Article
Implantologie Parodontologie
Exercice privé, Saint-Maur-des-Fossés
Résumé
Les chirurgies, dites « graftless », d'extractions/implantations/temporisation immédiate pour la réalisation de prothèses complètes implanto-portées par l'utilisation d'implants zygomatiques, ou d'implants inclinés lors d'atrophies postérieures maxillaires, sont présentées en tant qu'alternative aux comblements sinusiens, perçus comme des greffes osseuses et véhiculant ainsi l'idée de complications postopératoires. La proposition d'une immédiateté de traitement prothétique, qui a montré son efficacité bien qu'elle s'oppose totalement aux grands principes préconisés par le professeur Brånemark, emporte facilement les faveurs de nos patients, parfois les plus jeunes, alors qu'elle peut, dans certains cas, diminuer les chances de préservations dentaires par traitements parodontaux, qui nécessitent un délai de cicatrisation et de réévaluation afin de pouvoir établir un pronostic clair d'extraction ou de conservation.
Ces chirurgies sans greffe se révèlent pourtant être particulièrement invasives, avec des suites opératoires parfois sévères (pour ce qui concerne les implants zygomatiques), et paradoxalement mutilantes dans le protocole d'implants inclinés « All-on-Four » réclame de détruire la crête alvéolaire saine afin de laisser la place à la future prothèse résine sur barre titane devant remplacer les dents, mais aussi le volume des tissus osseux et gingivaux supprimés. La réalisation des prothèses complètes, supportées par ces implants inclinés ou zygomatiques, nécessite, en outre, la présence de cantilevers qui constituent une source de fractures des différents éléments prothétiques et d'infections péri-implantaires. Les techniques graftless pour le traitement des édentations complètes, faisant intervenir les implants zygomatiques ou inclinés, ont par ailleurs un champ d'indication très limité dû au phénomène de résorption importante des crêtes alvéolaires antérieures lorsque les édentations sont anciennes.
Le comblement sinusien par voie latérale, dont les suites opératoires sont considérées comme faibles grâce à l'évolution de l'instrumentation et des techniques chirurgicales, bénéficie d'un recul clinique de plus de 40 ans ainsi que d'études les plus avancées en matière de preuves scientifiques, confirmant ainsi son efficacité et sa prédictibilité. Le recours à cette technique chirurgicale présente aussi l'avantage de pouvoir mettre en place des implants parallèles, de longueur standard, jusqu'au niveau de la deuxième molaire, émergeant au sommet de la crête osseuse dans le couloir prothétique pour un meilleur confort du patient. L`augmentation du volume osseux sous-sinusien permet ainsi la réalisation de prothèses complètes implanto-portées sans bras de levier, respectant les principes fondamentaux de la biomécanique indispensables à la pérennité du traitement implanto-prothétique, qui reste une des principales doléances de nos patients.
Surgeries, so-called ``graftless'', with teeth extraction, immediate implant placement and provisional prosthesis for the realization of full arch implant-supported rehabilitation, by using zygomatic or tilted implants for the treatment atrophic posterior maxillary, are presented as an alternative option to maxillary sinus floor augmentation, perceived as bone graft thus conveying the idea of postoperative complications.
The proposal of a prosthetic treatment immediacy, which has proved to be effective, even though it is totally opposed to the main principles advocated by Professor Brånemark, easily wins our patients' favours, even the youngest ones, whereas this options could reduce of dental preservations chances by using periodontal treatments, which require a period of healing and reassessment in order to establish a clear prognosis of extraction or conservation.
However, these ``graftless'' surgeries have proven to be particularly invasive, sometimes with severe post-operative complications, concerning the zygomatic implants, and paradoxically in the tilted implants ``All-on-Four'' protocol, which claims to destroy the healthy alveolar ridge so as to create prosthetic space for milled bar framework and acrylic thickness needed to replace the teeth but also the bone and gum tissue volume.
Achieving full dentures, supported by these tilted or zygomatic implants, requires, in addition, cantilevers, which are a source of different prosthetic component fractures as well as periimplantitis. These graftless techniques for full arch rehabilitation, involving zygomatic or tilted implants, also have a very limited indication field due to the significant resorption of the anterior alveolar ridge, in case of old edentations.
Sinus floor augmentation with lateral approach, whose post-operative complications are considered to be low thanks to the evolution of instrumentation and surgical techniques, benefits of more than 40-year clinical background as well as the most advanced studies in terms of scientific evidence thus confirming its effectiveness and predictability. The use of this surgical technique also offers the advantage of being able to place parallel implants, with standard length, up to the level of the second molar, emerging at the top of the bone crest in the prosthetic corridor for a better patient comfort. The undersinus bone augmentation allows the realization of complete-arch fixed implant-supported prosthesis without any cantilever, respecting the fundamental principles of biomechanics, which are essential to the implant-prosthetic treatment durability, which remains one of the main requests of our patients.
Le protocole chirurgical de comblement osseux sinusien, permettant la mise en place d'implants dentaires dans les cas cliniques de maxillaire postérieur atrophié, a été présenté pour la première fois par Tatum dès 1977, à l'occasion du congrès annuel de l'Alabama Implant Study Club Group (Tatum, 1977). La description de cette technique chirurgicale, consistant à utiliser un greffon osseux iliaque autogène dans le but d'augmenter la hauteur osseuse résiduelle du plancher sinusien, a, par la suite, fait l'objet d'un article en 1986 par le même auteur, alors que Boyne et James étaient à l'origine de la première publication sur le sujet en 1980 (Boyne et James, 1980). L'os autogène, initialement utilisé, a longtemps été considéré comme le matériau de prédilection en matière de reconstruction osseuse, dans la mesure où il est le seul à offrir à la fois des propriétés d'ostéoconduction, d'ostéoinduction et d'ostéogénicité (Nevins et al., 1998). La présence d'un deuxième site chirurgical nécessaire au prélèvement du greffon osseux, qu'il soit intra-oral ou extra-oral, constitue cependant une source d'inconvénients entraînant une augmentation de la morbidité liée au risque hémorragique, à l'œdème et aux douleurs postopératoires (Clavero et Lundgren, 2003). Par ailleurs, la quantité limitée des volumes osseux au niveau des sites donneurs intra-oraux (Proussaefs et al., 2002), ramique ou symphysaire, imposait, lors de comblements de grande étendue, la réalisation de prélèvements osseux extra-oraux (Tessier, 1992), iliaques ou pariétaux, par nature plus invasifs, et nécessitant le recours à une anesthésie générale, exposant ainsi le patient à tous les risques qui y sont liés.
L'utilisation de substituts osseux représente depuis plusieurs années une alternative à l'os autogène, dans la mesure où elle annihile la nécessité d'un deuxième site chirurgical de prélèvement, réduisant ainsi de façon significative les suites postopératoires, ces biomatériaux étant en outre disponibles en quantité illimitée.
Par voie de conséquence, le terme de greffe, désignant le prélèvement de tissus ou d'organes constitués de cellules vivantes, employé lors de la description des comblements sinusiens, véhiculant de plus une notion de complexité chirurgicale, est à présent inapproprié dans la mesure où l'os autogène n'est plus utilisé.
Les substituts osseux, qui peuvent être d'origine xénogène, allogène ou alloplastique (Valentini et al., 2000 ; Ohayon, 2014 ; Corbella et al., 2016), outre leurs caractéristiques communes d'innocuité, de biocompatibilité et uniquement d'ostéoconductivité, présentent des propriétés variables de biorésorbabilité et permettent, précisément lors des comblements sinusiens, des taux de survie implantaires équivalents à ceux obtenus après utilisation d'os autogène (Wallace et Froum, 2003).
Des techniques dites « graftless », présentées comme moins invasives, par l'utilisation d'implants inclinés ou d'implants zygomatiques, sont proposées aux chirurgiens comme une alternative aux protocoles d'augmentation du volume osseux sous-sinusien, devant ainsi simplifier le geste chirurgical et diminuer les suites opératoires.
L'objectif de cette publication est de faire le point sur ces différents protocoles chirurgicaux ainsi que sur la pérennité des systèmes implanto-prothétiques, au travers d'un cas clinique pour lequel les différentes possibilités de traitements seront évoquées et les raisons du choix thérapeutique étayées par une revue de la littérature basée sur la preuve scientifique.
Madame A., 62 ans, présentant une pathologie parodontale avec une mobilité des incisives maxillaires associée à une supraclusion incisive, consulte pour un traitement implantaire dans le but de retrouver un sourire esthétique et de remplacer sa prothèse partielle amovible maxillaire bilatérale postérieure par une prothèse fixe implanto-portée (fig. 1).
Après examen clinique et concertation avec l'orthodontiste, la possibilité d'un traitement parodontal et orthodontique pour maintenir les dents antérieures maxillaires est écartée, en raison du risque significatif de perte des incisives lors des mouvements importants de traction orthodontique nécessaires au repositionnement du groupe incisivo-canin.
L'indication de la pose d'implants pour permettre la réalisation d'une prothèse complète transvissée implanto-portée maxillaire est donc posée. L'étude des images du Cone Beam révèle une hauteur osseuse sous-sinusienne résiduelle inférieure à 3 mm au niveau de l'édentation bilatérale postérieure. Pour cette région postérieure, trois possibilités de protocoles chirurgicaux s'offrent alors aux praticiens : la pose d'implants inclinés, les implants zygomatiques, ou l'augmentation de la hauteur crestale sous-sinusienne par comblement osseux sinusien avec abord latéral, pour la mise en place d'implants parallèles dans l'axe prothétique.
L'utilisation d'implants inclinés à 30o a pour objectif d'éviter les comblements sinusiens par la mise en place de 4 implants, pour le système « All-on-Four », dont les 2 les plus postérieurs doivent émerger au niveau de la crête osseuse résiduelle sous-sinusienne de façon plus distale que l'utilisation d'implants droits ne l'aurait permis dans une situation identique.
Ce protocole chirurgical et prothétique impose la réalisation d'une prothèse complète résine sur barre titane fraisée, dont les dents postérieures sont situées en position plus distale que les piliers implantaires qui les supportent. Elle constitue par conséquent un bras de levier qui, lors des pressions occlusales liées à la mastication, va augmenter significativement l'intensité des forces de pression sur les implants les plus distaux, ainsi que des forces de tension délétères sur les implants antérieurs, hypothéquant alors la pérennité des implants et de la prothèse. La valeur de ces forces de pression, auxquelles sont soumis les piliers implantaires distaux, est d'ailleurs multipliée par deux lorsque le bras de levier ne concerne qu'une dent en extension, voire par trois lorsqu'il existe deux dents en extension au niveau de la barre prothétique (fig. 2) (Brunski, 2014 ; Padhye et al., 2015), sachant que plus de 70 % des forces occlusales sont exercées au niveau molaire au cours de la mastication, ce qui augmente d'autant plus l'intensité des forces exercées sur les piliers implantaires. L'importance du positionnement des implants dans la répartition des contraintes prothétiques, ainsi que les effets néfastes des forces et moments exercés à moyen et long terme par les cantilevers, ont d'ailleurs été démontrés depuis plusieurs dizaines d'années (Rangert et al., 1989). À ce titre, Les prothèses complètes implanto-portées ayant une dent en extension sont fortement déconseillées, alors que l'utilisation de cantilevers de 2 dents est strictement contre-indiquée (Renouard et Rangert, 2005) en raison de la mauvaise répartition des contraintes biomécaniques, aboutissant à terme à une fatigue des matériaux composant l'ensemble du système implanto-prothétique. Ces contraintes biomécaniques excessives sont, en outre, à l'origine de phénomènes de résorption osseuse péri-implantaire pouvant entraîner la perte des implants (Naert et al., 2012 ; Sheridan et al., 2016), ainsi que la fracture des piliers et des différents éléments prothétiques (Diaz-Arnold et al., 2008 ; Lambert et al., 2009 ; Gallucci et al., 2009a).
Un taux de survie de 84,0 % (68,6 à 99,4 %) sur 10 ans a d'ailleurs été établi pour les traitements implanto-prothétiques lorsque les implants les plus distaux sont placés au niveau de la première prémolaire, à la différence des 95,4 % (92,6 à 100 %) obtenus en l'absence de cantilever prothétique lorsque les implants postérieurs sont situés en secteur molaire (Papaspyridakos et al., 2012). À ce titre, peu de publications cliniques ont été menées dans le premier cas de figure, alors que la fiabilité des traitements implantaires sans cantilever est considérée comme étant à la fois cliniquement et scientifiquement prouvée (Gallucci et al., 2009b). Par ailleurs, un nombre réduit d'implants pour supporter une prothèse complète avec cantilever, tel que préconisé pour le protocole « All-on-Four », entraîne une augmentation importante des contraintes exercées sur les piliers les plus postérieurs (Silva et al., 2010).
La nécessité de réaliser une prothèse complète sur barre titane fraisée contraint en outre le chirurgien à réduire de façon significative la hauteur de crête alvéolaire résiduelle au niveau du bloc incisivo-canin, de façon, d'une part, à permettre la création d'un espace prothétique suffisant (dépassant souvent 15 mm) pour accepter le volume que doivent occuper les dents prothétiques ainsi que la fausse gencive acrylique supportée par la barre métallique et, d'autre part, à remonter la ligne de transition gencive-prothèse en fonction de la ligne du sourire (fig. 3). Cette étape chirurgicale correspond alors, de façon paradoxale, à la mutilation d'une crête alvéolaire saine, dans le seul et unique but d'adapter l'anatomie osseuse maxillaire à la future prothèse, plutôt que l'inverse, au motif d'éviter les suites opératoires que pourrait engendrer le choix d'une chirurgie reconstructrice telle que l'élévation du plancher sinusien.
Par ailleurs, le fait que l'axe vertical de la crête maxillaire antérieure soit toujours incliné en direction occlusale et vestibulaire a pour conséquence de créer une nouvelle morphologie crestale plate, où les têtes d'implants se retrouvent inévitablement en position palatine par rapport aux dents prothétiques sus-jacentes (fig. 4). Ces réductions de la hauteur osseuse crestale représentent ainsi une source d'inconvénients liés au volume occupé par la prothèse, par exemple au niveau de la surface de contact gencive/intrados prothétique, qui constitue alors un piège à nourriture et à bactéries, difficiles à éliminer lors du brossage. Certaines difficultés d'élocution peuvent parfois aussi y être associées. Qui plus est, la résine polyméthacrylate, qui compose les prothèses complètes de type « All-on-Four », ne résiste pas à la dégradation dans le milieu buccal et devient poreuse. Le caractère hydrophobe de la résine permet ainsi la formation d'un biofilm à la surface de la prothèse, facilitant l'adhésion de bactéries pathogènes et de candida albicans, qui constituent une source d'infections muqueuses et péri-implantaires (Radford et al., 1999 ; Sumi et al., 2003 ; Coulthwaite et Verran, 2007).
Les patients édentés totaux de longue date présentent en outre, dans la majorité des cas, une crête alvéolaire fine dans le secteur incisivo-canin (fig. 5), due au phénomène de résorption rapide de l'os fasciculé situé en vestibulaire de l'alvéole dentaire (Araújo et Lindhe, 2005). Cette situation clinique nécessite alors le recours aux techniques de reconstructions osseuses pour la pose d'implants antérieurs lors des protocoles « All-on-Four », dont le champ d'application se trouve par conséquent très restreint.
La grande majorité des protocoles « All-on-Four », qualifiés de « graftless », est cependant pratiquée sur arcades dentaires après des extractions récentes ou lors des traitements d'extractions/implantations immédiates sur patients souffrant de pathologies parodontales. Ces protocoles d'extraction/implantation/temporisation immédiates ne doivent, cependant, pas être réalisés aux dépens des traitements parodontaux conservateurs et constituer ainsi une « perte de chance » pour les patients.
En effet, toute extraction d'organe dentaire constitue de facto une mutilation, par nature irréversible, l'édentation complète restant de plus une forme d'invalidité, quel que soit le système prothétique envisagé.
Par ailleurs, contrairement à l'implant dentaire, pour lequel la partie coronaire est sertie par un manchon gingival ou muqueux, dont les fibres circulaires sont parallèles à la surface de l'implant et ne permettent qu'une adhésion fragile sur la paroi en titane par des hémidesmosomes provenant de l'épithélium de jonction (Welander et al., 2008), la dent et son environnement parodontal se défendent activement contre les agressions bactériennes, par l'ancrage des fibres de collagène au travers du cément radiculaire, isolant hermétiquement le tissu osseux du milieu buccal, ainsi que par la présence d'un système de défense cellulaire véhiculé par le réseau vasculaire qui parcourt le ligament desmodontal (Ivanovski et Lee, 2018). Les fibres nerveuses, ramifiées au sein de ce même ligament desmodontal, apportent en outre une sensibilité proprioceptive facilitant la mastication et améliorant la perception des mouvements de la mandibule par rapport au maxillaire (Hämmerle et al., 1995 ; Luraschi et al., 2012).
À l'exception d'avulsions stratégiques, qui doivent garder un caractère exceptionnel, la conservation des dents par le traitement parodontal doit être privilégiée pour préserver l'intégrité physique de nos patients. À ce titre, plusieurs études épidémiologiques récentes ont établi que les édentations complètes, maxillaires ou mandibulaires, tendront à disparaître pour les patients souffrant de parodontites sévères, qui ne présenteront probablement plus qu'un schéma clinique d'édentations bilatérales postérieures avec un pronostic favorable pour le secteur incisivo-canin (Kornman et al., 2017), ce qui réduit d'autant plus le champ d'indication des prothèses complètes implanto-portées et, par voie de conséquence, le recours aux implants inclinés.
La mise en place de l'implant zygomatique s'effectue au sein de l'apophyse zygomatique de l'os malaire, par la recherche d'un ancrage osseux sur les derniers millimètres de l'extrémité apicale de l'implant incliné à 45o, dont la longueur peut atteindre 52 mm, laissant ainsi la majeure partie du corps de l'implant en dehors de tout contact osseux. La séquence de forage impose la réalisation d'une chirurgie invasive et délicate dans la mesure où le décollement d'un lambeau de pleine épaisseur doit être effectué jusqu'à l'os malaire, de façon à permettre un contrôle visuel de la zone de forage osseux effectué à proximité de zones anatomiques sensibles telles que la cavité orbitaire (fig. 6). Ce même décollement du lambeau muqueux peut, de plus, endommager les nerfs facial zygomatique et infra-orbitaire (Nkenke et al., 2003). Les risques de suites opératoires inflammatoires et douloureuses s'en trouvent alors augmentés et peuvent être associés à la formation d'importants hématomes faciaux et péri-orbitaires (Davó et al., 2010 ; Duarte et al., 2007 ; Chrcanovic et al., 2016). Les différentes complications postopératoires qu'engendre la mise en place des implants zygomatiques ne sont, d'ailleurs, que rarement évoquées dans les différentes publications cliniques, et par conséquent sous-estimées (Chrcanovic et Abreu, 2013).
Le recours à l'implant zygomatique, au motif d'éviter les comblements sinusiens, ne préserve pas pour autant la cavité sinusienne ; sa mise en place impose soit de traverser la cavité sinusienne dans 15 % des cas, soit de passer à l'extérieur de cette même cavité en respectant la paroi antérolatérale du sinus dans 15,5 % des cas, ou, enfin, pour les 69,5 % des cas restants, de détruire la paroi latérale sinusienne, dont l'épaisseur est plus petite que le diamètre de l'implant (Aparicio, 2011). La pose d'un implant zygomatique expose alors tout autant le passage de l'artère alvéolo-antrale que lors des techniques d'augmentation du plancher osseux sous-sinusien par abord latéral, si ce n'est que le risque d'hémorragie provoqué par une lésion vasculaire est réduit, pour ces dernières, grâce à l'utilisation d'inserts piézoélectriques.
La détermination de l'angle d'insertion de l'implant zygomatique au cours de la séquence de forage chirurgical aboutit cependant à des différences importantes de situation d'émergence de la tête de l'implant, fréquemment en situation palatine (fig. 7) au niveau de la voûte du palais osseux (Vrielinck et al., 2003 ; Aparicio et al., 2014), et dont la faible épaisseur contrarie la cicatrisation osseuse autour du titane (Becktor et al., 2005).
Ces deux particularités sont à l'origine d'inconvénients biologiques et biomécaniques spécifiques à l'implant zygomatique.
Sur le plan biomécanique, l'implant zygomatique se comporte comme un implant court incliné, puisque seule sa partie apicale est ostéointégrée, et dont le long bras de levier de plusieurs dizaines de millimètres est constitué par le corps libre de l'implant, qui traverse la cavité sinusienne sur toute sa hauteur ; les pressions occlusales transmises par la prothèse ont par conséquent pour effet de concentrer les contraintes de flexion au niveau de la partie médiane du corps de l'implant, qui devient à terme une zone de fracture (Ujigawa et al., 2007).
Sur le plan biologique, il peut exister un phénomène de percolation des bactéries, par les fluides buccaux vers la cavité sinusienne, dû aux micromouvements de va-et-vient de la tête d'implant durant la période d'ostéointégration lors des pressions occlusales exercées par la prothèse provisoire immédiate (Stiévenart et Malevez, 2010). Cette absence de cicatrisation osseuse au niveau du palais osseux constitue alors une source d'infection à l'origine de sinusites parfois aiguës et douloureuses, face auxquelles le seul traitement possible est la dépose de l'implant par le décollement, sous anesthésie générale, d'un lambeau de pleine épaisseur jusqu'au niveau sous-orbitaire, nécessaire à la découpe du tissu osseux autour de sa partie apicale zygomatique ostéointégrée. La fréquence de ces sinusites se révèle pouvoir atteindre 26 % des cas traités suivant certaines études (Davó et al., 2008 ; Bektor et al., 2005 ; Chrcanovic et Abreu, 2013). L'implant zygomatique peut aussi devoir être sectionné dans sa partie intra-sinusienne, une fois la prothèse sus-jacente découpée, afin de retirer sa partie coronaire dont la surface est contaminée, pour laisser en place sa partie apicale ostéointégrée dans l'os malaire, dont la dépose est chirurgicalement délicate (fig. 8).
Certaines études ont de plus révélé un taux de plus de 90 % de sinusites chroniques asymptomatiques sur le long terme (Bothur et al., 2015), ainsi que la présence d'aspergilloses (Sato et al., 2010). Le professeur P-I Brånemark, chirurgien orthopédiste à l'origine de l'implantologie moderne, n'avait d'ailleurs recours à l'implant zygomatique que lors des traitements d'édentements complets de maxillaires sévèrement atrophiés, en l'absence totale d'os alvéolaire résiduel, parfois même après que les tentatives de reconstructions osseuses aient échoué. Il considérait d'ailleurs le nombre de ces sinusites postopératoires comme étant sous-estimé, la plupart des publications ne concernant que des études à court terme alors que ces pathologies peuvent apparaître plusieurs années après la pose des implants zygomatiques (Brånemark et al., 2004).
Pour contourner ces complications postopératoires récurrentes liées d'une part à la traversée des cavités sinusiennes par les implants zygomatiques, et d'autre part à l'émergence des têtes d'implants au niveau du palais osseux, certains auteurs ont préconisé de déporter le corps des implants zygomatiques en situation extra-sinusienne vestibulaire, de façon à ce qu'ils puissent émerger au niveau de la crête alvéolaire résiduelle (Aparicio et al., 2014 ; Freedman et al., 2015). Cette nouvelle technique a cependant pour conséquence de placer l'implant zygomatique directement en position sous-muqueuse en dehors de tout recouvrement osseux, l'exposant ainsi au risque de dénudation des spires en titane, après récession de la muqueuse buccale non soutenue par le tissu osseux (fig. 9), imposant alors son retrait par résection osseuse.
La partie apicale ostéointégrée de l'implant zygomatique peut aussi être à l'origine de fistules cutanées, s'extériorisant au niveau de la pommette, et dont la formation a pu être observée jusqu'à 31 mois postopératoires malgré l'absence totale de signes pathologiques lors de la cicatrisation osseuse (Garcia Garcia et Ruiz Masera, 2016). Le seul traitement possible est alors la pratique d'une chirurgie de résection osseuse de dépose de l'implant, particulièrement périlleuse dans ce secteur, soit par voie endobuccale, décrite précédemment, soit par voie externe cutanée ouvrant l'accès au rebord inférieur de la cavité orbitaire (fig. 10) (Dawood et Kalavresos, 2017), au risque de laisser sur le visage du patient une dépression des tissus ainsi qu'une cicatrice cutanée caractéristique de ce type d'intervention (fig. 11).
Plusieurs publications ont par ailleurs fait état de pénétrations intracérébrales (fig. 12) (Reychler et Olszewski, 2010) ou de la cavité orbitaire (Davó et Pons, 2015 ; Duarte et al., 2007) par l'implant zygomatique, accompagnées d'hémorragies intra-orbitaires à l'origine de syndromes de compression orbitaire (Van Camp et al., 2018) (fig. 13), ayant pour conséquences des lésions neurologiques motrices, sensorielles ou neurologiques parfois irréversibles (Krauthammer et al., 2016) (fig. 14).
Contrairement aux chirurgies des tissus mous sans lambeau pratiquées dans différentes spécialités médicales et réalisées sous contrôle visuel indirect, telles que les cœlioscopies, la chirurgie guidée en implantologie orale, destinée à éviter le décollement d'un lambeau muqueux, est effectuée totalement à l'aveugle puisqu'elle intéresse le tissu osseux, qui interdit par nature tout accès aux fibres endoscopiques. Le recours à cette technique, devant par ailleurs justifier à long terme l'accumulation des doses de rayonnement ainsi que le coût financier supplémentaire (Tahmaseb et al., 2014), n'est pas indiqué lors de la mise en place des implants zygomatiques, d'une part en raison du risque non négligeable d'erreur de positionnement des implants (Balshi et al., 2012 ; Tahmaseb et al., 2014), proche de zones anatomiques sensibles, et d'autre part afin de permettre une irrigation abondante à l'apex de l'implant et réduire ainsi le nombre de réactions infectieuses au niveau du tissu osseux environnant (Dawood et Kalavresos, 2017).
La pose d'implants zygomatiques est par conséquent à l'origine de complications postopératoires inédites et particulièrement sévères, jamais rencontrées jusqu'alors en implantologie orale, face auxquelles le chirurgien reste totalement désarmé et n'a pour autre solution que la dépose de l'implant, sous anesthésie générale, au moyen d'une chirurgie particulièrement périlleuse, mutilante et invasive. Il semble donc peu raisonnable de proposer en première intention la pose d'implants zygomatiques lors de la réalisation de traitement prothétiques implanto-portés, si ce n'est lors des traitements d'édentations complètes au niveau des maxillaires sévèrement atrophiés.
Sur le plan prothétique, la position palatine et mésialée de la tête des implants zygomatiques postérieurs, en dehors des couloirs prothétiques, est à l'origine d'un double bras de levier qui, outre les conséquences biomécaniques à l'origine de fractures des différents composants prothétiques et d'accroissement du risque d'infection des tissus péri-implantaires évoquées précédemment, rend particulièrement difficile voire impossible l'accès aux instruments d'hygiène buccale, dès la mise en place de la prothèse provisoire immédiate (fig. 15), constituant ainsi un piège à bactéries à l'origine de réactions inflammatoires des tissus mous (Hirsch et al., 2004 ; Davó et al., 2008 ; Kahnberg et al., 2007 ; Farzad et al., 2006), ainsi que d'une augmentation du risque de péri-implantite (Landes, 2005).
L'implant zygomatique représente le dispositif médical le plus invasif de l'implantologie orale, nécessitant un geste chirurgical profond et proche d'organes sensibles. Il est cependant d'un grand secours lors des traitements d'édentations complètes des maxillaires sévèrement atrophiés (Brånemark et al., 2004), pour lesquels il était réservé, demandant des ancrages au niveau de l'os basal, ainsi que lors des traitements implanto-prothétiques après résection de l'os maxillaire consécutive aux lésions cancéreuses (Salvatori et al., 2017) ou aux traumas faciaux (Zwahlen et al., 2006).
Sortir du cadre très ciblé de ces indications pour étendre son utilisation aux traitements d'édentations maxillaires plus conventionnelles paraît, par conséquent, préjudiciable pour le patient qui serait alors inutilement exposé aux risques per- et postopératoires particulièrement sévères que peut engendrer la mise en place de cet implant.
Le comblement sinusien par abord latéral a été réalisé suivant le protocole standard qui consiste, après anesthésie locale, à soulever un lambeau mucopériosté donnant accès à la paroi latérale du sinus maxillaire. Le volet osseux est alors soit retiré, soit déplacé vers la cavité sinusienne en soulevant délicatement la membrane de Schneider pour devenir la nouvelle position du bas-fond sinusien, constituant ainsi la limite supérieure de la crête osseuse sous-sinusienne. Le substitut osseux est mis en place de façon à combler le nouvel espace créé au sein de la cavité sinusienne avant la mise en place des implants, qui a été effectuée dans la séance (fig. 16).
Bien qu'il soit préconisé de différer la pose des implants lorsque la hauteur sous-sinusienne est inférieure à 5 mm, ceux-ci sont mis en place au cours de la séance de comblement sinusien, quelle que soit la hauteur osseuse sous-sinusienne résiduelle, par la plupart des praticiens ayant une expérience clinique suffisante (Peleg et al., 2006), permettant ainsi la mise en charge des implants à 4 mois postopératoires. Cette période d'ostéointégration des implants du secteur postérieur présente aussi l'intérêt de prendre le temps nécessaire pour un traitement parodontal initial des dents antérieures lorsque le pronostic n'est pas clairement établi, et d'éviter ainsi toute extraction intempestive (fig. 17), contrairement aux protocoles de prothèses complètes immédiates supportées par les implants inclinés ou zygomatiques.
Au cours de la période d'ostéointégration des implants postérieurs, la prothèse immédiate peut être réalisée et contrôlée avant la deuxième phase chirurgicale d'extraction, avec implantation immédiate des implants antérieurs et temporisation immédiate de l'arcade maxillaire complète, effectuées 4 mois après la réalisation des comblements sinusiens avec mise en place des implants postérieurs. Outre l'absence de cantilever, le positionnement des implants en secteur molaire présente aussi l'avantage de pouvoir limiter la pose des implants antérieurs au niveau du secteur des canines, évitant ainsi d'une part la reconstruction osseuse d'une crête alvéolaire antérieure trop fine lorsque les extractions sont anciennes, tout en laissant au praticien, d'autre part, une grande laxité de positionnement des dents prothétiques du secteur incisif pour un meilleur résultat fonctionnel et esthétique, contrairement au système avec implants inclinés « All-on-Four », qui impose une mise en place des implants antérieurs dans le secteur incisif, comme évoqué précédemment (fig. 18).
Le choix d'une prothèse transvissée céramique sur armature titane est alors dicté par la morphologie de l'arcade maxillaire, évitant ainsi la pratique d'une chirurgie mutilante de résection de la crête alvéolaire saine qu'imposerait la mise en place d'une prothèse complète résine sur barre titane fraisée lors d'un protocole « All-on-Four ». La pose du bridge transvissé est réalisée à 4 mois postopératoires, suivant la mise en place des implants situés en secteur canin (fig. 19).
Les perforations de la membrane de Schneider représentent les complications postopératoires les plus courantes (Schwartz-Arad et al., 2004) qui, pour la plupart, n'interdisent pas la poursuite du comblement sinusien par le recours aux sutures des bords de la perforation ou par le recouvrement de la lésion par une membrane collagène. Ces perforations sinusiennes n'altèrent de plus en rien le taux de survie implantaire (Schwartz-Arad et al., 2004 ; Barone et al., 2006), qui est identique à celui des implants mis en place dans le tissu osseux (Wallace et Froum, 2003). Lorsque la perforation membranaire est trop étendue, le chirurgien doit refermer le lambeau mucogingival pour ré-intervenir un mois plus tard, délai nécessaire à la cicatrisation complète de la membrane sinusienne. Une diminution significative du taux de perforation a d'ailleurs été établie depuis l'utilisation d'inserts piezoélectriques lors de la réalisation du volet osseux latéral (Wallace et al., 2007).
Quelques sinusites postopératoires, réversibles dans leur grande majorité, peuvent aussi se déclarer à la suite de comblement sinusien, mais leur traitement ne nécessite pour la plupart qu'une simple antibiothérapie (Testori et al., 2012a). Les cas, extrêmement rares, de sinusites sévères peuvent nécessiter le retrait du matériau sous anesthésie locale au travers de la fenêtre osseuse réalisée lors du comblement par voie latérale, permettant ainsi un nouveau comblement sinusien à 1 mois postopératoire. Plusieurs études ont en outre confirmé que les comblements sinusiens n'altèrent en rien la physiologie du sinus maxillaire (Timmenga et al., 1997 ; Timmenga et al., 2003).
Le comblement sinusien par abord latéral présente plus de 40 ans de recul. Il a depuis fait l'objet de plusieurs consensus scientifiques favorables, dont celui de l'Academy of Osseointegration, qui s'est tenue à Boston dès 1996 (Jensen et al., 1998), mis à jour 30 ans plus tard, en 2016 (Jensen et al., 2016), ainsi que de nombreuses études transversales, croisées ou randomisées, et d'autres revues systématiques et méta-analyses, qui constituent la référence en matière de preuve scientifique, démontrant ainsi son efficacité et sa prédictibilité. Le recul clinique ainsi que les progrès réalisés, tant au niveau des techniques chirurgicales que de l'instrumentation, ont permis de réduire de façon significative les suites opératoires (Ohayon et al., 2019), considérées comme faibles pour leur grande majorité (Testori et al., 2012b) et dont les traitements sont parfaitement maîtrisés.
Le premier facteur de risque en implantologie dentaire est, paradoxalement, le chirurgien lui-même, d'une part du fait du degré de difficulté de l'intervention à réaliser, mais aussi et surtout de par la prise de décision thérapeutique qui, par nature, aura des conséquences irréversibles sur l'intégrité physique et parfois même sur la santé du patient. La bonne connaissance des avantages, des inconvénients et des éventuelles complications inhérentes aux différentes possibilités de traitements, tant sur le plan chirurgical que sur le projet prothétique, est indispensable pour permettre au praticien de choisir de façon objective la solution thérapeutique la plus adaptée.
Au-delà des risques per- et postopératoires encourus par le patient lors la mise en place des implants zygomatiques, la réalisation de prothèses complètes supportées par ces derniers ou par les implants inclinés défie les principes fondamentaux de la biomécanique, du fait de la présence de bras de leviers au niveau des molaires, parfois même des prémolaires, en extension, où vont s'appliquer les pressions occlusales les plus importantes ; ces dernières vont être à l'origine d'une mauvaise distribution des contraintes mécaniques, pouvant entraîner la fracture des différents éléments prothétiques ainsi qu'un accroissement du risque d'infection péri-implantaire.
Le recours aux comblements sinusiens permet la mise en place d'implants parallèles, dont l'émergence crestale est située dans les couloirs prothétiques, pour la réalisation de prothèses sur barre fraisée ou de bridges transvissés, tous deux sans cantilever, s'adaptant aux morphologies tissulaires existantes et respectant ainsi les règles fondamentales de la biomécanique nécessaires à la pérennité du système implanto-prothétique. Le comblement sinusien est par conséquent une composante incontournable de l'arsenal de l'implantologiste, notamment pour le traitement des édentations complètes maxillaires. Il doit cependant être réalisé par des praticiens ayant acquis une expérience suffisante spécifique à ce type chirurgie ou faire l'objet d'une formation solide de façon à en maîtriser les différents aspects.
Remerciements au Dr. Yohann Simon pour sa contribution à l'évaluation orthodontique du cas clinique présenté.