Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/03/2020

 

Article

Jean Philippe RÉ 1 / Jean Daniel ORTHLIEB 2  

1- MCU-PH
Faculté d'Odontologie
Université Aix-Marseille
APHM-Hôpital Timone2- PU-PH
Faculté d'Odontologie
Université Aix-Marseille
APHM-Hôpital Timone

Résumé

Résumé

L'objectif de cet article est de développer l'apport que pourrait représenter une prise en charge fonctionnelle associée à la thérapeutique conventionnelle parodontale, en abordant la question de la stimulation de la densité osseuse alvéolaire.

Un modèle physio-pathogénique tridimensionnel est ainsi proposé pour mieux comprendre les réactions d'apposition/destruction de l'os alvéolaire en expliquant que pour une exposition bactérienne donnée, l'os alvéolaire pourrait être soumis à l'influence de trois dimensions physio-pathogéniques : structurelle, psychosociale et biologique.

En associant assainissement parodontal et optimisation simple des capacités de serrement et de mastication alternées, il pourrait être envisagé que cette prise en charge combinée « parofonctionnelle » favorise des effets intéressants pour un surcoût thérapeutique très faible.

Summary

Abstract

The objective of this article is to develop the contribution that could represent functional management associated with conventional periodontal therapy, by proposing the stimulation of alveolar bone density.

A three-dimensional physio-pathogenic model is proposed to better understand the apposition/destruction reactions of the alveolar bone by explaining that, in presence of bacteria, the alveolar bone could be under the influence of three physio-pathogenic dimensions: structural, psychosocial and biological.

By combining periodontal treatment and simple optimization of tightening and chewing capacities, it could be envisaged that this combined ``periofunctional'' treatment would favor interesting effects for a very low therapeutic cost.

Key words

Bone, stress, adaptation, optimization

Introduction

À l'heure actuelle, il est habituel de lire : « Il n'existe pas de preuve scientifique nette soutenant qu'une thérapeutique occlusale puisse réduire l'inflammation causée par de la plaque dentaire (Davies et al., 2001) ». Il est tout aussi habituel de lire : « Il n'existe pas de preuve scientifique nette que des forces occlusales traumatiques puissent intervenir dans la genèse d'une gingivite ou d'une parodontite, ni même qu'elles puissent en accélérer l'évolution » (Davies et al. 2001 ; Fan et Caton, 2018). Force est de constater que cette façon de présenter les choses est juste mais renferme une forme d'hypocrisie : pourquoi avoir besoin de prouver qu'une maladie infectieuse n'est pas provoquée par une contrainte mécanique ? Cette forme de tromperie conduit à rejeter l'occlusion en général, masquant la question de l'influence de la contrainte de la mécanique sur l'os. Une contrainte mécanique appliquée à une dent est-elle capable de provoquer une destruction osseuse ou de déclencher un développement osseux ? Qu'est-ce qu'une extraction, si ce n'est la rupture du desmodonte sous l'effet de contraintes mécaniques ; mais plus intéressant, qu'est-ce qu'un déplacement orthodontique si ce n'est un phénomène de destruction/apposition d'os sous l'effet d'une contrainte mécanique.

Il est bien établi qu'un trauma occlusal peut être la cause d'une mobilité dentaire (Budtz-Jørgensen, 1980 ; Ericsson et Lindhe, 1982 ; Harrel et al., 2006 ; Ishigaki et al., 2006), a fortiori sur un terrain parodontal déjà affaibli (Davies et al., 2001). Si la suppression du trauma occlusal permet de ne plus surcharger la dent, cet acte thérapeutique ne vise pas le traitement de la parodontite en tant que maladie bactérienne. Probablement le trauma fragilise les réorganisations tissulaires et la correction d'une anomalie occlusale d'évidence est généralement indiquée (Orthlieb et al., 2017) ; tout simplement parce qu'elle est bénéfique à la capacité de résistance de l'organe dentaire et que son coût thérapeutique est très faible, voire nul. Cette question a déjà été largement débattue.

Il est une autre manière de traiter de la relation occlusion/parodonte, en abordant la question, non de la destruction du parodonte, mais, au contraire, de la stimulation de la densité osseuse alvéolaire. Quelle pourrait bien être la contribution d'une thérapeutique fonctionnelle chez un patient au parodonte affaibli ?

L'objectif de cet article est de développer l'apport que pourrait présenter la prise en charge fonctionnelle associée à la thérapeutique conventionnelle parodontale.

Stimulation fonctionnelle de l'os

L'os en général

Wiskott (Wiskott, 2011) a avancé que l'os était souvent perçu comme un tissu devant être protégé des contraintes par peur d'une surcharge et donc d'une résorption. Il démontre, s'appuyant sur plusieurs publications, que la démarche opposée doit s'appliquer car la « sous-stimulation » de l'os provoquerait sa diminution de masse, son affaiblissement. La résorption de l'os alvéolaire consécutive à la perte d'une dent nous l'avait appris depuis très longtemps.

Frost (Frost, 2004), Gross (Gross, 2015) ont très justement rappelé que Julius Wolff avait compris, dès 1892, que les charges mécaniques pouvaient influer sur l'architecture osseuse des êtres vivants. Ainsi la loi de Wolff énonce que tout os adapte sa forme externe (corticale) et sa structure trabéculaire interne en fonction des charges auxquelles il est soumis (Wolff, 1892).

En rappelant ce principe élémentaire et en s'appuyant sur les travaux d'autres auteurs (Lanyon et al., 1975 ; Rubin et Lanyon, 1985 ; Frost, 1987 ; Burr et al., 1996), Wiskott (Wiskott, 2011) propose 4 niveaux de charges appliquées à l'os pour étayer ses propos :

Ainsi, en cas de :

• charge insuffisante : la masse osseuse se réduit considérablement,

• charge physiologique : stabilité de la structure osseuse (comme par exemple dans une activité quotidienne de mastication),

• surcharge légère : augmentation de la masse osseuse (le bruxisme pourrait en être un exemple),

• surcharge importante : la réponse est mal définie actuellement mais elle peut être considérée comme non-physiologique et la destruction pourrait aller jusqu'à la fracture de l'os.

À ce stade, un parallèle peut être fait avec les femmes post-ménopausées et les patients ostéopéniques ou ostéoporotiques. Ainsi chez ces patients, dans un article intitulé « Un plaidoyer basé sur l'évidence : L'exercice physique pour prévenir ou traiter l'ostéoporose » les auteurs Morell et Gross proposent un programme d'exercices physiques spécifiques sur mesure afin d'améliorer significativement la densité osseuse (Morell et Gross, 2018). Chez ces patients, il est clairement établi que de tels exercices ont une action bénéfique (Marques et al., 2011) dans les programmes actifs, stabilisante (Kerr et al., 2001) dans les programmes d'entretien et, en revanche et selon tout évidence, ils ne doivent pas être interrompus sous peine de perdre le gain acquis (Hinton et al., 2015).

L'os alvéolaire

Dans le même esprit, Mavropoulos (Mavropoulos et al., 2010) a démontré, sur des rats, que la mastication influait sur la qualité et la quantité de l'os alvéolaire. Erlich (Ehrlich et Lanyon, 2002), de même, a montré qu'une activité appropriée au moment de la croissance peut mener à un squelette plus grand et plus robuste qui peut se maintenir ainsi en dépit d'une perte osseuse tout au long de la vie. Mavropoulos (Mavropoulos et al., 2010) affirme aussi que la réhabilitation de la fonction masticatoire a une influence très nette sur l'architecture osseuse chez le rat adulte. Même si l'application de contraintes répétées engendrées par la mastication peut, à la longue, provoquer l'ouverture de microfissures (Frost, 1960), l'os est en capacité de les éliminer en régénérant sa structure interne et en formant un nouveau tissu homogène et sans défaut. Ainsi l'os forme un BMU (Basic Multicellular Unit) (Frost, 1969), c'est à dire une association fonctionnelle d'ostéoclastes et d'ostéoblastes, de capillaires et de cellules auxiliaires dont le travail est de résorber l'os puis de redéposer une nouvelle couche de structure minéralisée intacte. (Wiskott, 2011)

Os alvéolaire : modèle physio-pathogénique tridimensionnel

Kornman (Kornman et al., 1997), a montré que si la présence de bactéries virulentes est nécessaire au déclenchement de la maladie parodontale, elle n'était vraisemblablement pas suffisante pour l'initier seule. Kornman a avancé que l'hôte jouait un rôle tout aussi important de modulation de l'agression bactérienne. L'association d'un facteur bactérien à une capacité de résistance de l'hôte doit être prise en compte. Comme l'a montré Beck (Beck, 1994), un patient peut être exposé à plusieurs facteurs de risque majeur d'aggravation des maladies parodontales. La physiopathogénie de l'os alvéolaire y joue un rôle essentiel.

C'est en s'appuyant sur ces nombreux éléments qu'un modèle physio-pathogénique tridimensionnel pourrait être avancé pour mieux comprendre les réactions d'apposition/destruction de l'os alvéolaire (fig. 1).

Ainsi, pour une exposition bactérienne donnée, l'os alvéolaire pourrait aussi être soumis à l'influence de trois dimensions physio-pathogéniques :

• La dimension structurelle (Axe I) : aspect somatique local comprenant l'organisation squelettique et dentaire (typologie squelettique, typologie osseuse, malformation osseuse, malocclusion, dysharmonie dentaire...),

• La dimension psychosociale (Axe II) : aspect psychique de l'individu dans son contexte environnemental et culturel influençant le comportement manducateur (pathofonction, parafonction, hypofonction), les niveaux émotionnels (satisfaction, stress avec leurs impacts biologiques immunitaires), les capacités d'observance thérapeutique (hygiène par exemple).

• La dimension biologique (Axe III) : aspect somatique général (systémique) influençant le terrain du patient (pathologie générale, sensibilité bactérienne, réactivité biologique, trabéculation de l'os...).

Dans chacune de ces trois dimensions pourraient se manifester des facteurs étiologiques (prédisposant, déclenchant, entretenant) contribuant à différents niveaux du processus morbide.

Facteurs prédisposants (ils constituent des facteurs de risque) :

• Dimension structurelle : dysmorphoses dento-squelettiques, anomalies des fonctions occlusales, tartre, frein, ventilation orale...

• Dimension psychosociale : état dépressif, hygiène insuffisante, faible observance,

• Dimension biologique : réponse de l'hôte (risque génétique (Page et al., 1985), âge, ethnie, diminution des capacités immunitaires, allergies, pathologies générales (diabètes...)).

Facteurs déclenchants (ils initient ou précipitent la maladie)

• Dimension structurelle : trauma, restaurations iatrogènes, orthodontie iatrogène,

• Dimension psychosociale : choc émotionnel avec effondrement des défenses immunitaires, de l'hygiène, aggravation des comportements orofaciaux à risque (mâchonnement de crayon par exemple),

• Dimension biologique : biofilm (flore microbienne pathogène), déclenchement d'une maladie générale.

Facteurs entretenants (ils favorisent l'auto-aggravation par cercle vicieux)

• Dimension structurelle : comportements orofaciaux à risque, ventilation orale,

• Dimension psychosociale : hypofonction, stress qui altérerait la réponse immunitaire (Breivik et al., 1996), état dépressif,

• Dimension biologique : maladie générale, diabète, surpoids, tabac, alcool, certains médicaments (cyclosporine, phénytoine, nifédipine...)

L'observation clinique quotidienne permet de constater que nombre de patients de tous âges avec vraisemblablement des facteurs prédisposants ne présentent pas forcément d'affaiblissement alvéolaire caractérisé par l'apparition de poches parodontales. Voir même, il n'est pas rare de rencontrer des patients au parodonte épais qui, de leur propre aveu, ne semblent pas faire d'efforts particuliers pour entretenir leur hygiène orale. Bien souvent, il s'agit de patients qui ne ménagent pas leur appareil manducateur, apparaissant ainsi avec un profil de « serreur », affichant des muscles masticateurs bien souvent denses et/ou hypertrophiques (fig. 2 à 5). Pour étayer l'observation clinique, la littérature scientifique suggère que le bruxisme ne cause pas de dommages parodontaux (Manfredini et al., 2015 ; Budtz-Jørgensen, 1980 ; Stephens, 1973 ; Lobbezoo et al., 2012), voire même, que la densité et la hauteur de l'os alvéolaire augmentent significativement à mesure de la progression de l'usure dentaire (Özcan et Sabuncuoglu, 2013).

Comment stimuler l'os alvéolaire sans le détruire ?

La « parofonction » thérapeutique

Par la stimulation fonctionnelle de l'os alvéolaire, il pourrait y avoir un effet de densification autour des dents (Jeany et al., 2018) et aussi autour des implants par le biais des constructions prothétiques supra-implantaires (Wiskott, 2011). Park (Park et al., 2007) souligne que la stimulation par la mastication peut diminuer la progression de la maladie parodontale. Thongudomporn (Thongudomporn et al., 2009) et Mavropoulos (Mavropoulos et al., 2010) précisent que les arcades dentaires devraient être restaurées afin de permettre la mise en œuvre de forces qui amélioreraient et renforceraient la qualité et la quantité de l'os alvéolaire.

Nous savons, de plus, que le bruxisme (serrement, balancement, grincement), le mâchonnement (chewing-gum), sont favorables comme décharge du stress (Onodera et al., 2006 ; Park et al., 2008 ; Tago et al., 2018).

Puisque le serrement, le mâchonnement renforcent l'os alvéolaire et diminuent le stress, alors pourquoi ne pas s'appuyer sur ces constatations pour proposer aux patients dont le parodonte est affaibli, une thérapeutique « parofonctionnelle » en leur demandant de prendre appui sur leurs dents et de serrer pendant des temps courts mais répétés plusieurs fois tout au long de la journée, et/ou de pratiquer une mastication douce, alternée, et progressive de chewing-gum (par exemple 2 fois 15 minutes par jour). Cependant, les troubles des articulations temporo-mandibulaires, ou les parafonctions préalablement excessives pourraient représenter des contre-indications à cette approche.

L'équilibre occlusal protecteur

À l'évidence, pour favoriser et faciliter cette thérapeutique « parofonctionnelle », l'odontologiste s'assurerait de l'efficience des fonctions occlusales et en particulier des fonctions de calage et de guidage (Orthlieb et al., 2013).

– Le calage : sans appui occlusal, la capacité de serrement est inhibée (Williamson et Lundquist, 1983) ou tout au moins fortement diminuée. La stabilité de l'Occlusion d'Intercuspidie Maximale (OIM) doit être vérifiée, et au besoin optimisée, afin de garantir des contacts occlusaux simultanés et répartis sur l'ensemble de l'interface entre les deux arcades. Le calage, au niveau des premières molaires, constitue le socle de la stabilité occlusale. L'OIM doit être unique, précise et reproductible (son clair et unique lors du tapotement net et répété des dents).

– Le guidage : la présence d'interférence occlusale postérieure est à corriger soit par soustraction au niveau postérieur soit par addition au niveau du guidage. Encore faut-il que le praticien ait parfaitement intégré qu'une interférence occlusale postérieure n'est pas un contact simultané entre des dents postérieures et antérieures dans un mouvement de propulsion ou de diduction, mais qu'une interférence occlusale postérieure correspond à une surface occlusale postérieure désengrenant les dents antérieures dans ces mouvements (fig. 6).

Un examen clinique, simple mais attentif, de l'occlusion pourrait entrainer éventuellement de très légères optimisations non ou très faiblement invasives.

L'utilisation, sur une ou deux nuits et/ou dans la journée, du BruxChecker® (Onodera et al., 2006) donne la possibilité de visualiser les dents qui subissent des forces occlusales traumatiques (Caton et al., 2018). L'examen clinique de l'occlusion est ainsi complété en visualisant les comportements occlusaux parafonctionnels d'éveil ou de sommeil (Taira et al., 2018), en matérialisant les zones occlusales surchargées et en apportant ainsi une réponse adaptée à leur éventuelle mobilité (Fan et Caton, 2018) (fig. 7 et tab. 1).

En associant assainissement parodontal et optimisation simple des capacités de serrement (calage) et de mastication alternée induite par la symétrisation d'une désocclusion minimale (guidage), on peut espérer, en toute logique, que cette prise en charge combinée « parofonctionnelle » favorise des effets intéressants pour un surcoût thérapeutique très faible.

Conclusion

L'accompagnement d'un patient souffrant de parodontopathie, pourrait ne pas seulement bénéficier d'un assainissement initial, de contrôles de plaque mais aussi passer par un contrôle de l'occlusion et une stimulation « parofonctionnelle ». S'assurer que le patient puisse serrer des dents plusieurs fois dans la journée, pourrait être un moyen lui permettant de stimuler la masse (volume et densité) de l'os alvéolaire support de ses dents.

L'os est un tissu « intelligent » qui sait répondre positivement à une bonne stimulation, alors pourquoi s'en priver ?

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