Article
Alexandra BOYER 1* / Georges RACHLIN 2 / Mathias FAURE-BRAC 3* / Virginie MONNET-CORTI 4*
1- Assistant Hospitalo-Universitaire2- Chirurgien-Dentiste, Cabinet Dentaire de l'Hôpital Européen (Marseille)3- Interne en odontologie. DES MBD.4- Professeure des Universités-Praticienne Hospitalière* Unité Fonctionnelle de Parodontologie, Assistance Publique Hôpitaux de Marseille
Aix-Marseille Université – Marseille (France)
Résumé
La pérennité de l'intégration biologique et esthétique des prothèses dentaires dépend en grande partie de la qualité du joint prothétique et du respect de l'attache supra-crestale, anciennement appelée « espace biologique ». Pour garder le parodonte en bonne santé, la dimension de l'attache supra-crestale doit être respectée ou bien recréée. Pour cela, le choix thérapeutique est dicté par l'analyse préalable de différents critères.
The durability of the biological and aesthetic integration of dental reconstrution largely depends on the quality of the prosthetic joint and the respect of the supra-crestal attachment, formerly called ``biological space''. To keep the periodontal health, the size of the supra-crestal attachment must be respected or recreated. For this, the therapeutic choice is dictated by the prior analysis of different criteria.
L'évolution des techniques de collages et de matériaux prothétiques ont permis l'élaboration de concepts thérapeutiques en prothèse fixée de moindre mutilation avec des matériaux aux capacités biocompatibles élevées. Le positionnement de la limite d'une restauration coronaire reste un élément crucial pour la santé parodontale (Kois 1996, Amiri-Jezeh et al. 2006). Outre l'influence de plusieurs facteurs de risque (Kinane et al. 2006), sa position peut influer sur l'initiation et la progression des maladies parodontales ; comme le rappelle le récent workshop de 2017 réalisé à Chicago pour la Nouvelle Classification des maladies et affections parodontales (Ercoli et al. 2018).
L'attache supra-crestale remplace, depuis la nouvelle Classification des maladies parodontales (Jepsen, 2018), le terme d'« espace biologique ». Cette attache correspond à la hauteur des tissus mous adhérant à la surface dentaire, situés coronairement au sommet de la crête alvéolaire. Il s'agit précisément de la dimension corono-apicale de l'épithélium jonctionnel et de l'attache conjonctive supra-crestale. (American Academy Glossary of periodontal terms, 2001 ; Ercoli et al. 2018) Elle joue le rôle de barrière protectrice pour le ligament parodontal sous-jacent et l'os alvéolaire de soutien (Bosshardt et al. 2005 ; Lang et al., 2005) (fig. 1).
Dans une étude sur cadavres menée par Gargiulo et son équipe (Garguilo et al. 1961), ces dimensions varient de 1,77 mm à 2,38 mm ; l'attache conjonctive présentant la dimension moyenne la plus constante au cours de l'éruption dentaire. Vacek et son équipe ont aussi observé des variations de dimensions comprises entre 0,75 et 4,33 mm (Vacek et al. 1994). La dimension moyenne de l'attache supra-crestale calculée dans une récente méta-analyse était de 2,15 mm (Schmidt et al., 2013).
Ces variations sont observées entre les individus et chez un même individu quel que soit le type de dent (Schmidt et al., 2013), la face (Vacek et al. 1994), le biotype (Rasouli et al. 2014), la perte d'attache (Garguilo et al. 1961), la présence de restauration (Vacek et al. 1994) et l'allongement de la couronne (Lanning et al. 2003). Ces dimensions semblent aussi être affectées par les maladies parodontales. De sorte qu'il est impossible de définir clairement une dimension « fixe » ou universelle de l'attache supra-crestale (Schmidt et al., 2013).
Elle ne peut être évaluée avec précision que par analyse histologique (Garguilo et al. 1961 ; Vacek et al. 1994). D'autres méthodes, telles que le sondage transgingival ou la radiographie, peuvent être utilisées pour la mesurer cliniquement mais ne convient pas pour mesurer la dimension réelle de cette attache (Alpiste et al. 2004 ; Galgali et al. 2001).
Toute effraction, par le positionnement des limites apicales (prothèses, soins restaurateurs, fractures...) dans l'attache épithéliale et l'attache conjonctive supra-crestales, est associée à une réaction inflammatoire du parodonte (fig. 2).
Cette inflammation peut provoquer la formation d'une poche parodontale (Tarnow et al. 1986). Cette lésion parodontale va compromettre la qualité esthétique de la restauration, sa pérennité à long terme et la conservation de la dent. En présence d'un phénotype fin et fragile, cette inflammation pourra entrainer une récession gingivale, laissant apparaitre le joint dento-prothétique ce qui est considéré comme un échec thérapeutique dans les zones esthétiques.
Les interactions entre les restaurations prothétiques et les tissus parodontaux ont récemment été évaluées dans une revue systématique (Kosyfaki et al. 2010). Les résultats de cette étude ont indiqué qu'une limite supragingivale est le type de restauration le plus bénéfique en termes de santé parodontale (Kosyfaki et al. 2010). En revanche, les restaurations comportant des limites cervicales juxta et sous-gingivale entrainent une perturbation de l'homéostasie des tissus parodontaux : une accumulation accrue de plaque, pouvant conduire à une inflammation gingivale plus grave suivie d'une destruction parodontale avec une profondeur de poche accrue, une perte d'attache et des récessions gingivales (Lang et coll. 1983 ; Schätzle et coll. 2001 ; Reitemeier et al. 2002) comme l'avait montré la revue systématique de Schmidt et al. 2013.
Une étude clinique prospective chez l'homme, compare l'effet des limites prothétiques interproximales placées à différentes distances de la crête osseuse (groupe 1 : < 1 mm entre la limite et la crête osseuse, groupe 2 : 1 à 2 mm et groupe 3 : > 2 mm). Bien que la présence de plaque supra-gingivale soit similaire entre les groupes, l'indice de saignement papillaire est supérieur dans le groupe 1 associé à une profondeur de sondage accrue et un empiètement net des limites dans l'attache supra-crestale (Gunay et al. 2000). Il n'est pas possible de déterminer clairement, si les effets négatifs sur le parodonte associés aux limites de restauration dans l'attache supra-crestale sont causés par la plaque bactérienne, par le traumatisme ou bien la combinaison de ces facteurs. (Ercoli et al. 2018).
La chirurgie d'élongation coronaire (CEC) pré-restauratrice est un acte fréquemment réalisé en parodontologie et constitue un motif courant de référence vers des parodontistes. Elle est indiquée en présence d'une carie, d'une fracture, d'une résorption située sur une racine et ayant détruit tout ou partie de l'attache supra-crestale. Le but est d'aménager les tissus parodontaux pour fournir des limites cervicales à distance de l'attache supra-crestale pour permettre la restauration d'une dent tout en respectant ou en recréant la dimension de l'attache supra-crestale. (Pilalas et al. 2016) (fig. 3). Cela peut être utile aussi pour améliorer l'esthétique ou augmenter la rétention de la couronne prothétique.
La qualité du résultat dépend quant à elle de l'analyse minutieuse et préalable des données cliniques, radiologiques et esthétiques tenant compte des facteurs dento-parodontaux, prothétiques et l'examen du sourire ; ainsi que de la maîtrise de la thérapeutique chirurgicale choisie.
La CEC repose sur diverses techniques chirurgicales, à savoir la gingivectomie à biseau interne, le lambeau positionné apicalement (LPA), et la chirurgie osseuse (Kopczyk et al. 1978 ; Palomo et al. 2016).
Le choix de la technique se fait en fonction de la hauteur de tissu kératinisé et de l'espace chirurgical pré-prothétique (c'est à dire la distance entre le sommet du tissu dentaire résiduel et le sommet de la crête osseuse).
– Aménagement des tissus mous : Afin de déterminer le type d'intervention à réaliser, nous devons répondre aux questions suivantes : La hauteur de gencive est-elle suffisante ? Peut-on la diminuer tout en préservant la santé parodontale ? Si la hauteur de gencive est insuffisante voire absente, comment peut-on l'augmenter ou la créer (tableau 1) ?
Le LPA est la technique la plus habituellement employée notamment sur la face vestibulaire des dents. La gingivectomie à biseau interne concerne plus souvent la face palatine ou linguale des dents sauf dans certains cas d'éruption passive altérée.
– Aménagement des tissus durs : L'espace chirurgical pré-prothétique, évalué radiographiquement, correspond à une distance d'environ 3 mm, retrouvée entre le somment de la crête osseuse et la future limite prothétique ; laissant 2 mm à l'attache supra-crestale et 1 mm entre le fond du sulcus et la limite prothétique (Brägger et al. 1992) :
• si cette distance est supérieure ou égale à 3 mm, le niveau osseux n'est pas modifié ;
• si cette distance est inférieure à 3 mm, une ostéotomie et une ostéoplastie permettent de l'augmenter (fig. 4 et 5).
La réduction osseuse doit être homothétique au contour gingival en respectant la morphologie osseuse physiologique ainsi que les impératifs anatomiques, biologiques et esthétiques (fig. 6).
– Résultats cliniques :
La relation entre la position du lambeau après sutures et le rebond tissulaire à 6 mois a été étudiée et retrouvée dans une revue systématique (Pilalas et al. 2016). Une relation inverse entre ces deux paramètres est rapportée ; le rebond tissulaire est plus important lorsque les berges du lambeau sont suturées près du rebord osseux (≤ 3 mm de la crête alvéolaire) (Deas et al. 2004, Arora et al. 2013).
De plus, le rebond tissulaire dépend du biotype parodontal. À 6 mois post opératoire, le biotype épais présente un rebond tissulaire supérieur. (Arora et al. 2013)
Le positionnement du lambeau au niveau de la crête osseuse favorise une attache conjonctive au lieu d'un long épithélium de jonction, un sulcus minimum et à terme une cicatrisation plus coronaire que celle qui avait été définie par la position de la gencive par rapport à la crête osseuse. Cet effet rebond permet de masquer les limites prothétiques sans perturber l'attache supra-crestale (De Sanctis et al. 1988) (fig. 7).
La majorité des patients (73 %) sont satisfaits de l'allongement coronaire. Les résultats obtenus sont prévisibles et stables à court terme. (Silva et al. 2015) et même à long terme, surtout si le patient présente un biotype épais.
Une période de temporisation d'au moins 6 mois est nécessaire après l'allongement de la couronne chirurgicale comme le montrent Brägger et al. (1992), Lanning et al. (2003) et Shobha et al. (2010) (fig. 8).
Le respect de l'intégrité de l'attache supra-crestale reste primordial pour la santé parodontale, la pérennité des restaurations prothétiques et la réussite esthétique du traitement.
Lorsque l'esthétique n'est pas un impératif dans la décision thérapeutique, il semble plus important d'avoir une attitude biologiquement responsable en réalisant des reconstructions prothétiques à distance du parodonte. Dans le cas contraire, des précautions sont à prendre pour éviter un effet négatif des restaurations sur le parodonte. La CEC est une technique chirurgicale permettant d'améliorer les rapports parodonto-prothétiques dont le protocole opératoire est dicté par la hauteur de tissu kératinisé et l'espace chirurgical pré-prothétique. Le temps de cicatrisation doit être suffisant pour une maturation parfaite des tissus gingivaux et/ou osseux et une bonne intégration esthétique de la restauration prothétique définitive.