 2018). Les conséquences sont des déséquilibres occlusaux et un retentissement esthétique majeur, toujours mal accepté par les patients (Brunsvold, 2005).

En collaboration avec les parodontologistes, nous traitons des défauts esthétiques liés aux migrations dentaires secondaires chez des patients adultes. Une observation clinique est rapportée ici. Son but est de montrer l'apport de l'orthodontie fixe multi-attaches dans le rétablissement de points de contacts interproximaux, de l'esthétique, de la fonction occlusale et dans le remodelage parodontal de patients présentant des migrations dentaires secondaires.

Présentation du cas

Il s'agit d'une patiente adulte âgée de 38 ans, venue consulter pour un motif esthétique. Elle déclare que ses dents sont « trop écartées ».

L'examen clinique a permis de mettre en évidence les signes suivants (fig. 1 à 3) :

– une biproversion des incisives maxillaires et mandibulaires ;

– une distoversion de l'incisive centrale maxillaire droite (la 11) ;

– une égression des deux incisives centrales maxillaires (la 11 et la 21) ;

– des diastèmes inter-incisifs maxillaires et mandibulaires ;

– une récession gingivale localisée sur les incisives maxillaires avec une fenestration de la racine de l'incisive centrale mandibulaire droite (la 41) ressemblant à une fistule ;

– une anomalie de forme de l'incisive latérale maxillaire gauche (la 22) en grain de riz.

L'examen des relations inter-arcades indique :

– dans le sens sagittal, une occlusion de classe I d'Angle molaire et canine, un surplomb de 2 mm ;

– dans le sens vertical, un recouvrement incisif de 3 mm ;

– dans le sens transversal, une occlusion transversale normale.

Eu égard au diagnostic posé, les objectifs thérapeutiques sont : le nivellement et l'alignement dentaires, la correction de la biproversion des incisives, la fermeture des diastèmes inter-incisifs, et subséquemment le remodelage du parodonte.

Pour atteindre ces objectifs, un assainissement préalable du parodonte superficiel de type détartrage-surfaçage radiculaire a été suivi par la pose de dispositifs multi-attaches en slot 22*28 et d'un fil coaxial tressé de section .016 inch de nivellement et d'alignement des dents aux deux arcades (fig. 4 à 6).

Le nivellement-alignement obtenu, un fil d'acier rond de section .020 inch a été utilisé pour fermer les diastèmes avec des chaînettes. Un fil d'acier rectangulaire .019x.025 inch a permis la correction de la biproversion incisive par une mécanique de glissement avec des ligatures de Bennett de recul du bloc incisif (fig. 7 à 9).

Après 15 mois de traitement actif, les résultats ci-dessous ont été obtenus (fig. 10 à 12). Il s'agit de :

– la correction de la biproversion incisive ;

– la fermeture des diastèmes inter-incisifs mandibulaires avec un rétablissement des points de contacts interproximaux ;

– la réduction significative du diastème inter-incisif maxillaire ;

– la correction de la récession gingivale ;

– la régénération du tissu gingival perforé ;

– et l'ingression des incisives.

Discussion

Les migrations dentaires secondaires à une maladie parodontale constituent souvent le motif de consultation qui pousse les patients à entreprendre un traitement orthodontique (McKiernan et al., 1992). Chez plusieurs patients, ces migrations pathologiques, localisées pour la plupart sur les incisives, se manifestent par des diastèmes et des égressions entraînant de nombreux problèmes esthétiques et fonctionnels (McKiernan et al., 1992 ; Feng et al., 2005 ; Ong et al., 1998). Le traitement orthodontique rapporté dans notre étude a permis de retrouver des rapports dentaires et un équilibre occlusal fonctionnel, de remodeler le parodonte, d'améliorer l'environnement tissulaire, et d'obtenir une denture plus esthétique ainsi qu'un équilibre plus harmonieux entre les dents et les lèvres. Des observations similaires ont été rapportées par de nombreux auteurs (Derton et al., 2011 ; Tian et al., 2015 ; Diedrich, 1996). Nos résultats thérapeutiques sont en phase avec ceux décris par Kumar et al., qui ont montré que l'orthodontie, en neutralisant les migrations secondaires, permet de stabiliser les thérapeutiques parodontales et d'améliorer leur pronostic à long terme (Kumar et al., 2018). En particulier, dans les parodontites agressives, le fait de redresser l'axe d'une molaire mésioversée ou d'une incisive vestibuloversée, en modifiant les conditions locales, peut faciliter un meilleur contrôle de plaque et permettre une réduction significative des Actinobacillus actinomycetemcomitans, Porphyromonas gingivalis et Tannerella forsythensis (Burch et al., 1992).

Dans les cas de parodontites agressives, le traitement parodontal, grâce à une antibiothérapie judicieuse adaptée à la flore microbienne spécifique et aux traitements locaux (surfacage, désorganisation du biofilm), permet de stabiliser les lésions osseuses. L'orthodontie très douce peut ensuite corriger les facteurs consécutifs et aggravants comme les migrations dentaires secondaires (égressions, vestibuloversions, mésioversions et diastèmes), qui sont les manifestations cliniques de la perte osseuse et d'attache. Cependant, les dispositifs orthodontiques fixes multi-attaches combinant les bagues, les brackets, les arcs et les systèmes de ligatures ou de chaînettes constituent en eux-mêmes des facteurs de rétentions alimentaires et bactériennes, pouvant alors aggraver la maladie parodontale.

L'avènement de l'orthodontie par aligneurs permet de traiter une bonne partie des patients, surtout adultes, en utilisant des gouttières amovibles transparentes. Les aligneurs permettent ainsi de s'affranchir du port d'un appareil fixe puisqu'ils sont amovibles. L'amovibilité de ces dispositifs évite les problèmes de rétentions alimentaires et bactériennes observés chez les sujets porteurs de dispositifs orthodontiques multi-attaches. En effet, les patients peuvent retirer ces gouttières pour manger, boire ou pour se brosser les dents. En outre, les gouttières dentaires sont créées dans un matériau souple et confortable, qui présente une parfaite affinité avec les tissus de la bouche. Le revêtement lisse limite le risque de blessures et de saignements, fréquemment rencontrés avec un appareil métallique (bagues ou brackets). Les aligneurs peuvent davantage convenir aux patients qui présentent des gencives fragiles ou un risque parodontal accru. Le brossage étant facilité par les gouttières amovibles, l'hygiène bucco-dentaire est préservée. Il faut en revanche veiller à les porter au moins 22 heures/24 pour obtenir un résultat efficace.

En revanche, si le patient présente des récessions gingivales, un biotype gingival fin, un déficit en gencive attachée, une symphyse étroite ou un os alvéolaire manquant d'épaisseur dans le sens vestibulo-lingual ou palatin, le traitement par aligneurs peut entraîner des problèmes parodontaux ou se traduire par un mouvement dentaire excessif, surtout s'il s'agit d'un mouvement particulièrement délicat. Il est ici impératif de renoncer à ce type de mouvements sur un parodonte fin ou en cas de récession parodontale, car cela aggraverait les lésions déjà existantes ou en causerait de nouvelles. Ce sont ces contre-indications qui nous ont poussés à choisir chez cette patiente un traitement orthodontique avec des dispositifs fixes multi-attaches. Il s'agit d'un cas clinique défavorable au traitement par aligneur.

La fenestration de la racine de l'incisive centrale mandibulaire a été corrigée par les mouvements orthodontiques de linguoversion et de linguoposition des incisives mandibulaires lors de la mécanique de rétraction incisive. Ces déplacements dentaires sont favorables à la formation d'os alvéolaire sur la face vestibulaire par le biais du processus d'apposition-résorption osseuse, base du déplacement dentaire provoqué. Cette correction de la fenestration est en phase avec les résultats rapportés par Melsen et al., qui ont montré que les mouvements orthodontiques sur un tissu parodontal réduit n'aggravent pas la perte d'attache parodontale, mais au contraire induisent une apposition osseuse, clé d'une bonne réponse parodontale (Melsen, 1999 ; Melsen et al., 1988 ; Melsen et al., 1989). Un cliché rétro-alvéolaire en fin de traitement pourrait permettre de mieux apprécier l'impact des déplacements dentaires sur le parodonte profond.

Le recouvrement nul obtenu en fin de traitement est une hypercorrection, facteur de stabilité du sens vertical. La présence d'un léger diastème inter-incisif maxillaire résiduel était une demande esthétique formulée par la patiente. Une coronoplastie par addition a été recommandée à la patiente pour la correction de l'anomalie de forme localisée sur la 22.

Conclusion

La prise en charge des migrations dentaires pathologiques fréquemment rencontrées chez des patients adultes présentant des affections parodontales doit comprendre une étape de traitement orthodontique correctif couplé au traitement étiologique parodontal. Cette prise en charge interdisciplinaire va permettre de retrouver, dans un environnement parodontal assaini, des relations inter-arcades et des rapports d'occlusion normaux, gages de la stabilité à long terme du résultat thérapeutique.

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