Article
Catherine PETIT 1 / Jean-Luc DAVIDEAU 2 / Olivier HUCK 2
1- AHU2- PU-PHDépartement de parodontologie, Faculté de chirurgie dentaire,
Strasbourg
Résumé
Les maladies parodontales sont des maladies inflammatoires chroniques d'origine infectieuse entraînant la destruction des tissus de soutien dentaires. Le traitement primaire de ces pathologies est donc en premier lieu à visée anti-infectieuse. Cependant, l'infection ne peut expliquer à elle seule les différences de sévérité des maladies parodontales comme les différentes réponses thérapeutiques, avec des taux d'échecs pouvant atteindre 30 %. De nombreux facteurs de risques, locaux, systémiques et comportementaux influencent négativement l'évolution des maladies parodontales et les résultats des traitements. Ces dernières années, le stress psychologique au travers de ses aspects comportementaux et biologiques a été proposé comme un des facteurs de risque majeur le plus souvent sous-évalué chez nos patients. Cependant, la complexité de la définition clinique du stress rend difficile l'évaluation de son influence réelle sur l'état parodontal et de ses conséquences cliniques. Le but de cette revue est de donner un aperçu pratique sur les définitions actuelles et les outils d'évaluation du stress ainsi qu'un état des lieux des études portant sur la relation entre le stress psychologique et la réponse au traitement parodontal.
Periodontal diseases are frequent chronic inflammatory diseases caused by pathogenic microorganisms colonizing the subgingival area and inducing local and systemic increases of pro-inflammatory cytokines levels resulting in tissue destruction. Periodontal treatment reduces the bacterial load. However, it seems to be partially ineffective for 20 to 30% of patients. The onset and the evolution of periodontal diseases are influenced by many local or systemic risk factors. Among them, psychological stress has been evaluated and may also negatively influence periodontal treatment outcomes. The aim of this review is to provide an overview regarding the relationship between psychological stress and periodontal treatment response.
Les parodontites sont des maladies inflammatoires d'origine infectieuse caractérisées par une destruction progressive des tissus de soutien dentaires ayant un rôle négatif sur la qualité de vie et sur le développement de pathologies systémiques. De nombreuses stratégies de prise en charge de ces pathologies ont été proposées, incluant des thérapeutiques mécaniques et chimiques. Le traitement parodontal non chirurgical (TPNC) constitue la pierre angulaire de la thérapeutique et vise à la suppression des biofilms supra et sous-gingivaux afin de réduire la composante inflammatoire. Le TPNC permet de réduire la profondeur de poches et le nombre de sites atteints. Cependant, certaines limitations liées au type de pathologie (parodontite agressive), à la composition des biofilms, à la présence de facteurs de risque systémiques ou locaux tels que certaines pathologies immunes et inflammatoires, le tabagisme ou des obturations dentaires non adaptées peuvent réduire le taux de réponse à ces procédures non chirurgicales et conduire à la nécessité de traitements plus complexes (Renvert et Persson, 2004 ; Graziani et al., 2017).
Afin d'optimiser les résultats du traitement parodontal, l'identification et le contrôle de nouveaux facteurs de risque sont nécessaires. L'état psychologique, notamment le stress, la dépression ou l'anxiété, a récemment été décrit comme facteur de risque potentiel pouvant diminuer l'efficacité du TPNC. Cependant, l'influence réelle de l'état psychologique du patient sur la réponse au TPNC reste à préciser, du fait de la difficulté notamment à caractériser ces différents états psychologiques ou pathologies associées (Lovibond et Lovibond, 1995). Le but de cette revue de la littérature est donc de donner un aperçu clinique sur les définitions actuelles et les outils d'évaluation du stress ainsi qu'un état des lieux des études portant sur la relation entre le stress psychologique et la réponse au TPNC.
Le stress émotionnel ou psychologique a été défini comme un mécanisme d'adaptation de l'organisme aux stimuli provenant de l'environnement. Le stress aigu est une réaction physiologique utile de l'organisme en réponse à une situation perçue comme un défi ou une menace (Breivik et al., 1996). Il est reconnu comme bénéfique lorsqu'il stimule ponctuellement les performances ou les mécanismes de défenses de l'hôte. En revanche, un stress chronique, trop intense ou durable, entraîne le développement d'une réaction exagérée et inadaptée de l'organisme à une situation donnée et est à l'origine d'altérations physiques et/ou mentales telles qu'une diminution des performances ou un épuisement de l'individu (Breivik et al., 1996) mais aussi d'une réduction des capacités de défense immunitaire. Lorsqu'il perdure dans le temps, le stress est corrélé à une augmentation du risque pour de nombreuses pathologies inflammatoires chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète et d'autres affections systémiques (Richardson et al., 2012 ; Goetzel et al., 2012), via de nombreux mécanismes biologiques impactant la réponse de l'hôte mais également du fait de modifications comportementales. Ces comportements, aussi appelés stratégies d'adaptation, peuvent être subdivisés en attitudes constructives, positives pour le patient – c'est le cas de la résignation, de l'action ou de la distraction – et en attitudes néfastes pour le patient – comme un comportement défensif ou agressif (tableau 1).
Conceptuellement, le stress, la dépression et l'anxiété sont très distincts mais le chevauchement clinique entre ces états psychologiques pose une difficulté supplémentaire dans la reconnaissance et la prise en charge (Lovibond et al., 1995). De plus, face à un stress important, les patients vont développer des stratégies d'adaptation susceptibles d'entraîner des comportements délétères lorsqu'elles sont inadaptées (Janke et al., 1985). Plusieurs études montrent que le stress peut modifier le mode de vie, par exemple en impliquant une diminution de la fréquence et de l'efficacité des mesures d'hygiène buccale, une augmentation du tabagisme et de la consommation d'aliments gras et sucrés (Leresche et al., 2002).
L'évaluation clinique de l'état psychologique des patients est complexe. De nombreux outils, principalement des questionnaires auto-administrés (HADS, PSS-10, DASS-42/-21), ont été développés afin de caractériser l'état psychologique des individus (Gehi et al., 2012 ; Iglesias-Rey et al., 2012 ; Singh et al., 2012) et sont résumés dans le tableau 2. Chaque questionnaire a sa propre spécificité par rapport au type de maladie et à la population évalués. Parmi les différents questionnaires utilisés, le DASS (Depression Anxiety Stress Scale) est particulièrement employé. Ce questionnaire est constitué d'un ensemble de 3 échelles d'auto-évaluation conçues pour mesurer l'état de dépression, d'anxiété et de stress. Il peut être distribué aux patients sous une forme courte comportant 21 questions (fig. 1 et tableau 3) ou sous une forme plus complète comportant 42 questions. Les résultats de cette évaluation sont calculés en additionnant les scores pour chaque item. Ce questionnaire a l'avantage d'être rapide à remplir par le patient et d'offrir des résultats exploitables immédiatement par le praticien. Cependant, il ne reflète l'état psychologique du patient que sur une période réduite. Il convient donc de choisir consciencieusement le questionnaire d'auto-évaluation utilisé afin de distinguer les différentes formes de souffrance psychologique et les comportements s'y référant dans le but de s'affranchir le plus possible des biais potentiels, en particulier dans le cadre d'une étude clinique.
Les différentes voies impliquées dans la réponse au stress, à savoir l'axe hypothalamo-pituitaire et le système nerveux central, influencent la réponse immunitaire (Johannsen et al., 2010). Un stress chronique peut ainsi modifier l'équilibre entre molécules pro et anti-inflammatoires telles l'IL-1 et l'IL-6 mais également influer sur le recrutement des cellules impliquées dans la réponse immune tels les lymphocytes ou les polynucléaires neutrophiles. L'ensemble de ces altérations va ainsi favoriser la vulnérabilité des tissus parodontaux vis-à-vis de l'infection bactérienne (Ishisaka et al., 2007 ; Akcali et al., 2012). Les études in vitro et in vivo visant à étudier l'implication des molécules ou marqueurs du stress chronique comme le cortisol, la chromogranine A ou la bêta-endorphine ont mis en évidence que leurs concentrations au niveau sanguin et du fluide gingival sont liées à la réponse inflammatoire (Akcali et al., 2013).
Les molécules associées au stress ont également été identifiées comme pouvant influencer la composition des biofilms oraux et donc favoriser l'apparition et la croissance d'espèces parodontopathogènes telles que Porphyromonas gingivalis (P.g) ou Aggregatibacter actinomicetemcomitans (A.a), ceci ramenant au concept d'endocrinologie microbienne (Lyte, 1993). En effet, certaines molécules liées au stress, telles que les catécholamines ou le cortisol, vont influer sur la croissance bactérienne mais sont également susceptibles de moduler la virulence de certaines espèces (Saito et al., 2011 ; Ackali et al., 2014). L'ensemble de ces mécanismes va ainsi contribuer à favoriser le développement d'une réponse inflammatoire ou son maintien mais également entretenir la flore parodonto-pathogène (Akcali et al., 2012) (fig. 2).
L'influence du stress chronique sur l'incidence des parodontites est étudiée depuis plus de 30 ans. Elle a été mise en évidence dans de nombreuses études portant sur différentes populations (Breivik et al., 1996 ; Linden et al., 1996 ; Rosania et al., 2009) objectivant une augmentation de la perte d'attache clinique (CAL) corrélée à une altération de l'état psychologique des patients caractérisée par la présence d'un stress chronique (Vettore et al., 2003 ; Wimmer et al., 2005). Le niveau de stress a aussi été corrélé à une perte osseuse plus importante (Dolic et al., 2005). Enfin, une étude clinique a démontré que les niveaux de cortisol sont associés à l'étendue et à la gravité de la parodontite (Hilgert et al., 2006). Cependant, les études cherchant un lien entre le stress psychologique et la maladie parodontale sont très hétérogènes dans leur conception, dans les indicateurs de stress utilisés ou encore dans les signes cliniques de lésion parodontale recherchés. En conséquence, aucune méta-analyse n'est possible, ce qui empêche de clairement statuer sur l'importance du stress comme facteur de risque des maladies parodontales (Peruzzo et al., 2007 ; Araùjo et al., 2016). En particulier, il est difficile de distinguer la part de responsabilité du stress chronique par rapport aux autres facteurs de risque qui sont généralement augmentés en période de stress comme le tabagisme ou une mauvaise hygiène orale (Kloostra et al., 2007).
Il est intéressant de relever qu'une augmentation de l'incidence des parodontites a également été observée pour d'autres formes de pathologies psychologiques, telles que la dépression ou l'anxiété. Les patients ayant des niveaux élevés d'anxiété ont une fréquence plus élevée de perte d'attache (CAL) modérée (4-6 mm) et de profondeur de poche parodontale (PPD) modérée (4-6 mm) (Vettore et al., 2003) tandis que les patients dépressifs présentent une augmentation du taux de perte dentaire (Rosania et al., 2009).
L'influence du stress chronique sur la réponse au TPNC a également été évaluée par de nombreuses études dont les principales caractéristiques sont résumées dans le tableau 4. Une majorité d'études a montré une association entre l'état de stress (évalué par des questionnaires d'auto-évaluation) et la réponse au TPNC (Linden et al., 1996 ; Axtelius et al., 1998 ; Kamma et al., 2003 ; Wimmer et al., 2005 ; Bakri et al., 2013 ; Laforgia et al., 2015). Ces études ont mis en évidence une meilleure réponse au TPNC chez les patients non stressés par rapport aux patients stressés.
Dans l'une de ces études, le stress était associé à une plus grande perte d'attache après 5 ans de suivi (p = 0,03) ainsi qu'à une plus faible satisfaction (Kamma et al., 2003). On retrouve dans la littérature une association entre le stress psychosocial et de moins bons résultats cliniques post-traitement (PPD, CAL) caractérisés par la persistance de marqueurs biologiques associés à la destruction tissulaire et à l'inflammation (tel que le niveau d'élastase dans le fluide gingival) (Bakri et al., 2013). D'une façon similaire, une étude de 2005 a montré que les patients atteints de parodontites ayant un comportement d'adaptation défensif face aux situations stressantes présentent une perte d'attache plus importante et une amélioration beaucoup moins marquée de leurs paramètres cliniques parodontaux après 2 ans de TPNC que ceux ayant un meilleur comportement d'adaptation face à un stress psychologique (Wimmer et al., 2005). Dans une autre étude clinique comparant un groupe témoin répondant bien au TPNC (groupe R) à un groupe répondant moins favorablement (groupe NR), le groupe NR montre un stress plus important ainsi qu'une plus grande vulnérabilité (Axtelius et al., 1998). Cette étude met en évidence la contribution possible des facteurs de stress dans le contexte de maladie parodontale résistant au traitement.
Cependant, certaines études n'ont pas mis en évidence d'association entre le stress et la réponse clinique au traitement (Vettore et al., 2005 ; Megha et al., 2012 ; Graetz et al., 2013). Par exemple, dans une étude concernant 66 patients, aucune corrélation entre le stress mesuré via le questionnaire d'inventaire des symptômes du stress (Stress Symptoms Inventory ou SSI) (Lipp et Guevara, 1994) et la persistance de poches parodontales profondes après 3 mois de TPNC n'a été observée. En revanche, une différence significative du nombre de poches parodontales moyennes et profondes résiduelles a été observée après 3 mois de suivi pour les patients diagnostiqués anxieux par rapport à ceux qui ne le sont pas (Vettore et al., 2003). Il faut noter ici le suivi extrêmement court de cette étude sur seulement 3 mois. Une étude sur 310 patients atteints de parodontite chronique ou agressive a conclu qu'aucune variable psychosociale (âge au début du traitement, sexe, relation statut de la relation, nombre d'enfants, comportement sportif, IMC) n'était liée à une augmentation de la gravité de la maladie parodontale (Graetz et al., 2013). Seuls les facteurs de risque d'origine parodontaux sont apparus comme significativement prédictifs (perte osseuse au début du traitement, saignement au sondage au début du traitement et tabagisme).
Ces résultats contradictoires retrouvés dans la littérature peuvent s'expliquer par l'hétérogénéité de ces études dans leurs choix diagnostiques de la maladie parodontale, des modalités thérapeutiques, des mesures de l'état parodontal et en particulier de l'évaluation de l'état psychologique. Les études cliniques montrant l'effet du stress sur la réponse au traitement parodontal sont plus des études à long terme avec des suivis des patients de 6 mois à 5,5 ans. Elles utilisent des outils de mesure psychologique validés dans d'autres domaines de la médecine. Cependant, la multitude d'outils rend difficile la réalisation d'une méta-analyse car aucune étude n'utilise le même outil. De plus, certaines se concentrent sur le stress aigu (la peur de se rendre à une consultation dentaire, la peur de l'acte chirurgical à venir, le stress ressenti au moment exact de la réponse au questionnaire) et non sur le stress chronique (Santuchi et al., 2015).
Certains auteurs ont supposé que la gestion du stress, de l'anxiété et de la dépression par différents moyens, en particulier médicamenteux, pourrait améliorer les résultats des traitements parodontaux. Une récente revue de la littérature portant sur les études expérimentales s'intéressant à l'effet des médicaments antidépresseurs et anxiolytiques sur la maladie parodontale a montré que ces derniers diminuent significativement la perte osseuse alvéolaire (Muniz et al., 2017). Dans l'étude de Bhatia et al., les auteurs ont comparé la réponse au TPNC des patients souffrant de dépression sous fluoxétine par rapport aux patients dépressifs ne prenant pas de médication (Bhatia et al., 2015). La fluoxétine, un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS), est largement utilisée comme antidépresseur (Wong et al., 1995). Dans cette étude, les patients traités ont eu de meilleurs résultats thérapeutiques pour tous les paramètres cliniques parodontaux, à savoir : saignement au sondage, profondeur de poche, perte d'attache (Bhatia et al., 2015). De même, une étude a révélé que d'autres antidépresseurs, à savoir l'amitriptyline, la clomipramine et la maprotiline, exercent des effets anti-inflammatoires (Gurgel et al., 2013), notamment au niveau parodontal. D'autres études démontrent également que les antidépresseurs tricycliques (TCA) sont capables de réduire la production de cytokines pro-inflammatoires, comme l'IL-1β, le facteur de nécrose tumorale-α (TNF-α) et l'interféron gamma (IFN γ), et d'augmenter les niveaux de cytokines anti-inflammatoires comme l'IL-10 (Castanon et al., 2002). Ainsi, le succès de la fluoxétine dans l'amélioration des résultats du traitement parodontal peut être lié aux propriétés anti-inflammatoires (Branco-de-Almeida et al., 2011), antioxydantes (Aksu et al., 2014) et anti-collagénolytiques (Branco-de-Almeida et al., 2012) de la molécule elle-même autant qu'à son influence sur la dépression.
En ce qui concerne le recours aux thérapies comportementales non médicamenteuses en réponse à un stress trop élevé, seul le yoga a été étudié dans le cadre d'une prise en charge parodontale. Une étude très récente conclut que les patients à qui on enseigne des exercices hebdomadaires de yoga en parallèle du TPNC présentent de meilleurs résultats cliniques parodontaux après 90 jours de traitement que ceux ne bénéficiant que d'un TPNC (Sundhanshu et al., 2017).
L'état psychologique de nos patients peut avoir un effet sur le plan biologique et comportemental comme sur l'écologie bactérienne endobuccale. D'un point de vue clinique, une corrélation peut être faite avec une réduction de la réponse au TPNC. Les patients présentant un état psychologique fragile, notamment les patients souffrant d'un stress chronique, doivent être considérés comme des patients à risque sur le plan parodontal. Certains questionnaires, comme la DASS-42/21 décrite dans cet article, peuvent en première approche permettre aux chirurgiens-dentistes d'évaluer les seuils de stress, d'anxiété et de dépression potentiellement impactants. Ce paramètre doit être évalué lors de la prise en charge parodontale afin, d'une part, de favoriser un comportement adéquat par rapport à l'état de santé de nos patients et, d'autre part, d'adapter au besoin les modalités thérapeutiques (fréquence du suivi, motivation...). Cependant, il reste encore des inconnues concernant l'effet réel du facteur psychologique comme facteur de risque des parodontopathies par rapport aux autres facteurs de risques connus. Il est notamment important de poursuivre les recherches afin de mieux caractériser l'efficacité des protocoles thérapeutiques en fonction de l'état de stress (influence sur le traitement chirurgical, intérêt des antibiotiques... ?).