Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 4 du 01/11/2019

 

Article

Patrick MISSIKA 1 / Philippe RUSSE 2  

1- Maitre de conférences des universités Paris Diderot
Professeur associé TUFTS University Boston
Expert près la cour d'appel de Paris
Expert national agréé par la cour de cassation2- Diplôme universitaire d'implantologie chirurgicale et prothétique Université Paris Diderot
Ancien assistant à la Faculté de Reims
Expert près la cour d'appel de Reims

Résumé

Résumé

La chirurgie du sinus s'inscrit dans la règle commune à tous les actes médicaux au niveau des obligations médico-légales. Cette chirurgie, du fait des risques qu'elle entraîne pour le patient, demande une information renforcée. Le praticien qui aspire à réaliser cette chirurgie doit d'une part avoir suivi une formation adéquate, et d'autre part être capable de gérer les complications.

Summary

Abstract

Sinus surgery is considered as a classical surgery on a medico legal point of view. This sinus surgery, by the risks for the patient, needs a reinforced information. The dentist who would like to practice this surgery must have a specific education and be able to manage the complications.

Key words

Sinus surgery, duty of reinforced information, piézo surgery.

La chirurgie du sinus s'inscrit dans la règle commune à tous les actes médicaux au niveau des obligations médico-légales.

Il faut souligner que cette chirurgie est une chirurgie non dénuée de risques et dont les conséquences peuvent être extrêmement sévères pour les patients. Il faut noter également que les chirurgiens-dentistes ne reçoivent aucune formation pratique sur cette chirurgie pendant leurs études menant au doctorat d'exercice, et que cette pratique chirurgicale est soumise à un agrément spécifique de compétences par certaines compagnies d'assurances en responsabilité civile professionnelle, comme la MACSF et le Sou Médical.

Cette chirurgie, du fait des risques qu'elle entraîne pour le patient, demande une information renforcée. Or, depuis l'arrêt de la Cour de cassation de février 1997, c'est au praticien d'apporter la preuve qu'il a bien donné les informations nécessaires à son patient. C'est ce que l'on a appelé « le renversement de la charge de la preuve ».

En réalité, la Cour de cassation est revenue à la règle commune, définie par l'article 1315 du Code civil qui stipule : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

Le problème qui se pose en pratique courante est : comment apporter cette preuve ?

La seule preuve irréfutable consisterait en l'enregistrement vidéo intégral des consultations et donc des explications données au patient ; ou bien en la présence d'une tierce personne assermentée pendant la consultation..., ce qui est irréaliste !

Comment donc, en pratique quotidienne, apporter la preuve que l'on a bien informé notre patient ?

La réponse est ce que l'on appelle un faisceau de preuves (Simonet et al., 2015) :

– Le nombre de rendez-vous pour analyser et étudier le cas avant de proposer le plan de traitement : il est évident que si trois ou quatre rendez-vous sont consignés dans le dossier médical avant de commencer le traitement, le patient aura du mal à soutenir devant l'expert que le praticien ne lui a rien expliqué ;

– la consignation dans la fiche médicale du patient des éléments d'information dispensés sur le traitement proposé et sur les éventuels autres thérapeutiques possibles. Il faut souligner que les alternatives thérapeutiques, comme l'utilisation d'implants courts ou des techniques non invasives comme la technique de condensation axiale de Summers ou plus récemment la technique d'ostéodensification, doivent impérativement être proposées au patient si leur indication médicale est possible et justifiée ;

– les photographies numérisées du cas clinique avant traitement ;

– la remise de documents d'information générale concernant les traitements, documents édités par l'Association française d'implantologie (AFI) ou les sociétés scientifiques comme la Société française de parodontologie et d'implantologie (SFPIO) et d'autres. Cette remise de documents doit être consignée dans la fiche médicale du patient ;

– les courriers des correspondants éventuels qui auraient adressé le patient pour un traitement spécifique ;

– les courriers aux correspondants rendant compte de la consultation et du traitement réalisé ;

– le document formalisant le plan de traitement détaillé et précisant la nature des traitements leur chronologie et leur durée ;

– le devis pour le traitement. Ce devis doit être détaillé et chiffré pour chaque séquence d'actes. Le devis doit comporter de façon précise le site de l'intervention (par exemple sinus droit ou gauche ou droit et gauche) ainsi que la voie d'abord (par exemple voie latérale), et les matériaux de substitution osseux et les membranes utilisés. Il doit être clair et compréhensible pour le patient. Si c'est le praticien pratiquant la chirurgie du sinus qui doit poser les implants, le devis doit préciser les dents concernées ou les sites pour les implants. Il doit préciser pour la prothèse la nature des matériaux employés (composite ou céramique), et le type de métal précieux ou non précieux avec la référence. Ce devis ne doit en aucun cas être global, car si le patient interrompt ses soins en cours de traitement, il sera très difficile de chiffrer les honoraires dus et cela peut être une source de contestation. Il est toujours possible d'établir un devis avec une phase de réévaluation après temporisation, par exemple après un comblement de sinus, avant de passer à la phase prothétique ou après une greffe osseuse. Si c'est un autre praticien qui doit réaliser les implants et ou la réhabilitation prothétique, chaque praticien doit établir un devis précis de la partie du traitement qu'il va assumer et obtenir le consentement éclairé du patient.

Le patient qui a reçu tous les éléments d'information sur le traitement proposé et conseillé par le praticien, sur les traitements alternatifs, sur les risques en cas de non-traitement, sur les complications éventuelles et leur conséquence financière, et qui a reçu une évaluation des honoraires consignés dans un devis clair et détaillé est en mesure de donner son consentement éclairé.

Ce consentement peut être formalisé dans un document écrit, ce qui est vivement recommandé pour les traitements implantaires, de chirurgie avancée de réalisation de greffes osseuses ou de comblement sinusien.

Le respect de ces règles permet au praticien d'apporter à l'expert, en cas de mise en cause de son traitement, des éléments objectifs permettant à ce dernier d'apprécier et de confirmer que le praticien a bien rempli son devoir d'information et qu'il a obtenu le consentement éclairé de son patient avant d'entreprendre son traitement.

Le non-respect de ces règles place le praticien dans une situation très inconfortable en cas d'expertise car le patient soutiendra avec force :

– qu'on ne lui a pas expliqué le traitement ;

– qu'on ne lui a pas proposé de solution implantaire ;

– qu'on ne lui a pas proposé de solution alternative au comblement sinusien ;

– qu'on ne lui a jamais parlé de risques ou de complications possibles ;

– qu'il n'était pas informé du coût du traitement ;

– qu'il n'était pas informé qu'en plus des honoraires de comblement de sinus, il fallait ajouter des honoraires pour les implants et pour la prothèse.

L'expert ne pourra alors que constater la divergence des points de vue et consigner dans son rapport d'expertise que le praticien n'a pas apporté la preuve qu'il a bien rempli son devoir d'information.

La chirurgie implantaire doit-elle être pratiquée dans un bloc opératoire ou une salle dédiée (Simonet et al., 2015) ?

Il n'existe aucun texte réglementaire imposant cette contrainte pour la chirurgie implantaire classique.

On pourrait même s'interroger sur les raisons qui justifieraient cette obligation spécifique à l'implantologie et ne l'imposeraient pas à la chirurgie buccale ou parodontale.

Il faut cependant moduler cette analyse, d'une part en fonction de l'obligation de sécurité/résultat en matière d'asepsie, et d'autre part en distinguant la pose des implants elle-même de la chirurgie pré-implantaire, du comblement de sinus ou de la greffe d'apposition.

Pour ces chirurgies à risque infectieux élevé, la HAS recommande une salle dédiée ou un bloc opératoire.

La traçabilité est-elle obligatoire ?

Parmi les obligations administratives récentes s'inscrit la traçabilité :

– des trousses chirurgicales utilisées, avec la date de stérilisation ;

– des trousses chirurgicales implantaires ou spécifiques à la chirurgie du sinus, avec la date de stérilisation ;

– des dispositifs médicaux, des matériaux de substitution osseux ou membranes.

La fiche médicale du patient doit donc comporter tous ces éléments, avec tous les actes effectués dans leur ordre chronologique, ainsi qu'un compte rendu opératoire détaillé.

L'imagerie 3D est-elle un prérequis indispensable ?

L'imagerie 3D, scanner ou Cone Beam, n'est pas obligatoire en chirurgie implantaire classique dans toutes les situations où le praticien peut évaluer le volume osseux disponible et les organes anatomiques à protéger par d'autres examens.

En revanche, l'analyse de la santé des sinus est une étape indispensable afin de définir « l'état antérieur » et éventuellement adresser le patient à un ORL pour une consultation spécialisée avant d'entreprendre un comblement sinusien.

L'EAO insiste sur le respect du principe de dose ALARA (« As Low As Reasonably Achievable ») (Harris et al., 2002) et sur la responsabilité du prescripteur de l'examen.

La bonne pratique consiste donc à réaliser, ou à prescrire, l'examen permettant le diagnostic avec la plus faible dose reçue possible pour le patient (recommandation grade A).

Précisons que la prescription de l'examen 3D ne suffit pas et qu'il ne faut en aucun cas se reposer uniquement sur le diagnostic ou les mesures effectuées par le radiologue. Le praticien doit être capable de l'interpréter.

Quelles techniques de soulevé de sinus sont de bonne pratique ?

Les premières interventions d'élévation sinusienne sont attribuées à Tatum dans les années 1970, même s'il ne publiera que plus tardivement, et à Boyne et James en 1980 (Boyne et James, 1980).

Lors de la conférence de consensus qui s'est tenue en 1996 au Babson College près de Boston, l'élévation sinusienne par voie latérale a été considérée comme « une technique sûre et reproductible d'augmentation de la hauteur osseuse alvéolaire dans la région postérieure maxillaire ».

Quinze ans plus tard, la conclusion de la revue de littérature de Stern et Green la décrivait comme « une technique apportant un grand bénéfice au patient, au résultat prévisible » (Stern et Green, 2012).

De la même manière, la technique crestale décrite par Summers est considérée, dans les revues de littérature récentes, comme « prévisible et efficace pour placer des implants dans des zones du maxillaire postérieur à hauteur osseuse limitée » (Summers, 1994).

Les méta-analyses concluent cependant qu'une hauteur d'os résiduelle inférieure à 5 mm (Del Fabbro et al., 2004) ou 4 mm (Călin et al., 2014) est à l'origine d'un taux de succès significativement plus faible des implants posés. Il est aussi conclu que les résultats à 3 ans sont supérieurs pour la technique crestale (97,2 %) à ceux de l'abord latéral (93,7 %).

Les deux techniques, voie latérale ou voie crestale, peuvent donc être considérées comme de bonne pratique (recommandation niveau A), la voie crestale semblant néanmoins moins indiquée lorsque la hauteur d'os résiduelle est inférieure à 4 ou 5 mm (Esposito et al., 2014).

Le taux de complication plus élevé des sites greffés doit cependant faire évaluer la solution des implants courts ou de l'ostéodensification avant de pratiquer une élévation sinusienne.

Les différentes techniques chirurgicales d'accès au sinus par voie latérale ont été analysées avec leur taux de complications, en particulier la déchirure de la membrane.

La technique qui donne le moins de complication est celle de l'usure de la paroi osseuse externe.

La technique qui entraîne le plus de déchirures est celle du volet rabattu à l'intérieur du sinus, suivie de près par la technique de retrait complet du volet osseux.

En outre, l'utilisation de la piézochirurgie réduit de manière significative le taux de déchirure accidentelle de la membrane.

On doit donc retenir que le choix le plus sécuritaire consiste à pratiquer la technique d'usure du volet en faisant appel à la piézochirurgie.

 

Les problèmes majeurs que l'expert rencontre en expertise judiciaire sont (fig. 1 à 5) :

– d'une part, la mauvaise analyse préopératoire des différentes options thérapeutiques et l'insuffisance des explications données au patient dans le cadre du devoir d'information afin d'obtenir son consentement éclairé ;

– d'autre part, la mauvaise gestion des complications, en particulier en cas de déchirure de la membrane sinusienne, de fuite de matériau de substitution osseux et de développement d'une infection du sinus.

Il est évident que le praticien qui aspire à réaliser cette chirurgie doit avoir suivi une formation adéquate et être en outre capable de gérer les complications.

Le fait de ne pas identifier l'existence d'une infection du sinus suite à une chirurgie de comblement et de temporiser à outrance avec une prescription longue d'antibiotiques et de corticoïdes est considéré comme une faute du praticien, qui s'ajoute à la maladresse de la déchirure de la membrane, cette dernière associée à un acte non diligent et une perte de chance pour le patient.

Conclusion

La chirurgie du sinus maxillaire fait partie de la capacité professionnelle du chirurgien-dentiste.

Cependant, il lui faudra acquérir une compétence spécifique par une formation adéquate pour pratiquer cette chirurgie, car elle n'est pas enseignée dans le cursus menant au diplôme de docteur en chirurgie dentaire.

Cette chirurgie du sinus peut être à l'origine de pathologies très sérieuses pour le patient. Il faut donc impérativement analyser les différentes options thérapeutiques avant de choisir la solution de comblement par voie latérale, et surveiller les suites opératoires pour prendre les mesures adaptées dans un délai court en cas de survenue d'une complication.

Bibliographie

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